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- 356. Par une communication du 31 juillet 1991, le Syndicat des ouvriers du papier et de la cellulose (CUOPYC) a porté plainte en violation des droits syndicaux contre le gouvernement de l'Uruguay. Le gouvernement a envoyé pour sa part ses observations dans une communication du 10 janvier 1992.
- 357. L'Uruguay a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations de l'organisation plaignante
A. Allégations de l'organisation plaignante
- 358. Le syndicat des ouvriers du papier et de la cellulose (CUOPYC) indique qu'il regroupe les travailleurs de la Fabrique nationale de papier (FNP), l'une des entreprises les plus dynamiques et les plus modernes de l'industrie du papier. Il explique qu'une convention collective de septembre 1985 réglementait divers aspects des relations professionnelles, à savoir le régime de travail dans certains secteurs, les congés annuels, les primes d'assiduité, etc., et contenait une clause prévoyant expressément qu'en cas de grève les travailleurs feraient preuve de la meilleure bonne volonté pour maintenir en fonctionnement les secteurs vitaux ou critiques de l'entreprise tout en travaillant à un rythme ralenti de 70 pour cent de la capacité maximale de l'entreprise, de telle sorte que les activités puissent reprendre à leur rythme normal une fois la grève terminée.
- 359. L'organisation plaignante déclare que le ministère du Travail et de la Sécurité sociale a fait connaître, en août 1990, les grandes lignes de ce qui devait servir de cadre aux négociations dans les conseils des salaires, en proposant des accords à long terme (12, 14 ou 16 mois) propres à permettre un rattrapage du salaire réel. Elle ajoute que des négociations ont été engagées en vain avec l'entreprise en mai 1990, de sorte que, en août 1990, des arrêts partiels de travail ont été déclenchés impliquant l'exercice du droit de grève, conformément à la clause de la convention collective de septembre 1985.
- 360. L'organisation plaignante ajoute que, face à ces mesures, l'entreprise, outre son refus de négocier les augmentations de salaires, a décidé de suspendre les activités de différents secteurs de l'usine (procédés continus II et III et bobineuse JAGEMBERG), y compris dans les secteurs non "critiques". Elle indique aussi que, après avoir pris ces mesures, l'entreprise a décidé de fermer l'établissement du 22 au 24 août 1990 et a par la suite suspendu les activités dans différents secteurs.
- 361. L'organisation plaignante explique que les conditions que souhaitait imposer l'entreprise pour négocier étaient excessives (limitation du droit de grève, travail durant des jours fériés nationaux, etc.) et que, finalement, à la suite de l'arrêté du 6 décembre 1990 du ministère du Travail, un acte a été signé dans lequel les deux parties se sont engagées à garantir un climat de relations professionnelles conforme aux nécessités de fonctionnement de l'entreprise; cet acte précisait que le conflit en cours jusqu'à cette date n'entraînerait pas de représailles. L'organisation plaignante ajoute que, bien que l'entreprise dans l'acte signé au ministère du Travail ait pris l'engagement de ne pas user de représailles, 117 travailleurs ont été informés, le 28 décembre 1990, qu'ils étaient licenciés. Parmi ces 117 travailleurs (15 pour cent du personnel) se trouvent notamment cinq titulaires et cinq suppléants du comité exécutif du syndicat et quatre membres du Comité de vérification des comptes, soit 50 pour cent de la direction du syndicat. Elle précise que, en même temps qu'elle licenciait la majorité des membres de la direction du syndicat, l'entreprise diffusait une note explicative dans laquelle elle exposait la situation dans laquelle elle se trouvait et présentait une étude réalisée par des consultants.
