Allégations: Détermination indue, par voie réglementaire, du niveau de la
négociation collective et du syndicat habilité à désigner les représentants appelés à
bénéficier de congés syndicaux dans l’enseignement public
- 377. La plainte figure dans une communication du Syndicat unitaire des
travailleurs de l’éducation de Lima (SUTE Lima) et du Comité national de lutte des
syndicats de base du Syndicat unitaire des travailleurs de l’éducation du Pérou (SUTEP)
datée du 13 août 2016, ainsi que dans une communication du Syndicat unitaire des
travailleurs de l’éducation de la région d’Ayacucho (SUTE Ayacucho) et du Syndicat
unitaire des travailleurs de l’éducation de la province de Huamanga (SUTE Huamanga)
datée du 18 août 2016. Le Syndicat unitaire des travailleurs de l’éducation de la région
de Tacna (SUTEP Tacna) a envoyé des communications concernant la plainte les 1er mai et
26 novembre 2019 et la Fédération nationale des travailleurs de l’éducation du Pérou
(FENATE PERÚ) a envoyé une communication en date du 25 mai 2020 dans laquelle elle
souscrit aux informations communiquées par le SUTEP Tacna et les appuie.
- 378. Le gouvernement a fait parvenir ses observations dans une
communication en date du 6 juillet 2017.
- 379. Le Pérou a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et
la protection du droit syndical, 1948, la convention (no 98) sur le droit d’organisation
et de négociation collective, 1949, et la convention (no 151) sur les relations de
travail dans la fonction publique, 1978.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes- 380. Dans leurs communications, les organisations plaignantes (SUTE Lima,
SUTE Ayacucho, SUTE Huamanga et SUTEP Tacna), quatre organisations régionales affiliées
au SUTEP, contestent deux dispositions du règlement d’application de la loi de réforme
de l’enseignement (RLRM), qui ont été modifiées par le décret suprême no 13-2016 MINEDU
et qui, selon les organisations plaignantes, violent le droit à la liberté syndicale et
à la négociation collective des organisations régionales du secteur de l’éducation pour
les raisons suivantes:
- L’article 194.2 du RLRM confère au secrétaire général du
syndicat national des enseignants ou de la fédération nationale des enseignants,
selon le cas, le pouvoir d’accréditer les représentants régionaux appelés à
bénéficier d’un congé syndical rémunéré. Cette même disposition établit que chaque
direction régionale de l’éducation doit accorder ce congé à deux représentants de la
base du syndicat des enseignants ou du syndicat des professeurs dûment inscrit au
Registre des organisations syndicales de fonctionnaires (ROSSP). Les organisations
plaignantes considèrent que ce pouvoir conféré par le RLRM au secrétaire général du
SUTEP est excessif et contraire aux droits de représentation syndicale dont
jouissent les syndicats unitaires régionaux des travailleurs de l’éducation dûment
inscrits au ROSSP. Elles ajoutent que l’inscription de leurs directions régionales à
ce registre n’a pas nécessité l’autorisation du comité exécutif national, ce qui
tendrait à démontrer qu’en vertu du droit à la liberté syndicale l’accréditation au
niveau national n’est pas nécessaire. Elles considèrent que cette disposition
réglementaire assure un monopole au syndicat au sein du comité exécutif national du
SUTEP, avec lequel elles peuvent avoir des désaccords importants, raison pour
laquelle le syndicat en question ne devrait pas être investi de ce pouvoir
d’accréditation.
- En vertu de l’article 207 A b) du RLRM, seul le syndicat
national des enseignants est autorisé à négocier collectivement avec le ministère de
l’Éducation. D’après cette disposition, une convention collective s’entend d’un
accord conclu entre le ministère et le syndicat national des enseignants ou la
fédération nationale des enseignants le plus représentatif (en l’occurrence le
SUTEP). Cette définition prive les syndicats régionaux (en l’occurrence les
syndicats unitaires régionaux des travailleurs de l’éducation) de la possibilité de
représenter leurs membres dans les négociations avec les gouvernements régionaux.
Les organisations plaignantes considèrent que le fait de réserver cette faculté au
syndicat national cause un grave préjudice aux syndicats unitaires régionaux des
travailleurs de l’éducation, qui ne sont pas toujours d’accord avec les cahiers de
revendications présentés par le SUTEP. Les syndicats unitaires régionaux des
travailleurs de l’éducation estiment que leurs dirigeants ont été élus précisément
pour négocier collectivement avec le ministère de l’Éducation ou les autres
autorités nationales ou régionales compétentes.
