161. Dans une communication en date du 31 août 1995, la Confédération internationale des syndicats libres a formulé une plainte en violation de la liberté syndicale et des droits syndicaux contre le gouvernement du Bélarus. Elle a fourni des informations supplémentaires dans ses communications du 7 et du 11 septembre 1995. La Confédération mondiale du travail, le Syndicat libre du Bélarus et le Congrès des syndicats démocratiques du Bélarus ont appuyé la plainte dans leurs communications datées, respectivement, du 5 septembre, du 4 septembre et du 7 septembre 1995.
- 161. Dans une communication en date du 31 août 1995, la Confédération internationale des syndicats libres a formulé une plainte en violation de la liberté syndicale et des droits syndicaux contre le gouvernement du Bélarus. Elle a fourni des informations supplémentaires dans ses communications du 7 et du 11 septembre 1995. La Confédération mondiale du travail, le Syndicat libre du Bélarus et le Congrès des syndicats démocratiques du Bélarus ont appuyé la plainte dans leurs communications datées, respectivement, du 5 septembre, du 4 septembre et du 7 septembre 1995.
- 162. Le gouvernement a fait part des ses observations dans ses communications du 30 octobre, du 10 novembre et du 19 décembre 1995.
- 163. Le Bélarus a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des plaignants
A. Allégations des plaignants
- 164. Les organisations plaignantes allèguent que les conventions nos 87 et 98 ont été violées du fait des mesures prises par les autorités publiques à l'encontre de l'action de protestation conduite dans le métro de Minsk et dans le réseau de trolleybus de la ville de Gomyel entre le 16 et le 21 août 1995.
- 165. A l'appui de leur plainte, les organisations plaignantes font observer que l'article 41 de la Constitution du Bélarus garantit aux travailleurs le droit de s'organiser, de participer à des négociations collectives et de faire grève. L'article 13 de la loi relative aux procédures de règlement des différends du travail confère expressément aux travailleurs du métro le droit de grève. Toutefois, aux termes de l'article 16 de cette loi, les grèves sont interdites à certaines collectivités, par exemple dans les forces armées et, plus généralement, dans les entreprises où l'arrêt (ou l'interruption) du travail menacerait "la vie ou la santé des personnes". Le décret no 158 du Conseil des ministres du Bélarus daté du 28 mars 1985 contient une liste détaillée des entreprises et des branches d'activité où, selon lui, les grèves mettent en danger la vie et la santé des personnes. Cette liste comprend les services de transport et fait expressément mention du métro de Minsk. En conséquence, selon les plaignants, ce décret contredit l'article 13 de la loi relative aux procédures de règlement des différends du travail. Le décret énumère aussi, parmi d'autres, certaines entreprises ou organisations exerçant leur activité dans les chemins de fer, la radio et la télévision, les transports aériens, les télécommunications, l'industrie pétrolière, l'industrie chimique et l'industrie alimentaire, où la grève est par conséquent également illégale.
- La grève dans le métro de Minsk
- 166. La CISL et la CMT expliquent que la grève des travailleurs du métro de Minsk a commencé à 5 heures du matin le 17 août 1995 à la suite d'un vote auquel il avait été procédé lors d'une réunion du syndicat des travailleurs du métro. Les revendications portaient essentiellement sur les faits suivants: 1) le retard pris par l'employeur dans le versement des salaires, ce qui avait mis en grave difficulté les travailleurs et leurs familles; 2) les violations par l'employeur de l'accord en vigueur sur la convention collective; 3) les violations par l'employeur de la loi sur la négociation collective par suite des modifications apportées unilatéralement à certaines rémunérations et prestations prévues par la convention collective en vigueur.
- 167. Le 21 août, à 9 heures environ, 23 employés du métro parmi lesquels des conducteurs, des mécaniciens, des électriciens et d'autres travailleurs ont été placés en détention par la police spéciale du ministère de l'Intérieur (OMON). Cela s'est produit alors qu'ils s'acheminaient paisiblement de leur lieu de travail vers le siège du Syndicat libre du Bélarus et qu'ils n'arboraient ni pancartes ni bannières et n'entravaient en rien la circulation. Les forces de l'OMON, qui portaient des masques, ont tiré des coups de feu en l'air en guise d'avertissement en ordonnant aux travailleurs de s'allonger sur le sol avant de les emmener en détention. Les travailleurs ainsi appréhendés ont été conduits à la salle de sports d'une base militaire du voisinage.
- 168. Parmi les 23 salariés arrêtés, se trouvaient Vladimir Makarchuk, président du comité syndical des travailleurs du métro, pour le Syndicat libre du Bélarus (SFB), et Nikolai Konakh, président du comité syndical des travailleurs du métro, pour la Fédération syndicale du Bélarus (FPB). MM. Makarchuk et Konakh ont été détenus dans un secteur isolé du bâtiment. Après que treize heures se soient écoulées, c'est-à-dire à 23 heures environ, un fonctionnaire a invité chaque travailleur individuellement à signer un document attestant qu'il n'avait aucune plainte à formuler contre le traitement auquel il avait été soumis pendant la durée de sa détention, et ils ont été libérés sans avoir été inculpés. MM. Makarchuk et Konath ont néanmoins été maintenus en détention et ont été interrogés sans être assistés par un avocat.
- 169. En outre, M. S. Antonchik, membre fondateur du Syndicat libre du Bélarus et député élu au Soviet suprême, a été placé en détention le 21 août 1995 après avoir abordé le problème de la grève lors d'une réunion tenue à l'heure du déjeuner. M. Antonchik a été libéré sans avoir été inculpé au matin du 23 août.