- 362. L'organisation plaignante indique qu'en Uruguay, pour ce qui touche au respect des activités syndicales, il n'existe pas de garanties législatives suffisantes; il n'y a pas en effet de législation protégeant les travailleurs contre la discrimination antisyndicale. Elle indique aussi que la Cour suprême de justice aurait opéré un recul dans ce domaine. Enfin, elle déclare avoir entrepris des démarches auprès du ministère du Travail et de la Sécurité sociale pour obtenir la réintégration des dirigeants licenciés et l'application des sanctions prévues par le décret 93/68 et avoir saisi les tribunaux compétents pour obtenir le paiement des salaires perdus durant le lock-out ainsi que la réparation du préjudice moral.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 363. Dans sa communication du 10 janvier 1992, le gouvernement déclare que, tout au long du conflit entre le CUOPYC et la FNP, le ministère du Travail, par l'intermédiaire de la Direction nationale du travail, s'est efforcé d'amener les deux parties à s'entendre et que, par la suite, quand une plainte a été déposée pour violation de la liberté syndicale, il est intervenu dans l'instruction d'une enquête administrative au cours de laquelle les parties intéressées ont présenté des preuves. Cette enquête administrative se poursuit et aboutira à un arrêté ministériel qui décidera du bien-fondé des plaintes et des mesures à prendre. Cette procédure administrative est indépendante des voies de recours judiciaires ordinaires dont disposent les parties.
- 364. Le gouvernement déclare qu'il déplore les situations telles que celle qui a motivé la plainte, à savoir une situation dans laquelle le licenciement d'un grand nombre de travailleurs coïncide dans le temps avec une lutte entreprise pour obtenir des négociations salariales et fixer collectivement les conditions de travail. Le gouvernement ajoute que cette réaction résulte de l'adoption de mouvements planifiés de grèves tournantes qui perturbent grandement l'activité et entraînent souvent des dommages irréparables pour la capacité de production. Les conséquences des conflits du travail de cette nature continuent à se faire sentir longtemps après que la lutte a pris fin et compromettent le maintien des postes de travail compte tenu de la vulnérabilité particulière de l'économie uruguayenne. Par ailleurs, le gouvernement souligne que la plainte porte aussi sur le refus des employeurs d'entamer des négociations collectives et indique que l'absence d'une norme légale établissant l'obligation de négocier est une carence grave du droit uruguayen (le gouvernement indique qu'il a essayé par divers moyens d'établir des règles consensuelles en matière de conventions collectives et que les travaux préparatoires en cours contiennent une telle obligation).
- 365. Le gouvernement ajoute que la plainte en question est un cas particulier qui montre à quel point il est nécessaire de fixer les règles qui doivent s'appliquer en cas de conflit du travail. Il convient de signaler, à ce sujet, que le système juridique uruguayen ne prévoit pas de normes légales ou du moins de normes appropriées en ce qui concerne les procédures de solution des conflits, la négociation collective, la protection de l'activité syndicale, les lock-out, les effets de la grève, la représentation du personnel dans l'entreprise, etc. Le mouvement syndical uruguayen s'est traditionnellement opposé à toute intervention législative sur ce plan et en a fait un des points fondamentaux de sa plate-forme de lutte et de son programme de revendications. A cette situation s'ajoute une jurisprudence limitée dans ce domaine qui n'établit pas encore de critères définis pour les partenaires sociaux.
- 366. Dans ces conditions, le gouvernement se déclare convaincu que le comité conviendra de l'opportunité et de la nécessité pour l'Uruguay de fixer des règles claires et précises en matière de droit collectif du travail. A ce sujet, le gouvernement indique ce qui suit: 1) on a observé à plusieurs reprises que les carences actuelles sont l'un des facteurs qui freinent les investissements tant nationaux qu'étrangers; 2) l'Uruguay a une économie fragile et dépendante qui doit dès maintenant se préparer au processus d'intégration avec le Brésil, l'Argentine et le Paraguay, et cette situation détermine le déplacement des efforts productifs vers des secteurs où l'Uruguay possède un avantage comparatif dans le nouvel espace communautaire; 3) la Constitution uruguayenne reconnaît depuis longtemps le droit de grève et prévoit d'en réglementer l'exercice, ce qu'aucun gouvernement démocratique n'a fait jusqu'ici; 4) le gouvernement actuel, qui s'était engagé dans son programme électoral à soumettre à des normes les relations collectives, a présenté au Parlement un projet qui établit un certain nombre de règles en ce qui concerne l'exercice du droit de grève; ce projet a été préalablement examiné par des spécialistes du BIT dont les recommandations ont été suivies; d'emblée, la centrale syndicale s'est déclarée fermement opposée à toute approbation de normes légales; il convient de signaler que dans son projet le gouvernement prévoyait que les travailleurs licenciés pour avoir exercé leur droit de grève pourraient demander leur réintégration et énonçait des règles et garanties venant s'ajouter aux normes d'autorégulation bilatérale des conflits du travail dont les parties peuvent convenir; 5) une mission technique du BIT, qui a étudié en 1986 le système des relations professionnelles en Uruguay, a indiqué expressément dans son rapport qu'il était souhaitable de mettre au point une réglementation fiable et efficace.
