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- 356. Le comité a examiné le présent cas sur le fond pour la dernière fois à sa session de juin 2006, à l’issue de laquelle il a publié un rapport intérimaire, approuvé par le Conseil d’administration à sa 296e session. [Voir 342e rapport, paragr. 235-256.]
- 357. L’organisation plaignante a présenté de nouvelles informations à l’appui de ses allégations dans des communications datées des 3 octobre 2006, 30 janvier 2007 et 27 avril 2007.
- 358. Le gouvernement a fait parvenir ses observations dans des communications datées des 17 octobre 2006 et 2 mars 2007.
- 359. Le Cambodge a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949. Il n’a pas ratifié la convention (nº 135) concernant les représentants des travailleurs, 1971.
A. Examen antérieur du cas
A. Examen antérieur du cas- 360. Lors de son précédent examen du cas, le comité a formulé les recommandations suivantes [voir 342e rapport, paragr. 256]:
- a) Le comité déplore l’absence de réponse du gouvernement à ses précédentes recommandations et l’exhorte à faire preuve d’une meilleure coopération à l’avenir.
- b) Le comité souligne une fois de plus la gravité des allégations relatives au meurtre des dirigeants syndicaux Chea Vichea et Ros Sovannareth. Le comité déplore profondément ces événements et attire l’attention du gouvernement sur le fait qu’un tel climat de violence, qui mène à la mort de dirigeants syndicaux, est un obstacle sérieux à l’exercice des droits syndicaux.
- c) Le comité prie instamment le gouvernement de prendre des mesures en vue de rouvrir l’enquête sur le meurtre de Chea Vichea et de s’assurer que nul n’est privé de sa liberté sans avoir bénéficié d’une procédure normale devant une autorité judiciaire impartiale et indépendante.
- d) Le comité insiste pour que le gouvernement ouvre sans tarder une enquête judiciaire indépendante sur le meurtre de Ros Sovannareth et le tienne informé des résultats de cette enquête.
- e) Au sujet de l’accord sur l’interdiction de manifester dont il a été fait état, et dans lequel Chea Mony et son collègue représentant du FTUWKC ont été forcés de promettre d’inciter les travailleurs du textile à arrêter la grève et à éviter d’organiser d’autres manifestations, le comité attend du gouvernement qu’il déclare cet accord nul et non avenu et demande au gouvernement de veiller, à l’avenir, à ce que les travailleurs jouissent du droit de manifestation pacifique pour défendre leurs intérêts professionnels.
- f) En ce qui concerne l’agression physique dont ont notamment été victimes Lay Sophead et Pul Sopheak, tous deux présidents de syndicats affiliés au FTUWKC, le comité demande au gouvernement d’ouvrir des enquêtes judiciaires indépendantes sur la question et de le tenir informé des résultats.
- g) Le comité prie instamment le gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour veiller à ce que les droits syndicaux des travailleurs du Cambodge soient entièrement respectés et que les syndicalistes puissent exercer leurs activités dans un climat exempt d’intimidation et de risques relativement à leur sécurité personnelle et à leur vie.
- h) Le comité se dit très préoccupé par l’extrême gravité du cas et invite le Conseil d’administration à accorder une attention particulière à la situation.
- B. Nouvelles allégations de l’organisation
- plaignante
- 361. Dans sa communication datée du 3 octobre 2006, la CSI, organisation plaignante [anciennement «Confédération internationale des syndicats libres» (CISL)] déplore l’absence de toute initiative du gouvernement de rouvrir l’enquête sur le meurtre de Chea Vichea et de diligenter une enquête indépendante sur l’assassinat de Ros Sovannareth, en expliquant que le fait de ne pas ouvrir une enquête visant à découvrir les véritables auteurs de ces actes ne fait qu’ajouter au climat d’impunité et envoie un message fort en direction des travailleurs et des syndicalistes du Cambodge leur faisant comprendre que l’appartenance à un syndicat ou la participation à des activités syndicales peut mettre leur sécurité et leur vie en danger.
