92. Les plaintes qui font l'objet des présents cas figurent dans des communications de la Confédération générale du travail de la République argentine (CGT) du mois de juin 1992 (cas no 1653) et de l'Union du personnel judiciaire national (UEJN) du mois de juillet 1992 (cas no 1660). Le gouvernement a fait parvenir ses observations dans une communication datée du 27 mai 1993.
- 92. Les plaintes qui font l'objet des présents cas figurent dans des communications de la Confédération générale du travail de la République argentine (CGT) du mois de juin 1992 (cas no 1653) et de l'Union du personnel judiciaire national (UEJN) du mois de juillet 1992 (cas no 1660). Le gouvernement a fait parvenir ses observations dans une communication datée du 27 mai 1993.
- 93. L'Argentine a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes
- Cas no 1653
- 94 Dans sa communication de juin 1992, la CGT déclare que la Cour suprême de justice de la nation, par diverses ordonnances (résolutions), a mis au point une norme spéciale reconnaissant expressément le droit de grève à tout moment. Cependant, dans la pratique, elle fixe des limites à l'exercice de ce droit (en exigeant, pour le maintien d'un service minimum, la présence d'au moins deux membres du personnel judiciaire par tribunal) et dispose que les travailleurs qui refusent d'accomplir un service minimum peuvent être sanctionnés. L'organisation plaignante indique qu'en décembre 1991, lors d'un conflit du travail, la Cour suprême a accordé au personnel judiciaire (ordonnance (résolution) no 32/91) une révision des salaires mais que, par la suite, en invoquant la situation économique nationale, elle a rendu l'ordonnance (résolution) no 56/91 suspendant l'ordonnance antérieure et fixant les augmentations de salaire uniquement pour les magistrats et les fonctionnaires mais pas pour les autres travailleurs. Selon l'organisation plaignante, à la suite de ces décisions, des mesures de pression ont été prises pour le maintien d'un service minimum dans le but de faire respecter la règle imposée par la Cour suprême.
- 95 L'organisation plaignante indique qu'à la suite de ces mesures de pression la Cour suprême a rendu l'ordonnance (résolution) no 74/91 prévoyant une période de conciliation de vingt jours ouvrables judiciaires, une audience de conciliation et l'obligation pour le personnel judiciaire de s'abstenir de tout recours à l'action directe pendant cette période. Selon l'organisation plaignante, la Cour suprême s'est arrogée le pouvoir d'ordonner la suspension obligatoire des mesures de pression en violation de l'ordre juridique interne. L'organisation plaignante signale que la prétention de considérer le service judiciaire comme un service essentiel par décision unilatérale de l'employeur lui-même est en contradiction avec le concept de base élaboré par l'OIT et précise que, bien qu'il ne s'agisse pas d'un service essentiel, le service minimum nécessaire a été garanti à tout moment. Enfin, l'organisation plaignante indique qu'en plus du caractère arbitraire et illégal de la mesure il convient de souligner que l'instance qui fixe une conciliation obligatoire est non seulement incompétente mais aussi partie au conflit et que par conséquent l'impartialité nécessaire à tout processus de conciliation et d'arbitrage fait défaut.
- Cas no 1660
- 96 Dans sa communication de juillet 1992, l'UEJN déclare qu'à la suite de revendications salariales présentées durant les mois d'avril et de juin 1992 et après une longue négociation infructueuse, elle a eu recours à des mesures d'action directe. En réponse à ces mesures, la Cour suprême de justice de la nation, tenant compte des perturbations que les mesures de pression produiraient sur le bon fonctionnement du service de la justice, a rendu en juin 1992 une ordonnance (résolution) no 25 reprenant les mêmes mesures que l'ordonnance (résolution) no 74/91.
- 97 L'organisation plaignante fait savoir qu'à la suite de l'ordonnance (résolution) mentionnée, elle a récusé la Cour suprême estimant que celle-ci était partie au conflit d'intérêts qui était à l'origine des mesures d'action directe adoptées. Elle précise que selon le droit national la question relève du ministère du Travail et que la Cour suprême, étant donné sa qualité d'employeur, s'est arrogée la faculté de rendre une ordonnance réglementant l'exercice constitutionnel du droit de grève en empiétant sur une fonction spécifique du pouvoir législatif. Elle précise que, si la Cour suprême a qualité pour nommer et révoquer le personnel judiciaire, elle n'est pas habilitée à réglementer l'exercice du droit de grève.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 98. Dans sa communication du 27 mai 1993, le gouvernement déclare que les plaintes présentées ont trait à des questions qui ne relèvent pas du pouvoir exécutif national mais qui sont du ressort du pouvoir judiciaire. Il précise que le pouvoir judiciaire représente un des trois pouvoirs de l'Etat et que non seulement il agit indépendamment du pouvoir exécutif mais qu'il est en plus entièrement autonome et possède des attributions, des pouvoirs et un budget qui lui sont propres.
- 99. Le gouvernement déclare qu'en décembre 1991 et en juin 1992 les mesures d'action directe prises par le personnel judiciaire ont abouti à la paralysie totale de l'activité judiciaire, que le service minimal n'a pas été assuré et que les magistrats eux-mêmes ont dû s'occuper des tâches urgentes. Dans les deux cas la Cour suprême a dû recourir à de nombreuses ordonnances (résolutions) de suspension des délais de procédure, cette situation ayant paralysé le cours de toutes les affaires judiciaires en instance, ce qui démontre que les mesures adoptées impliquaient une grave détérioration de l'administration de la justice. Il ne fait aucun doute que l'administration de la justice doit être considérée comme un service essentiel ou tout du moins comme une fonction publique primordiale pour laquelle, selon les principes de l'OIT, une limitation à l'exercice du droit de grève peut se justifier.