- 367. En ce qui concerne la protection de l'activité syndicale en Uruguay, il convient de signaler le décret 93/968 du 3 février 1968 dont le texte présente des similitudes avec celui de la convention no 87, même s'il utilise des expressions différentes et des formules plus catégoriques. Ce décret - toujours en vigueur - ne prévoit pas la nullité du licenciement en cas de discrimination ou de violation des garanties syndicales, mais dispose que l'entreprise est passible d'une amende représentant de 1 à 50 journées de salaire. Cette amende sanctionne la responsabilité de l'entreprise vis-à-vis de l'administration, mais chaque travailleur peut aussi faire valoir ses droits en arguant de la violation du contrat. Par ailleurs, la loi no 15.903 prévoit des sanctions (avertissements, fermeture de l'établissement ou amendes) en cas de non-application des normes du travail - y compris des conventions internationales du travail.
- 368. Le gouvernement ajoute que le tribunal administratif a confirmé plusieurs décisions du ministère du Travail et de la Sécurité sociale exigeant la réintégration de militants syndicaux injustement licenciés pour leurs activités syndicales, ainsi que les amendes résultant de la non-application de ces décisions. Dans un des jugements prononcés à la suite du refus d'une entreprise de réintégrer des travailleurs qui avaient été licenciés pour des raisons syndicales (novembre 1990), ce tribunal a décidé que le montant de l'amende devait être calculé sur la base du salaire de tout le personnel, étant donné qu'il s'agissait de défendre le droit syndical de tous les travailleurs et non d'un seul d'entre eux. La justice ordinaire du travail a pris des décisions différentes dans la mesure où il n'existe pas de normes législatives ou conventionnelles imposant à l'employeur de réintégrer un dirigeant syndical licencié en raison de ses activités. Dans un cas, le tribunal a jugé qu'il n'y avait pas lieu de réintégrer les travailleurs, étant donné que la loi no 12.030 prévoit des amendes en cas de non-application des conventions internationales qui ont été ratifiées et ne mentionne pas la réintégration. Dans un autre cas, le tribunal n'a pas demandé la réintégration des travailleurs parce qu'il existait des dissensions entre les membres du personnel, de sorte que cette réintégration aurait posé des problèmes difficiles dans la pratique, sans pour autant être impossible du point de vue juridique, et ils ont condamné l'entreprise à payer le triple de l'indemnisation prévue par la loi, ce qui constituait la demande subsidiaire. Parfois, les tribunaux uruguayens ont considéré comme abusifs les licenciements illicites effectués à l'occasion d'une grève (d'où le droit à une réparation spéciale, distincte de l'indemnisation prévue par la loi). Selon le gouvernement, la solution correcte semblerait être de laisser à l'appréciation des juges l'extinction éventuelle du contrat s'il existe des raisons de penser que la poursuite de la relation de travail est impossible (personnel de confiance, affrontements consécutifs au conflit, etc.) afin d'éviter que la réintégration ne provoque des troubles graves et ne perturbe l'harmonie qui doit exister dans tout milieu de travail.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 369. Le comité observe que les allégations présentées par l'organisation plaignante se rapportent, d'une part, au licenciement de 117 travailleurs de la Fabrique nationale de papier (FNP), dont 14 dirigeants syndicaux, et, d'autre part, à l'insuffisance des garanties législatives contre les actes de discrimination antisyndicale.