- Nouvelles informations concernant le cas Chea Vichea
- 362. En ce qui concerne Born Samnang, qui, tout comme Sok Sam Oeun, a été condamné à vingt ans de prison dans le cadre du meurtre de Chea Vichea, à l’issue d’une procédure ponctuée de nombreuses irrégularités tant dans l’enquête que dans l’accusation, l’organisation plaignante déclare que les informations supplémentaires obtenues de son enquêteur à la suite d’une interview réalisée le 2 août 2006 avec la mère de Born Samnang, Noun Kim Sry, apportent des éléments nouveaux à l’appui de son innocence. Selon Noun Kim Sry, la police a passé son fils à tabac pour lui faire avouer le meurtre de Chea Vichea, qu’il ne connaissait même pas. Noun Kim Sry affirme que son fils lui a dit que la police l’a poussé à s’accuser du meurtre de Chea Vichea en lui déclarant que sa compagne était également en prison et que sa mère l’avait publiquement renié. Noun Kim Sry ajoute que, selon son fils, deux hauts responsables de la police l’ont menacé de le passer durement à tabac s’il refusait de mettre ses empreintes sur une lettre qu’ils allaient lui remettre. La police l’a ensuite à nouveau battu avant de le forcer à mettre ses empreintes sur la lettre; peu après, il a été présenté aux médias comme l’un des meurtriers de Chea Vichea. L’organisation plaignante allègue que Noun Kim Sry reste gravement préoccupée par la santé de son fils à qui elle rend visite régulièrement en prison. Elle se voit contrainte de verser des sommes d’argent supplémentaires aux gardiens pour qu’il puisse s’alimenter convenablement en raison de son état physique affaibli. Copie de la déclaration de Noun Kim Sry est jointe à la communication.
- 363. Selon l’organisation plaignante, le jour du meurtre de Chea Vichea, Born Samnang était en train de célébrer le Nouvel An chinois à 60 kilomètres du lieu du meurtre. Malgré ce solide alibi, les autorités ont refusé de prendre en considération les témoignages sur les allées et venues de Born Samnang le jour du meurtre, même si ceux-ci ont été livrés en public.
- 364. En complément de ses allégations antérieures relatives à Va Sothy, la propriétaire du kiosque à journaux où Chea Vichea a été assassiné, susceptible d’identifier les vrais meurtriers, mais trop effrayée pour assister au procès, l’organisation plaignante déclare qu’elle a quitté le pays en laissant, le 10 août 2006, une déclaration de quatre pages relatant le meurtre de Chea Vichea certifiée par acte authentique d’avoué d’un membre de l’association professionnelle des avoués de Thaïlande, M. Nol Sunghondhabirom; copie de son témoignage traduit en anglais est jointe à la communication de l’organisation plaignante.
- 365. Mme Va Sothy raconte dans son témoignage que, alors que Chea Vichea était en train de lire un journal à son kiosque, deux hommes à motocyclette se sont arrêtés. Le passager s’est approché du kiosque tandis que l’autre poursuivait lentement sa route en direction du nord. Après une vingtaine de minutes de lecture, pendant lesquelles il regardait autour de lui, l’homme a soudain fait face à Chea Vichea. Va Sothy déclare qu’elle a ensuite entendu trois détonations à sa proximité immédiate et vu Chea Vichea s’effondrer sur le sol. Elle décrit également que le tireur a ensuite rangé un pistolet noir dans sa poche de pantalon puis s’est éloigné tranquillement en direction du nord. Dans sa déclaration, Va Sothy donne une description du meurtrier, de la motocyclette et du conducteur.
- 366. Elle déclare que, dans un premier temps, par peur d’être éliminée comme témoin, elle a donné une fausse description de la moto, a nié se souvenir du visage du meurtrier et n’a pas confirmé le portrait robot du tueur présenté par la police. Elle a également appelé M. Heng Pov, le fonctionnaire de police en charge de l’enquête, pour lui demander comment le portrait robot qui lui avait été présenté pouvait s’appuyer sur des témoignages oculaires alors qu’elle avait été le seul témoin et qu’elle ne se souvenait pas du visage du tireur. Elle a appris par la suite l’arrestation par la police de deux personnes accusées du meurtre de Chea Vichea; en découvrant leur visage à la télévision, Va Sothy déclare avoir réalisé qu’ils n’étaient pas les véritables meurtriers dont les visages lui revenaient clairement en mémoire.
- 367. Un mois après les coups de feu, le meurtrier de Chea Vichea s’est présenté une nouvelle fois au kiosque à journaux, ce qui a effrayé Va Sothy. Elle déclare avoir craint, compte tenu du fait que les personnes en prison n’étaient pas les véritables meurtriers et que ceux-ci étaient toujours en liberté, d’être assassinée si elle continuait à vivre au Cambodge et ne jamais pouvoir dire la vérité sur le meurtre de Chea Vichea. Elle a donc décidé de quitter le pays.