- 170. Le 21 août également, M. G. Bykov, président du Syndicat libre du Bélarus, a été conduit de force par la police en un lieu inconnu aux fins d'interrogatoire. Il a alors demandé à être assisté par un avocat, mais cela lui a été refusé. Sa famille n'a pas pu entrer en contact avec lui. Le 23 août à 17 heures, MM. Bykov et Konakh ont comparu devant un juge. Tous deux ont été accusés d'avoir violé les prescriptions administratives qui régissent le déroulement des réunions, rassemblements et autres manifestations. M. Konakh a été accusé d'avoir conduit le groupe précité de travailleurs vers le siège du Syndicat libre du Bélarus (SFB), et M. Bykov, de s'être adressé aux travailleurs au siège de ce même syndicat. L'avocat mandaté pour représenter les deux détenus n'a pas été informé à l'avance de l'audience et n'a pas été autorisé à citer des témoins, alors qu'un officier de police a témoigné contre eux. Cet avocat a fait observer que les procès-verbaux exposant les chefs d'inculpation avaient été indûment modifiés par le représentant du ministère public. Tous deux ont été condamnés à dix jours d'emprisonnement dans un établissement pénitentiaire réservé aux petits délinquants (notamment aux alcooliques, aux voyous et aux coupables d'attentats aux bonnes moeurs) et ils n'ont été autorisés à recevoir ni la visite de leurs proches, ni des colis.
- 171. M. Makarchuk n'a pas pu obtenir l'assistance d'un avocat de son choix et a été convoqué à une audience fixée le 24 août à 11 heures sous l'accusation des mêmes violations du règlement administratif. Cette fois, aucun observateur n'a eu le droit d'assister à l'audience. M. Makarchuk n'a pas été autorisé à citer des témoins, bien que des officiers de police aient témoigné contre lui. Il a été condamné à 15 jours d'emprisonnement dans les mêmes conditions.
- 172. Selon les rapports de Minsk reçus par la CISL, les trois dirigeants emprisonnés n'ont eu droit pour toute pitance qu'à 400 grammes de pain noir et un verre d'eau par jour, et ils ont été privés de toute autre nourriture parce qu'ils refusaient de travailler durant leur détention. Leur refus aurait été motivé par le fait qu'ils se considéraient comme des prisonniers politiques.
- 173. Les 21 et 22 août, les bureaux du Syndicat libre du Bélarus ont été perquisitionnés, les téléphones coupés, des documents ont été saisis et les scellés ont été provisoirement apposés aux portes des bureaux. Le cachet officiel du syndicat a également été saisi. Selon les plaignants, l'autorisation de fouiller dans les documents qui traitent des activités syndicales a été accordée en violation de la législation du Bélarus. Par ailleurs, les bureaux du Congrès des syndicats démocratiques, organisation faîtière de laquelle relève notamment le Syndicat libre du Bélarus, ont été perquisitionnés et les scellés ont été apposés sur certains documents.
- 174. Une audience s'est tenue le 22 août à 10 heures en présence d'un juge appelé à se prononcer sur l'illégalité de la grève. L'avocat du Syndicat libre du Bélarus n'a été prévenu de l'audience que trente minutes à l'avance; il n'a pas été autorisé à préparer de documents écrits ni à citer de témoins au nom du syndicat. Un officier de police a déclaré au cours de son témoignage que les travailleurs s'étaient, le 22 août, rendus en cortège du dépôt du métro au siège du Syndicat libre du Bélarus, en occupant le trottoir sans entraver la circulation et sans arborer de pancartes ni de banderoles. Le juge a déclaré la grève illégale.
- 175. Dans le même temps, le Procureur général a autorisé l'ouverture d'une enquête judiciaire sous le chef d'accusation d'avoir perturbé le travail des transports publics. Cette accusation entraîne une peine de trois ans d'emprisonnement au maximum. De plus, le Syndicat libre du Bélarus de même que le Congrès des syndicats démocratiques du Bélarus ont été menacés d'amendes d'un montant total de 174 000 dollars des Etats-Unis environ pour avoir participé à la grève.
- 176. Outre les mesures prises contre les membres du syndicat et ses dirigeants, le 21 août 1995, des mécaniciens des navettes ferroviaires du Bélarus ainsi que des agents de formation à la conduite des métros d'Ukraine et de Moscou ont été appelés en renfort pour venir conduire les rames de métro de Minsk moyennant un salaire largement supérieur au taux habituel. Un officier de police a été placé dans la cabine de pilotage aux côtés de chaque conducteur pour surveiller son travail. Il a été demandé aux travailleurs du métro de signer un document dans lequel ils déclaraient ne plus soutenir le mouvement de grève, faute de quoi ils seraient licenciés. La grève a effectivement pris fin au matin du 22 août.
- 177. Selon la CISL, le nombre de travailleurs du métro licenciés pour avoir participé au mouvement de grève s'élève aujourd'hui à 58. Lors d'une réunion à laquelle participaient 34 travailleurs du métro, le maire de Minsk aurait déclaré que le Président de la République, M. L. Lukashenko, aurait promulgué un décret disposant que les travailleurs licenciés pouvaient trouver un emploi pour deux mois dans une ferme collective et devaient bénéficier d'un avis favorable avant que leur candidature puisse être retenue pour un emploi ailleurs.
- La grève des trolleybus à Gomyel
- 178. Une grève des conducteurs de trolleybus à Gomyel a commencé le mercredi 16 août 1995. Quelque 500 d'entre eux se sont présentés sur le lieu de travail, mais ils ont refusé de conduire les bus. Cette action s'expliquait par un retard d'un mois dans le versement des salaires. Les conducteurs de Gomyel revendiquaient une augmentation de salaire en plus du remboursement dû. Le salaire moyen d'un conducteur était de 750 000 roubles du Bélarus (65 dollars des Etats-Unis) et le salaire revendiqué, de 1,5 million de roubles. Les organes de communication qui se trouvent pour la plupart sous le contrôle de l'Etat ont toutefois prétendu que les conducteurs percevaient alors 1,5 million de roubles et qu'ils en réclamaient 3; ils ont ainsi manifestement tenté de dresser l'opinion publique contre les grévistes. Les conducteurs n'en sont pas moins parvenus à mobiliser l'opinion en leur faveur en attirant l'attention sur de très fortes hausses des tarifs préjudiciables aux usagers, ainsi que sur le nombre insuffisant de voitures en circulation et sur leur mauvais entretien, ce qui se traduit par des surcharges à bord qui exposent les passagers à de graves risques d'accident.