- 370. En ce qui concerne le licenciement de 117 travailleurs (dont 14 dirigeants syndicaux) immédiatement après la signature par le CUOPYC et la FNP d'un acte mettant fin à la grève et au conflit les opposant, le comité note qu'une enquête administrative est en cours et qu'elle aboutira à un arrêté ministériel qui décidera du bien-fondé des plaintes et des mesures à prendre. Le comité tient à souligner que, dans le cas présent, il existe des indices du caractère antisyndical des licenciements: 1) ils ont eu lieu à la suite de mouvements de grève légaux; 2) ils ont frappé la moitié du comité exécutif du syndicat ainsi que de nombreux autres travailleurs; 3) dans le document signé par les parties afin de mettre un terme au conflit, l'entreprise s'était engagée à ne pas user de représailles à l'encontre des grévistes. Le comité note aussi que le gouvernement déclare qu'il déplore les situations telles que celle qui a motivé la plainte, à savoir une situation dans laquelle le licenciement d'un grand nombre de travailleurs coïncide dans le temps avec une lutte entreprise pour obtenir une négociation salariale et fixer collectivement les conditions de travail.
- 371. Dans ces conditions, le comité regrette que l'enquête administrative n'ait pas encore abouti bien que les licenciements datent de novembre 1990, et il prie le gouvernement de prendre des mesures nécessaires pour que cette enquête et les autres enquêtes qui pourraient être entreprises à l'avenir débouchent rapidement sur des résultats. Le comité demande également au gouvernement de le tenir informé de l'issue de l'enquête administrative, et si, comme les indices semblent le prouver, il s'avère que des licenciements ont eu des motifs antisyndicaux, de prendre des mesures d'urgence en vue de la réintégration des travailleurs licenciés et de l'imposition rigoureuse des sanctions prévues par la loi.
- 372. En ce qui concerne l'allégation relative à l'absence de garanties législatives contre la discrimination antisyndicale, le comité a estimé à sa session de février 1990 que le système de protection contre les actes de discrimination antisyndicale actuellement en vigueur (amendes très lourdes en cas de licenciements antisyndicaux, ordre donné par l'administration à l'entreprise de réintégrer les travailleurs et possibilité de fermeture de l'entreprise), "bien qu'il ne porte pas atteinte à la convention no 98, pourrait être amélioré en ce qui concerne l'accélération de la procédure". (Voir 270e rapport, cas no 1460 (Uruguay), paragr. 60.)
- 373. Le comité a noté les raisons pour lesquelles le gouvernement juge opportun et nécessaire de soumettre à des règles claires et précises les différents aspects du droit collectif du travail qui ne font actuellement l'objet que de très rares normes législatives. A cet égard, le comité tient à signaler que son mandat consiste à déterminer si, concrètement, telle ou telle législation ou pratique est conforme aux principes de la liberté syndicale et de la négociation collective énoncés dans les conventions portant sur ces sujets, et qu'il ne lui appartient pas de se prononcer sur le modèle ou les caractéristiques - y compris le degré de réglementation légale - que doit suivre le système de relations professionnelles dans tel ou tel pays. Le comité demande au gouvernement de soumettre à la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations tout projet de loi sur la liberté syndicale et la négociation collective afin que la commission l'examine à la lumière des conventions nos 87 et 98.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 374. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l'issue de l'enquête administrative diligentée à la suite du licenciement de syndicalistes et de dirigeants syndicaux, et si, comme les indices semblent le prouver, cette enquête confirme que les licenciements ont eu des motifs antisyndicaux, de prendre des mesures d'urgence en vue de la réintégration des travailleurs licenciés et de l'imposition rigoureuse des sanctions prévues par la loi.
- b) Le comité déplore que l'enquête administrative susmentionnée n'ait pas encore abouti bien que les licenciements remontent à novembre 1990, et il demande au gouvernement de prendre des mesures pour que cette enquête et les autres enquêtes qui pourraient être entreprises à l'avenir aboutissent à brève échéance.
- c) Le comité demande au gouvernement de soumettre à la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations tout projet de loi sur la liberté syndicale et la négociation collective afin que la commission l'examine à la lumière des conventions nos 87 et 98.