- 368. L’organisation plaignante allègue que les deux témoignages confirment l’implication directe des autorités dans la mise en cause de deux innocents pour le meurtre de Chea Vichea. Tous deux témoignent séparément des mesures prises par la police pour obtenir les aveux des deux innocents. Heng Pov, le chef de la police de Phnom Penh au moment du meurtre, a depuis quitté le Cambodge. Dans une interview publiée le 18 août 2006 dans l’hebdomadaire belge «Le vif/l’Express», Heng Pov confirme son implication directe dans l’affaire Chea Vichea. Heng Pov affirme notamment que des pressions ont été exercées sur les innocents pour obtenir leurs aveux et, selon ses déclarations, il ne lui a pas fallu longtemps pour réaliser que Born Samnang et Sok Sam Oeun n’étaient en rien liés au meurtre. Heng Pov dément toutefois toute responsabilité personnelle dans ces pressions expliquant qu’elles sont venues de personnes haut placées dans la hiérarchie militaire. Copie de l’interview est jointe à la communication de l’organisation plaignante.
- 369. Selon l’organisation plaignante, ces témoignages montrent l’implication directe du gouvernement dans les mesures visant à cacher le véritable déroulement des événements et à empêcher de découvrir et de sanctionner le meurtrier de Chea Vichea ainsi que ses commanditaires. Cette situation a créé un fort sentiment d’insécurité chez les syndicalistes au Cambodge.
- Violences, menaces et arrestations
- 370. L’organisation plaignante allègue que, depuis sa dernière communication de septembre 2005, elle a reçu des informations supplémentaires concernant la répression continue exercée contre les syndicalistes, et en particulier les informations suivantes:
- – Le 4 juillet 2006, M. Lay Chhamroeun, vice-président du Syndicat libre des travailleurs du Royaume du Cambodge (FTUWKC) à l’usine de vêtements de Phnom Penh a reçu une balle dans la jambe tirée par une personne non identifiée devant l’usine de Kung Hong. Le FTUWKC estime qu’il s’agit d’une tentative manquée d’assassiner Lay Chhamroeun en vue d’intimider les syndicalistes et de semer la terreur. Aucune enquête n’a été ouverte concernant ce fait.
- – A partir de juillet 2006, les militants du FTUWKC, Chi Samon, Yeng Vann Yuth, Out Nun, Top Savy et Lem Samrith, travaillant dans les usines Bright Sky situées à Tra Paing Kkhleung, Sangkat Chaum Chao, Khan Dang Kor et Phnom Penh ont tous été victimes d’agressions physiques. Le 3 mai 2006, M. Chi Samon, qui avait été élu président de la section syndicale du FTUWKC dans l’usine de vêtements Bright Sky, a été attaqué par 7 personnes à 30 mètres de l’usine alors qu’il rentrait chez lui à pied après son service de nuit. Il a été grièvement blessé à la tête, aux bras et aux jambes et a été transporté à l’hôpital par ses amis; le FTUWKC penche pour une tentative d’assassinat. M. Yeng Vann Yuth, un collaborateur de M. Chi Samon, a été attaqué le 12 mai et conduit dans une clinique non identifiée par le personnel de l’entreprise pour des lésions à la tête et aux côtes. M. Chi déclare avoir reconnu parmi ses attaquants M. Rot, un membre du syndicat rival, le CUF, et pense que M. Yuth a été attaqué parce qu’il a été pris pour lui-même par ses agresseurs. M. Chi a porté plainte à la police et livré les noms de ses agresseurs aux autorités de police locale et au tribunal de Phnom Penh mais, à la connaissance du syndicat, aucune enquête n’a été ouverte. Le matin du 22 mai 2006, M. Chi Samon a reçu de nouvelles menaces de mort; alors qu’il quittait l’usine, il s’est retrouvé confronté à une vingtaine de personnes qui l’attendaient; il est donc retourné à l’usine et a attendu 7 heures du matin pour pouvoir partir. M. Chi Samon déclare qu’il est en permanence suivi et épié et craint pour la sécurité de sa famille et de ses amis.
