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- 172. La plainte du Congrès du travail du Canada, qui se rapporte à la Province du Québec, est contenue dans une communication en date du 24 juin 1975 adressée au Directeur général. Dans une communication datée du même jour, la Confédération internationale des syndicats libres a appuyé la plainte présentée par le Congrès du travail du Canada, qui lui est affilié.
- 173. La plainte a été transmise au gouvernement qui, dans une communication en date du 23 octobre 1975, a communiqué les observations du gouvernement du Québec sur les allégations présentées par les organisations plaignantes.
- 174. Le Canada a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948; il n'a pas ratifié la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
Allégations des plaignants
Allégations des plaignants- 175. Les plaignants allèguent qu'un certain nombre de modifications législatives ont été proposées au Québec, notamment le projet de loi no 24 (et les modifications à ce texte), le projet de loi no 29 concernant la mise sous tutelle de certains syndicats et le projet de loi no 30 portant modification de la loi sur les relations professionnelles dans l'industrie de la construction. Tous ces textes contiennent des dispositions qui restreignent gravement la possibilité pour les syndicats d'exercer en toute liberté leurs droits syndicaux et constituent une ingérence dans le droit des syndicats d'organiser leur gestion et leur activité sans aucun contrôle de la part des pouvoirs publics. Les plaignants appellent tout particulièrement l'attention sur les éléments suivants des projets de textes législatifs qui, à leur avis, constituent des violations du principe de la liberté syndicale et du droit d'organisation.
- A. Modifications au projet de loi no 24
- "1. L'article 19 (h) du projet d'amendements interdit à toute personne reconnue coupable d'un acte criminel au Canada ou à l'étranger au cours des cinq années précédentes d'exercer les fonctions de dirigeant ou de membre du bureau d'une association, ou d'être au service d'une association et il prévoit qu'au cas où une telle personne aurait été élue, la charge occupée par elle deviendrait automatiquement vacante.
- A notre avis, il y a là une restriction de trop large portée au droit d'élire les représentants, puisqu'elle couvre toutes les condamnations criminelles quelles qu'elles soient.
- 2. L'article 19 (d) limite la durée du mandat d'un dirigeant syndical à cinq ans; ce mandat est renouvelable par voie de réélection.
- A notre avis, une telle restriction, imposée par voie légale, constitue une ingérence dans des questions qui devraient être réglementées par les syndicats eux-mêmes.
- 3. L'article 19 (f) du projet d'amendement prévoit que le montant des cotisations syndicales est fixé par un vote au scrutin secret acquis à la majorité de l'assemblée générale et qu'il est le même pour tous les membres.
- En outre, l'article 19 (i) prévoit la décision, pour une association, de s'affilier à une autre association, ou de mettre fin à une telle affiliation, de même celle d'appuyer un parti politique doit être prise par l'assemblée générale des membres à un vote acquis à la majorité.
- Ainsi, cet article contient des dispositions tendant à réglementer les activités internes des syndicats et constitue une ingérence dans le droit des organisations d'agir librement en décidant par eux-mêmes comment organiser leur gestion et leur activité.
- 4. L'article 50 (a) prévoit l'adoption d'une nouvelle disposition aux termes de laquelle un salarié peut déposer une plainte auprès d'un tribunal s'il estime que l'association qui le représente exerce de la discrimination à son égard soit dans la manière dont elle donne suite à une doléance, soit en refusant de le faire.
- A notre avis, des questions de ce genre, qui touchent aux rapports entre les syndicats et leurs membres, doivent être réglées par le règlement intérieur du syndicat lui-même et ne doivent pas faire l'objet d'un contrôle législatif extérieur.
- 5. L'article 55 (b) des amendements proposés limite le droit de grève et tend à contrôler la manière dont la grève sera organisée. En particulier, les dispositions faisant obligation aux syndicats de présenter régulièrement après chaque période de quatre-vingt-dix jours les dernières offres de l'employeur et de procéder à un vote au scrutin secret sur cette offre restreignant le droit des syndicats, et de leurs dirigeants élus, d'organiser leurs activités en pleine liberté et de prendre les mesures qu'ils peuvent estimer nécessaires dans l'intérêt de leurs membres."
- B. Projet de loi no 29 concernant la mise sous tutelle de certains syndicats
- 176. Les plaignants ont présenté les observations suivantes concernant ce projet de loi:
- "Le texte législatif propose de mettre sous tutelle les syndicats locaux nos 144, 791 et 1677 de la Fédération du travail du Québec - (construction) et de prolonger de trois ans la tutelle des syndicats locaux nos 89 et 101 de la même centrale.
- Les syndicats locaux mentionnés ci-dessus sont ceux des travailleurs de la construction (syndicat local no 144), des opérateurs de machinerie lourde du Québec (syndicat local no 701) (ou Syndicat international des opérateurs de machinerie lourde), et la Fraternité interprovinciale des ouvriers en électricité (syndicat local no 1677).
- En vertu de l'article 2 du projet, un conseil d'administration, composé d'un président et de deux autres membres nommés par le lieutenant-gouverneur en conseil, est créé pour chaque syndicat; le lieutenant-gouverneur en conseil peut également nommer le personnel qu'il juge nécessaire pour ces conseils.
- La gestion et le contrôle des syndicats sont confiés au conseil d'administration qui peut, notamment:
- a) modifier les statuts ou le règlement administratif du syndicat;
- b) révoquer ou suspendre tout administrateur ou dirigeant du syndicat et leur nommer des remplaçants;
- c) assurer l'organisation générale des activités, s'occuper des programmes d'éducation syndicale, de la formation des agents ou des délégués de chantier, surveiller l'application des décrets ou des conventions collectives, etc., et préparer les élections qui devront avoir lieu au cours des derniers mois de la tutelle.
- En outre, le conseil d'administration exercera tous les droits de propriété relatifs aux biens du syndicat et tous les livres, registres, etc., du syndicat seront confiés audit conseil d'administration.
- En ce qui concerne les syndicats locaux nos 89 et 101 (Union internationale des mécaniciens d'ascenseurs), qui ont déjà été mis sous tutelle en application d'une loi de 1974 (chapitre 116), les conseils d'administration ont vu leurs pouvoirs étendus au point qu'ils peuvent modifier les statuts ou règlements administratifs des syndicats, révoquer ou suspendre tout administrateur ou dirigeant du syndicat ou tout employé du syndicat et organiser l'administration générale du syndicat.