- 381. Les organisations plaignantes soulignent que ces syndicats régionaux
ont toute légitimité pour représenter leurs membres auprès des autorités et rappellent
que de nombreux syndicats régionaux ont été constitués dans le pays, qu’ils jouissent de
la personnalité juridique et qu’ils sont enregistrés auprès du ministère du Travail et
de la Promotion de l’emploi. Elles considèrent que ces dispositions restreignent leurs
droits de représentation et l’exercice de leur liberté syndicale et qu’elles devraient
pouvoir négocier collectivement et déterminer lesquels de leurs représentants ont droit
au congé syndical.
- 382. Le SUTEP Tacna allègue en outre que le SUTEP se livre à l’encontre
des syndicats régionaux à des pratiques antisyndicales féroces qui ont été prouvées dans
le cadre d’une action intentée en 2014 devant la juridiction administrative pour
demander l’annulation de l’enregistrement du SUTEP Tacna. Ce dernier fait également
référence à la demande d’annulation de l’enregistrement d’autres syndicats
régionaux.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 383. Dans sa communication du 13 juillet 2017, le gouvernement communique
les observations ci après, fournies par les autorités concernées en réponse aux
allégations formulées dans la plainte:
- La loi de réforme de l’enseignement (LRM)
et son règlement d’application (RLRM) ne reconnaissent que le syndicat national des
enseignants, en l’occurrence le SUTEP (inscrit au ROSSP), alors que ce dernier
regroupe des syndicats de base ou régionaux.
- L’article 194 du RLRM (tel que
modifié par le décret suprême no 13-2016 MINEDU, contesté par les plaignants)
dispose que le congé de représentation syndicale est accordé à: a) 8 membres du
comité directeur du syndicat ou de la fédération des enseignants constitué pour la
défense des droits et des intérêts du syndicat national des enseignants; et
b) 2 représentants de la base du syndicat pour chaque direction régionale de
l’éducation. C’est le secrétaire général du syndicat national qui accrédite les
représentants régionaux appelés à bénéficier d’un congé syndical rémunéré. Par
conséquent, les entités du secteur de l’éducation sont tenues d’accorder des congés
pour représentation syndicale tant aux dirigeants nationaux du SUTEP qu’à ceux des
syndicats de base (régionaux, provinciaux, etc.) et, dans un cas comme dans l’autre,
le syndicat concerné doit être dûment inscrit au ROSSP.
- En ce qui concerne
la négociation collective, le ministère de l’Éducation ne négocie pas avec les
syndicats de base ou les syndicats d’enseignants régionaux. Afin de garantir la
défense des intérêts des enseignants, le décret suprême susmentionné dispose que la
négociation collective a lieu entre le ministère de l’Éducation et le syndicat ou la
fédération qui regroupe la majorité absolue des enseignants (50 pour cent plus 1 des
enseignants affiliés au niveau national). Cette disposition est conforme au «système
de plus grande représentativité syndicale» et constitue une solution intermédiaire
entre ce système et celui du pluralisme syndical: égalité de traitement des
syndicats et meilleure protection des intérêts des travailleurs.
- Ce système
ne se traduit pas par une discrimination des syndicats minoritaires, mais normalise
et centralise activement les revendications, les plaintes ou les propositions que
les syndicats minoritaires peuvent présenter par le truchement d’un syndicat
majoritaire. Le SUTEP est composé de différentes sections ou de différents syndicats
de base, dont les syndicats unitaires régionaux des travailleurs de l’éducation. En
vertu du «principe de direction syndicale», ces syndicats de base doivent se
conformer aux dispositions établies par les autorités du SUTEP et à leurs propres
statuts. En revanche, il appartient à chaque syndicat unitaire régional des
travailleurs de l’éducation d’élire ses représentants et de les accréditer en tant
que tels auprès des autorités. Ces syndicats font partie de l’organigramme du SUTEP
et sont donc représentés par ce dernier dans les processus de négociation
collective, ce qui permet de centraliser leurs revendications.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 384. Le comité observe que dans la présente plainte, initialement
présentée par quatre syndicats régionaux du secteur de l’éducation affiliés au syndicat
national SUTEP, il est allégué qu’il est contraire au droit à la liberté syndicale et à
la négociation collective de déterminer par voie réglementaire l’autorité syndicale
habilitée à désigner les représentants régionaux du syndicat d’enseignants appelés à
bénéficier d’un congé syndical rémunéré, ainsi que le niveau de la structure syndicale
habilité à négocier collectivement dans le secteur de l’éducation publique.