- – La section syndicale du FTUWKC de l’usine de vêtements Bright Sky souhaitait organiser des élections le 20 mai 2006. Suite à des menaces contre les 15 candidats lancées par le CUF, 14 d’entre eux ont retirés leur candidature. Le CUF était le seul syndicat à être reconnu par l’entreprise; toutefois, après que le FTUWKC ait revendiqué 2 000 membres inscrits auprès des autorités, ceux-ci sont désormais reconnus par l’entreprise.
- – Le 19 mai 2006, M. Chey Rithy, vice-président du Syndicat libre de l’usine de vêtements Suntex, a été attaqué par deux inconnus. L’usine de vêtements Suntex jouxte l’usine Bright Sky et appartient au même propriétaire. Ses agresseurs lui ont jeté des pierres à la tête alors qu’il se rendait chez lui en moto.
- – Le 8 juin 2006, M. Lem Samrith, trésorier de la section syndicale du FTUWKC de l’usine de vêtements Bright Sky, a été battu par un groupe de personnes.
- – le 19 septembre 2006, M. Choy Chin, secrétaire général du Syndicat Suntex a été attaqué par deux inconnus qui lui ont jeté des pierres et qui l’ont frappé à la tête et aux mains avec un tuyau métallique.
- 371. L’organisation plaignante déclare avoir reçu plusieurs rapports sur l’identité possible des agresseurs. Selon certaines sources, les agressions ont eu lieu avec l’assentiment de la direction, tandis que d’autres confirment que l’entreprise a payé les frais médicaux de M. Chi Samon et lui a permis de se rendre au travail par l’entrée principale de l’usine Suntex adjacente lorsque la situation l’exigeait. Selon l’organisation plaignante, l’implication du syndicat concurrent et le degré de réprobation ou d’encouragement de leurs actions par les autorités et/ou la direction ne sont pas clairs. Le FTUWKC a signalé chacune des agressions aux autorités, mais à ce jour aucune enquête sur aucun des faits évoqués n’a été ouverte.
- 372. L’organisation allègue qu’à plusieurs reprises des violences ont été exercées contre les travailleurs en grève. Le 3 juillet 2006, les autorités de la province de Kandal ont arrêté Mme Lach Sambo, Mme Yeom Khun et M. Sal Koem San à leur domicile. Tous trois sont des militants du Syndicat libre des travailleurs de l’usine Genuine Garment (FTUWGGF), syndicat affilié au FTUWKC à l’usine Genuine située dans le village de Veal, district d’Angsnouri, province de Kandal. Les trois militants ont été accusés de «séquestration de travailleurs». Leur arrestation est intervenue neuf jours après le déclenchement d’une grève dans l’usine de vêtements Genuine; les grévistes sont accusés d’avoir bloqué l’entrée principale de l’usine et d’avoir empêché les travailleurs souhaitant travailler de circuler.
- 373. Selon l’organisation plaignante, le FTUWGGF conteste ces accusations et affirme qu’il s’est borné à fermer l’entrée principale pour empêcher que des camions chargés de marchandises ne quittent l’usine. Les travailleurs et les membres de la direction étaient libres d’aller et venir par les autres entrées. Le syndicat a tenté d’obtenir l’autorisation de la direction de contrôler les camions en partance pour s’assurer que les marchandises sorties de l’usine ne seraient pas traitées ailleurs. La direction a, dans un premier temps, donné son accord, puis a refusé de mettre en œuvre l’accord conclu. L’organisation plaignante allègue que la grève a commencé à la suite du licenciement de Mme Lach Sambo et de trois de ses collègues, le 23 juin 2005. Suite à une grève antérieure, en août 2004, huit syndicalistes dont Lach Sambo, Yeom Khun et Sal Koem San ont été accusés de dommages à la propriété par l’entreprise. Leur procès a eu lieu le 20 juin 2006 à la suite duquel ils ont été condamnés à cinq mois de prison. Ils ont fait appel mais ont néanmoins été licenciés. Le 7 août 2006, Lach Sambo, Yeom Khun et Sal Koem San ont été relâchés de leur garde à vue mais n’ont pas été réintégrés dans leur emploi alors que le syndicat avait réclamé la réintégration de tous les représentants et militants syndicaux licenciés.
- 374. Dans une deuxième communication, datée du 30 juin 2007, l’organisation plaignante déclare que les procès en appel de Born Samnang et de Sok Sam Oeun étaient fixés au 6 octobre 2006. Malgré le fait que de nouvelles informations susceptibles d’innocenter Born Samnang et Sok Sam Oeun aient été portées à la connaissance du public, en octobre 2006, le procès a été reporté pour des raisons de santé, le juge souffrant de diarrhées. Une nouvelle date pour les procès en appel n’a toujours pas été fixée.
