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A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes
- Analyse des plaintes
- 138 Les plaintes présentées sont dans l'ensemble similaires quant au fond, qu'il s'agisse de celles qui ont été adressées directement à l'O.I.T ou de celles qui ont été transmises par le Conseil économique et social. Pour des raisons de commodité, elles seront donc analysées conjointement.
- 139 Les principales allégations qui sont contenues dans ces plaintes sont les suivantes:
- a) Le 23 mai 1950, un décret aurait été promulgué supprimant les droits des syndicats d'employés et d'ouvriers sous le prétexte fallacieux que leurs dirigeants seraient communistes et fascistes. Ce décret aurait la teneur suivante:
- Article premier. Les dirigeants communistes et nazi-fascistes des syndicats de travailleurs et d'employés de la République sont privés par les présentes du droit de détenir un poste syndical.
- Article 2. Les syndicats des ouvriers et employés procéderont à des élections le premier dimanche de juillet de l'année en cours.
- Article 3. Le titulaire d'un poste syndical doit être un ouvrier ou employé travaillant effectivement dans l'industrie ou dans la profession intéressée et possédant les titres stipulés par l'article 138 du décret du 13 août 1943 portant réglementation du travail. Toute élection d'un non-travailleur, d'un étranger, d'un Bolivien naturalisé, d'un communiste ou d'un nazi-fasciste sera considérée comme nulle et non avenue.
- Article 4. Toute requête tendant à invalider une élection en raison du fait que les candidats ne possèdent pas les titres requis ou pour d'autres motifs sera déposée dans un délai de dix jours, à compter de la date à laquelle cette absence de titre a été établie, auprès du juge du Tribunal du travail compétent, qui se prononcera en premier ressort. Appel pourra être interjeté dans les trois jours devant le Tribunal national du travail.
- Les plaignants estiment que ce décret viole non seulement les libertés reconnues par la Charte de l'Atlantique, le traité de Versailles et la Conférence internationale du Travail, notamment dans la Déclaration de Philadelphie, mais aussi la Constitution politique de la Bolivie, et notamment son article 128 qui est rédigé comme suit:
- La liberté syndicale est garantie et la convention collective est reconnue. Les clauses de sécurité syndicale, de même que le droit de grève comme moyen de défense des travailleurs, conformément aux dispositions légales, sont également reconnus, et les travailleurs ne peuvent pas être renvoyés, poursuivis ou emprisonnés du fait de leur activité syndicale.
- b) Les syndicats et leurs dirigeants seraient l'objet de persécutions répétées et systématiques, les activités syndicales feraient l'objet de répressions constantes depuis décembre 1946 et ces répressions auraient à plusieurs reprises revêtu un caractère sanglant. L'accusation du gouvernement selon laquelle des délits de droit commun auraient été commis en certains cas no serait qu'une manoeuvre de sa part en vue de permettre la traduction en jugement des dirigeants syndicalistes au mépris des garanties constitutionnelles (cf. article 128 de la Constitution, cité plus haut). La seule part qu'auraient prise les dirigeants des syndicats des mineurs à ces événements aurait consisté à empêcher les forces de police de causer dans leur fureur un plus grand nombre de victimes. Le fait qu'il n'aurait pas été commis de crimes de droit commun ressortirait du reste de la longue période pendant laquelle a été paralysée l'instruction entreprise par les autorités judiciaires sur les activités des syndicats, ce laps de temps étant utilisé par le gouvernement pour assassiner sans pitié des centaines de travailleurs sans distinction de sexe, ni d'âge. Au surplus, les dirigeants syndicalistes exilés de même que les prisonniers et les persécutés n'auraient jamais bénéficié du privilège reconnu par la législation judiciaire bolivienne, qui accorde à tout inculpé la pleine liberté de présenter les éléments qu'il considère comme nécessaires pour sa défense.
- c) Certains dirigeants syndicalistes ont été expulsés au mépris le plus formel des clauses protectrices des syndicats.