- En outre, tous les livres, registres ou documents seront remis au conseil d'administration.
- Ce projet de loi entrera en vigueur le jour où il sera approuvé et il restera applicable jusqu'au 22 mai 1976 ou jusqu'à toute autre date antérieure fixée par le lieutenant gouverneur en conseil.
- A notre avis, le fait de mettre les syndicats sous tutelle constitue, de la part des autorités, une intervention qui n'est aucunement compatible avec les principes de la liberté syndicale établis par les organes de contrôle de l'OIT ni avec les conventions internationales du travail concernant le droit d'association et les garanties qu'elles énoncent. Ces projets de textes enlèvent aux syndicats la possibilité d'agir en toute liberté pour élire leurs représentants, élaborer leurs statuts et règlements administratifs et organiser leur gestion et leur activité sans ingérence de la part des autorités publiques (article 3 de la convention no 87). Ces textes permettent aussi de démettre ou de suspendre de leurs fonctions des dirigeants syndicaux élus, contrairement aux dispositions de l'article 3 de la convention no 87 qui visent à protéger l'élection des représentants contre toute ingérence de la part des autorités. D'une manière générale, les conseils d'administration désignés par les autorités administratives sont dotés de tous les pouvoirs que les syndicats ou leurs dirigeants devraient normalement posséder - situation qui est en contradiction absolue avec les principes de la liberté syndicale et avec les instruments internationaux conçus pour garantir l'exercice de cette liberté."
- C. Projet de loi no 30 portant modification de la loi sur les relations du travail dans l industrie de la construction (1968, chap. 45)
- 177. Les plaignants ont présenté les observations suivantes en ce qui concerne ce projet de loi:
- "Ce projet de loi mentionne une large gamme d'actes criminels et interdit à toute personne reconnue coupable d'avoir commis l'un d'entre eux d'exercer des fonctions de dirigeant dans un syndicat ou d'être élue ou désignée en qualité de délégué de chantier, d'agent ou de représentant syndical, etc., soit pendant une période de cinq ans - à compter de la fin de la peine d'emprisonnement fixée dans le jugement, ou de la date de la condamnation si la peine infligée a été une amende ou si l'exécution de la peine a été suspendue -, soit à titre permanent lorsque la condamnation punit certains crimes plus graves.
- A notre avis, cette disposition est excessivement large dans sa portée; son application devrait être limitée aux cas de condamnation pour certains crimes qui, de par leur nature, feraient craindre qu'une personne reconnue coupable de les avoir commis serait capable d'agir de façon préjudiciable à l'exercice approprié de fonctions syndicales.
- L'article 2 du projet de loi interdit tout lock-out, toute grève ou tout ralentissement de travail pendant la durée d'un décret et prévoit également qu'il incombe au prévenu de prouver qu'il n'a pas ordonné, encouragé ou appuyé de tels actes ou qu'il n'y a pas participé.
- Le projet comprend, en outre, des dispositions régissant la fonction de délégué de chantier et il prévoit des règles concernant la marque syndicale.
- Ici aussi, ces textes législatifs constituent, à notre avis, des entraves au droit des syndicats d'organiser et d'administrer leurs activités sans ingérence de la part des autorités et sans contrôle législatif sur des questions qui devraient être du ressort exclusif relever des associations elles-mêmes. Ce projet a une période d'application indéfinie."
- 178. Les plaignants allèguent que, dans leur ensemble, les textes législatifs envisagés sont en contradiction avec les principes de la liberté syndicale et constituent une violation de la convention no 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, qui a été ratifiée par le Canada.
- Réponse du gouvernement
- 179. Le gouvernement du Canada a transmis dans une communication du 23 octobre 1975 les observations du gouvernement de la Province du Québec. Ce dernier traite séparément de chacune des allégations présentées par le Congrès du travail du Canada.
- A. Amendements au projet de loi no 24
- 180. A ce sujet, le gouvernement relève que ce que les plaignants ont appelé des amendements au projet de loi no 24 n'est qu'un document de travail, daté du 1er avril 1975, officieux, voire confidentiel, qui a été déposé par de hauts fonctionnaires du ministère du Travail auprès du Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre (CCTM) le 2 avril dernier.
- 181. Le gouvernement ajoute que le CCTM, en vertu de sa loi constitutive, est un organisme d'étude et de consultation qui doit donner son avis au ministre du Travail et de la Main-d'oeuvre sur toute question que ce dernier lui soumet (articles 1 et 2). Le conseil se compose des membres suivants, nommés par le Conseil des ministres sur la recommandation du ministre du Travail et de la Main-d'oeuvre: a) le président; b) cinq personnes choisies parmi celles qui sont recommandées par les associations de salariés les plus représentatives; c) cinq personnes choisies parmi celles qui sont recommandées par les associations d'employeurs les plus représentatives. Le sous-ministre du Travail et de la Main-d'oeuvre, ou son délégué, est aussi, d'office, membre du conseil, mais il n'a pas droit de vote (article 4).
- 182. Selon le gouvernement, ces "amendements" avaient été déposés auprès du CCTM pour avoir son avis sur les sujets qui y étaient traités. Le ministre du Travail avait d'ailleurs clairement indiqué au président du conseil que ce n'était qu'un document de travail préparé par des fonctionnaires, selon des coordonnées générales qu'il leur avait fournies, et qu'il n'y avait aucune décision de prise au sujet de l'étendue et du texte même de ces dispositions parce qu'il désirait auparavant obtenir l'avis du conseil sur chacune d'elles. En outre, le président du conseil a fait part en termes exprès de ces remarques du ministre aux membres du conseil lors de la réunion du 17 avril 1975 où ce document de travail était la première question à l'ordre du jour, comme en fait foi le procès-verbal de la réunion.
- 183. Le gouvernement déclare que, par conséquent, il s'agit simplement d'un document officieux déposé auprès du conseil pour obtenir son avis et, en aucune façon, d'amendements à un projet de loi ou à un avant-projet de loi. Par ailleurs, les documents qui avaient été ainsi déposés par le ministère étaient de nature confidentielle et ils n'ont jamais eu de suite.
- 184. En conclusion, le gouvernement déclare que les dispositions critiquées par le Congrès du travail du Canada (CTC) sous cette rubrique ne peuvent donc pas être considérées comme portant atteinte à la liberté syndicale, puisqu'elles ne constituent qu'un document de travail qui a été soumis à un conseil consultatif où les syndicats sont représentés, justement pour obtenir leur avis.