- 375. Selon l’organisation plaignante, toutes les nouvelles preuves importantes – notamment la déclaration sous serment du témoin oculaire Va Sothy et l’interview de l’ancien chef de la police, Heng Pov, jointes à sa communication du 3 octobre 2006 – ont été soumises au tribunal avant le 6 octobre 2006. L’organisation plaignante se dit gravement préoccupée par le fait que la date du procès n’a toujours pas été fixée et le fait que, malgré les nouvelles preuves importantes, une nouvelle enquête sur le meurtre de Chea Vichea n’a toujours pas été ouverte. L’organisation plaignante allègue que le système judiciaire cambodgien ne veut pas, ou ne peut pas, assurer une enquête sérieuse et faire en sorte que les suspects allégués bénéficient d’un procès équitable, ce qui conduit à une atmosphère de grande insécurité chez les syndicalistes du Cambodge.
- 376. L’organisation plaignante indique qu’elle reçoit régulièrement des informations sur des cas de violation des droits syndicaux au Cambodge. Plus récemment, elle a appris l’existence d’une liste noire comportant les noms d’au moins 17 syndicalistes empêchant ces derniers d’accéder à un emploi.
- 377. Dans une communication datée du 27 avril 2007, la CSI exprime la tristesse et la colère avec lesquelles elle a été témoin de l’assassinat d’un autre syndicaliste au Cambodge: M. Hy Vuthy. Ce dernier était un des dirigeants syndicaux du FTUWKC de l’usine de vêtement Suntex. Trois mois avant sa mort, M. Hy Vuthy avait reçu des menaces de mort en relation avec ses activités syndicales.
- 378. Le 20 février 2007, Hy Vuthy a écrit une lettre à la direction de l’usine de vêtement Suntex afin d’obtenir un jour de congé pour les travailleurs, à l’occasion des célébrations du nouvel an chinois. Le FTUWKC a indiqué que, le jour suivant, deux membres d’un syndicat rival se sont approchés de lui et ont vivement condamné sa demande. Le 24 février 2007, soit trois jours plus tard, Hy Vuthy a été abattu. Deux personnes, non identifiées et à moto, lui ont tiré dessus à trois reprises alors qu’il rentrait chez lui à 5 heures 15 du matin, à environ 1,5 Km de l’usine. La police a écarté la piste du vol puisque la moto de Hy Vuthy n’a pas été volée par les malfaiteurs. En fait, ce meurtre comporte de nombreuses similitudes avec ceux des deux dirigeants du FTUWKC, Chea Vichea et Ros Sovannareth.
- 379. Dans une lettre de protestation, envoyée le 26 février 2007 au Premier ministre cambodgien Hun Sen, la CSI rappelle que l’impunité dont jouissent les meurtriers de Chea Vichea ne fait qu’entretenir le climat d’intimidation et de peur qui règne parmi les syndicalistes militants et altère leur confiance dans le système de justice cambodgien. Elle ajoute que, malheureusement, ceci incite également au meurtre d’autres opposants. La CSI rappelle que de violentes attaques se sont déjà produites, et ce à plusieurs reprises, contre les syndicalistes de l’usine de vêtement Suntex et d’autres usines appartenant au fabriquant de vêtement singapourien Ocean Sky, Bright Sky.
- 380. Le 12 avril 2007, la CSI a de nouveau écrit au Premier ministre cambodgien Hun Sen, cette fois-ci pour exprimer sa profonde consternation face à la décision de la Cour d’appel cambodgienne de confirmer la condamnation de deux innocents – MM. Born Samnang et Sok Sam Oeun – à vingt ans d’emprisonnement pour le meurtre du dirigeant syndical Chea Vichea. Les autorités cambodgiennes avaient été averties du fait que le principal témoin oculaire de l’assassinat (Mme Va Sothy, la propriétaire du kiosque à journaux où Chea Vichea a été assassiné) ainsi que le fonctionnaire de police chargé de l’enquête (M. Heng Pov, chef de la police de Phnom Penh au moment des faits, qui a dû par la suite quitter le Cambodge), avaient tous deux, clairement et sans équivoque, affirmé que les deux hommes n’avaient pas commis le meurtre. Malgré cela, et malgré le fait que MM. Born et Sok aient de solides alibis pour le moment du meurtre, aucun effort n’a réellement été fait de la part des autorités cambodgienne afin d’enquêter sur ce crime et de présenter les vrais assassins devant la justice.