- 179. La grève s'est poursuivie pendant six jours, jusqu'au lundi 21 août. La direction a alors remboursé les salaires dus et accordé au personnel une augmentation de 30 pour cent. Les conducteurs ont ensuite repris le travail estimant qu'une interruption plus longue incommoderait sérieusement les usagers.
- 180. Les organisations plaignantes allèguent que six conducteurs ont été licenciés pendant la grève. Après qu'elle ait pris fin, d'autres ont été renvoyés, ce qui porte le nombre de travailleurs licenciés à 23. En vertu de la convention collective applicable à ces travailleurs, les licenciements doivent être approuvés par la commission syndicale (Profkom). Les demandes de licenciement en question ont été adressées à la Profkom relevant de la Fédération syndicale du Bélarus, laquelle s'était opposée à la grève. La Profkom ayant donné son consentement, les salariés ont été licenciés. D'autres licenciements sont à craindre, car, selon la CISL, la direction aurait préparé une liste de 142 travailleurs qui pourraient encore être licenciés à cause de la grève.
- 181. Le Procureur a ouvert une enquête visant les membres de la Commission de négociation de la convention collective, bien qu'ils n'aient pas été les instigateurs de la grève. Ils seraient accusés d'avoir perturbé les transports publics et seraient passibles d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à trois ans. Le Procureur menace également d'une amende de l'ordre de 130 000 dollars des Etats-Unis le Syndicat libre du Bélarus et certaines personnes.
- 182. Outre les mesures précitées, qui ont été prises à l'occasion des grèves de Minsk et de Gomyel, un décret no 336 du Président de la République du Bélarus, intitulé "Des mesures propres à assurer la stabilité, le respect de la loi et le maintien de l'ordre public dans la République du Bélarus", a été promulgué le 21 août 1995, date à laquelle il a pris effet. Ce décret a la teneur suivante:
- En vue d'assurer la stabilité politique et économique, de supprimer les contradictions entre la législation et la Constitution du Bélarus, de renforcer la discipline et l'ordre public, de prévenir les grèves illicites et, conformément au paragraphe 1 de l'article 100 de la Constitution du Bélarus, j'ordonne:
- 1) la suspension des activités du Syndicat libre du Bélarus et de l'organisation locale du métro de Minsk, affiliée au Syndicat des cheminots et des travailleurs de la construction dans les transports de la République du Bélarus, jusqu'à ce que les changements pertinents aient été apportés par la loi sur les syndicats de la République du Bélarus;
- 2) au ministère public de requérir en justice l'interdiction des activités du Syndicat libre du Bélarus et de l'Organisation locale du métro de Minsk, affiliée au Syndicat des cheminots et des travailleurs de la construction dans les transports de la République du Bélarus;
- 3) qu'il soit mis fin, par voie de procédure légale, aux activités des partis politiques, d'associations publiques et autres syndicats ayant pris part aux grèves organisées dans les entreprises figurant sur la liste contenue dans le décret no 158 établie par le Conseil des ministres de la République du Bélarus le 28 mars 1995;
- 4) de suspendre, jusqu'à ce que les modifications et changements appropriés aient été apportés, l'application:
- des parties 3 et 5 de l'article 37 de la loi sur le statut de député au Soviet suprême de la République du Bélarus;
- des parties 1 et 3 de l'article 37 de la loi sur le statut de député au Soviet local de la République du Bélarus;
- de la partie 2 de l'article 110 de la loi sur le Soviet suprême de la République du Bélarus (concernant l'immunité parlementaire des députés au Soviet suprême pour une période de deux ans après expiration du mandat);
- 5) au ministère de la Justice et au ministère public de prendre des mesures en vue d'améliorer le contrôle de l'application de la législation du Bélarus par les partis politiques, associations publiques et syndicats;
- 6) au Conseil des ministres de la République du Bélarus, conjointement avec la Fédération syndicale du Bélarus, d'élaborer et de présenter dans un délai d'un mois au Président de la République du Bélarus les projets de loi nécessaires sur les changements et adjonctions qu'il faudrait apporter aux lois en vigueur dans la République du Bélarus;
- 7) que le présent décret prenne effet le jour de sa signature. Le Président de la République du Bélarus (Signé) A. Lukashenko, 21 août 1995.
- 183. De l'avis des plaignants, ce décret enfreint à la fois les principes de la liberté syndicale, les lois pertinentes et la Constitution du Bélarus. Toutefois, comme le souligne la CISL, le Procureur général persiste à donner à des décrets présidentiels, tels que celui qui précède, préséance sur la Constitution et les lois en vigueur.
- 184. Des dirigeants d'entreprise ont, sur ordre du Président, fermé les bureaux de trois grandes antennes de la Profkom du Syndicat libre du Bélarus ainsi que le bureau du métro de Minsk de ce même syndicat. Ces derniers sont installés dans la fabrique de moteurs de Minsk, dans l'usine de construction d'automobiles de Mogilyov et dans la Centrale électrique de Novo-Lukoml. De plus, le compte bancaire du Syndicat libre du Bélarus à Minsk a été gelé et les services de comptabilité des entreprises ont commencé à refuser de déduire les cotisations syndicales des feuilles de paie. Pour ainsi dire, aucune cotisation due au Syndicat libre du Bélarus ne peut désormais être perçue par prélèvement sur les salaires.
- 185. Au début du mois de septembre, le Syndicat libre du Bélarus a fait appel de ce décret devant la Cour constitutionnelle. Les membres du Soviet suprême, dont l'immunité constitutionnelle était révoquée par ce décret, ont eux aussi introduit un appel.