- B. Projet de loi sur la mise en tutelle de certains syndicats ouvriers (P.L no 29)
- Mise en tutelle par voie législative
- 185. A cet égard, le gouvernement relève que l'article 4 de la convention no 87 interdit la dissolution ou la suspension des organisations de travailleurs "par voie administrative". Dans un système fondé sur la séparation des pouvoirs, la voie législative est à l'opposé de la voie exécutive ou administrative, et ces deux fonctions sont inassimilables en droit.
- 186. Le gouvernement ajoute que, en appliquant la convention no 87 au Canada ou au Québec, cette différence fondamentale du droit interne ne doit pas être ignorée et qu'il ne faut pas identifier une suspension temporaire par voie législative, qui était la seule solution légale possible, à une suspension par voie exécutive ou administrative. Au dire du gouvernement, cette dernière était impossible parce qu'aucune loi n'habilitait l'administration à décréter une pareille suspension; il ne faudrait pas non plus assimiler le cas du Québec à ceux d'autres pays où il n'existe pas de réelle séparation des pouvoirs étatiques.
- 187. De l'avis du gouvernement, dans un régime politique démocratique dont le droit public d'origine britannique est fondé sur une séparation effective des pouvoirs, il n'y a aucune justification, en droit international, pour interpréter la convention no 87 en identifiant une suspension par voie législative à une suspension par voie administrative. Dans un pareil régime, la fonction législative est l'antithèse du pouvoir personnel et de l'arbitraire que la convention veut justement éviter.
- Commission d'enquête sur l'exercice de la liberté syndicale sur les chantiers de construction et le comportement de certaines personnes sur ces chantiers
- 188. Le gouvernement explique qu'en mars 1974, des actes de violence sur les chantiers de construction de la baie James ont causé des dommages considérables et entraîné l'arrêt des travaux, mettant à pied plusieurs centaines de travailleurs pendant plusieurs mois et affectant d'une façon importante le coût des travaux. Comme des événements semblables, ou d'autres incidents causant des conséquences analogues s'étaient produits à plusieurs reprises au cours des années précédentes sur les chantiers de construction du Québec, le gouvernement a constitué une commission d'enquête sur l'exercice de la liberté syndicale sur les chantiers de construction et le comportement de certaines personnes travaillant sur ces chantiers. Cette commission était présidée par le juge en chef adjoint de la Cour provinciale. Un avocat patronal de Montréal et le vice-président de la Centrale des enseignants du Québec étaient nommés commissaires.
- 189. Le gouvernement relève que cette enquête a démontré, entre autres choses, comme l'indique le rapport unanime des commissaires, que
- 1. La corruption et le banditisme s'étaient installés au plus haut niveau de la Fédération du travail du Québec (FTQ) - construction et de certains de ses syndicats locaux: ceux des plombiers, des électriciens et des opérateurs de machinerie lourde. Il en était de même de l'Union internationale des mécaniciens d'ascenseurs, un syndicat local récemment détaché de la FTQ-construction.
- 2. Les gérants ou agents d'affaires et les délégués de chantier de ces syndicats locaux étaient pour la plupart des repris de justice, des extorqueurs, des fraudeurs ou des fiers-à-bras issus du monde interlope.
- 3. Non seulement les membres de ces syndicats locaux n'étaient jamais consultés, mais la force était utilisée pour leur imposer un scrutin favorable à une grève illégale ou encore leur arracher la démission de dirigeants régulièrement élus.
- 4. Il n'y avait plus aucun respect de la démocratie dans ces syndicats locaux. Les délégués de chantier étaient nommés sans aucune consultation et même maintenus en fonctions contrairement à la volonté des syndiqués.
- 5. Deux de ces syndicats locaux avaient imposé à certains de leurs membres de lourdes sanctions allant de l'amende à la suspension. Cette dernière réduisait le syndiqué au chômage, lui refusant, de fait, le droit au travail à cause du monopole syndical et de l'affiliation obligatoire au syndicat. Ces sanctions étaient imposées à des membres "qui ne se conformaient pas à la pensée du syndicat". Les membres n'avaient aucun droit de dissidence, encore moins celui d'adhérer librement au syndicat de leur choix.
- 190. Le gouvernement explique qu'en droit public québécois, comme dans tous les pays dont le droit est d'origine britannique, le principe premier est que tout doit procéder de la loi. Si les tribunaux n'ont aucune loi sur laquelle se fonder, ils ne peuvent pas intervenir. Il en est de même de l'exécutif qui ne peut agir que si une disposition législative l'y autorise. Il n'y a qu'une seule fonction, la fonction législative exercée par l'Assemblée nationale, composée des élus du peuple, qui ne soit liée ni matériellement, ni formellement, qui soit originaire et entièrement libre. Ce premier principe est celui de la primauté du droit, de l'absolue suprématie ou prédominance de la loi, et il exclut l'existence de l'arbitraire parce qu'il n'existe pas de normes exceptionnelles qui ne soient prévues par la loi.
- 191. Le gouvernement ajoute que, lorsque les quatre syndicats locaux ont été mis sous tutelle par la loi no 29, conformément à la recommandation de la commission d'enquête, il n'y avait au Québec aucune disposition législative permettant aux tribunaux de destituer un dirigeant syndical dans les cas où il aurait été établi que la loi ou les statuts du syndicat en cause avaient été violés, de suspendre les pouvoirs du syndicat et de désigner des administrateurs provisoires. Le gouvernement a donc constitué, en vertu d'une loi générale, une commission d'enquête impartiale pour analyser la situation. Cette commission a constaté que certains syndicats locaux violaient systématiquement la loi et que les procédures démocratiques au sein de ces syndicats n'étaient plus observées.
- 192. Au dire du gouvernement, une seule solution était possible en droit québécois, la suspension temporaire et par voie législative des pouvoirs des syndicats locaux dans lesquels il avait été démontré qu'il n'y avait plus aucune démocratie. Le Québec, en s'inspirant de la loi fédérale sur la mise en tutelle des syndicats des transports maritimes (12 Eliz. II, chapitre 17), a utilisé le seul moyen qu'il avait à sa disposition, la mise sous tutelle par voie législative.
