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- 722. Dans une communication en date du 15 avril 2002, l’Association des pilotes de ligne des Philippines (ALPAP) a déposé contre le gouvernement des Philippines une plainte pour violations de la liberté syndicale.
- 723. Le gouvernement a fait parvenir ses observations dans une communication en date du 5 juin 2002.
- 724. Les Philippines ont ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations du plaignant
A. Allégations du plaignant- 725. Dans une communication en date du 15 avril 2002, l’ALPAP indique tout d’abord qu’elle est une organisation syndicale légitime regroupant l’ensemble des pilotes de ligne du secteur commercial de l’entreprise Philippine Airlines et que, avant le problème actuel, l’association était l’interlocuteur attitré de l’entreprise aux fins de la négociation collective. L’ALPAP est également membre de la Fédération internationale des pilotes de ligne. L’association explique également que, conformément à la législation en vigueur aux Philippines, un syndicat doit, avant de pouvoir organiser légalement une grève: a) déposer un préavis de grève auprès du ministère du Travail et de l’Emploi; b) attendre au moins trente jours si la grève est causée par le blocage de la négociation collective et sept jours en cas d’actes contraires au droit du travail. Toutefois, un syndicat peut déclencher une grève immédiatement en déposant un préavis si les actes contraires au droit du travail incluent le licenciement de dirigeants syndicaux. Mais, chaque fois qu’il y a conflit du travail, le ministre du Travail et de l’Emploi peut, s’il estime que la grève risque de toucher à l’intérêt public, se déclarer compétent, auquel cas, si la grève a déjà commencé, il émet immédiatement un ordre de reprise du travail.
- 726. L’association ALPAP explique en outre que plusieurs actes de l’employeur, Philippine Airlines Inc. (PAL), l’ont amenée à faire grève le 5 juin 1998. Parmi ces actes, elle cite l’obligation faite à un pilote âgé de 45 ans de prendre sa retraite, le plan de la direction visant à supprimer des emplois, y compris chez les pilotes; le fait d’avoir porté des accusations infondées contre un pilote ancien dirigeant syndical, et les retards soudains et inexpliqués dans le paiement des salaires et le reversement des cotisations syndicales. Craignant pour leur emploi et pour l’existence du syndicat, les membres de l’ALPAP ont décidé, le 5 juin 1998, d’organiser une assemblée générale au cours de laquelle les membres ont décidé à la majorité de demander à leurs représentants de prendre immédiatement des mesures. Après l’assemblée, l’ALPAP a déposé un préavis de grève pour pratiques contraires au droit du travail et antisyndicales. Dans le plein respect de l’exception prévue à l’article 263 du Code du travail, qui permet d’organiser une grève sans vote sur cette question et sans délai de réflexion du fait que la survie du syndicat est en jeu, l’ALPAP a déclenché une grève à environ 17 h 30, le 5 juin 1998. Immédiatement, le ministère du Travail et de l’Emploi s’est déclaré compétent, a convoqué les parties à une conférence et a émis un ordre de reprise du travail en date du 7 juin 1998. Cet ordre laissait à l’ALPAP un délai de 24 heures pour s’exécuter. Selon l’association, cependant, dès le 6 juin 1998, l’entreprise PAL a publié un avis officiel déclarant que tous les dirigeants de l’ALPAP avaient perdu leur emploi. Après cette annonce, l’entreprise aurait décidé que tout pilote souhaitant réintégrer cette dernière serait considéré comme nouveau candidat au poste, ce qui lui ferait perdre sa pension de retraite.
- 727. En outre, l’ALPAP allègue que l’ordre de reprise du travail a été émis le 7 juin 1998, mais qu’elle n’en a reçu copie que le 25 juin 1998. Obéissant à cet ordre, les pilotes grévistes ont repris le travail à 11 heures du matin le 26 juin 1998. Toutefois, l’entreprise PAL n’a pas accepté leur retour et, le 2 juillet 1998, elle a déclaré qu’elle ne reprendrait pas les grévistes du fait qu’ils n’avaient pas respecté le délai de 24 heures.
- 728. Le 1er juin 1999, le ministre du Travail et de l’Emploi, suite à une requête déposée par les deux parties, a déclaré que la grève organisée par l’ALPAP le 5 juin 1998 et les jours suivants était illégale pour vice de procédure et inexécution flagrante de l’ordre de reprise du travail du 7 juin 1998. Par conséquent, les grévistes sont considérés comme ayant perdu leur emploi. L’ALPAP a déposé une requête en réexamen, qui a été rejetée le 23 juillet 1999. Elle a ensuite saisi la Cour d’appel, qui l’a déboutée.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 729. Dans une communication en date du 5 juin 2002, le gouvernement déclare qu’à son avis la plainte porte principalement sur la déclaration selon laquelle les grèves organisées par l’ALPAP le 5 juin 1998 et les jours suivants étaient illégales. Ces grèves ont été jugées «illégales pour vice de procédure et inexécution flagrante de l’ordre de reprise du travail du 7 juin 1998». Le gouvernement indique que les motifs qui ont amené à déclarer illégales ces grèves sont expliqués en détail dans la décision du ministre du Travail et de l’Emploi en date du 1er juin 1999, ainsi que dans le jugement de la Cour d’appel en date du 22 août 2001. Dans un arrêt du 10 avril 2002, la Cour suprême a rejeté la demande de l’ALPAP contestant le jugement de la Cour d’appel.