- 186. Enfin, la CISL indique que, quelques semaines après la grève, le 6 septembre 1995, le président du Syndicat libre du Bélarus, M. G. Bykov, ainsi que d'autres membres de ce syndicat, ont tenté de se rendre à Varsovie pour une conférence de presse à laquelle l'organisation polonaise Solidarnosc NSZZ, affiliée à la CISL, devait également participer. Deux voitures les ont suivis de Minsk à Brest. Arrivés à la frontière, une personne inconnue est sortie d'une des voitures pour s'approcher de M. Bykov et, après lui avoir demandé son nom, lui a dit que s'il tentait de passer la frontière "ils pourraient vous arrêter pour trois jours". Les membres du Syndicat libre du Bélarus se sont alors déplacés de 40 kilomètres pour arriver à un poste de frontière, mais ils étaient toujours suivis par les deux mêmes voitures. Ils n'ont alors plus tenté de quitter le Bélarus et ont pris part à la conférence de presse par téléphone.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 187. Dans sa réponse, le gouvernement réaffirme son attachement à la démocratisation dans tous les secteurs de la vie et son engagement à respecter les droits légitimes et les intérêts des différentes catégories de la population. Depuis que le Bélarus a accédé à l'indépendance et à la souveraineté, le pays a acquis une certaine expérience en matière de solidarité et de coopération entre les autorités publiques et les organisations syndicales, qui reposent sur un partenariat social dans le respect de la législation nationale et des normes internationales du travail reconnues. Depuis l'indépendance, un processus d'élaboration d'une nouvelle base législative est en cours et l'on s'efforce de mettre en place les mécanismes du partenariat social.
- 188. Le gouvernement fait observer que les employeurs et les syndicats concluent chaque année un accord général qui définit le cadre des relations paritaires, et notamment les procédures de règlement des conflits du travail. De l'avis du gouvernement, cela a contribué à prévenir les graves conflits sociaux au cours des dernières années, et cela a permis de résoudre tous les problèmes par voie d'accords négociés.
- 189. Malheureusement, en cette période de transition caractérisée par une crise économique et des tensions sociales toujours plus aiguës, certains syndicats et leurs dirigeants agissent (toujours selon le gouvernement, qui ne fournit cependant sur ce point aucune autre précision) sans tenir compte de la législation nationale. Les actions et les grèves menées dans des secteurs clés de l'économie, notamment dans les entreprises de transports, entravent l'application des mesures adoptées par le gouvernement pour résoudre la crise et stabiliser la situation dans le pays.
- Les grèves à Minsk et à Gomyel
- 190. Sans contester les faits exposés par l'organisation plaignante, le gouvernement a souligné néanmoins, dans sa communication du 30 octobre 1995, que différents tribunaux ont été saisis par les travailleurs licenciés d'une demande de réintégration. Dans sa communication du 19 décembre 1995, il précise que trois travailleurs ont été rétablis dans leurs fonctions par décision judiciaire, alors que, dans 25 autres cas, les travailleurs ont vu leur demande de réintégration rejetée pour avoir été reconnus coupables d'avoir enfreint la législation en vigueur, et notamment la loi relative aux procédures de règlement des différends du travail.
- 191. Le 23 octobre 1995, la Cour suprême a confirmé les décisions rendues par le tribunal municipal de Minsk et les tribunaux régionaux de Gomyel qui avaient déclaré illégales les grèves de Minsk et de Gomyel. Comme l'explique le gouvernement, sans pour autant fournir aucune précision, les syndicats ont violé les procédures établies par la loi pour la présentation des revendications aux employeurs et le déclenchement des grèves. En outre, le Procureur de la République a ouvert une enquête sur la légalité des mesures prises par les organes chargés de faire respecter la loi.
- 192. Dans sa réponse du 30 octobre 1995, le gouvernement a fait observer que ce décret ne visait en aucune manière à restreindre les droits des travailleurs. La nécessité de prendre sans tarder des mesures administratives ressortissait à la désorganisation de la production et à l'apparition de répercussions négatives dangereuses pour les grandes villes et pour la santé de la population. A sa communication du 19 décembre 1995, il a joint copie d'une sentence de la Cour constitutionnelle rendue le 8 novembre 1995, dans laquelle il est constaté que le premier paragraphe du décret no 336 n'est conforme ni à la Constitution, ni aux lois de la République du Bélarus, ni même aux instruments de droit international qu'elle a ratifiés, et que les paragraphes 2, 3 et 4 du décret ne sont pas conformes à la Constitution ni à la législation de la République du Bélarus. En conséquence, les paragraphes 1, 2, 3 et 4 du décret ne devaient pas avoir force de loi depuis leur publication. En ce qui concerne les paragraphes 1, 2 et 3 du décret, qui sont particulièrement pertinents au regard de la présente plainte, la Cour a fait valoir les motifs ci-après.
- 193. En ce qui concerne le premier paragraphe du décret, la Cour déclare qu'au sens de l'article 4 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, les organisations de travailleurs et d'employeurs ne sont pas sujettes à dissolution ou à suspension par voie administrative. De plus, aux termes de l'article 5 de la loi sur les syndicats du Bélarus, il ne peut être mis fin aux activités d'un syndicat que par décision de ses membres, selon les modalités prévues par ses statuts. Au cas où les activités des syndicats ou de leurs associations violeraient la Constitution et la législation de la République du Bélarus, l'interdiction des syndicats ne peut être prononcée que par décision d'un tribunal de la République du Bélarus faisant suite à une déclaration du Procureur général de la République du Bélarus. La Cour ajoute que les activités d'un syndicat ne peuvent être interdites par aucune décision d'un autre organe. En outre, la législation en vigueur ne prévoit pas l'interdiction des activités d'une organisation syndicale de base. Un tel syndicat est créé ou dissous conformément à ses statuts.
- 194. La Cour constitutionnelle constate également que la législation qui régit les activités des syndicats ne contient aucune disposition relative au concept de "suspension d'activité". Comme l'a indiqué la Cour, la suspension des activités du Syndicat libre du Bélarus et de l'organisation syndicale de base du métro de métro de Minsk signifiait qu'ils devaient interrompre temporairement leurs activités, ce qui implique qu'ils n'étaient plus en mesure d'assumer leurs fonctions.
- 195. Examinant le paragraphe 2 du décret, la Cour constitutionnelle constate qu'il n'est pas conforme à la Constitution du Bélarus et à la loi relative "au ministère public de la République du Bélarus". Aux termes de l'article 35 de la Constitution du Bélarus, le Procureur général et les représentants du ministère public qui lui sont subordonnés sont indépendants dans l'exercice de leur autorité et ne doivent obéir qu'à la loi. Selon l'article 1 de la loi relative au ministère public, ce ministère, qui relève du Conseil suprême, est un organe indépendant qui surveille au nom de l'Etat l'application de la législation.