- 193. Selon la déclaration du gouvernement, ces tutelles ne sont que temporaires, d'une durée maximale de trois ans, et la loi permet même d'y mettre fin avant. Les tuteurs n'ont pour fonctions que de rétablir les procédés démocratiques dans ces syndicats, et cela est dit expressément dans la loi. Aux termes de l'article 5, 2) de cette loi, les tuteurs peuvent, notamment:
- a) après approbation du lieutenant-gouverneur en conseil, apporter à la constitution ou aux statuts administratifs du syndicat des changements propres à assurer une direction plus efficace ou à favoriser le progrès général du syndicat, en s'assurant de la participation des travailleurs;
- ......................................................................................................................................................
- d) instituer des programmes d'éducation syndicale destinés aux membres du syndicat;
- e) recourir à tous les moyens nécessaires pour promouvoir l'épanouissement d'une véritable vie syndicale au sein du syndicat;
- f) assurer la formation de nouveaux agents d'affaires et délégués de chantier et le perfectionnement de ceux qui restent en place;
- ......................................................................................................................................................
- h) faciliter le retour d'une administration démocratiquement élue;
- i) préparer à cette fin l'élection, dans les derniers mois de la tutelle, par scrutin secret contrôlé par le conseil, de nouveaux membres pour administrer le syndicat, et faire en sorte que ces derniers puissent prendre la relève à l'expiration de la tutelle;
- ......................................................................................................................................................
- k) nommer des comités chargés de consulter les membres du syndicat sur leurs revendications et acheminer les résultats de ces consultations aux comités de négociation.
- 194. Selon le gouvernement, il ne s'agit donc que d'une mesure provisoire qui s'est avérée nécessaire pour protéger les syndiqués, leur redonner voix au chapitre et assurer le retour d'une administration démocratiquement élue.
- 195. Toujours selon le gouvernement, il n'est pas facile de concilier la nécessité de mettre fin à des abus graves et le principe de l'indépendance des organisations syndicales à l'égard du gouvernement. Cependant, il n'y a aucun droit ou aucune liberté qui soient absolus. Il y a toujours des limites raisonnables qui ne peuvent pas être dépassées dans une société démocratique. Si l'exercice de la liberté syndicale va à l'encontre de l'intérêt général et de l'intérêt des syndiqués dont l'Etat est le gardien, à l'encontre de ces valeurs dont la protection doit primer sur toute autre considération, la convention no 87 ne peut pas, de l'avis du gouvernement, être interprétée comme enlevant à l'Etat la latitude de suspendre cette liberté.
- 196. Au Québec, où tout le système est basé sur une véritable séparation des pouvoirs et sur la suprématie de la loi, la mise sous tutelle temporaire, par voie législative, d'un syndicat local dont les dirigeants n'ont pas respecté la loi, ont commis des abus graves et ont supprimé toute démocratie se justifie, selon le gouvernement, parce qu'aucune intervention des tribunaux ordinaires n'était possible.
- 197. Le gouvernement poursuit en déclarant que ce sont des conceptions démocratiques qui sont le fondement de la réglementation internationale et que, dans l'exercice des droits qui leur sont reconnus par la convention no 87, les travailleurs et leurs organisations sont tenus de respecter la légalité.
- 198. Le gouvernement a déclaré que, compte tenu des faits qui ont été démontrés devant la commission d'enquête, des impératifs juridiques du Québec et de la constatation qu'aucune convention internationale, pas plus qu'une constitution nationale ou un statut quelconque, ne peuvent fournir de formule adéquate pour maîtriser toutes les situations concrètes, la mise sous tutelle temporaire par voie législative des syndicats locaux concernés apparaît comme compatible avec le sens réel des dispositions de la convention.
- C. Loi portant modification de la loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction
- Interdiction d'exercer des fonctions syndicales à certains criminels
- 199. Sur ce point, le gouvernement relève qu'à la suite des graves abus qui s'étaient produits et sur la recommandation de la commission d'enquête devant laquelle il avait été démontré que plusieurs criminels occupaient des postes de direction dans les syndicats de l'industrie de la construction, l'exercice des fonctions syndicales dans l'industrie de la construction avait été interdit aux personnes ayant fait l'objet d'une condamnation pour certains crimes.
- 200. Le gouvernement a expliqué qu'à la demande de certains dirigeants syndicaux qui avaient fait valoir ce point de vue, le Québec avait voulu éviter une interdiction générale qui, de toute manière, n'aurait pas été compatible avec la convention. Le gouvernement a préféré énumérer, comme le recommandait la commission d'enquête, une série de crimes qui compromettent l'exercice approprié de fonctions syndicales. Le Québec a donc nécessairement posé un jugement de valeur, mais ce jugement tenait compte des anomalies décelées par la commission d'enquête. De plus, l'incapacité d'exercer des fonctions syndicales à cause d'une condamnation pour un des crimes graves énumérés dans la loi donne lieu à la procédure de destitution prévue au Code de procédure civile devant les tribunaux ordinaires.
- Limitations concernant le droit de grève
- 201. Quant à l'interdiction de tout lock-out, grève ou ralentissement de travail, le gouvernement a relevé qu'elle n'est que temporaire, pendant la durée de validité d'un décret. De telles restrictions existent dans plusieurs pays et, comme l'a souligné le rapport de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, "elles ont été admises en général par le Comité de la liberté syndicale".
- 202. Le gouvernement ajoute par ailleurs qu'en cas de poursuite pour lock-out, grève ou ralentissement de travail illégal, c'est-à-dire pendant la durée de validité du décret, il incombe au prévenu de prouver qu'il n'a pas ordonné, encouragé ou appuyé de tels actes ou qu'il n'y a pas participé. La commission d'enquête a recommandé cette modification à cause des difficultés de preuve pratiquement insurmontables qui résultaient du climat de terreur qui régnait sur les chantiers de construction. D'après le gouvernement, cette disposition n'a donc pour but que de rendre la loi applicable dans l'industrie de la construction, dont le climat particulier portait atteinte à l'efficacité des poursuites pénales et rendait impossible l'application de la loi.
- 203. Le gouvernement relève qu'un pareil renversement du fardeau de la preuve existe déjà dans le Code du travail dans le cas d'un congédiement pour activités syndicales. Là aussi, cette disposition s'était révélée nécessaire pour aplanir les difficultés de preuve inhérentes à de telles poursuites. L'article 16 précise que "s'il est établi à la satisfaction du commissaire-enquêteur saisi de l'affaire que le salarié exerce un droit lui résultant du code, il y a présomption en sa faveur qu'il a été congédié, suspendu ou déplacé à cause de l'exercice de ce droit, et il incombe à l'employeur de prouver que le salarié a été congédié, suspendu ou déplacé pour une autre cause juste et suffisante".