- 381. Cette décision de la Cour d’appel jette encore plus le discrédit sur l’indépendance du pouvoir judiciaire au Cambodge et renforce le climat d’impunité qui règne dans le pays. La CSI déplore que les attaques violentes contre des syndicalistes – ainsi que les intimidations et le harcèlement – soient devenues monnaie courante et que malheureusement le gouvernement tolère ces abus.
- 382. La CSI invite le Premier ministre Hun Sen à prendre immédiatement des mesures afin de s’assurer que justice est faite dans cette affaire. Elle demande que MM. Born et Sok soient libérés de prison et que leur sécurité soit garantie. La CSI invite également le gouvernement à s’assurer que des enquêtes complètes et approfondies sont menées sans délai concernant ce meurtre et ceux des autres syndicalistes, comme celui de M. Hy Vuthy; que le Cambodge se conforme complètement à ses obligations en vertu du droit international afin d’assurer le respect des droits de l’homme et des droits syndicaux.
- 383. Au vu de ces évènements, la CSI suggère que l’OIT envoie sa propre mission au Cambodge afin d’étudier ces questions de façon objective et impartiale et de faire toutes les recommandations qu’elle considère nécessaires.
- C. Réponse du gouvernement
- 384. Dans une communication datée du 17 octobre 2006, le gouvernement déclare qu’il est en train d’étudier les allégations du cas et qu’il informera le comité, le moment venu. Dans sa communication datée du 2 mars 2007, il indique qu’il continue à suivre les questions relatives au cas et que Born Samnang et Sok Sam Oeun doivent toujours être entendus en appel.
D. Conclusions du comité
D. Conclusions du comité- 385. Le comité se voit dans l’obligation d’exprimer une nouvelle fois sa grande préoccupation et son profond regret devant la gravité de cette affaire relative à l’assassinat des dirigeants syndicaux Chea Vichea et Ros Sovannareth. Il déplore profondément ces événements et attire une fois de plus l’attention du gouvernement sur le fait qu’un climat de violence, qui mène à la mort de dirigeants syndicaux, est un obstacle sérieux à l’exercice des droits syndicaux.
- 386. Le comité note avec une extrême préoccupation les allégations de l’organisation plaignante contenues dans ses communications datées des 3 octobre 2006 et 27 avril 2007 apportant de nouveaux éléments – à savoir les déclarations de la mère de Born Samnang, de Noun Kim Sry; de Va Sothy, la propriétaire du kiosque à journaux devant lequel Chea Vichea a été assassiné; et de Heng Pov, l’ancien chef de la police de Phnom Penh – qui peuvent innocenter Born Samnang et Sok Sam Oeun, les deux hommes condamnés et emprisonnés pour le meurtre de Chea Vichea.
- 387. Selon l’organisation plaignante, bien que les informations susmentionnées aient été présentées au tribunal pour une audience en appel, les condamnations de ces deux hommes ont été prononcées et confirmées en négligeant les preuves et sans que de réels efforts ne soient faits de la part des autorités cambodgiennes afin d’enquêter sur ce crime et de présenter les assassins devant la justice. Le comité rappelle qu’il a déjà émis de sérieux doutes quant à la régularité du procès concernant le meurtre de Chea Vichea et des procédures y relatives. A cet égard, et en particulier à la lumière des nouvelles allégations concernant le cas de Chea Vichea, le comité déplore que le gouvernement, qui se borne à déclarer qu’il continue à suivre les questions, n’ait pas fourni d’éléments nouveaux dans ses réponses.
- 388. Dans ces conditions, le comité doit une nouvelle fois souligner l’importance qui devrait être accordée au plein respect du droit de tout individu à la liberté et à la sûreté, de ne pas être arbitrairement arrêté ou détenu, et d’être entendu équitablement par un tribunal indépendant et impartial, conformément aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Le comité souligne à nouveau avec la plus grande fermeté que l’assassinat ou la disparition de dirigeants syndicaux et de syndicalistes, ou des lésions graves infligées à des dirigeants syndicaux et des syndicalistes exigent l’ouverture d’enquêtes judiciaires indépendantes en vue de faire pleinement et à bref délai la lumière sur les faits et les circonstances dans lesquelles se sont produits ces faits et ainsi, dans la mesure du possible, de déterminer les responsabilités, de sanctionner les coupables et d’empêcher que de tels faits ne se reproduisent. L’absence de jugement contre les coupables entraîne une impunité de fait qui renforce le climat de violence et d’insécurité et qui est donc extrêmement dommageable pour l’exercice des activités syndicales. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 48 et 52.] A la lumière de ces principes, le comité invite fermement le gouvernement à accepter la venue d’une mission d’experts de l’OIT afin d’enquêter sur le meurtre de Chea Vichea et de s’assurer que Born Samnang et Sok Sam Oeun pourront exercer dès que possible leur droit d’être pleinement entendus devant une autorité judiciaire impartiale et indépendante.