- 196. La Cour conclut également que le paragraphe 3 du décret n'est pas conforme à la Constitution ni à la législation de la République du Bélarus. Elle déclare que les procédures et motifs qui peuvent être invoqués pour mettre fin aux activités des partis politiques, des autres associations publiques et des syndicats sont définis par la législation de la République du Bélarus. Ainsi, conformément à l'article 22 de la loi sur les "partis politiques" et de l'article 21 de la loi sur les "associations publiques", les partis politiques et les associations publiques peuvent être dissous par décision de leur organe exécutif ou par décision judiciaire. Aux termes de l'article 35 de la loi sur les "partis politiques" et de l'article 29 de la loi sur les "associations publiques", les partis politiques et associations publiques peuvent être dissous par les tribunaux dans les cas ci-après: s'ils s'adonnent à des activités visant à changer l'ordre constitutionnel par la violence; s'ils violent l'intégrité et la sécurité de l'Etat; s'ils se lancent dans une propagande en vue d'inciter à la guerre ou à la violence; s'ils entretiennent la haine nationale, religieuse ou raciale; si, pendant une année, ils se livrent à nouveau à des actes pour lesquels ils ont reçu un avertissement écrit; enfin, si, lors de l'homologation d'un parti politique ou d'une association publique, leurs fondateurs reconnaissent qu'ils enfreignent la loi. La législation en vigueur ne proscrit cependant pas les activités de syndicats, de partis politiques ou d'autres associations publiques au motif qu'ils ont pris part à des grèves.
- 197. En outre, la loi relative au règlement des différends du travail prévoit uniquement la responsabilité matérielle du syndicat en cas de grève illicite. En vertu de l'article 35 de cette même loi, l'indemnisation du dommage causé à l'employeur par suite d'une grève illégale est déterminée par voie de poursuites engagées par l'employeur ou par le représentant du ministère public, et son montant fixé par les tribunaux et prélevé sur les fonds du syndicat. Le syndicat peut aussi être astreint à payer la même somme sous la forme d'une amende infligée par les tribunaux pour avoir pris part à une grève réputée illégale. Au vu de ce qui précède, la Cour a conclu que le décret, contraire aux prescriptions légales, établissait de nouveaux motifs pour mettre fin aux activités des syndicats.
- 198. La Cour a également abordé le problème de l'entrée en vigueur du décret avec effet immédiat, ainsi qu'en dispose son article 7. Elle a relevé que le décret avait d'abord été publié dans le Bulletin officiel du 1er septembre 1995. La Cour a en outre observé que le décret a cependant été appliqué durant la période comprise entre le jour de sa signature et de sa publication. La Cour a constaté que le décret no 336, qui se rapporte aux droits, aux libertés et aux devoirs du citoyen, n'aurait dû être applicable qu'après sa publication ou après que notification générale en ait été faite par toute autre voie prévue par la loi.
- 199. En guise de conclusion, la Cour a expressément déclaré que le Pésident devrait prendre des mesures propres à sauvegarder la souveraineté, la sécurité et l'intégrité territoriale de la République du Bélarus, à garantir sa stabilité politique et économique et le respect des droits et des libertés des citoyens dans les limites toutefois de l'autorité que lui confèrent la Constitution et la législation de la République du Bélarus.
- 200. La Cour a également ordonné que les instruments normatifs édictés en application du décret no 336 soient mis en conformité avec son prononcé. Dans sa communication du 19 décembre 1995, le gouvernement déclare qu'en application de la présente décision de la Cour le compte bancaire du Syndicat libre du Bélarus a été rouvert et que le syndicat a repris ses activités.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 201. Le comité note avec une profonde inquiétude que les allégations formulées dans ce cas se réfèrent à de graves restrictions au droit de grève exercé par les travailleurs pour défendre leurs intérêts professionnels, à la suspension de syndicats ainsi qu'à de regrettables exemples de discrimination antisyndicale, à des arrestations de syndicalistes et à des cas graves d'ingérence dans le fonctionnement des organisations syndicales à l'occasion des grèves organisées à Minsk et à Gomyel en août 1995. Il constate avec regret que les réponses du gouvernement, qui ne contestent d'ailleurs pas les faits relatés par les plaignants, ne contiennent pas d'informations précises et détaillées sur bon nombre d'allégations formulées par les plaignants.
- 202. Le comité tient tout d'abord à souligner, comme il l'a déjà fait à plusieurs occasions (voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 47), que les droits des organisations de travailleurs et d'employeurs ne peuvent s'exercer que dans un climat exempt de violence, de pressions ou menaces de toutes sortes à l'encontre des dirigeants et des membres de ces organisations et qu'il appartient aux gouvernements de garantir le respect de ce principe. En outre, un mouvement syndical réellement libre et indépendant ne peut se développer dans un climat de violence et d'incertitude. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 48.)
- 203. Le comité rappelle par ailleurs que le droit de grève est un des moyens essentiels dont disposent les travailleurs et leurs organisations pour promouvoir et pour défendre leurs intérêts économiques et sociaux. (Voir Recueil, loc. cit., paragr. 457.) Le comité a cependant admis que le droit de grève peut faire l'objet de restrictions, voire d'interdictions, dans les services essentiels dans la mesure où les grèves peuvent y provoquer de graves préjudices pour la collectivité nationale, pourvu que ces limitations soient accompagnées de certaines garanties compensatoires. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 533.) Ainsi, de l'avis du comité, la grève peut être restreinte, voire même interdite, dans les services essentiels au sens strict du terme, c'est-à-dire les services dont l'interruption mettrait en danger, dans l'ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 536.) Le comité a néanmoins toujours estimé que les transports n'entrent pas de manière générale dans la catégorie des services essentiels. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 545.)
