Allégations: L’organisation plaignante allègue la violation de son droit d’élire librement ses représentants, ainsi que le licenciement antisyndical de l’un de ses dirigeants
- 269. La plainte figure dans une communication en date du 2 mai 2013 du Syndicat national des travailleurs de l’industrie de transformation des caoutchoucs, plastique, polyéthylènes, polyuréthanes, synthétiques, et parties et dérivés de ces opérations (SINTRAINCAPLA).
- 270. Le gouvernement a adressé ses observations dans une communication en date du 24 février 2014.
- 271. La Colombie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978, et la convention (no 154) sur la négociation collective, 1981.
A. Allégations de l’organisation plaignante
A. Allégations de l’organisation plaignante- 272. L’organisation plaignante allègue que M. Omar Arquímedes Londoño, travailleur de l’entreprise Compañía de Empaques S.A. et dirigeant syndical du Syndicat national des travailleurs de l’industrie de transformation des caoutchoucs, plastique, polyéthylènes, polyuréthanes, synthétiques, et parties et dérivés de ces opérations (SINTRAINCAPLA), a été licencié le 3 janvier 2011 et que, étant donné que ni l’entreprise ni la justice colombienne n’ont respecté l’immunité syndicale dont il jouissait, le droit de l’organisation syndicale d’élire librement ses représentants a été enfreint. L’organisation plaignante ajoute que le licenciement a eu lieu alors que le dirigeant s’opposait à l’application d’un contrat syndical signé, d’une part, par l’entreprise et, d’autre part, par le Syndicat des travailleurs de l’entreprise Compañía de Empaques S.A. (SINTRAEMPAQUES) et le SINTRAINDUPLASCOL (conformément à la législation colombienne, on entend par contrat syndical un contrat conclu par un ou plusieurs syndicats de travailleurs et un ou plusieurs patrons (employeurs) ou syndicats patronaux en vue de la prestation de services ou de l’exécution d’un travail par les affiliés du ou des syndicats). En ce qui concerne les allégations susmentionnées, l’organisation plaignante indique ce qui suit: i) M. Omar Arquímedes Londoño était membre du conseil de direction du SINTRAINCAPLA, section de Medellín, qualité qui a été notifiée en temps voulu (le 27 septembre 2010) à l’entreprise Compañía de Empaques S.A., dans laquelle il était employé en vertu d’un contrat de travail à durée indéterminée; ii) le 3 janvier 2011, il a été licencié sans que soit demandée l’autorisation judiciaire de levée de l’immunité syndicale, raison pour laquelle il a intenté une action en justice; iii) en première instance, le tribunal du travail du district de Medellín, estimant qu’aucun élément ne prouvait l’illégalité de l’inscription du plaignant au conseil de direction du SINTRAINCAPLA et que, contrairement aux arguments de l’entreprise, le Code substantif du travail n’exigeait pas de créer une sous-direction de l’organisation syndicale dans la municipalité où l’entreprise a des locaux, a ordonné sa réintégration; iv) la chambre du travail du tribunal supérieur de Medellín a annulé la décision de première instance au motif que la nomination de M. Londoño au conseil de direction de la section de Medellín du SINTRAINCAPLA était illégale; le tribunal supérieur a estimé que seuls les travailleurs exerçant des fonctions dans la municipalité de Medellín pouvaient faire partie du conseil de direction susmentionné; or le travailleur en question était employé à Itagüí, municipalité où, de plus, le SINTRAINCAPLA ne comptait pas de sous-direction; v) le tribunal supérieur a estimé par ailleurs que, en étant nommé dirigeant syndical du SINTRAINCAPLA, le travailleur avait obéi uniquement à un intérêt personnel sans tenir compte de la finalité collective de la protection de l’immunité.
- 273. L’organisation plaignante indique enfin ce qui suit: i) le véritable motif du licenciement est l’opposition de ce dirigeant syndical à l’exploitation (au travail) des travailleurs de l’entreprise par le biais du contrat syndical susmentionné qu’a conclu l’entreprise avec les syndicats SINTRAEMPAQUES et SINTRAINDUPLASCOL; et ii) le fait que le tribunal supérieur de Medellín a estimé que M. Londoño, en cherchant à obtenir auprès du SINTRAINCAPLA la protection de l’immunité syndicale, avait abusé de ce droit découle de la subjectivité et des préjugés antisyndicaux de ce tribunal. Estimant qu’a été enfreint l’article 3 de la convention no 87 qui dispose que les autorités publiques doivent s'abstenir de toute intervention de nature à limiter le droit des organisations de travailleurs d’élire librement leurs représentants, l’organisation demande la réintégration du travailleur.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 274. Par une communication du 24 février 2014, le gouvernement transmet les observations de l’entreprise Compañía de Empaques S.A. qui indique ce qui suit: i) depuis de nombreuses années, sont en place dans l’entreprise deux organisations syndicales, le SINTRAEMPAQUES et le SINTRAINDUPLASCOL, avec lesquelles elle conclut régulièrement des conventions collectives du travail; ii) en revanche, le SINTRAINCAPLA n’a jamais compté d’affiliés dans l’entreprise ni eu de liens, de quelque type que ce soit, avec elle; iii) l’entreprise a conclu, avec le SINTRAEMPAQUES et le SINTRAINDUPLASCOL, un contrat syndical, lequel constitue un contrat collectif du travail reconnu par la législation colombienne et assure aux travailleurs syndiqués des prestations supérieures à celles prévues dans la législation; iv) M. Londoño n’a pas été licencié en raison de ses objections à la conclusion du contrat syndical mais à cause de son travail et de son rendement insuffisants, ainsi que de ses mauvaises relations avec ses collègues, difficultés qui avaient donné lieu depuis quelque temps à des avertissements; v) n’ayant pas été réélu, M. Londoño a cessé d’être dirigeant syndical du SINTRAEMPAQUES le 27 juin 2010 et a cherché à obtenir une nouvelle immunité syndicale par le biais d’un syndicat aucunement représentatif dans l’entreprise; et vi) la nomination au dernier moment de M. Londoño à la fonction de suppléant à la sous-direction de Medellín du SINTRAINCAPLA ne remplissait pas les conditions requises dans les statuts de cette organisation, en particulier la condition que le membre du syndicat travaille dans une entreprise dont le siège ou le domicile se trouve dans la municipalité où fonctionne la sous-direction.