- d) Les plaignants reconnaissent qu'une loi d'amnistie a été promulguée le 12 septembre 1950 en vue d'accorder une amnistie générale à tous ceux qui étaient inculpés, exilés ou arrêtés pour des motifs politiques. Cette loi aurait la teneur suivante:
- Article premier. Une amnistie générale est accordée à toutes les personnes inculpées, exilées, internées ou poursuivies pour des délits politiques.
- Article 2. Tant que les tribunaux n'ont pas prononcé leur sentence, les événements suivants ne seront pas considérés comme des délits de nature politique : les désordres de Chuspipata, Challacollo et Tipuani (novembre 1944), de Catavi (mai 1949), et Potosi (septembre de la même année), la confiscation des fonds fiscaux et privés au cours de la guerre civile de 1949, de même que les actes de barbarie perpétrés dans la cité de La Paz les 17 et 18 mai de la présente année.
- Mais ils estiment qu'il ne s'agit en l'espèce que d'une " moquerie cruelle " vis-à-vis des légitimes aspirations des masses boliviennes et que, par cette mesure, le gouvernement bolivien essaie seulement de tromper l'opinion, étant donné que, de l'avis des plaignants, l'article 2 de cette loi réduirait à tel point la portée de son article premier que l'amnistie ne couvrirait en fait que 5 à 10 exilés et que, d'autre part, la proclamation d'un état de crise quelques jours après la promulgation de la loi d'amnistie en aurait virtuellement annulé les effets.
- 140 En conclusion, les plaignants demandent l'envoi d'une commission d'enquête et une intervention en faveur de certains travailleurs condamnés à mort par les tribunaux au cours d'un procès qu'ils estiment illégal.
- Analyse des réponses
- 141 Deux réponses sont parvenues du gouvernement bolivien:
- a) l'une, en date du 20 janvier 1951, présentant les observations du gouvernement bolivien sur la plainte soumise directement à l'O.I.T par la Fédération des syndicats de mineurs de Bolivie et qui lui avait été communiquée par lettre du 19 décembre 1950 ;
- b) l'autre, en date du 7 janvier 1952, émanant d'un nouveau gouvernement transmettant les observations de celui-ci sur un groupe de plaintes renvoyées à l'O.I.T par le Conseil économique et social et communiquées au gouvernement bolivien par lettre du 27 septembre 1951.
- Ces deux réponses seront analysées séparément.
A. Lettre du 20 janvier 1951
A. Lettre du 20 janvier 1951
- 142. Dans cette lettre, le gouvernement déclare qu'en vue de permettre un examen impartial des allégations présentées, il soumet à l'examen de l'Organisation internationale du Travail les éléments d'appréciation suivants:
- a) La véritable organisation syndicale, c'est-à-dire l'organisation des éléments ouvriers qui n'ont en vue que l'amélioration de leur sort indépendamment d'activités politiques nocives, est effectivement garantie et jouit de l'appui des pouvoirs publics. L'article 128 de la Constitution le reconnaît du reste formellement.
- b) Par contre, les activités dont l'unique objet est de renverser l'actuel gouvernement démocratique sous le couvert du " droit syndical " doivent être réprimées par le gouvernement, qui a le devoir impératif de veiller à sa propre conservation et à celle des institutions démocratiques.
- c) Si la loi générale du travail et son décret d'application établissent clairement les fins de tout syndicat (parmi lesquelles, par exemple, la représentation des syndicats dans les conventions collectives et dans les instances de conciliation et d'arbitrage, la création d'assurances, l'organisation de coopératives, etc.), ils ne mentionnent pas comme fins " syndicales " le fait de propager des doctrines communisantes, le fait de s'insurger contre le gouvernement issu de la volonté populaire et le fait d'entretenir en permanence un esprit révolutionnaire chez les syndiqués, allant jusqu'à l'accomplissement de crimes abominables. L'Etat bolivien reconnaît le droit syndical quand il s'exerce " conformément à la loi ", comme il est expressément prévu à l'article 128 de la Constitution, mais l'article 137 indique " qu'il est interdit aux syndicats de s'occuper de questions différentes de celles qui ont été énumérées antérieurement ".