- Dispositions régissant la fonction de délégué de chantier
- 204. Au dire du gouvernement, les dispositions régissant la fonction de délégué de chantier ont pour but de garantir la participation démocratique des syndiqués à son élection et de circonscrire les fonctions des délégués de chantier pour empêcher les abus révélés de se reproduire et éviter des absences fréquentes et injustifiées.
- 205. Le gouvernement ajoute que la loi prévoit la reconnaissance par l'employeur du délégué de chantier, accorde à ce dernier une préférence d'emploi à certaines conditions, lui permet de s'absenter pour une période de formation professionnelle et oblige l'employeur à lui donner un préavis de mise à pied.
- 206. Le gouvernement indique que ce ne sont là que des dispositions législatives minimales qui ne constituent pas une ingérence indue du gouvernement, puisqu'elles n'entravent aucunement l'administration des syndicats et leur prise de décisions. Au contraire, ces dispositions ne visent qu'à garantir la participation démocratique des membres à l'élection des délégués de chantier et à empêcher ces derniers de s'écarter de leur mandat sans pouvoir être contrôlés par les syndiqués.
- Dispositions concernant l'étiquette syndicale
- 207. Le gouvernement déclare qu'il a été démontré devant la commission d'enquête sur la liberté syndicale que plusieurs syndicats locaux violaient systématiquement l'article 16.01 du décret de l'industrie de la construction (arrêté en conseil no 3984-73, du 31 octobre 1973, publié dans la Gazette officielle du Québec le 14 novembre 1973, à la page 5837), qui porte sur l'installation de matériaux, en refusant d'installer sur les chantiers des équipements manufacturés par des travailleurs non syndiqués ou syndiqués auprès d'une autre centrale. Cet article existait donc dans la convention négociée par la FTQ-construction qui a servi de base au décret actuel.
- 208. Se référant à ce qu'il appelle un exemple de ces multiples violations du décret dont les dispositions sont d'ordre public en vertu de la loi, le gouvernement déclare que de nombreux employeurs avaient dû verser, sous la menace de grèves perlées et de sabotage, une somme totale de près d'un demi-million de dollars aux syndicats qui refusaient d'installer des pièces de tuyauterie fabriquées par des membres de syndicats différents.
- 209. Le gouvernement remarque que la convention no 87 déclare expressément que les travailleurs et leurs organisations sont tenus de respecter la légalité. On ne saurait prétendre, ajoute-t-il, qu'une disposition qui existait déjà dans le décret et qui avait été acceptée sans modification par les parties constitue une ingérence du gouvernement, uniquement parce qu'elle a été répétée textuellement dans la loi. Ceci a été recommandé par la commission d'enquête pour soustraire l'étiquette syndicale à la négociation et interdire tous les marchandages auxquels elle pouvait donner lieu.
- 210. En conclusion, le gouvernement a fait valoir que les allégations du Congrès du travail du Canada ne sont fondées ni en fait ni en droit et que les documents législatifs sur lesquels ces allégations sont fondées ne portent pas atteinte à la liberté syndicale ni ne constituent une ingérence indue du gouvernement dans l'administration des syndicats.
D. D. Conclusions du comité
D. D. Conclusions du comité
- Conclusions du comité
- 211 Le comité est appelé à examiner une plainte qui contient essentiellement trois allégations principales. La première concerne des amendements à un projet de loi (no 24) que les plaignants estiment incompatibles avec les principes de la liberté syndicale; la seconde se rapporte au projet de loi no 29 en vertu duquel quatre organisations syndicales de l'industrie de la construction ont été placées sous tutelle du gouvernement; la troisième est relative au projet de loi no 30 qui porte modification de la loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction. Les projets de lois no 29 et no 30 ont acquis force de loi depuis le dépôt de la plainte.
- Allégations concernant les amendements au projet de loi no 24
- 212 Les plaignants attirent l'attention sur un certain nombre de points qui, selon leurs allégations, constituent des propositions d'amendements au projet de loi no 24. A leur dire, ces modifications portent atteinte à la liberté syndicale et au droit d'organisation. Elles concernent des restrictions à l'éligibilité aux charges syndicales des personnes convaincues de certains actes criminels; à la limitation de la durée du mandat des dirigeants syndicaux; à l'affiliation d'une association à une autre; à l'appui donné par une association à un parti politique; aux plaintes déposées par des syndiqués lorsqu'ils s'estiment en butte à une discrimination exercée par l'association qui les représente; enfin, au contrôle de l'organisation des grèves. Sur cet aspect de la plainte, le gouvernement déclare que le document auquel se réfèrent les plaignants n'est autre qu'un document de travail, soumis, pour avis, le 2 avril 1975, au Conseil consultatif du travail et de la main d'oeuvre. Le gouvernement observe également que ce document n'a eu aucune suite officielle et qu'il n'a pas été utilisé pour servir de base à la législation.
- 213 Lorsque dans le passé le comité a eu à examiner des allégations précises et détaillées concernant un projet de loi, il a estimé que le fait, pour ces allégations, de se rapporter à un texte n'ayant pas force de loi ne devait pas, à lui seul, l'empêcher de se prononcer sur le fond des allégations présentées. Le comité a été d'avis qu'il y a en effet intérêt à ce que, en de tels cas, le gouvernement et le plaignant aient connaissance du point de vue du comité à l'égard d'un projet de loi avant l'adoption de celui-ci, étant donné que le gouvernement, à qui revient l'initiative en la matière, a la faculté de lui apporter d'éventuelles modifications.
- 214 Dans le cas d'espèce, étant donné les déclarations faites par le gouvernement quant à la nature du document qui a donné lieu à cet aspect de l'affaire et eu égard en particulier au fait que le document ne constitue ni une loi ni un projet de loi et qu'aucune suite ne lui a été donnée, le comité, tout en réservant son opinion sur le fond du document, tel qu'il a été décrit par les plaignants, estime qu'il serait sans objet de poursuivre l'examen des allégations à cet égard.