- 275. Les observations de l’entreprise sont accompagnées d’une communication de la section de Medellín du SINTRAINDUPLASCOL qui souligne les bonnes relations entre l’entreprise et les deux organisations syndicales qui y sont en place, et indique que le licenciement de M. Londoño a été une décision unilatérale de l’entreprise sur laquelle les organisations syndicales susmentionnées n’ont pas influé.
- 276. A la suite des observations de l’entreprise, le gouvernement indique ce qui suit: i) en matière de licenciement, la compétence du comité se limite à la protection contre des actes de discrimination antisyndicale; or, dans le présent cas, l’organisation syndicale n’apporte pas de preuves d’un éventuel harcèlement antisyndical; ii) dans le présent cas, la législation sur l’immunité syndicale n’a pas été violée puisque l’affiliation syndicale de M. Londoño n’était pas conforme aux statuts de l’organisation, qui exigent que la personne affiliée au syndicat appartienne à une sous-direction présente dans la municipalité où l’entreprise a son domicile; or la sous-direction a été établie dans la municipalité de Medellín, où l’entreprise n’a pas de siège; et iii) la justice colombienne s’est prononcée définitivement sur les revendications des plaignants et ses décisions ont été contraires aux plaignants.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 277. Le comité note que le présent cas porte sur le licenciement antisyndical allégué de M. Londoño par l’entreprise Compañía de Empaques S.A., que la qualité alléguée de dirigeant syndical de ce travailleur n’a été reconnue ni par l’entreprise ni par les tribunaux, et qu’il n’a pas été demandé d’autorisation judiciaire pour lever l’immunité syndicale.
- 278. Le comité note que l’organisation plaignante affirme ce qui suit: i) le véritable motif du licenciement est l’opposition de ce dirigeant syndical à l’exploitation au travail des travailleurs de l’entreprise par le biais d’un contrat syndical signé entre l’entreprise et les syndicats SINTRAEMPAQUES et SINTRAINDUPLASCOL; et ii) la déclaration de nullité de la nomination de M. Londoño au conseil de direction du SINTRAINCAPLA n’est pas juridiquement fondée mais repose sur de la discrimination antisyndicale, ce qui constitue une violation de l’article 3 de la convention no 87, qui consacre la faculté des organisations syndicales d’élire librement leurs représentants.
- 279. Le comité prend note aussi des observations de l’entreprise communiquées par le gouvernement qui signalent ce qui suit: i) n’ayant pas été réélu dirigeant de l’un des syndicats en place dans l’entreprise Compañía de Empaques S.A., M. Londoño a cherché à obtenir de nouveau l’immunité syndicale par le biais d’un syndicat qui n’avait jamais compté d’affiliés ni mené d’activités syndicales dans l’entreprise; ii) ce travailleur n’était pas protégé par l’immunité syndicale puisque sa nomination à la fonction de suppléant à la sous-direction de la section de Medellín du SINTRAINCAPLA avait été annulée au motif qu’il ne pouvait pas appartenir légalement à une sous-direction dont le siège se trouvait dans une autre ville que celle où l’entreprise dans laquelle il travaillait avait son siège; iii) les motifs du licenciement n’étaient pas antisyndicaux mais objectifs, à savoir le travail et le rendement insuffisants de cette personne et ses mauvaises relations de travail avec ses collègues, difficultés qui avaient donné lieu auparavant à des avertissements.
- 280. Le comité note aussi que le gouvernement indique que: i) l’organisation plaignante n’apporte pas de preuves de discrimination antisyndicale et, par conséquent, le comité n’a pas compétence pour examiner le licenciement de M. Londoño; et ii) tant le tribunal supérieur de Medellín que la Cour suprême de justice ont rejeté définitivement les prétentions du plaignant.