- d) Les signataires des plaintes, qui s'intitulent improprement les " dirigeants " de la Fédération des syndicats de mineurs de Bolivie, sont en réalité les chefs de mouvements révolutionnaires cherchant à renverser le gouvernement et nullement à protéger les droits légitimes des travailleurs. La " thèse de Pulacayo ", Charte du P.O.R, qui fut approuvée par le Congrès des mineurs boliviens et dont se réclament les signataires, n'a rien de démocratique puisqu'elle est une synthèse du régime communiste le plus cynique et le plus extrémiste. Pour justifier ses dires, le gouvernement impute personnellement à certains signataires de la plainte l'accomplissement d'actes réitérés de violence (notamment organisation de groupes d'assaut dans les mines pour en prendre possession par la force, attaque à main armée contre une caserne, minage de voies de communications, etc.).
- e) Le gouvernement se réfère également à la loi d'amnistie du 12 septembre 1950 en indiquant que s'il y a eu des exceptions, c'est en accord avec la doctrine même de l'amnistie, qui doit s'appliquer à des événements nettement politiques auxquels on ne peut assimiler des délits de droit commun. Or, il est logique d'attendre en de tels cas la sentence des tribunaux ordinaires. Cette loi n'est donc pas une " moquerie cruelle " puisque c'est le peuple bolivien lui-même qui exige le châtiment de ceux qui, pendant plus de trois ans, ont troublé la paix sociale et l'ordre légalement constitué de la République bolivienne.
- 143. En conclusion, le gouvernement déclare qu'on ne peut pas parler de violation des droits syndicaux puisque l'action répressive du gouvernement n'a pas été dirigée contre les activités syndicales, qui sont protégées par l'Etat, mais contre des activités révolutionnaires ayant pour seul but le renversement du gouvernement constitutionnel et l'implantation d'une dictature communiste. En conséquence, il exprime l'espoir que l'Organisation internationale du Travail, dont il reconnaît le prestige et le mérite, juge " combien fausse est la position des ex-dirigeants des mineurs qui ont voulu surprendre sa bonne foi".
B. Lettre du 7 janvier 1952
B. Lettre du 7 janvier 1952
- 144. Dans cette lettre, le gouvernement bolivien fait valoir les considérations suivantes:
- a) Depuis le mois de mai 1951, la Bolivie est gouvernée par un Conseil militaire et tous les syndicats ouvriers, sans aucune exception, jouissent d'une entière liberté et bénéficient d'un concours actif dans le développement de leurs activités authentiquement syndicales. Du reste, les syndicats et les fédérations ont adopté publiquement des résolutions exprimant la satisfaction des travailleurs en présence de la politique de justice sociale suivie par les autorités actuellement au pouvoir.
- b) Le gouvernement se réfère à la lettre du 20 janvier 1951 analysée ci-dessus, qui a été adressée à l'O.I.T par le gouvernement qui était au pouvoir avant lui en vue de permettre à celle-ci " de procéder à un examen impartial de l'attitude de ces autorités en ce qui concerne les droits syndicaux ".
- c) Des mesures seront prises en vue de faire progresser la législation du travail conformément aux recommandations et résolutions de l'O.I.T et conformément aussi aux recommandations de la Mission d'assistance technique des Nations Unies, dirigée par le Dr Keenleyside, compte tenu des besoins particuliers de la Bolivie.
- d) La ratification, par le nouveau gouvernement bolivien, de l'instrument d'amendement à la Constitution de l'O.I.T est une preuve nouvelle des aspirations de ce gouvernement vers la justice sociale.
C. C. Conclusions du comité
C. C. Conclusions du comité
- 145. Le cas se présente dans des circonstances tout à fait particulières.