- 204. Le comité note avec préoccupation que l'effet combiné de l'article 16 de la loi relative au règlement des différends du travail et du décret no 158 pris par le Conseil des ministres en date du 28 mars 1995 revient à rendre illicites les grèves dans le secteur des transports, violant par là même les principes de la liberté syndicale: l'article 16 interdit les grèves, notamment dans les entreprises où l'arrêt (ou l'interruption) du travail menacerait "la vie et la santé des personnes". En vertu du décret no 158, les entreprises de transport, et en particulier le métro de Minsk, entrent dans cette catégorie d'entreprises. En outre, de nombreuses autres industries et services sont couverts qui, de l'avis du comité, ne sont pas essentiels, comme par exemple la radio et la télévision ou l'industrie pétrolière. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 545.)
- 205. En outre, le comité note que les dispositions applicables aux grèves dans le secteur des transports peuvent également sembler contradictoires, ce qui crée une certaine confusion juridique: comme cela est indiqué plus haut, l'article 16 de la loi relative au règlement des différends du travail combiné avec le décret no 158 rendent illégales les grèves dans le secteur des transports. Toutefois, aux termes de l'article 13 de la même loi, les grèves dans les transports publics urbains sont licites, pour autant que certaines conditions soient remplies.
- 206. En conséquence, le comité constate que les dispositions actuelles applicables à la grève sont à la fois indûment restrictives et par nature contradictoires. Dans ces conditions, le comité demande au gouvernement de modifier sa législation de telle manière que les travailleurs des transports bénéficient expressément du droit de grève. Il demande au gouvernement d'abroger les dispositions du décret no 158 adopté le 28 mars 1995 par le Conseil des ministres, qui s'appliquent à des organisations et à des entreprises qui ne fournissent pas des services essentiels au sens défini par le comité. Il rappelle au gouvernement qu'à cet égard l'assistance technique du BIT est à sa disposition.
- 207. Dans ce contexte, le comité constate avec satisfaction que la Cour constitutionnelle a déclaré le paragraphe 3 du décret no 336 contraire à la Constitution. Ce paragraphe prévoit que les syndicats ayant pris part aux grèves dans les entreprises énumérées dans le décret no 158 sont dissous, exposant ainsi ces syndicats à une sanction extrêmement sévère qui menace leur existence même. A ce propos, le comité tient à rappeler qu'imposer des sanctions à des syndicats parce qu'ils ont mené une grève légitime constitue une grave violation des principes de la liberté syndicale.
- 208. Le comité déplore en outre que, pendant et après les grèves de Minsk et de Gomyel, plusieurs mesures aient été prises par les autorités publiques à l'encontre des syndicats ayant participé à la grève, de leurs membres et de leurs dirigeants, en violation des principes de la liberté syndicale. Les autorités publiques ont en particulier a) suspendu les activités du Syndicat libre du Bélarus et d'une organisation locale, b) arrêté et maintenu en détention des membres et des dirigeants du syndicat, c) emprisonné pour une courte durée les dirigeants syndicaux MM. Bykov, Konakh et Makarchuk en violation de la procédure judiciaire régulière, d) violé les locaux et les biens du syndicat, e) entamé une action visant à briser la grève, f) licencié des membres du syndicat parce qu'ils avaient pris part à la grève, g) menacé d'ouvrir de nouvelles enquêtes judiciaires pouvant entraîner de lourdes amendes et peines d'emprisonnement, et h) empêché un dirigeant syndical de participer à des activités syndicales à l'étranger.
- a) Suspension, par voie de décret, des activités du Syndicat libre du Bélarus et d'une organisation locale du métro de Minsk
- 209. Le comité déplore que l'article 1 du décret no 336, qui est entré en vigueur le 21 août alors que la grève n'était pas encore terminée, ait suspendu, avec effet immédiat, les activités du Syndicat libre du Bélarus et d'une organisation locale du métro de Minsk. Il prend note avec satisfaction de la décision du 8 octobre de la Cour constitutionnelle proclamant ce paragraphe et d'autres contraires à la Constitution. Le comité observe néanmoins que des mesures visant à donner effet au décret no 336 ont été prises avant la décision de la Cour et que les informations disponibles ne font pas apparaître que toutes ces mesures ont été livrées par la suite. Dans ces conditions, comme l'a fait la Cour constitutionnelle du Bélarus, le comité rappelle que la suspension par voie administrative des organisations syndicales constitue une grave violation des principes de la liberté syndicale et enfreint les dispositions de l'article 4 de la convention no 87. De même, la dissolution prononcée par le pouvoir exécutif dans l'exercice de fonctions législatives, comme cela s'est produit dans ce cas, ne permet pas d'assurer les garanties que le comité considère comme essentielles. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 675.) Il partage à cet égard l'avis exprimé par la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, selon lequel:
- La dissolution ou suspension ainsi que toutes les mesures ayant des effets équivalents présentent de graves risques d'ingérence des autorités dans l'existence même des organisations et, par conséquent, devraient être entourées de toutes les garanties voulues, notamment par voie judiciaire, pour éviter les risques d'arbitraire. Il est préférable que la législation ne permette pas la dissolution ou la suspension des organisations de travailleurs et d'employeurs par voie administrative mais, si elle en admet la possibilité, l'organisation visée par de telles mesures doit pouvoir recourir devant un organe judiciaire indépendant et impartial qui a compétence pour examiner le cas quant au fond, étudier les motifs ayant fondé la mesure administrative et le cas échéant annuler cette dernière; de plus, la décision administrative ne devrait pas pouvoir prendre effet avant qu'une décision finale soit rendue. (Etude d'ensemble sur la liberté syndicale et la négociation collective, 1994, paragr. 185.)
- 210. Le comité relève également avec satisfaction que l'article 2 dudit décret, qui fait obligation au ministère public d'engager une procédure pour dissoudre les syndicats cités, a été déclaré contraire à la Constitution par la Cour constitutionnelle. Néanmoins, le comité doit exprimer sa préoccupation quant au fait qu'il ne dispose pas d'informations sur les suites pratiques qui ont été données à l'arrêt de la Cour constitutionnelle. Le comité demande donc instamment au gouvernement d'appliquer entièrement l'arrêt de la Cour et de le tenir informé des mesures prises en ce sens.
