68. Le comité a examiné ce cas pour la dernière fois à sa session de mars 1997 et a présenté un rapport intérimaire au Conseil d'administration. (Voir 306e rapport, paragr. 56 à 69, approuvé par le Conseil d'administration à sa 268e session (mars 1997).) Ultérieurement, l'Association des travailleurs de l'Etat (ATE) a envoyé des informations complémentaires dans une communication du 31 juillet 1997.
- 68. Le comité a examiné ce cas pour la dernière fois à sa session de mars 1997 et a présenté un rapport intérimaire au Conseil d'administration. (Voir 306e rapport, paragr. 56 à 69, approuvé par le Conseil d'administration à sa 268e session (mars 1997).) Ultérieurement, l'Association des travailleurs de l'Etat (ATE) a envoyé des informations complémentaires dans une communication du 31 juillet 1997.
- 69. Le gouvernement a fait parvenir ses observations dans une communication du 27 février 1998.
- 70. L'Argentine a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, et la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978.
A. Examen antérieur du cas
A. Examen antérieur du cas- 71. Au cours de l'examen antérieur du cas, le comité a analysé les allégations relatives au transfert puis au licenciement d'un dirigeant syndical pour des motifs antisyndicaux et il a constaté que la version des faits de l'organisation plaignante et celle du gouvernement étaient contradictoires. Concrètement, il a formulé les conclusions suivantes (voir 306e rapport, paragr. 65 et 66):
- "...selon le syndicat plaignant, le changement de lieu de travail et les autres mesures qui ont été appliquées à l'encontre du dirigeant syndical, M. Miguel Hugo Rojo, étaient motivés par ses activités syndicales dans un conflit collectif qui a commencé au début du mois de février 1992, lequel, d'après les documents envoyés par le plaignant, a été le théâtre de grèves, ainsi que de la dénonciation d'anomalies financières, de cas de corruption, et d'une résolution administrative qui modifiait le régime de perception du "fonds d'encouragement" pour les travailleurs. Le comité note que le gouvernement, pour sa part, nie que les mesures prises contre M. Miguel Hugo Rojo ont eu des motifs syndicaux. Le comité observe cependant que dans les résolutions administratives sur lesquelles se fondent le changement de lieu de travail et les sanctions infligées à M. Miguel Hugo Rojo, et qui lui ont été communiquées par le syndicat plaignant, il est dit que:
- -- pour des raisons de service et afin de renforcer la participation de personnels actifs et compétents, le Département de la vérification des comptes externes a temporairement transféré l'employé Rojo -- inspecteur des impôts -- à un autre département;
- -- l'intéressé a refusé d'exécuter l'ordre qui a pourtant été réitéré et a fait savoir par écrit que la personne qui avait décidé de ce transfert "ne s'appuyait sur aucune considération éthique pour diriger l'organisme et était parfaitement incompétente", acte par lequel il a "outragé moralement son supérieur hiérarchique, s'en est pris à son honneur et à sa réputation" ("délit d'outrage");
- -- l'intéressé s'est rendu coupable de "manquement à ses devoirs professionnels et d'attitudes méprisantes et outrageantes lorsqu'il s'adresse à ses supérieurs", ce qui le rend "passible de sanctions disciplinaires", d'où le fait qu'il a été suspendu de ses fonctions, sans traitement;
- -- "le manquement aux devoirs professionnels à titre personnel et d'une manière répétée constitue un des cas de comportement répréhensible et passible de sanctions; or l'intéressé pointait, c'est-à-dire qu'il enregistrait son entrée et sa sortie sans toutefois remplir les fonctions qui lui incombaient; sa conduite était donc dolosive et constituait une infraction à l'article no 11, alinéa a), du statut, et elle équivalait sans aucun doute à un abandon de poste, qui donne lieu à la mise à pied du fonctionnaire (article 36, alinéa c), de ce même statut)";
- -- "autre charge portée contre lui: la non-exécution des tâches assignées en vertu de l'article no 11, alinéa k), du statut, c'est-à-dire le respect indispensable d'une conduite décente; dans un cas, il s'est rendu coupable de violence physique, dans d'autres de menaces verbales".