- Allégations concernant le projet de loi no 29
- 215 Le projet de loi no 29 mentionné par les plaignants a maintenant force de loi au Québec, comme on l'a signalé ci-dessus. Ce texte a pour objet principal de placer sous la tutelle du gouvernement de la province, pour une période maximale de trois ans, quatre syndicats locaux de la construction affiliés à la Fédération du travail du Québec (à savoir le syndicat local no 1677 (électriciens); le syndicat local no 144 (plombiers); le syndicat local no 791 (opérateurs de machinerie lourde); et le syndicat local no 89 (mécaniciens d'ascenseurs)). En vertu de cette loi, tous les pouvoirs de gestion et de contrôle des syndicats, ainsi que les biens de ceux-ci, sont confiés à des conseils de tutelle nommés directement par le lieutenant-gouverneur en conseil.
- 216 Au sujet des déclarations du gouvernement auxquelles se réfèrent les paragraphes 185 et 187 ci-dessus et qui se rapportent à la dissolution et à la suspension d'organisations syndicales par les autorités législatives, le comité voudrait attirer l'attention sur l'article 8 de la convention no 87 qui prévoit que la législation nationale ne devra pas porter atteinte ni être appliquée de manière à porter atteinte aux garanties prévues par cet instrument. Le comité a estimé à maintes reprises que seule une procédure judiciaire régulière, procédure que le comité considère comme essentielle, peut assurer les droits de la défense en cas de dissolution ou de suspension. Le comité rappelle, d'autre part, que, dans un certain nombre de cas, il a déjà eu à connaître du problème de l'intervention du gouvernement dans les affaires syndicales et, en particulier, de la mise sous contrôle de ces organisations. Dans ces affaires, le comité a attiré l'attention sur l'importance qu'il attache au principe expressément consacré à l'article 3 de la convention no 87, selon lequel les autorités publiques doivent s'abstenir de toute intervention de nature à limiter le droit des organisations de travailleurs d'élire librement leurs représentants et d'organiser leur gestion et leur activité. Dans un casa, le comité a signalé que la désignation, par le gouvernement, des personnes chargées d'administrer une centrale syndicale nationale, en tant que mesure jugée nécessaire par suite de la corruption de l'administration des syndicats, semblerait, en période normale, incompatible avec la liberté syndicale.
- 217 Les principes énoncés dans la convention n'interdisent pas un contrôle extérieur des actes internes d'une organisation s'il est allégué que ces actes violent la loi ou les statuts syndicaux. Toutefois, le comité a estimé qu'à l'effet de garantir l'impartialité et l'objectivité de la procédure, ce contrôle devrait être exercé par l'autorité judiciaire compétente. Plus précisément, le comité a exprimé l'avis qu'il est essentiel que les mesures de destitution, d'invalidation ou de suspension de dirigeants syndicaux en tant que sanctions prévues par la loi ne puissent être exécutoires que si elles se fondent sur une décision définitive de l'autorité judiciaire compétente ou, en tout cas, à l'expiration du délai accordé aux intéressés pour se pourvoir en appel.
- 218 Ayant rappelé ces principes d'ordre général, le comité voudrait faire observer qu'il a reconnu par le passé que certains événements de caractère exceptionnel peuvent justifier une intervention directe d'un gouvernement dans les affaires intérieures d'un syndicat afin de rétablir une situation dans laquelle les droits syndicaux soient entièrement respectés.
- 219 Le comité note l'argument avancé par le gouvernement selon lequel les circonstances particulières qui prévalaient dans l'industrie de la construction du Québec et les événements, particulièrement graves qui ont donné lieu à la création d'une commission d'enquête, ainsi que les conclusions de cette commission, considérées dans leur ensemble , étaient suffisants pour justifier les mesures prises afin d'éliminer dans les syndicats les responsables de cette situation et de faciliter le retour à une situation normale permettant la libre élection des dirigeants syndicaux et l'exercice des activités syndicales normales sans crainte ni coercition et d'une manière régulière.
- 220 il convient d'examiner trois aspects principaux à cet égard. Premièrement, une enquête menée par une commission indépendante a révélé que la corruption s'était répandue dans certains syndicats locaux de l'industrie de la construction, dont de nombreux gérants ou agents et délégués de chantier avaient des casiers judiciaires chargés. Leur objectif était d'imposer de n'importe quelle manière un monopole syndical dans cette industrie, et ces personnes n'hésitaient pas à recourir à des actes criminels pour atteindre leur objectif. La violence, le chantage, l'extorsion et d'autres actes criminels semblent avoir été commis sur une grande échelle, ce qui a pratiquement éliminé la possibilité, pour les membres du syndicat, d'adhérer librement au syndicat de leur choix il n'y avait aucun respect pour la démocratie dans ces syndicats locaux; non seulement les membres n'étaient jamais consultés, mais la force était parfois utilisée pour obtenir la démission de dirigeants élus. Deuxièmement, l'enquête qui a révélé ces faits a été menée par une commission composée d'un représentant des employeurs et d'un représentant des travailleurs, sous la présidence d'un haut magistrat de l'ordre judiciaire. Troisièmement, il n'existe aucune disposition législative au Québec permettant aux tribunaux de destituer un dirigeant syndical - dans les cas où il a été établi que la loi ou les statuts d'un syndicat ont été violés - et de désigner des administrateurs provisoires.
- 221 Le comité est d'avis qu'il aurait été souhaitable que le gouvernement, dans ces circonstances, prenne des mesures plus strictes, dans le cadre de la législation pénale ordinaire, pour ramener à la normale une situation qui avait été gravement perturbée essentiellement par la présence et l'action d'éléments criminels. A cet égard, toutefois, le comité note que le rapport de la Commission d'enquête indique clairement les difficultés d'obtenir des preuves sur lesquelles les tribunaux pouvaient se fonder pour prononcer des condamnations, en raison du climat de terreur qui existait sur les chantiers de construction et des actes d'intimidation des témoins.
- 222 Dans les circonstances présentes, les syndicats en question ayant été, légalement, placés sous la tutelle du gouvernement, le comité fait observer que, dans des cas précédents concernant la mise sous contrôle d'un syndicat, il a estimé qu'une intervention de ce genre devrait être temporaire et viser uniquement à permettre l'organisation d'élections libres.
- 223 La loi sur la mise en tutelle des quatre syndicats locaux prévoit, en fait, que les tuteurs doivent avoir notamment pour tâche de faciliter le retour d'une administration démocratiquement élue par scrutin secret. Toutefois, elle a établi la tutelle pour une période pouvant aller jusqu'à trois ans et, entre autres choses, elle autorise les tuteurs à apporter des changements à la constitution ou aux statuts administratifs du syndicat, après approbation du lieutenant-gouverneur en conseil. A cet égard, le comité estime que tout amendement des statuts syndicaux doit faire l'objet d'un débat et être adopté par les membres du syndicat eux-mêmes.