- b) Arrestation et détention de dirigeants et de membres du syndicat
- 211. Le comité déplore profondément que le 20 août, au cours de la grève organisée à Minsk, 23 syndicalistes aient été arrêtés par les forces de la police spéciale alors qu'ils s'acheminaient paisiblement et sans perturber la circulation vers le siège du Syndicat libre du Bélarus et qu'ils aient ensuite été maintenus en détention pendant treize heures environ. Le 21 août également, M. Antonchik a été placé en détention et a été libéré le 23 août. Le comité tient à réaffirmer le principe général selon lequel nul ne devrait faire l'objet de sanctions pour avoir déclenché ou tenté de déclencher une grève légitime. (Voir 295e rapport, cas no 1755, paragr. 343.) Plus précisément, l'emploi de la police devrait en pareil cas se limiter au maintien de l'ordre public et ne pas porter atteinte à l'exercice légitime du droit de grève. (Voir Recueil, loc. cit., paragr. 581.) Dans le présent cas, le recours aux forces de police a manifestement outrepassé cette limite, étant donné que l'ordre public n'avait pas été troublé lorsque les forces de l'ordre sont intervenues. L'arrestation et la détention des vingt-trois syndicalistes sont par conséquent contraires aux principes de la liberté syndicale. Le comité demande donc au gouvernement de s'abstenir à l'avenir de recourir à la police, dans le cadre d'une grève légitime, pour des raisons autres que le maintien de l'ordre public.
- c) Emprisonnement pour une courte durée des dirigeants syndicaux MM. Bykov, Macharchuk et Konahk
- 212. Le comité regrette également que MM. Bykov, Macharchuk et Konahk aient été condamnés à une peine d'emprisonnement de courte durée pour avoir exercé leur droit de grève, sur la base des dispositions administratives régissant les réunions, les rassemblements et les manifestations qu'on leur ait refusé des garanties judiciaires régulières, et qu'ils aient été soumis à des conditions pénibles de détention, M. Bykov et M. Macharchuk n'ayant, semble-t-il, pas toujours été représentés par un avocat de leur choix et leurs défenseurs respectifs n'ayant pas toujours disposé du temps et des facilités nécessaires pour bien organiser leur défense.
- 213. Le comité tient à souligner que l'emprisonnement de dirigeants syndicaux pour des activités liées à l'exercice de leurs droits syndicaux - comme par exemple le droit de grève - est contraire aux principes de la liberté syndicale. (Voir Recueil, loc. cit., paragr. 69.) Il rappelle également que les syndicalistes placés en détention doivent, comme toute autre personne, avoir le droit à une procédure judiciaire régulière et pouvoir disposer du temps et des facilités nécessaires pour préparer leur défense et communiquer librement avec le conseil de leur choix. En conséquence, le comité prie instamment le gouvernement de s'abstenir à l'avenir d'emprisonner des syndicalistes pour avoir organisé une grève ou y avoir participé et de garantir à tout syndicaliste poursuivi une procédure judiciaire régulière.
- d) Violation des biens et des locaux du syndicat
- 214. Le comité regrette que, dans le cadre de la grève organisée à Minsk, les bureaux du Syndicat libre du Bélarus et du Congrès des syndicats démocratiques aient fait l'objet de perquisitions, que les téléphones aient été coupés et que des documents et d'autres biens aient été saisis. Le comité rappelle qu'en dehors des perquisitions effectuées sur mandat judiciaire l'intrusion de la force publique dans les locaux syndicaux et la confiscation de biens syndicaux constituent des ingérences graves et injustifiables dans les activités syndicales. (Voir 284e rapport, cas no 1642, paragr. 987.) Le comité souligne que le droit à une protection adéquate des biens des syndicats constitue l'une des libertés civiles essentielles à l'exercice normal des droits syndicaux. (Voir Recueil, loc. cit., paragr. 178.)
- 215. Le comité regrette également que les scellés aient été apposés aux bureaux du Syndicat libre du Bélarus et du Congrès des syndicats démocratiques, que la direction, en application du décret présidentiel no 336, ait fermé des bureaux syndicaux locaux et cessé de prélever à la source les cotisations syndicales, et que certains comptes bancaires du Syndicat libre du Bélarus aient été gelés, en violation des droits de propriété des syndicats. Le comité estime que la fermeture des bureaux syndicaux par suite d'une grève légitime constitue une violation des principes de la liberté syndicale et, si elle émane de la direction, une ingérence de l'employeur dans le fonctionnement d'une organisation de travailleurs, contraire à l'article 2 de la convention no 98.
- 216. Le comité note que, selon le gouvernement, le Syndicat libre du Bélarus a repris ses activités et que ses comptes bancaires ont été rouverts. Dans ces conditions, le comité exprime le ferme espoir que le gouvernement a déjà pris toutes les mesures nécessaires pour lui restituer tout bien qui aurait été saisi dans le bureau lors de la perquisition et qu'il a rouvert les lignes téléphoniques. Il espère également que tous les bureaux des syndicats locaux qui avaient été fermés ont été rouverts et que le Syndicat libre du Bélarus dispose à nouveau de la possibilité de bénéficier du décompte syndical à la source, indépendamment de la réouverture de son compte bancaire. Le comité demande instamment au gouvernement de s'abstenir à l'avenir de se livrer à de tels actes.
- e) Activités visant à briser la grève
- 217. Le comité regrette que, le 21 août, des conducteurs aient été appelés en remplacement pour conduire les rames de métro de Minsk et que les forces de police aient été mobilisées pour veiller à ce qu'ils s'acquittent bien de leur tâche. Le comité souhaite souligner à cet égard que l'embauche de travailleurs pour briser une grève dans un service qui ne saurait être considéré comme un service essentiel au sens strict du terme où la grève pourrait être interdite constitue une violation grave de la liberté syndicale. (Voir 241e rapport, cas no 1282, paragr. 419.) Le comité demande donc au gouvernement de s'abstenir à l'avenir de faire appel à des travailleurs de remplacement pour briser une grève.
