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Observation (CEACR) - adopted 2016, published 106th ILC session (2017)

Forced Labour Convention, 1930 (No. 29) - Mauritania (Ratification: 1961)
Protocol of 2014 to the Forced Labour Convention, 1930 - Mauritania (Ratification: 2016)

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Suivi des conclusions de la Commission de l’application des normes (Conférence internationale du Travail, 105e session, mai-juin 2016)

Article 1, paragraphe 1, article 2, paragraphe 1, et article 25 de la convention. Esclavage et séquelles de l’esclavage.
Dans ses précédents commentaires, la commission a instamment prié le gouvernement de continuer de prendre les mesures nécessaires pour mobiliser les autorités compétentes et l’ensemble de la société afin de continuer de lutter contre l’esclavage et ses séquelles en s’assurant que la nouvelle législation adoptée est strictement appliquée et que les victimes d’esclavage sont identifiées et ont accès à la justice. La commission prend note de la discussion qui a eu lieu en juin 2016 au sein de la Commission de l’application des normes de la Conférence internationale du Travail et observe que la Commission de la Conférence s’est dite profondément préoccupée par le fait que, dans la pratique, le gouvernement doit encore prendre les mesures voulues pour combattre l’esclavage. Suite à cette discussion, le gouvernement a accepté la visite d’une mission de contacts directs qui s’est rendue en Mauritanie du 3 au 7 octobre 2016. La commission prend note du rapport de cette mission. Elle note également les observations formulées par la Confédération syndicale internationale (CSI) et la Confédération générale des travailleurs de Mauritanie (CGTM), reçues respectivement le 31 août et le 1er septembre 2016.

a) Application effective de la législation

La commission a précédemment demandé au gouvernement d’accompagner l’adoption de la loi de 2015 portant incrimination de l’esclavage et réprimant les pratiques esclavagistes (ci-après «loi de 2015») de mesures concrètes en vue d’assurer son application effective. Cette loi a renforcé le cadre législatif de lutte contre l’esclavage en prévoyant notamment la possibilité pour les associations de défense des droits de l’homme jouissant de la personnalité juridique depuis au moins 5 ans d’ester en justice et de se constituer partie civile, ainsi que l’institution de juridictions de formation collégiale pour connaître des infractions relatives à l’esclavage.
La commission note à cet égard, d’après les informations contenues dans le rapport de la mission et celles communiquées par le gouvernement, que les trois cours criminelles spéciales compétentes en matière d’esclavage qui ont été installées à Nema, Nouakchott et Nouadhibou sont opérationnelles. La Cour de Nema a rendu une première décision aux termes de laquelle deux personnes ont été condamnées à une peine de 5 ans de prison (dont 4 ans avec sursis) et à verser des dommages et intérêts aux victimes. En outre, les juges d’instruction ont déjà renvoyé un certain nombre d’affaires devant les Cours de Nema et de Nouadhibou, qui devront être jugées conformément à la loi de 2015. Le gouvernement précise que les affaires pendantes devant les juridictions avant l’adoption de la loi de 2015 seront également jugées par les cours criminelles spéciales mais sur la base de la loi de 2007.
La commission note également que le gouvernement indique que le projet de coopération technique développé actuellement en Mauritanie par le Bureau pour appuyer à la mise en œuvre de la loi de 2015 consacre une partie importante de ses ressources au renforcement des acteurs compétents pour identifier les pratiques esclavagistes, en particulier le parquet, les juges d’instruction et autres acteurs intervenant dans la procédure tels que la police, la gendarmerie et les autorités administratives. Le gouvernement considère que cet appui permettra d’accompagner sa volonté politique régulièrement réitérée de sonner le glas des séquelles de l’esclavage et des pratiques esclavagistes qui pourraient subsister.
La commission note que, dans ses observations, la CSI indique que la police et les autorités judiciaires se sont montrées résistantes à enquêter ou à entamer des poursuites suite à des allégations d’esclavage rapportées par les victimes ou les associations. Selon la CSI, plusieurs cas d’esclavage présentés aux autorités ont été requalifiés en délits moins sévères. Dans d’autres cas, les affaires ont été résolues au travers de règlements informels. Tout en reconnaissant l’importance de l’adoption de la loi de 2015 et de la décision rendue par la Cour criminelle de Néma, la CSI considère que la peine infligée est laxiste au regard de la gravité du crime commis.
Comme la mission l’a souligné dans son rapport, la commission considère qu’il est indispensable que les trois cours criminelles spéciales fonctionnent de manière efficace sur l’ensemble du territoire et qu’elles soient dotées du personnel nécessaire et des ressources matérielles et logistiques adéquates. La commission rappelle que, en vertu de l’article 25 de la convention, les Etats ont l’obligation de s’assurer que les sanctions pénales prévues par la loi pour exaction de travail forcé sont réellement efficaces et strictement appliquées. Par conséquent, la commission veut croire que le gouvernement poursuivra les efforts importants déjà déployés pour renforcer le système judiciaire et qu’il prendra les mesures nécessaires pour permettre aux cours criminelles spéciales de rendre la justice de manière à ne laisser aucun cas d’esclavage impuni. Considérant que pour atteindre cet objectif, il est indispensable de renforcer l’ensemble de la chaine pénale, la commission prie le gouvernement d’indiquer les mesures prises pour continuer à sensibiliser et à former les acteurs chargés d’appliquer la loi et pour créer des unités spécialisées au sein du ministère public et des forces de l’ordre. Il est en effet primordial que ces autorités soient en mesure de rassembler les preuves, de qualifier correctement les faits et d’initier les procédures judiciaires correspondantes. Enfin, la commission prie le gouvernement de fournir des informations sur le nombre de cas d’esclavage dénoncés auprès des autorités, le nombre de ceux qui ont abouti à une action en justice et le nombre et la nature des condamnations prononcées. La commission rappelle à cet égard que les sanctions infligées doivent être à la hauteur de la gravité du crime commis pour pouvoir revêtir un caractère dissuasif. Prière également d’indiquer si les victimes d’esclavage ont été indemnisées du préjudice subi, conformément à l’article 25 de la loi de 2015.