- Le comité constate que les versions de l'organisation plaignante et de l'autorité administrative sur le changement de travail et les sanctions imposées au dirigeant syndical, M. Miguel Hugo Rojo, sont contradictoires."
- Dans ce contexte, le comité a formulé la recommandation suivante (voir 306e rapport, paragr. 69):
- "Afin de lui permettre de parvenir à des conclusions en toute connaissance de cause sur le fait de savoir si le transfert de M. Miguel Hugo Rojo a eu pour origine des motifs antisyndicaux et sur sa non-réintégration, le comité demande à l'organisation plaignante et au gouvernement de fournir des informations complémentaires, notamment sur la base des décisions et actes administratifs et des jugements qui ont été prononcés dans cette affaire."
- B. Informations complémentaires du plaignant
- 72. Dans sa communication du 31 juillet 1997, l'Association des travailleurs de l'Etat (ATE) s'inscrit en faux contre l'argumentation de la province de Salta et du gouvernement argentin, à savoir que la suspension puis la mise à pied de M. Rojo n'ont pas été contestées et qu'elles n'ont aucun rapport avec la participation de l'intéressé à des activités syndicales. Le conflit du travail a été notoire et public, ainsi que la presse locale s'en est fait l'écho, et M. Rojo y a joué un rôle actif. C'est un fait indiscutable qui a motivé les sanctions discriminatoires appliquées par l'employeur, à savoir la suspension puis le licenciement. L'organisation plaignante indique que la suspension et le licenciement n'ont pas été décidés pour "des raisons de service" ou pour "non-exécution des tâches, contrairement à ce que soutient le gouvernement, mais à cause du conflit, pendant son déroulement et ultérieurement, et en représailles à l'action menée par l'association syndicale et M. Rojo pour la défense des intérêts des travailleurs. Selon l'ATE, il n'y a eu en l'occurrence ni préjudice moral infligé au supérieur hiérarchique, ni atteinte à son honneur et à sa réputation et encore moins "délit d'injure", puisque, ainsi qu'il ressort des sentences prononcées à leur encontre, divers membres de la Direction générale des impôts ont été poursuivis pour avoir bel et bien commis des délits -- fraude à l'administration publique, abus d'autorité, manquement aux devoirs de fonctionnaire de l'Etat -- au préjudice de la province de Salta (l'organisation plaignante joint des copies de ces pièces). Il existe indéniablement une relation directe entre le conflit et les mesures de suspension et de mise à pied; le dirigeant syndical ne peut avoir manqué à ses devoirs professionnels à titre personnel puisque, avec d'autres dirigeants de l'ATE, il exerçait alors le droit de grève, de même que tous les employés de la Direction générale des impôts.
- 73. L'ATE souligne que la discrimination est notoire puisque la sanction n'a été infligée qu'à M. Rojo et à aucun des autres dirigeants ou des membres du syndicat ayant participé au conflit. En définitive, il ne s'agit pas d'une sanction disciplinaire puisque M. Rojo n'a pas eu de comportement délictueux, qu'il s'agisse de violence physique ou de menace verbale, et a encore moins manqué aux devoirs qui lui incombent, conformément au statut de la fonction publique. Le gouvernement d'ailleurs n'apporte aucune preuve, qu'elle soit administrative ou judiciaire, que M. Rojo ait été accusé de tels délits et jugé en conséquence (l'organisation plaignante joint de nombreux articles de presse relatifs à cette allégation).
- 74. L'organisation plaignante ajoute que, ainsi qu'il ressort du dossier relatif à l'audience de conciliation obligatoire mise en oeuvre devant les instances de la Direction provinciale du Travail, la province de Salta, par l'entremise de Graciela Castro, la directrice générale des impôts, a demandé l'application de la procédure obligatoire de conciliation à ce conflit avec le personnel qui, à partir du 5 mars 1992, a déclenché une action revendicative pour protester contre la modification et la réduction des salaires. L'ATE a accepté de mettre un terme à son action, avec l'intervention du délégué régional de la Confédération générale du travail. L'organisation plaignante indique par ailleurs qu'il ressort de la décision 231/87 et du compte rendu du 18 août 1987 qu'il s'agit sans conteste d'un conflit du travail, d'où la tentative de conciliation obligatoire et la décision prise (point 6) d'établir, d'un commun accord, avant le 21 août 1987, une grille "conforme à la structure actuelle de la Direction générale des impôts, puis de procéder à son approbation avant le 31 août 1987, avec la participation des représentants syndicaux, étant entendu qu'aucune personne actuellement en fonctions dans cette administration ne pourra être exclue". L'organisation plaignante signale que le conflit collectif et la situation personnelle de M. Rojo à son poste de travail ont été des thèmes de négociation au cours de la phase de conciliation. Elle joint également des copies des diverses décisions judiciaires relatives à M. Rojo.