- 224 En ce qui concerne cet aspect du cas, le comité, en appelant l'attention sur les principes et considérations exposés aux paragraphes 216 à 223 ci-dessus, prie le gouvernement de prendre des mesures d'urgence afin de rétablir, dans les délais les plus brefs, une situation dans laquelle des élections libres et démocratiques pourront avoir lieu dans les syndicats locaux concernés, ce qui mettrait fin à la mise sous tutelle. D'une manière plus générale, le comité voudrait suggérer, conformément aux principes énoncés aux paragraphes 216 et 217 ci-dessus, que le gouvernement envisage la possibilité de prendre les mesures qui peuvent être nécessaires pour assurer que toute forme de contrôle sur les activités internes d'un syndicat soit exercé par les autorités judiciaires.
- Allégations concernant le projet de loi no 30
- a) Dispositions concernant l'exercice de fonctions syndicales
- 225 La troisième allégation principale concerne une modification de la loi sur les relations de travail dans l'industrie de la construction (1968, chapitre 45). En vertu de cet amendement, nulle personne convaincue, au Canada ou ailleurs, de voies de fait, de dommages intentionnels, de coups et blessures, de vol, de menaces, de trafic de drogue ou d'association en vue de commettre l'un de ces actes, ne peut exercer des fonctions de dirigeant dans un syndicat ni être élue ou désignée en qualité de délégué de chantier, d'agent d'affaires ou de représentant syndical d'une telle association, ni exercer aucune de ces fonctions. A l'exception des cas où la personne reconnue coupable est grâciée, l'incapacité est maintenue pendant cinq ans à compter de la fin de la peine d'emprisonnement fixée dans le jugement; si dans la peine infligée a été une amende ou si l'exécution de la sentence a été suspendue, l'incapacité est maintenue pendant cinq ans à partir de la condamnation. Nulle personne convaincue, au Canada ou ailleurs, de meurtre, de tentatives de meurtre, d'homicide involontaire, de vol qualifié, d'extorsion, d'incendie volontaire, d'entrée par effraction, d'usage frauduleux de fonds, d'enlèvement, de lésions corporelles volontaires, de mutilation ou de défigurement d'autrui ou de mise en danger de la vie d'autrui, ou d'association en vue de commettre l'un de ces actes ne peut exercer de fonctions de dirigeant dans un syndicat ni être élue ou désignée en qualité de délégué de chantier, d'agent d'affaires ou de représentant syndical d'une telle association, ni exercer aucune de ces fonctions, à moins que cette personne ait fait l'objet d'une mesure de grâce prévue par la loi sur les casiers judiciaires.
- 226 Dans des cas antérieurs, le comité a estimé qu'une condamnation pour des délits qui ne sont pas de nature à compromettre l'exercice approprié de fonctions de responsable syndical ne devrait pas constituer un motif de déchéance desdites fonctions. Tout en soulignant l'importance qu'il attache au droit des travailleurs d'élire librement leurs représentants - un droit qui devrait faire l'objet du minimum de restrictions possible -, le comité a relevé qu'une incapacité générale fondée sur le casier judiciaire d'une personne pourrait être incompatible avec ce droit.
- 227 Le comité prend note qu'en vertu de la législation en vigueur, l'interdiction d'exercer des fonctions syndicales faites à des personnes convaincues de certains crimes est limitée à une période de cinq ans au maximum à compter de la fin de la peine d'emprisonnement fixée dans le jugement. L'interdiction est toutefois permanente lorsque la condamnation sanctionne des crimes graves. Le comité estime que la liste des actes criminels figurant dans les dispositions en question contient des actes qui ne seraient pas nécessairement préjudiciables à l'exercice approprié de fonctions de dirigeant syndical. Par conséquent, la loi est telle qu'elle entrave ou qu'elle peut être appliquée de manière à entraver la garantie prévue à l'article 3 de la convention no 87, selon laquelle les travailleurs ont le droit d'élire leurs représentants en toute liberté. Le comité estime que le gouvernement devrait réexaminer les dispositions législatives en question, à la lumière des principes mentionnés ci-dessus, en vue d'en exclure les actes délictueux qui ne seraient pas nécessairement préjudiciables à l'exercice approprié des fonctions syndicales.
- b) Limitations concernant le droit de grève
- 228 Les plaignants ont attaqué la disposition contenue dans l'amendement à la loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction selon laquelle aucune association de salariés, aucun agent d'affaires ou représentant d'une telle association et aucun salarié ne doit ordonner, encourager ou appuyer une grève ou un ralentissement de travail, ou y participer pendant la durée de validité d'un décret. En outre, en cas de poursuites motivées par une grève ou un ralentissement de travail, il incombe au prévenu de prouver qu'il ne l'a pas ordonné, encouragé ou approuvé ou n'y a pas participé.
- 229 Le comité a estimé à maintes reprises dans le passé que le droit de grève est un des moyens essentiels dont disposent les travailleurs et leurs organisations pour promouvoir et défendre leurs intérêts professionnels. Le comité a Vautre part reconnu que le droit de grève peut être soumis à des conditions préalables ou à des restrictions, pourvu que les conditions posées par la législation pour rendre la grève légale soient raisonnables et, en tout cas, ne soient pas telles qu'elles constituent une limitation importante aux moyens d'action des organisations syndicales. En particulier, le comité a accepté comme restriction temporaire de la grève des dispositions interdisant la grève en rupture d'accords collective.
- 230 Le comité note qu'en vertu de la loi de 1964 sur les décrets concernant les conventions collectives (chapitre 143), un décret du lieutenant-gouverneur en conseil peut rendre obligatoire, modifier, proroger ou abroger toute convention collective. Conformément à l'article 8 de cette loi, le lieutenant-gouverneur en conseil peut proroger ou, en tout temps, abroger le décret. Les modifications de la loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction interdisent toute participation à une grève ou soutien d'une telle action pendant la durée de validité d'un décret. Le comité croit comprendre que ces dispositions permettent au lieutenant-gouverneur en conseil d'étendre à son gré la durée de validité d'un décret pour des périodes longues ou même indéfinies, réduisant ainsi effectivement à néant le droit de grève des travailleurs de l'industrie de la construction jusqu'à ce que le décret soit éventuellement rapporté. Le comité considère que le pouvoir conféré au lieutenant-gouverneur en conseil par les nouvelles dispositions pourrait être exercé de manière à limiter gravement les possibilités d'action des organisations syndicales pour promouvoir et défendre les intérêts de leurs membres.