- 730. Le gouvernement affirme que la législation nationale prévoit des procédures raisonnables pour l’exercice du droit de grève, et en particulier l’obligation d’un vote (art. 263 du Code du travail). La règle XXII, section 3, du règlement d’application du Code du travail stipule que «… en cas d’actes contraires au droit du travail comprenant le licenciement d’un dirigeant syndical … ce qui peut constituer une pratique antisyndicale, lorsque l’existence du syndicat est menacée, le délai de réflexion de quinze jours ne s’applique pas et le syndicat peut prendre des mesures immédiatement après le vote concernant le déclenchement de la grève, dont le résultat doit être communiqué au bureau régional approprié du Conseil d’administration».
- 731. A cet égard, le gouvernement fait observer que la Cour suprême a décidé que l’obligation d’organiser un vote avant de déclencher une grève s’explique par les nombreuses grèves désastreuses organisées par le passé sur l’insistance de groupes minoritaires au sein du syndicat concerné. Ainsi, le gouvernement déclare que l’exception alléguée par l’association ALPAP n’existe pas car la loi est claire sur le fait qu’un vote doit être organisé avant le déclenchement d’une grève, même dans le cas où le délai de réflexion ne s’applique pas. Le gouvernement insiste sur le fait que l’association n’a pas organisé de vote et que le déclenchement immédiat de la grève n’était pas justifié par le licenciement d’un dirigeant syndical dûment élu.
- 732. En ce qui concerne l’ordre de reprise du travail, le gouvernement rappelle qu’est applicable en la matière l’article 263 (g) du Code du travail, qui est libellé comme suit:
- Lorsqu’il estime qu’il existe un conflit de travail causant ou susceptible de causer une grève ou un lock-out dans une branche d’activité indispensable à l’intérêt national, le ministre du Travail et de l’Emploi peut se déclarer compétent et trancher le conflit ou renvoyer celui-ci devant la commission pour arbitrage obligatoire. Cette déclaration de compétence ou cette communication a automatiquement pour effet d’interdire la grève ou le lock-out prévu ou imminent mentionné dans l’ordonnance de déclaration de compétence ou de communication. Si à ce moment-là une grève ou un lock-out a déjà commencé, tous les salariés concernés doivent reprendre immédiatement leur travail et l’employeur doit reprendre immédiatement son activité et réintégrer tous les travailleurs aux mêmes conditions que celles qui existaient avant la grève ou le lock-out.
- Le gouvernement explique que l’ordre de reprise du travail du 7 juin 1998 tenait compte des risques présentés par une grève dans le secteur des transports aériens, vu l’importante part de marché que détient l’entreprise PAL dans le transport de passagers et de fret.
- 733. En conclusion, le gouvernement indique que les règles procédurales sont nécessaires pour le bon exercice du droit de grève et ne constituent pas des moyens de répression à l’encontre des travailleurs.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 734. Le comité note que, dans le cas d’espèce, l’organisation plaignante, à savoir l’ALPAP, allègue qu’après le déclenchement d’une grève contre la direction de l’entreprise Philippine Airlines Inc. (PAL) pour pratiques contraires au droit du travail, le ministère du Travail et de l’Emploi (DOLE) s’est déclaré compétent et a émis un ordre de reprise du travail. L’ALPAP allègue également que le fait d’avoir déclaré cette grève illégale a fait perdre leur emploi à tous les grévistes et a laissé le syndicat pratiquement sans ressources.
- 735. Le comité note que, d’après le gouvernement, la plainte porte essentiellement sur le fait que la grève organisée par l’ALPAP le 5 juin 1998 a été déclarée illégale pour vice de procédure et inexécution flagrante de l’ordre de reprise du travail du 7 juin 1998. D’après le gouvernement, le fait que l’ALPAP n’ait pas respecté les prescriptions légales concernant l’organisation d’un vote avant de déclencher la grève du 5 juin 1998 rend cette grève illégale, ce qui a été confirmé par différentes décisions de tribunaux nationaux, dont l’arrêt de la Cour suprême d’avril 2002.