- 75. L'organisation plaignante indique que, le 1er septembre 1992, la Chambre des députés de la province de Salta a examiné et approuvé le projet de déclaration suivant: "La Chambre des députés de la province de Salta ... DECLARE: ... qu'elle désapprouve totalement la procédure suivie par le pouvoir exécutif de la province, lequel, en vertu du décret no 1127, a ordonné la mise à pied de M. Rojo, fonctionnaire de la Direction générale des impôts et secrétaire de l'ATE, ... et qu'elle lui serait reconnaissante de bien vouloir prendre les dispositions nécessaires afin de reconsidérer cette mesure." La Chambre a analysé la pertinence et l'application de la loi nationale no 23551 dans la province puis a voté, à la majorité, pour la réintégration du dirigeant syndical à son poste de travail, jugeant qu'il avait fait l'objet d'une mesure discriminatoire de représailles antisyndicales.
- 76. L'organisation plaignante ajoute que, parallèlement à la procédure sommaire de protection syndicale menée devant le tribunal du contentieux administratif, M. Rojo a introduit devant les instances administratives une action en nullité et anticonstitutionnalité des décrets nos 1127/92, 1825/92 et de tous les actes de la procédure administrative qui a débouché sur son licenciement. Ayant épuisé les voies administratives sans avoir obtenu sa réintégration, l'intéressé a porté un recours contentieux devant la juridiction administrative le 23 février 1993. Selon l'organisation plaignante, toutes ces pièces démontent l'argument du gouvernement de la province de Salta et du gouvernement national selon lequel M. Rojo n'a pas contesté son licenciement. Au contraire, il en ressort que, ayant recouru à la procédure sommaire de protection syndicale prévue par la loi, le demandeur a obtenu en première instance un jugement demandant sa réintégration, mais que celui-ci, en deuxième et troisième instance, a été révoqué, sur la base d'arguments purement formels, en violation des dispositions des traités et conventions de l'Organisation internationale du Travail (l'organisation plaignante joint copie des actes susmentionnés).
- C. Réponse du gouvernement
- 77. Dans sa communication du 27 février 1998, le gouvernement déclare que l'allégation de l'organisation plaignante porte sur une atteinte à la garantie de stabilité dans l'emploi prévue par la loi no 23551 sur les associations syndicales, et consacrée sous forme de protection exclusive par la convention no 135 de l'OIT; cela sans préjudice de l'obligation faite aux Etats tant par la convention no 98 que par la convention no 151 de prendre des mesures afin de garantir la liberté de négociation, tant dans le secteur privé que dans le secteur public à proprement parler, sans que soit exigé d'eux un comportement spécifique visant à garantir la protection prévue. En effet, la convention no 135 dispose que les travailleurs de l'entreprise doivent bénéficier d'une protection contre tout acte pouvant leur porter préjudice, y compris le licenciement motivé par leur qualité de représentants des travailleurs. Quant à la convention no 98, elle ne se réfère pas expressément à une forme de protection syndicale mais, comme il ressort de ses articles 1, 3 et 4, elle laisse aux Etats le soin d'adapter ses dispositions pour les incorporer dans leur législation interne. Il y a lieu de souligner que la convention no 98 ne s'étend pas aux fonctionnaires qui sont directement affectés à l'administration de l'Etat, ni aux fonctionnaires des catégories inférieures qui les servent en qualité d'auxiliaires, et que par conséquent elle ne s'applique pas à M. Rojo, qui exerçait ses fonctions dans l'administration centrale, plus exactement à la Direction générale des impôts de la province de Salta. Le gouvernement ajoute que ni la convention no 98 ni la convention no 135 ne s'appliquent au présent cas et qu'il ne voit pas non plus en quoi la situation du réclamant relève de la convention no 87.