b) Etat des lieux de la réalité de l’esclavage

La commission a précédemment souligné la complexité du phénomène de l’esclavage et de ses séquelles et la nécessité pour le gouvernement d’agir dans le cadre d’une stratégie globale coordonnée. A cet égard, la commission observe que la mission de contacts directs a considéré qu’un certain nombre d’éléments concrets portés à sa connaissance démontrent que l’esclavage existe en Mauritanie. La mission a souligné que «l’esclavage et les séquelles de l’esclavage sont deux phénomènes qui ne recouvrent pas les mêmes situations, ils n’ont pas la même ampleur et ils appellent des mesures ciblées différentes. Il importe de mieux cerner ces deux phénomènes. Une étude qualitative et/ou quantitative devrait permettre de poser en des termes concrets et objectifs les discussions, contribuant ainsi à apaiser le débat et le démystifier, tant au niveau national qu’international». La commission note à cet égard que le gouvernement indique qu’il a inscrit comme action prioritaire dans le projet de coopération technique développé avec le Bureau, la réalisation d’une étude qui permettra de collecter des données suffisantes et fiables sur les supposées pratiques d’esclavage et de manière générale sur le travail forcé. La commission note également que la CSI s’est référée au fait que certaines autorités nient l’existence de l’esclavage et ne reconnaissent que des «vestiges» de l’esclavage. La CSI considère que de telles déclarations envoient un message préjudiciable aux autorités qui sont responsables de mettre en œuvre la législation contre l’esclavage.
La commission rappelle que tant cette commission que la Commission de la Conférence insistent depuis un certain nombre d’années sur l’importance de mener des travaux de recherche permettant de disposer d’un état des lieux qualitatif et quantitatif de l’esclavage en Mauritanie. La commission espère que le gouvernement ne manquera pas de prendre les mesures nécessaires pour mener à bien une étude qui lui permettra d’être en possession de données fiables sur la nature et la prévalence des pratiques esclavagistes en Mauritanie. La commission espère que ces données permettront de mieux planifier et cibler les interventions publiques pour, d’une part, atteindre effectivement les personnes qui sont victimes d’esclavage et les protéger et, d’autre part, mieux définir les mesures destinées à lutter contre les séquelles de l’esclavage.