- 385. Les organisations plaignantes (le Syndicat unitaire des travailleurs
de l’éducation de Lima (SUTE Lima), le Syndicat unitaire des travailleurs de l’éducation
de la région d’Ayacucho (SUTE Ayacucho), le Syndicat unitaire des travailleurs de
l’éducation de la province de Huamanga (SUTE Huamanga) et le Syndicat unitaire des
travailleurs de l’éducation de la région de Tacna (SUTEP Tacna)), qui appartiennent au
secteur de l’éducation, considèrent que les articles 194.2 et 207 A b) du règlement
d’application de la loi de réforme de l’enseignement (RLRM), tels que modifiés par le
décret suprême no 13 2016, restreignent la liberté syndicale dans la mesure où: i) ils
attribuent au secrétaire général du SUTEP le pouvoir de déterminer quels représentants
des syndicats unitaires régionaux des travailleurs de l’éducation bénéficient de congés
syndicaux rémunérés, alors que ces syndicats disposent de leurs propres dirigeants et de
leur propre autonomie; et ii) ils restreignent la possibilité de négocier collectivement
au niveau national (le SUTEP étant le syndicat majoritaire), ce qui exclut de la
négociation collective les syndicats de base, tels que les syndicats unitaires régionaux
des travailleurs de l’éducation. Le comité note en outre que la plainte fait également
référence à des cas concrets de conflit entre le SUTEP et plusieurs de ses syndicats
régionaux, le syndicat national ayant demandé la radiation de l’enregistrement de
plusieurs de ses organisations régionales.
- 386. Le comité prend note par ailleurs de la réponse du gouvernement aux
allégations concernant le contenu du RLRM. Il relève que le gouvernement indique à cet
égard que: i) c’est le secrétaire général du syndicat national qui accrédite les
représentants régionaux appelés à bénéficier du congé syndical rémunéré et que, par
conséquent, les entités du secteur de l’éducation sont tenues d’accorder des congés pour
représentation syndicale tant aux dirigeants nationaux du SUTEP qu’à ceux de leurs
syndicats de base (régionaux, provinciaux, etc.); ii) le système actuel, tout en
permettant le pluralisme syndical, attribue la capacité de négocier au syndicat le plus
représentatif au niveau national (en l’occurrence le SUTEP), ce qui se traduit par une
meilleure protection des intérêts des travailleurs; iii) pour cette raison, le ministère
de l’Éducation ne négocie pas avec les syndicats de base ou les syndicats d’enseignants
régionaux; et iv) les syndicats de base, tels que les syndicats unitaires régionaux des
travailleurs de l’éducation, font partie de l’organigramme du SUTEP, de sorte que ce
dernier peut centraliser leurs revendications et leurs nominations et les représenter
dans le cadre des processus de négociation collective.
- 387. Notant que différents aspects de la présente plainte font apparaître
des différends opposant plusieurs syndicats de base régionaux du SUTEP et la direction
nationale de ce dernier, le comité souhaite rappeler en premier lieu que les conflits
qui éclatent au sein d’un syndicat échappent à sa compétence et doivent être tranchés
par les parties elles-mêmes avec ou sans l’assistance de l’autorité judiciaire ou d’un
médiateur indépendant. [Voir Compilation des décisions du Comité de la liberté
syndicale, sixième édition, 2018, paragr. 1622.]
- 388. En ce qui concerne les congés syndicaux, le comité reconnaît que, en
fonction de la culture juridique et du système de relations professionnelles de chaque
pays, des procédures différentes peuvent être établies pour donner effet aux facilités
accordées aux représentants syndicaux. En ce qui concerne le cas d’espèce, le comité
prend note des allégations des organisations plaignantes selon lesquelles la
réglementation attribue à l’autorité centrale du syndicat d’enseignants le pouvoir de
désigner les représentants régionaux appelés à bénéficier du congé, alors que les
syndicats de base régionaux dudit syndicat sont inscrits en tant que tels au registre
des syndicats, qu’ils ont leur propre personnalité juridique et qu’ils devraient donc
être en mesure de désigner de manière autonome ceux de leurs membres qui bénéficieront
d’un congé syndical. Le comité prend note également de la réponse du gouvernement selon
laquelle la réglementation permet d’accorder des congés syndicaux au niveau des
structures centrales des syndicats d’enseignants comme à celui de leurs structures
régionales.