- 78. Le gouvernement affirme que d'après les coupures de presse versées au dossier par l'organisation plaignante le comportement des parties ne suggère pas l'existence d'une situation litigieuse dont l'issue, telle qu'advenue, était prévisible, et il apparaît que le syndicat a toujours eu toute liberté d'agir sans pression quelconque exercée par l'Etat; rien n'indique non plus une quelconque tentative du gouvernement de Salta de limiter ce droit ou d'entraver son exercice légal. Le gouvernement ajoute que la procédure sommaire appliquée à M. Rojo porte sur des aspects qui n'ont rien à voir avec la demande de réparation et qu'il est reconnu que l'intéressé ne s'est pas présenté au lieu de travail qui lui avait été indiqué, et que les explications qu'il a données pour justifier son absence ne concordent pas avec l'argument selon lequel il serait persécuté; selon le gouvernement, les raisons invoquées par l'intéressé font plutôt penser à une attitude délictueuse, voire, comme il ressort de ses propres déclarations, à un cas de corruption, questions qui, sans préjudice de leur gravité, ne relèvent pas de la convention no 87 et sont régies par des dispositions disciplinaires sans lien avec cet instrument international et sont sanctionnées par les lois en la matière. En résumé, le conflit s'est déroulé sans aucune ingérence de l'administration.
- 79. Le gouvernement indique que le seul instrument international ratifié par l'Argentine qui ait un rapport avec l'activité du réclamant est la convention no 151, encore qu'il n'y ait rien non plus dans ce cas qui puisse donner lieu à des observations sur la conformité au principe. Cet instrument ne spécifie pas la manière dont l'Etat doit exercer la protection prescrite; les moyens et instruments appliqués à cette fin sont variés. Par conséquent, le gouvernement indique que la question examinée dans le présent cas ne relève pas de la procédure internationale et que l'affaire ne serait du ressort du comité que si l'intéressé avait été licencié en raison de son affiliation ou de ses activités syndicales. Or, à ce sujet, aucun élément étayant cette thèse n'a été fourni. Le gouvernement ajoute que l'organisation plaignante se borne à accompagner les débats devant les instances judiciaires et, encore, non en ce qui concerne la question de savoir si la législation de la province de Salta est apte à garantir la protection des représentants syndicaux dans l'administration publique. De fait, la procédure achoppe sur la question de savoir si les dispositions des articles 47 et 52 de la loi no 23551 peuvent être considérées comme des pouvoirs délégués par la province de Salta à la Nation, question sur laquelle il n'appartient pas à l'Etat de se prononcer mais qui relève de la compétence de la province.
- 80. Le gouvernement indique que la question qu'il faut se poser ici est celle de savoir si le gouvernement de Salta a ou non un système de protection qui évite la discrimination en matière de liberté syndicale. Il affirme que si, étant donné que, au-delà de la question de savoir s'il s'agit ou non d'un pouvoir délégué et si la procédure prévue par la loi no 23551 est applicable à la province de Salta, le régime légal de stabilité du fonctionnaire public de cette province n'a jamais été remis en question, et que, avec les dispositions constitutionnelles, il semble offrir suffisamment de garanties en la matière pour donner effet aux dispositions de la convention no 151. Selon le gouvernement, dans l'administration publique, nul ne peut être mis à pied sans motif avéré et sans procédure administrative préalable. La puissance publique ne peut licencier que pour des raisons légales justifiées et particulières, ce qui garantit pleinement l'application des dispositions de l'article 4 b) de la convention no 151. La suspension de M. Rojo n'enfreint pas le principe de la stabilité de l'emploi, c'est une mesure prise préventivement en attendant l'issue de la procédure sommaire; qui plus est, aucune décision judiciaire n'a décrété la nullité des actes issus de cette procédure. Le gouvernement s'inscrit en faux contre l'affirmation selon laquelle il n'y a pas en Argentine de procédures rapides et efficaces propres à garantir la protection des droits syndicaux et ajoute que, si le demandeur n'a pas choisi la bonne voie pour accéder à la justice, ce n'est pas le problème de l'administration, ainsi que la Cour l'a souligné en lui signifiant qu'il aurait dû épuiser la voie administrative, avant de porter le recours contentieux devant la juridiction administrative.