- 389. Le comité déplore le récent meurtre de Hy Vuthy, dirigeant syndical du FTUWKC de l’usine de vêtements Suntex, et rappelle qu’une situation d’impunité engendre un climat de violence qui nuit sévèrement à l’exercice des droits syndicaux et des libertés civiles fondamentales. De plus, tout en notant que le gouvernement ne fournit aucune information concernant une quelconque mesure prise afin d’initier une enquête judiciaire indépendante sur le meurtre de Ros Sovannareth, le comité exhorte le gouvernement à ouvrir immédiatement une enquête judiciaire indépendante sur les meurtres de ces deux dirigeants syndicaux et à le tenir informé des résultats.
- 390. Le comité déplore le fait que, en dépit d’appels répétés, le gouvernement ait omis de fournir des informations concernant les autres aspects du cas et les recommandations du comité y relatives. Ces aspects concernent l’élimination de syndicalistes, y compris des agressions contre les dirigeants syndicaux, Lay Sophead et Pul Sopheak. Ceci étant, le comité déplore en outre le fait que de nouvelles allégations de répression et d’agressions de syndicalistes, notamment pour avoir déclenché un mouvement de grève, continuent à être formulées. Selon l’organisation plaignante, le dirigeant syndical Lay Chhamroeun du FTUWKC a été blessé à la jambe par balle et plusieurs autres syndicalistes – Chi Samon, Yeng Vann Yuth, Out Nun, Top Savy, Lem Samrith, Chey Rithy, Choy Chin, Lach Sambo, Yeon Khum, Sal Koem San – ont été attaqués et battus. En outre, le comité note, avec une profonde inquiétude, les allégations de l’organisation plaignante selon lesquelles aucune mesure n’a été prise par la police ou par les autorités gouvernementales compétentes malgré les plaintes déposées. L’absence de réponse du gouvernement à ces graves allégations semblerait attester de l’inaction générale face à des plaintes aussi graves. Le comité ne peut donc que conclure qu’un climat de violence, d’insécurité et d’impunité au regard de l’ordre public règne dans le pays. Rappelant qu’il incombe aux pouvoirs publics de préserver un climat social où le droit prévaut, puisque c’est la seule garantie du respect et de la protection de l’individu [voir Recueil, op. cit., paragr. 34], le comité exhorte le gouvernement à ouvrir de toute urgence une enquête judiciaire indépendante sur les agressions dont ont été victimes tous les syndicalistes nommément désignés par l’organisation plaignante et à le tenir informé de l’évolution de la situation à cet égard.
- 391. Le comité note avec préoccupation l’information fournie par l’organisation plaignante selon laquelle 17 syndicalistes ont été inscrits sur une liste noire qui les empêche d’obtenir un emploi. Il rappelle à cet égard que la pratique consistant à établir des listes noires de dirigeants et militants syndicaux met gravement en péril le libre exercice des droits syndicaux et, d’une manière générale, les gouvernements devraient prendre des mesures sévères à l’égard de telles pratiques. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 803.] En conséquence, le comité prie le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour lutter contre toutes les pratiques impliquant l’établissement de listes noires de dirigeants syndicaux, et en particulier de mettre un terme à la liste des 17 personnes mentionnées par l’organisation plaignante.