- f) Syndicalistes licenciés pour avoir participé à la grève
- 218. Le comité regrette profondément que, tant à Minsk qu'à Gomyel, des syndicalistes qui ont participé à la grève aient été licenciés. Le nombre de travailleurs licenciés s'élève aujourd'hui à 81. Tout en notant que trois travailleurs ayant participé à la grève de Minsk ont été rétablis dans leurs fonctions par décision de justice, le comité regrette que la réintégration dans leur poste de travail ait été refusée à beaucoup d'autres. Le comité souligne que le fait de licencier des travailleurs parce qu'ils ont participé à une grève légitime constitue un acte de discrimination antisyndicale dans l'emploi, et il demande au gouvernement de prendre sans délai les mesures nécessaires pour faire en sorte que tous les travailleurs licenciés pour avoir participé aux grèves de Minsk et de Gomyel en août 1995 soient réintégrés dans leur poste de travail.
- 219. Le comité regrette en outre que de nouvelles enquêtes judiciaires aient été ouvertes qui risquent de déboucher sur l'imposition de lourdes amendes ou de peines d'emprisonnement. De même que la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, le comité estime que l'application de très lourdes sanctions pour faits de grève n'est pas propre à favoriser le développement de relations professionnelles harmonieuses et stables. (Voir Etude d'ensemble, loc. cit., paragr. 177.) Considérant que les grèves à Minsk et à Gomyel étaient conformes aux principes de la liberté syndicale, le comité demande au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que toutes les procédures judiciaires intentées contre les syndicats et les syndicalistes qui ont participé aux grèves de Minsk et de Gomyel en août 1995 ne soient pas poursuivies.
- h) Participation aux activités syndicales à l'étranger
- 220. Le comité regrette enfin que M. Bykov, président du Syndicat libre du Bélarus, ait été empêché le 6 septembre 1995 de franchir la frontière de la Pologne en vue de participer à une manifestation organisée par NSZZ Solidarnosc. Le comité estime que les syndicalistes, comme toute autre personne, devraient jouir de la liberté de mouvement. Ils devraient en particulier avoir le droit, dans le respect de la législation nationale qui ne doit pas être contraire aux principes de la liberté syndicale, de participer à des activités syndicales organisées à l'étranger. Le comité demande donc au gouvernement de faire en sorte que les syndicalistes puissent à l'avenir quitter le pays en vue de participer à des activités syndicales à l'étranger.
- 221. Le comité se félicite que le Procureur de la République conduise une enquête au sujet de la légalité des mesures prises par les organes chargés de faire appliquer la loi. Cependant, compte tenu du fait que les questions soulevées dans ce cas sont d'une ampleur beaucoup plus large que le mandat ainsi assigné au Procureur de la République, le comité demande au gouvernement de constituer immédiatement une commission d'enquête indépendante dont la composition devra être acceptable à toutes les parties intéressées, en vue d'élucider l'ensemble des faits allégués dans cette affaire. Il demande également au gouvernement de le tenir informé des conclusions qui seront tirées par le Procureur de la République et par toute commission d'enquête constituée conformément aux recommandations du comité.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 222. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité demande au gouvernement de modifier sa législation de telle manière que les travailleurs des transports bénéficient expressément du droit de grève. Il demande au gouvernement d'abroger les dispositions du décret no 158 du Conseil des ministres du 28 mars 1995 afin qu'il ne s'étende pas à des organisations et entreprises qui ne dispensent pas des services essentiels au sens défini par le comité. Il rappelle au gouvernement que l'assistance technique du BIT est à cet égard à sa disposition, et il attire l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations sur l'aspect législatif du cas.
- b) Le comité demande au gouvernement de s'abstenir à l'avenir de recourir aux forces de police dans le cadre d'une grève légitime pour des raisons autres que le maintien de l'ordre public.
- c) Le comité demande instamment au gouvernement de s'abstenir à l'avenir d'emprisonner des syndicalistes parce qu'ils ont organisé une grève ou y ont participé et de garantir à tout syndicaliste une procédure judiciaire régulière lorsque des poursuites sont engagées contre lui.
- d) Le comité exprime sa préoccupation quant au fait qu'il ne dispose pas d'informations sur les suites pratiques qui ont été données à l'arrêt de la Cour constitutionnelle déclarant inconstitutionnels certains articles du décret no 336. Il demande donc instamment au gouvernement d'appliquer entièrement l'arrêt de la Cour et de le tenir informé des mesures prises à cet égard.
- e) Le comité exprime le ferme espoir que le gouvernement ait déjà pris toutes les mesures nécessaires pour restituer au syndicat tout bien qui aurait été saisi dans ses bureaux lors de la perquisition et pour rouvrir les lignes téléphoniques. Il espère également que tous les bureaux des syndicats locaux qui avaient été fermés ont été rouverts et que le Syndicat libre du Bélarus dispose à nouveau de la possibilité de faire retenir ses cotisations syndicales à la source, en plus de la réouverture de son compte bancaire. Le comité demande instamment au gouvernement de s'abstenir à l'avenir de se livrer à de tels actes.
- f) Le comité demande au gouvernement de s'abstenir à l'avenir de recruter des travailleurs pour briser une grève.
- g) Le comité souligne que le licenciement de travailleurs motivé par leur participation à une grève légitime constitue une discrimination antisyndicale dans l'emploi, et il demande au gouvernement de prendre sans délai les mesures nécessaires pour assurer la réintégration dans leur poste de travail des travailleurs licenciés pour avoir participé aux grèves de Minsk et de Gomyel en août 1995.
- h) Le comité demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour que toutes les procédures judiciaires intentées contre les syndicats et les syndicalistes qui ont participé aux grèves de Minsk et de Gomyel en août 1995 ne soient pas poursuivies.
- i) Le comité demande au gouvernement d'assurer que les syndicalistes pourront à l'avenir quitter le pays en vue de participer à des activités syndicales organisées à l'étranger.
- j) Compte tenu du fait que les questions soulevées dans ce cas sont d'une ampleur plus large que le mandat assigné au Procureur de la République, le comité demande au gouvernement de constituer immédiatement une commission d'enquête indépendante, dont la composition devra être acceptable à toutes les parties intéressées, en vue d'élucider l'ensemble des faits allégués dans cette affaire.
- k) Il demande également au gouvernement de le tenir informé des conclusions qui seront tirées par le Procureur de la République et par toute commission d'enquête constituée conformément aux recommandations du comité.