- 81. Enfin, le gouvernement indique que la suspension et le licenciement de M. Rojo n'ont pas été motivés par son affiliation à une organisation d'agents publics ou par sa participation aux activités normales de cette organisation, mais par des questions concrètes de discipline qui n'ont pas été réfutées dans des actes de procédure.
D. Conclusions du comité
D. Conclusions du comité
- 82. Le comité observe que l'allégation de l'organisation plaignante porte dans le présent cas sur le transfert, pour des motifs antisyndicaux, du dirigeant syndical, M. Rojo, et sur son licenciement ultérieur.
- 83. En premier lieu, le comité observe que, selon le gouvernement, il n'y a pas lieu dans ce cas de se référer à l'application des conventions nos 87, 98 et 135, puisque M. Rojo travaillait dans l'administration centrale de la province de Salta, et que, en ce qui concerne la convention no 151, tant la législation de la province de Salta que la législation nationale offrent la protection nécessaire contre d'éventuels actes de discrimination antisyndicale dans l'administration publique. A cet égard, le comité souligne que, comme le gouvernement lui-même l'a reconnu, la convention no 151, ratifiée par l'Argentine, accorde une protection contre les actes de discrimination antisyndicale susceptibles d'être commis tant au niveau de l'administration publique nationale que de l'administration provinciale. Le comité observe en outre que le gouvernement n'a pas affirmé que la loi no 23551 relative aux associations syndicales (qui protège les dirigeants syndicaux contre le licenciement) s'applique à l'administration publique provinciale et a souligné que de toutes manières celle-ci est régie par le "régime de stabilité du fonctionnaire public" de la province.
- 84. A cet égard, le comité observe qu'il s'est déjà prononcé sur cette question dans son examen antérieur du cas et il ne peut donc que citer les conclusions qu'il a formulées à cette occasion: "Le comité estime qu'il ne lui appartient pas de déterminer quelles sont les règles internes qui, dans les Etats fédéraux, régissent la protection contre la discrimination antisyndicale, non plus que de décider si ce sont les règles d'application générale ou celles de la province dont il s'agit qui doivent être applicables. Cependant, le comité rappelle que, indépendamment des lois de procédures ou des lois substantielles qui s'appliquent dans les provinces d'un Etat fédéral aux fonctionnaires ou aux employés publics, il lui incombe d'évaluer si les mesures concrètes de discrimination antisyndicale alléguées sont ou non conformes aux conventions de l'OIT ratifiées et aux principes de la liberté syndicale." (Voir 306e rapport, paragr. 63 et 64.)
- 85. En ce qui concerne le transfert puis le licenciement de M. Rojo, le comité observe que l'organisation plaignante réitère que ces mesures ont été prises en représailles contre l'action menée par l'association syndicale et l'intéressé en faveur des travailleurs, et qu'il n'y a aucun doute sur la relation directe entre le conflit et ces mesures, prises au cours de son déroulement. Le comité note que le gouvernement réitère lui aussi que la suspension et le licenciement de M. Rojo n'ont pas été motivés par son affiliation à une organisation syndicale ou par sa participation aux activités normales de cette organisation, mais par des questions concrètes de discipline, qui, selon le gouvernement, n'ont pas été contestées dans les procédures suivies à ce jour. Qui plus est, de l'avis du gouvernement, M. Rojo n'a pas utilisé les voies judiciaires adéquates pour l'instruction de son affaire.