- c) Dispositions concernant la fonction de délégué de chantier et la marque syndicale
- 231 Les plaignants allèguent que, d'une manière générale, les dispositions contenues dans les amendements à la loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction constituent, dans la mesure où elles touchent les fonctions de délégué de chantier et la marque syndicale, un empiètement sur le droit des syndicats d'organiser et de gérer leurs activités sans ingérence des autorités et sans contrôle législatif sur des questions qui devraient être du ressort exclusif des associations elles-mêmes. Pour sa part, le gouvernement soutient que ces dispositions législatives minimales n'ont été adoptées que pour garantir la participation démocratique des membres à l'élection des délégués et pour empêcher que les abus déjà constatés ne se reproduisent. Des dispositions ont également été adoptées pour prévenir le refus des travailleurs d'installer ou de manipuler des équipements manufacturés par des travailleurs non syndiqués ou par des travailleurs affiliés à un autre syndicat.
- 232 Après avoir examiné les dispositions régissant la fonction de délégué de chantier, le comité note que des règles ont été établies au sujet de l'élection au scrutin secret et des fonctions de ces délégués. En outre, les amendements contiennent des dispositions qui garantissent la reconnaissance par l'employeur du délégué de chantier, qui accordent à ce dernier une préférence d'emploi et d'autres avantages et, notamment, lui permettent de s'absenter pour une période de formation professionnelle et obligent l'employeur à lui donner un préavis de mise à pied. En ce qui concerne la marque syndicale, le comité relève que, d'après les informations fournies par le gouvernement, la disposition promulguée est reprise du décret de l'industrie de la construction publié en 1973 et portant sur l'installation de matériaux; elle vise avant tout à prévenir le refus de manipuler ou d'installer des matériaux qu'un employeur ordonne de manipuler ou d'installer.
- 233 Le comité constate, d'après les preuves apportées par la commission d'enquête, que certains abus et actes criminels parmi les plus graves commis dans l'industrie de la construction avaient été perpétrés par des délégués de chantier dont un grand nombre possédait des antécédents judiciaires, mais aucune expérience des affaires syndicales. En outre, leur désignation ne correspondait pas aux voeux des travailleurs et leur comportement échappait à tout contrôle. En ce qui concerne la marque syndicale, la commission d'enquête a mentionné un certain nombre d'abus graves: ainsi, les employeurs ont dû laisser des sommes importantes aux syndicats ou à leurs représentants pour qu'ils acceptent d'utiliser des matériaux ne portant pas la marque syndicale appropriée.
- 234 Dans ces conditions et vu la nature des dispositions qui ont été prises pour réglementer la situation des délégués de chantier et l'emploi de la marque syndicale, le comité estime que les textes législatifs en question ne constituent pas une violation du droit des organisations de travailleurs d'organiser leur gestion et leur activité.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 235. Dans ces conditions et pour ce qui est du cas dans son ensemble, le comité recommande au Conseil d'administration:
- a) en ce qui concerne les allégations relatives aux amendements proposés du projet de loi no 24, de décider que, étant donné que ces modifications proposées ne constituent ni une loi ni un projet de loi et qu'aucune suite ne leur a été donnée, il serait pour lui sans objet de poursuivre l'examen de ces allégations;
- b) en ce qui concerne les allégations relatives au projet de loi no 20 qui a été promulgué et qui met sous tutelle certains syndicats locaux affiliés à la Fédération du travail du Québec, i) d'attirer l'attention sur les principes et les considérations exposés aux paragraphes 216 à 223 ci-dessus concernant en particulier l'ingérence du gouvernement dans les affaires syndicales; ii) de signaler que les modifications aux statuts des syndicats devraient faire l'objet d'un débat et être adoptées par les syndiqués eux-mêmes; iii) de prier le gouvernement de prendre des mesures urgentes afin de restaurer dans les plus brefs délais possibles une situation permettant la tenue d'élections libres et démocratiques dans les syndicats locaux intéressés, ce qui mettrait fin à la mise sous tutelle; iv) de suggérer, conformément au principe exposé aux paragraphes 216 et 217 ci-dessus, que le gouvernement envisage la possibilité de prendre les mesures qui peuvent être nécessaires pour assurer que toute forme de contrôle sur les affaires internes d'un syndicat soit exercée par les autorités judiciaires; et v) de tenir le comité informé de toutes mesures prises concernant le sous-paragraphe iii) ci-dessus;
- c) en ce qui concerne les allégations relatives au projet de loi no 30 (portant modification de la loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction) qui a maintenant été mis en vigueur (dispositions concernant l'exercice de fonctions syndicales), i) d'attirer l'attention du gouvernement sur les principes et les considérations exposés aux paragraphes 226 et 227 ci-dessus et, notamment, sur le principe selon lequel le fait d'avoir été reconnu coupable d'infractions qui ne sont pas de nature à compromettre l'exercice approprié de fonctions de dirigeant syndical ne devrait pas constituer un motif de déchéance pour l'exercice de ces fonctions; ii) d'inviter le gouvernement à réexaminer les dispositions législatives en question, à la lumière de ce principe, en vue d'exclure de ces dispositions les actes délictueux qui ne seraient pas nécessairement préjudiciables à l'exercice approprié des fonctions syndicales;
- d) en ce qui concerne les allégations relatives au projet de loi no 30 (dispositions limitant le droit de grève), d'attirer l'attention du gouvernement sur les principes exposés au paragraphe 229 ci-dessus concernant le droit de grève et les limitations de ce droit;
- e) en ce qui concerne les allégations relatives au projet de loi no 30 (dispositions relatives à la fonction de délégué de chantier et à la marque syndicale), de décider, pour les raisons indiquées au paragraphe 234 ci-dessus, que les dispositions en question ne sont pas de nature à limiter indûment le droit des organisations de travailleurs d'organiser leur gestion et leurs activités, et de décider, par conséquent, que cet aspect du cas n'appelle pas de sa part un examen plus approfondi.
- f) de demander à la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations de suivre les développements de la situation eu égard aux questions mentionnées aux alinéas c) et d) du présent paragraphe.