- 392. Le comité prend note des allégations de l’organisation plaignante selon lesquelles les syndicalistes Lach Sambo, Yeom Khun et Sal Koem San ont été arrêtés le 3 juillet 2006 pour avoir retenu illégalement des travailleurs, l’arrestation ayant eu lieu consécutivement à une grève de neuf jours dans l’usine de vêtements Genuine. Le FTUWGGF réfute les accusations selon lesquelles les travailleurs grévistes auraient bloqué la porte pour empêcher les travailleurs souhaitant travailler de pénétrer dans l’usine et d’en sortir et maintient qu’il n’a verrouillé la porte que pour empêcher les camions chargés de marchandises de quitter l’usine. Le comité observe par ailleurs que Lach Sambo, Yeom Khun et Sal Koem San ont tous étés licenciés après leur condamnation le 20 juin 2006 et qu’ils n’ont pas été réintégrés alors qu’ils ont fait appel de leur condamnation. Le comité prie le gouvernement de lui faire parvenir de toute urgence ses observations sur la question ainsi que tout jugement pertinent rendu par un tribunal.
- 393. Notant avec préoccupation que nombre des actes de répression signalés par l’organisation plaignante ont eu lieu dans le cadre de l’exercice du droit de grève, le comité prie instamment une nouvelle fois le gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour veiller à ce que les droits syndicaux des travailleurs du Cambodge soient pleinement respectés et que les syndicalistes puissent exercer leurs activités dans un climat exempt d’intimidation et de risques pour leur sécurité personnelle et leur vie.
- 394. Le comité se dit une fois encore très préoccupé par l’extrême gravité du cas et, en l’absence d’efforts significatifs de la part du gouvernement afin de mener une enquête approfondie concernant les sujets susmentionnés – et ce, de façon transparente, indépendante et impartiale –, invite fermement le gouvernement à accepter la venue d’une mission d’experts de l’OIT afin d’effectuer des recherches concernant ces allégations et d’aider le gouvernement à mettre fin aux violations des droits syndicaux et au climat d’impunité émergent. Le comité invite le Conseil d’administration à accorder une attention particulière à la situation.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 395. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité souligne une fois de plus la gravité des allégations en instance relatives, entre autres, au meurtre des dirigeants syndicaux Chea Vichea, Ros Sovannareth et Hy Vuthy. Le comité déplore profondément ces événements et attire l’attention du gouvernement sur le fait qu’un tel climat de violence, qui mène à la mort de dirigeants syndicaux, est un sérieux obstacle à l’exercice des droits syndicaux.
- b) Le comité, une fois de plus, exhorte le gouvernement à prendre des mesures en vue de rouvrir l’enquête sur le meurtre de Chea Vichea et de s’assurer que Born Samnang et Sok Sam Oeun pourront exercer le plus tôt possible leur droit de faire appel devant une autorité judiciaire impartiale et indépendante.
- c) Le comité exhorte le gouvernement à ouvrir sans tarder des enquêtes indépendantes sur les meurtres de Ros Sovannareth et Hy Vuthy, et à le tenir informé des résultats de ces enquêtes.
- d) Le comité exhorte le gouvernement à ouvrir de toute urgence une enquête judiciaire indépendante sur les agressions contre les syndicalistes Lay Sophead, Pul Sopheak, Lay Chamroeun, Chi Samon, Yeng Vann Nuth, Out Nun, Top Savy, Lem Samrith, Chey Rithy, Choy Chin, Lach Sambo, Yeom Khun et Sal Koem San, et à le tenir informé de l’évolution de la situation à cet égard.
- e) Le comité prie le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour empêcher l’inscription sur une liste noire de syndicalistes, et en particulier celle des 17 syndicalistes mentionnés par l’organisation plaignante.
- f) Le comité prie le gouvernement de lui transmettre de toute urgence ses observations au sujet du licenciement de Lach Sambo, Yeom Khun et Sal Koem San à la suite du mouvement de grève lancé dans l’usine de vêtements Genuine, ainsi que tout jugement pertinent rendu par un tribunal.
- g) Le comité prie une nouvelle fois le gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour veiller à ce que les droits syndicaux des travailleurs du Cambodge soient entièrement respectés et que les syndicalistes puissent exercer leurs activités dans un climat exempt d’intimidation et de risques pour leur sécurité personnelle et leur vie.
- h) Le comité se dit une nouvelle fois très préoccupé par l’extrême gravité du cas et, en l’absence d’efforts significatifs de la part du gouvernement afin de mener une enquête approfondie concernant les sujets susmentionnés – et ce de façon transparente, indépendante et impartiale –, invite fermement le gouvernement à accepter la venue d’une mission d’experts de l’OIT afin d’effectuer des recherches concernant ces allégations et d’aider le gouvernement à mettre fin aux violations des droits syndicaux et au climat d’impunité émergent. Le comité invite le Conseil d’administration à accorder une attention particulière à la situation.