- 86. A cet égard, le comité relève que la version de l'organisation plaignante et celle du gouvernement continuent d'être contradictoires pour ce qui est de la motivation antisyndicale du transfert puis du licenciement de l'intéressé. Il observe aussi que la documentation et les décisions judiciaires communiquées par l'organisation plaignante permettent d'établir les faits suivants: 1) le tribunal de première instance du contentieux administratif de la province de Salta, considérant que "la loi no 23551 prévoit une procédure de protection du droit en cas de comportements antisyndicaux" (l'article 52 dispose que "les travailleurs auxquels s'appliquent les garanties prévues aux articles 40, 48 et 50 de la loi ne peuvent être licenciés ni suspendus, et leurs conditions de travail ne peuvent être modifiées s'il n'existe pas de décision judiciaire les excluant de cette garantie..."), a ordonné la réintégration de M. Rojo à son poste de travail; 2) la Cour de justice de la province de Salta, considérant que la loi no 23551 n'est pas applicable aux employés publics de la province, a révoqué le jugement du tribunal de première instance, "sans préjudice de la faculté de révision administrative et judiciaire de la légitimité des actes administratifs en question (transfert, suspension et licenciement du dirigeant syndical) par tous recours pertinents". Le comité observe donc que la Cour de justice de la province de Salta n'a pas statué sur la question de savoir s'il y a eu ou non discrimination syndicale, et qu'indirectement elle défère l'affaire -- qui remonte à 1992 -- aux instances administratives et en l'occurrence à la juridiction du contentieux.
- 87. Compte tenu de tous ces éléments, le comité aboutit aux conclusions suivantes: i) il existe une certaine relation temporelle entre le conflit collectif et le transfert de M. Rojo (le conflit a commencé à la fin de février 1992 et son transfert a été décidé le 30 mars); et ii) la décision administrative de licenciement invoque des "injures" proférées par M. Rojo à l'encontre de son supérieur hiérarchique (qui ne "s'appuyait sur aucune considération éthique"), mais celles-ci s'inscrivent dans un contexte de dénonciation par l'organisation plaignante d'anomalies financières et de cas de corruption dans l'institution, qui a débouché sur la mise en examen des supérieurs de M. Rojo, ce qui n'exclut pas que les mesures prises contre M. Rojo constituent des représailles.
- 88. Le comité rappelle que "il peut être souvent difficile, sinon impossible, à un travailleur d'apporter la preuve qu'il a été victime d'une mesure de discrimination antisyndicale". (Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 740.) En tout état de cause, le comité considère que dans le présent cas il faut tenir compte des éléments suivants: 1) lorsque le conflit a débuté, M. Rojo exerçait d'importantes fonctions syndicales (secrétaire du Conseil directeur provincial de l'Association des travailleurs de l'Etat de la province de Salta); 2) cette affaire est importante pour la province de Salta (la Chambre des députés de la province a déclaré en septembre 1992 "qu'elle désapprouve totalement la procédure suivie par le pouvoir exécutif de la province, lequel, en vertu du décret no 1127, a ordonné la mise à pied de M. Rojo, et qu'elle lui serait reconnaissante de bien prendre les dispositions nécessaires afin de reconsidérer cette mesure"); 3) les autorités judiciaires devant lesquelles le recours a été porté ne se sont pas prononcées sur le fond de la question (existence ou non de discrimination antisyndicale), mais se sont bornées à examiner si la loi no 23551 (précisément les dispositions relatives à l'immunité syndicale) était applicable au dirigeant syndical de la province de Salta, M. Rojo; 4) à ce jour, il n'y a pas eu de jugement définitif sur la question de savoir si cette loi (fédérale) et, plus précisément, ses dispositions relatives à l'immunité syndicale s'appliquent à la province de Salta; par conséquent, les mesures prises contre M. Rojo (transfert puis licenciement) s'inscrivent dans un contexte d'incertitude juridique pour ce qui est de leur validité; 5) ces mesures ont été prises, il y a longtemps (sept ans), sans que les autorités judiciaires aient tranché de façon définitive. Dans ces conditions, le comité estime qu'il existe des présomptions sérieuses et concordantes qui laissent penser que M. Rojo a été victime de discrimination antisyndicale. Le comité demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour la réintégration de M. Rojo au poste de travail qu'il occupait et, si cela s'avérait impossible compte tenu du temps écoulé, pour qu'il soit indemnisé de façon complète.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 89. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver la recommandation suivante:
- Le comité demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour que le dirigeant syndical, M. Rojo, soit réintégré au poste de travail qu'il occupait et, si cela s'avérait impossible compte tenu du temps écoulé, pour qu'il soit indemnisé de façon complète.