- 281. Le comité note qu’il ressort des allégations de l’organisation plaignante et de la réponse de l’entreprise et du gouvernement que: i) M. Londoño avait été engagé par l’entreprise en 2003; ii) de 2008 à 2010, il avait fait partie du conseil de direction du SINTRAEMPAQUES, l’un des deux syndicats en place dans l’entreprise; iii) lors des élections syndicales de juin 2010, M. Londoño n’a pas été réélu membre du conseil de direction du SINTRAEMPAQUES en raison de désaccords idéologiques; iv) en septembre 2010, le syndicat de branche SINTRAINCAPLA a informé l’entreprise de l’affiliation de M. Londoño et de sa nomination à la fonction de suppléant au conseil de direction de la section de Medellín, municipalité limitrophe de Itagüí, où se trouve l’entreprise; v) le 3 janvier 2011, au terme des six mois supplémentaires de protection de l’immunité syndicale qui lui avaient été accordés en raison de sa qualité de dirigeant syndical du SINTRAEMPAQUES, l’entreprise a licencié M. Londoño et lui a versé une indemnité; vi) en première instance, le tribunal du travail, estimant qu’aucun élément valable ne permettait de ne pas prendre en compte sa qualité de dirigeant syndical du SINTRAINCAPLA et que son licenciement aurait dû être précédé d’une autorisation judiciaire de levée de l’immunité syndicale, a ordonné la réintégration de M. Londoño; vii) en seconde instance, le tribunal supérieur de Medellín a annulé la décision de première instance au motif qu’un travailleur exerçant ses fonctions à Itagüí ne pouvait pas être valablement nommé dirigeant d’une section syndicale établie à Medellín, et que le travailleur en question avait obéi uniquement à un intérêt personnel sans tenir compte de la finalité collective de la protection de l’immunité; et viii) la Cour suprême de justice a débouté le syndicat de son recours en tutelle au motif qu’on ne pouvait pas considérer la décision du tribunal supérieur de Medellín comme ouvertement arbitraire, et que le recours en tutelle ne constituait pas le recours de procédure appropriée pour contester l’interprétation par ce tribunal de la législation du travail.
- 282. Au vu de ces éléments, le comité note que le présent cas porte, d’un côté, sur la discrimination antisyndicale dont aurait été victime M. Londoño et, de l’autre, sur le fait que les tribunaux ont déclaré la nullité de sa nomination au conseil de direction du SINTRAINCAPLA, ce qui, selon l’organisation plaignante, enfreint son droit d’élire librement ses représentants, comme le dispose l’article 3 de la convention no 87.
- 283. Le comité constate qu’il ne dispose pas d’éléments suffisants pour se prononcer sur une éventuelle discrimination antisyndicale à l’encontre de M. Londoño. A ce sujet, le comité note que les actions en justice intentées par l’organisation plaignante ont porté pour l’essentiel sur la légalité de la nomination de M. Londoño au conseil de direction du SINTRAINCAPLA et sur l’immunité syndicale qui en découlait. Dans ces conditions, le comité ne poursuivra pas l’examen de cette question.
- 284. En ce qui concerne la violation alléguée du droit de l’organisation syndicale d’élire librement ses représentants, le comité note que la qualification de nullité de la nomination de M. Londoño au conseil de direction de la section de Medellín du SINTRAINCAPLA se fonde sur le fait qu’il ne travaillait pas dans la ville où cette section a son siège mais dans une ville limitrophe (Itagüí) et que, réciproquement, le syndicat n’était pas en place dans la ville où était établie l’entreprise qui occupait M. Londoño. Tout en observant que ni la législation colombienne ni les statuts du SINTRAINCAPLA ne contiennent de dispositions indiquant que les dirigeants d’une section syndicale doivent travailler dans la municipalité où cette section a son siège et que, par ailleurs, le SINTRAINCAPLA est un syndicat de branche dont le domaine d’action ne se limite pas à une entreprise en particulier, le comité rappelle que la liberté syndicale implique le droit pour les travailleurs et les employeurs d’élire leurs représentants en pleine liberté, que la détermination des conditions d’éligibilité aux directions syndicales est une question qui devrait être laissée aux statuts des syndicats, et que les autorités publiques devraient s’abstenir de toute intervention qui pourrait entraver l’exercice de ce droit par des organisations syndicales. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 388 et 405.] De même qu’il a affirmé constamment que les dispositions relatives à la nécessité d’appartenir à une profession ou une entreprise pour pouvoir être dirigeant syndical sont contraires au droit des travailleurs d’élire librement leurs représentants [voir Recueil, op. cit., paragr. 407], le comité estime que l’exigence que les dirigeants syndicaux d’une section syndicale travaillent dans la municipalité où la section a son siège est contraire au droit susmentionné, d’autant plus qu’il s’agit d’un syndicat de branche. Le comité prie par conséquent le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour que ce principe soit pleinement respecté.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 285. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver la recommandation suivante:
- Soulignant le droit dont disposent les travailleurs d’élire leurs représentants, le comité prie le gouvernement de s’assurer, surtout lorsqu’il s’agit d’un syndicat de branche, que ne soit pas exigé des dirigeants syndicaux d’une section syndicale de travailler uniquement dans la municipalité où celle-ci a son siège.