- 100. Le gouvernement déclare que, si le ministère du Travail et de la Sécurité sociale peut en principe intervenir d'office dans un conflit, le système juridique prévoit que cette intervention administrative ait lieu à l'initiative de l'une des parties concernées. Il fait ressortir que dans aucun des deux conflits l'UEJN n'a requis l'intervention du ministère du Travail, ce qui revient à valider l'intervention de la Cour suprême. Par ailleurs, le gouvernement déclare que le décret no 2184/90 définissant les services essentiels dispose expressément que l'administration de la justice se fera seulement "à la demande de la Cour suprême de justice de la nation", ce qui signifie que la norme juridique exclut toute possibilité que le ministère du Travail puisse intervenir dans les conflits touchant le pouvoir judiciaire s'il n'est pas expressément requis de le faire.
- 101. Enfin, le gouvernement fait remarquer que la teneur des ordonnances (résolutions) nos 74/91 et 25/92 n'indique pas qu'il y a eu interdiction du droit de grève mais seulement que l'exercice de ce droit a été suspendu pendant la durée des périodes de conciliation. La preuve en est que, après la période de conciliation de décembre 1991, le plaignant a recouru de nouveau à des mesures d'action directe en juin 1992.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 102. Le comité note que, dans le présent cas, les organisations plaignantes allèguent qu'en réponse à diverses actions menées durant les mois de décembre 1991 et de juin 1992 par les travailleurs du pouvoir judiciaire regroupés au sein de l'UEJN, la Cour suprême a décidé de fixer une période de conciliation obligatoire et de suspendre l'exercice du droit de grève durant cette période. Par ailleurs, les organisations plaignantes déclarent que la Cour suprême n'a pas qualité pour imposer de telles mesures du fait qu'elle est elle-même partie au conflit.
- 103. Le comité constate que, sur certains éléments du dossier, les déclarations des plaignants et du gouvernement sont contradictoires. Selon les plaignants, le service minimum a été assuré à tout moment alors que, pour le gouvernement, la grève suivie par le personnel du pouvoir judiciaire avait provoqué la paralysie totale de la justice sans qu'un service minimum soit respecté. De plus, alors que les plaignants estiment que ce type de conflit relevait du ministère du Travail, le gouvernement fait observer que l'organisation concernée n'a pas eu recours à l'intervention du ministère dans cette affaire.
- 104. Tout en notant ces contradictions, le comité observe que, dans le présent cas, le droit de grève n'est pas interdit au personnel judiciaire dans la législation. Toutefois, à deux reprises, en décembre 1991 et juin 1992, la Cour suprême de justice, à la suite de grèves organisées par les travailleurs du secteur, a décrété une période de conciliation obligatoire de vingt jours et la suspension du droit de grève durant cette période.
- 105. Le comité a accepté que le droit de grève peut être restreint, voire interdit, dans la fonction publique, les fonctionnaires publics étant définis comme ceux qui agissent en tant qu'organes de la puissance publique et pourvu que ces limitations soient accompagnées de certaines garanties compensatoires, telles que des procédures de conciliation et d'arbitrage appropriées, impartiales et rapides auxquelles les intéressés devraient pouvoir participer. (Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, 1985, troisième édition, paragr. 394 et 397.) En outre, le comité a estimé qu'on ne saurait considérer comme attentatoire à la liberté syndicale l'obligation de recourir aux procédures de conciliation et d'arbitrage dans les conflits collectifs en tant que condition préalable à une déclaration de grève. (Voir Recueil, op.cit., paragr. 378.)
- 106. En ce qui concerne le cas d'espèce, le comité estime que les fonctionnaires du pouvoir judiciaire doivent être considérés comme des fonctionnaires publics agissant en tant qu'organes de la puissance publique et qu'en conséquence les autorités étaient fondées à suspendre l'exercice du droit de grève pour ce personnel.
- 107. Le comité note toutefois que les plaignants font valoir que, dans le conflit objet de la plainte, la Cour suprême était à la fois juge et partie car c'est elle qui, d'une part, est l'employeur du personnel judiciaire et qui, d'autre part, suspend l'exercice du droit de grèvd de son personnel.
- 108. A cet égard, le comité doit rappeler que l'article 8 de la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978, ratifiée par l'Argentine, dispose que "le règlement des différends survenant à propos de la détermination des conditions d'emploi sera recherché d'une manière appropriée aux conditions nationales par voie de négociation entre les parties ou par une procédure donnant des garanties d'indépendance et d'impartialité telles que la médiation, la conciliation ou l'arbitrage, instituée de telle sorte qu'elle inspire la confiance des intéressés."
- 109. Il apparaît que, dans le cas présent, la procédure de conciliation imposée par la Cour suprême n'a pas été instituée avec la confiance des syndicats du personnel judiciaire. Le comité demande donc au gouvernement de veiller à l'avenir, en cas de conflit collectif dans le secteur judiciaire, à ce que les procédures de règlement des conflits instituées inspirent la confiance des parties, conformément à l'article 8 de la convention no 151.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 110. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver la recommandation suivante:
- Tout en estimant que les autorités étaient fondées à suspendre l'exercice du droit de grève dans le secteur judiciaire, le comité demande au gouvernement de veiller à l'avenir, en cas de conflit dans ce secteur, à ce que les procédures de règlement des conflits instituées inspirent la confiance des intéressés, conformément à l'article 8 de la convention no 151.