- 389. Le comité prend note de la publication, depuis la présentation de la
plainte, du décret suprême no 1 2020, qui a modifié l’article 194.2 du RLRM concernant
le congé pour représentation syndicale. Il observe à cet égard que la version révisée de
l’article 194.2 du RLRM: i) prévoit, d’une part, qu’il peut exister, tant au niveau
central que régional, plusieurs organisations syndicales représentatives dans le secteur
de l’éducation et, d’autre part, que les syndicats régionaux du secteur peuvent être
affiliés ou non à une organisation nationale; et ii) dispose qu’un maximum de 3 congés
syndicaux par région pourront être accordés au lieu de 2, comme le prévoyait le décret
suprême no 13 2016. Le comité observe toutefois que le règlement révisé continue
d’attribuer à l’autorité centrale des syndicats représentatifs du secteur de l’éducation
le pouvoir d’accréditer auprès de la direction régionale de l’éducation les
représentants des syndicats régionaux appelés à bénéficier d’un congé syndical régional
lorsque ces syndicats régionaux sont affiliés à une organisation nationale.
- 390. Le comité rappelle que, dans des cas antérieurs, il a estimé que la
réglementation des procédures et des modalités de l’élection des dirigeants syndicaux
relevait en priorité des statuts du syndicat. En effet, l’idée de base de l’article 3 de
la convention no 87 est de laisser aux travailleurs et aux employeurs le soin de décider
des règles à observer pour la gestion de leurs organisations et pour les élections en
leur sein. [Voir Compilation, paragr. 592.] Dans cet esprit, le comité invite le
gouvernement, en pleine consultation avec les organisations syndicales représentatives
du secteur, à examiner comment réviser la réglementation en vigueur afin que ce soient
les organisations de travailleurs de l’éducation elles-mêmes qui fixent les mécanismes
internes de désignation de leurs représentants appelés à bénéficier du congé syndical.
Le comité renvoie les aspects législatifs du présent cas à la Commission d’experts pour
l’application des conventions et recommandations.
- 391. En ce qui concerne le niveau de la négociation collective, le comité
rappelle en premier lieu qu’il a estimé que, si les administrations publiques ont le
droit de décider si elles entendent négocier à l’échelon national ou à l’échelon
régional, les travailleurs devraient avoir le droit de choisir l’organisation chargée de
les représenter, à quelque échelon que se déroulent les négociations. [Voir Compilation,
paragr. 1370.] Le comité observe en second lieu que, depuis la présentation de la
plainte, les règles applicables à la négociation collective dans l’administration
publique ont été modifiées par l’adoption en 2021 de la loi no 31188 sur la négociation
collective dans le secteur public et par l’adoption en 2022 du décret suprême no 008
2022 PCM établissant les règles d’application de la loi no 31188, et que ces règles
couvrent également la négociation collective dans le secteur de l’éducation publique. Le
comité note à cet égard que: i) l’article 5.b de la loi no 31188 dispose que, dans le
secteur public, la négociation collective décentralisée a lieu au niveau sectoriel ou
territorial, au niveau de l’entité publique ou au niveau jugé approprié par les
organisations syndicales; et ii) la deuxième disposition complémentaire du décret
suprême no 008 2022 PCM abroge expressément les articles 207 A et 207 B du RLRM qui fait
l’objet de la présente plainte. Compte tenu de ce qui précède, le comité ne poursuivra
pas l’examen de cette allégation.
Recommandations du comité
Recommandations du comité- 392. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil
d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité invite le
gouvernement, en pleine consultation avec les organisations syndicales
représentatives du secteur, à examiner comment réviser la réglementation en vigueur
afin que ce soient les organisations de travailleurs de l’éducation qui fixent les
mécanismes internes de désignation de leurs représentants appelés à bénéficier du
congé syndical.
- b) Le comité considère que le présent cas n’appelle pas un
examen plus approfondi et qu’il est clos; il renvoie les aspects législatifs du cas
à la Commission d’experts pour l’application des conventions et
recommandations.