- 736. A cet égard, le comité rappelle, comme il l’a toujours fait, que l’obligation d’avertir l’employeur avant d’organiser une grève et de décider de son déclenchement par un vote à bulletin secret est acceptable. Toutefois, il estime que le problème tient principalement, en l’espèce, au contenu de l’article 263 (g) du Code du travail. Il note que cette disposition permet au ministre du Travail et de l’Emploi de soumettre un différend à l’arbitrage obligatoire et de mettre ainsi fin à une grève, dans des situations dépassant le strict cadre des services essentiels ou d’une crise nationale aiguë. Elle donne ce pouvoir au ministre lorsque celui-ci estime qu’il existe «un conflit de travail causant ou susceptible de causer une grève ou un lock-out dans une branche d’activité indispensable à l’intérêt national». Cette disposition confère de plus au Président le pouvoir de déterminer «les branches d’activité qui, à son avis, sont indispensables à l’intérêt national» et lui permet d’intervenir en tout temps et d’avoir compétence «sur tout conflit de travail afin d’y mettre un terme». A cet égard, le comité rappelle que la décision de déclarer la grève illégale ne devrait pas appartenir au gouvernement mais à un organe indépendant des parties et jouissant de leur confiance. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 522.] En outre, le comité note que, depuis plusieurs années, la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour modifier l’article 263 (g) du Code du travail afin de le rendre conforme aux exigences de la convention.
- 737. En l’espèce, le comité note que, moins de 48 heures après le déclenchement de la grève par l’ALPAP, le ministre du Travail et de l’Emploi s’est déclaré compétent et a émis un ordre de reprise du travail, en tenant compte des risques que présentait une telle grève dans l’industrie du transport aérien, vu la part de marché importante détenue par l’entreprise PAL dans le transport de passagers et de fret. A cet égard, le comité rappelle qu’il n’a jamais, dans le passé, considéré le transport en général et les pilotes de ligne en particulier comme constituant des services essentiels au sens strict du terme. Il rappelle que, pour déterminer les situations dans lesquelles une grève pourrait être interdite, le critère à retenir est l’existence d’une menace évidente et imminente pour la vie, la sécurité et la santé dans tout ou partie de la population. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 540 et 545.] En outre, lorsque, dans un secteur important de l’économie, un arrêt total et prolongé du travail peut provoquer une situation telle que la vie, la santé ou la sécurité de la population peuvent être mises en danger, il semble légitime qu’un ordre de reprise du travail soit applicable à une catégorie de personnel déterminée en cas de grève dont l’étendue et la durée pourraient provoquer une telle situation. Par contre, exiger la reprise du travail en dehors de tels cas est contraire aux principes de la liberté syndicale. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 572.] Par conséquent, le comité prie instamment le gouvernement de modifier l’article 263 (g) du Code du travail afin de le rendre pleinement conforme aux principes de la liberté syndicale. Il prie aussi le gouvernement de le tenir informé à cet égard.
- 738. En ce qui concerne les sanctions imposées aux grévistes de l’ALPAP, à savoir la perte de leur emploi, le comité rappelle que les principes de la liberté syndicale ne protègent pas les abus dans l’exercice du droit de grève qui constituent des actions de caractère délictueux. Toutefois, en l’espèce, il apparaît que la grève organisée par l’ALPAP était tout à fait pacifique. Le comité rappelle par conséquent que le recours à des mesures extrêmement graves, telles que le licenciement de travailleurs au motif qu’ils ont participé à une grève et le refus de les réintégrer, peut constituer un abus grave et une violation des principes de la liberté syndicale. En outre, le comité a toujours considéré que les sanctions pour grève ne devraient être possibles que lorsque les interdictions y relatives sont conformes aux principes de la liberté syndicale. Comme indiqué ci-dessus, certaines des limitations au droit de grève contenues dans la législation ne sont pas conformes aux principes découlant de la convention no 87. Tout en reconnaissant le fait qu’il était légitime d’exiger de l’ALPAP qu’elle organise un vote avant de déclencher une grève, le comité considère néanmoins que le ministre du Travail et de l’Emploi n’aurait pas dû se déclarer compétent et mettre immédiatement fin à la grève. En outre, le comité est d’avis que des sanctions pour faits de grève, telles que des licenciements massifs, doivent rester proportionnées au délit ou à la faute commis. Dans ces conditions, le comité demande au gouvernement d’engager des discussions afin d’examiner une éventuelle réintégration dans leur précédent emploi de tous les travailleurs de l’ALPAP licenciés à la suite de la grève organisée en juin 1998. Il prie le gouvernement de le tenir informé à cet égard.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 739. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Rappelant que la décision de déclarer la grève illégale ne devrait pas appartenir au gouvernement mais à un organe indépendant des parties et jouissant de leur confiance, le comité prie instamment le gouvernement de modifier l’article 263 (g) du Code du travail afin de le mettre en pleine conformité avec les principes de la liberté syndicale. Il prie le gouvernement de le tenir informé à cet égard.
- b) Tout en reconnaissant le fait qu’il était légitime d’exiger de l’ALPAP qu’elle organise un vote avant de déclencher une grève, le comité considère néanmoins que le ministre du Travail et de l’Emploi n’aurait pas dû se déclarer compétent et mettre immédiatement fin à la grève. En outre, estimant que des sanctions pour faits de grève, telles que des licenciements massifs, doivent rester proportionnées au délit ou à la faute commis, le comité prie le gouvernement d’engager des discussions afin d’examiner une éventuelle réintégration dans leur emploi précédent de tous les travailleurs de l’ALPAP qui ont été licenciés suite à la grève organisée en juin 1998. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé à cet égard.