c) Action inclusive et coordonnée

S’agissant de la nécessité d’adopter une approche globale et coordonnée, la commission a précédemment noté que la lutte contre l’esclavage et ses séquelles s’inscrit dans le cadre de la Feuille de route pour la lutte contre les séquelles de l’esclavage dont le suivi de la mise en œuvre relève de la responsabilité d’un Comité ministériel présidé par le Premier ministre. La commission note que le gouvernement indique que 70 pour cent des recommandations contenues dans la feuille de route ont été mises en œuvre. De nombreuses activités de sensibilisation ont été menées en collaboration avec la société civile et les autorités religieuses, telles que les caravanes de sensibilisation qui ont sillonné le territoire (10 régions sur les 15 que compte le pays); l’organisation de colloques ainsi que des débats à la radio et à la télévision pour sensibiliser à l’illégitimité de l’esclavage; la prise de position de la communauté des Ulémas concernant l’interdiction de l’esclavage et la décision d’uniformiser la prière du vendredi, qui a traité pendant plusieurs mois de la position de l’Islam par rapport à l’interdiction de l’esclavage. En ce qui concerne la lutte contre la pauvreté, la commission note que l’agence Tadamoun (Agence nationale pour la lutte contre les séquelles de l’esclavage) continue de développer des programmes qui ciblent les zones où l’Etat est peu présent et les zones où sont concentrés les descendants d’esclaves (adwabas), notamment le triangle de l’espoir. L’objectif de ces programmes est d’apporter des services de base dans les domaines sanitaire, de l’éducation et de la santé. Les programmes mis en œuvre ont également pour objectif de mettre à la disposition de la population des moyens de production. Enfin, s’agissant de l’éducation, la commission note les actions menées dans les zones d’éducation prioritaires ainsi que les programmes d’apprentissage développés pour les adolescents qui ne sont jamais allés à l’école.
La commission note que la mission a salué les efforts déployés par le gouvernement dans ces domaines. Elle a également salué l’approche multisectorielle et la coordination interministérielle qui ont été mise en place pour lutter contre l’esclavage et ses séquelles. La mission a cependant souligné que cette coordination devrait s’accompagner d’une plus grande communication et visibilité des actions menées. Ces actions doivent s’inscrire dans le cadre d’une démarche inclusive des partenaires sociaux et de la société civile. A cet égard, la commission note que la CGTM se plaint de l’absence de concertation, notamment avec les organisations syndicales représentatives, ce qui risque de compromettre les programmes gouvernementaux et les efforts réalisés dans le domaine de la lutte contre l’esclavage et ses séquelles.
La commission espère que le gouvernement continuera de mettre en œuvre l’ensemble des recommandations de la feuille de route et que le Comité technique interministériel procédera à l’évaluation de l’impact des mesures prises dans ce contexte. Rappelant que la lutte contre l’esclavage nécessite l’engagement de tous, la commission espère qu’à l’occasion de cette évaluation et de la définition de nouvelles actions, le gouvernement continuera de collaborer avec la société civile et les autorités religieuses et qu’il associera les partenaires sociaux. La commission espère également que le gouvernement continuera de doter l’agence Tadamoun des moyens nécessaires pour lutter contre les séquelles de l’esclavage qui se manifestent par la pauvreté, la dépendance et la stigmatisation dont peuvent être victimes les descendants d’esclaves.

d) Identification et protection des victimes

La commission a précédemment souligné que les victimes de l’esclavage se trouvent dans une situation de grande vulnérabilité qui requiert une action spécifique de l’Etat. La commission note que, dans son rapport, la mission a observé que la relation existant entre les victimes et leur maître est multidimensionnelle. La dépendance économique, sociale et psychologique dans laquelle elles se trouvent revêt des degrés divers et entraine un large éventail de situations qui appellent un ensemble de mesures complémentaires. Les victimes ne connaissent pas leurs droits et une pression sociale très forte peut s’exercer sur elles si elles dénoncent leur situation. La mission a considéré qu’il serait approprié de mettre en place un mécanisme de prise en charge des victimes présumées dès que celles-ci portent plainte ou sont identifiées. La commission exprime le ferme espoir que le gouvernement poursuivra les actions menées pour délégitimer l’esclavage afin d’atteindre toutes les personnes qui pourraient être concernées, qu’elles soient des maîtres ou des esclaves. La commission prie le gouvernement d’indiquer les mesures prises pour s’assurer que les victimes qui sont identifiées ou qui dénoncent leur situation sont assistées et protégées pour pouvoir faire valoir leurs droits et faire face à toute pression sociale qui s’exercerait à leur égard. Prière d’indiquer si la création d’un mécanisme public de prise en charge est prévue et de préciser comment les autorités collaborent avec les associations qui protègent et défendent les esclaves. Enfin, la commission prie le gouvernement de préciser l’assistance apportée aux victimes pour reconstruire leur vie et éviter qu’elles ne se retrouvent dans une situation de dépendance qui les stigmatise et les rend vulnérable aux abus.
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