- 146. Les plaintes communiquées au gouvernement bolivien se réfèrent toutes à une situation de fait antérieure à la constitution de l'actuel gouvernement.
- 147. Le gouvernement actuel indique, dans sa lettre du 7 janvier 1952, que désormais " tous les syndicats ouvriers de ce pays sans aucune exception jouissent d'une entière liberté et bénéficient d'un concours actif dans le développe ment de leurs activités authentiquement syndicales ", qu'il a, à titre de " preuve de ses aspirations vers la justice sociale ", ratifié l'instrument d'amendement de la Constitution de l'O.I.T, et que " des mesures seront prises en vue de faire progresser la législation du travail, pour le bénéfice des travailleurs boliviens, par l'organisation de services gouvernementaux du travail, conformément aux recommandations et aux résolutions de l'O.I.T et conformément aussi aux recommandations de la Mission d'assistance technique des Nations Unies dirigées par le Dr Keenleyside, compte tenu des besoins particuliers " du pays.
- 148. La Mission dirigée par le Dr Keenleyside à laquelle se réfère la lettre du gouvernement bolivien fut conduite sous l'égide des Nations Unies avec le concours d'un certain nombre d'institutions spécialisées, dont l'Organisation internationale du Travail. Un accord entre les Nations Unies et le gouvernement bolivien relatif à la mise en oeuvre de certaines des recommandations formulées par la Mission prévoit la désignation, par le gouvernement bolivien, d'un certain nombre de conseillers proposés par les organisations internationales compétentes qui prêteront leur assistance au gouvernement dans son programme de développement et de réformes économiques et sociales. Deux de ces conseillers ont été désignés sur la proposition du Bureau international du Travail. Les Nations Unies et les institutions spécialisées coopérant avec le gouvernement bolivien sont représentées en Bolivie par un représentant spécial des Nations Unies pour l'assistance technique, qui est un ancien Président du Conseil d'administration.
- 149. Puisque le gouvernement bolivien se réfère explicitement dans sa lettre du 7 janvier 1952, à la lettre du 20 janvier 1951 envoyée par le précédent gouvernement, il semble qu'il reconnaisse formellement le lien de continuité qui existe devant les organismes internationaux entre le précédent et l'actuel gouvernement. Si ce dernier ne peut évidemment être tenu responsable de faits qui se sont produits sous le régime de son prédécesseur, il n'en a pas moins une responsabilité manifeste quant aux conséquences que ces faits auraient pu continuer à engendrer depuis son arrivée au pouvoir.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 150. En tenant compte de ces diverses considérations, le Comité, tout en reconnaissant que la question peut avoir eu un caractère politique, regrette que de sérieuses entraves semblent avoir été apportées à l'exercice des droits syndicaux lorsque l'ancien gouvernement était au pouvoir et exprime l'espoir que les assurances données par le gouvernement actuel conduiront à une protection satisfaisante des droits syndicaux ; en ce qui concerne la situation actuelle, le Comité recommande au Conseil d'administration de décider:
- a) d'exprimer à l'actuel gouvernement bolivien sa reconnaissance pour les renseignements fournis dans sa lettre du 7 janvier 1952 indiquant notamment que des mesures doivent être prises en vue de faire progresser la législation du travail ;
- b) d'attirer à cet égard son attention sur la Convention concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et sur la Convention concernant l'application des principes du droit d'organisation et de négociation collective, 1949, au sujet desquelles le gouvernement bolivien pourrait envisager utilement l'opportunité d'une ratification ;
- c) de charger le Directeur général de communiquer pour information la partie de ce rapport concernant le cas de la Bolivie, ainsi que tous les documents se rapportant à ce cas, au représentant des Nations Unies pour l'assistance technique accrédité auprès du gouvernement bolivien, en espérant que cette documentation pourra être prise en considération dans le cadre de la coopération technique qui s'est instituée entre les Nations Unies et les institutions spécialisées, d'une part, et le gouvernement bolivien, d'autre part.