Visualizar en: Inglés - Español
- 170. Par une communication en date du 13 novembre 1958, adressée directement à l'O.I.T, la Confédération internationale des syndicats chrétiens a déposé une plainte en violation de la liberté syndicale dirigée contre le gouvernement de la République argentine. Cette plainte ayant été communiquée le 26 novembre 1958 pour observations au gouvernement argentin, celui-ci a fait parvenir sa réponse par une lettre en date du 23 février 1959.
A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes
- 171. La plainte de la C.I.S.C a trait à la nouvelle loi du 8 août 1958 sur les associations professionnelles, que l'organisation plaignante considère comme s'inscrivant, par de nombreuses dispositions, en violation des principes qui sont à la base de la liberté syndicale et, en particulier, des normes établies par la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, ce dernier instrument ayant été ratifié par l'Argentine.
- 172. Aux dires des plaignants, la liberté syndicale que prétend garantir l'article 2 de la loi du 8 août 1958 est complètement détruite par toute une série d'autres dispositions de la loi qui établiraient un monopole syndical pour les organisations professionnelles remplissant certaines conditions de représentativité déterminées par la loi. Si les minorités numériques et autres groupements jugés non représentatifs ont le droit de constituer des organisations professionnelles, il leur est interdit par contre de s'appeler « syndicats »; il leur est également interdit de défendre et de représenter leurs intérêts professionnels devant l'Etat et les employeurs si, dans le même secteur, il existe déjà une association reconnue comme syndicat par les autorités gouvernementales.
- 173. Ainsi, déclarent les plaignants, les organisations créées par les travailleurs ne désirant pas appartenir aux syndicats jouissant du monopole protégé par l'Etat ne peuvent, en fait, exercer aucune fonction syndicale. Il découle en effet de l'article 16 de la loi qu'elles ne peuvent s'engager dans aucune des activités suivantes: a) défendre et représenter les intérêts professionnels devant l'Etat et les employeurs; b) défendre et représenter les intérêts individuels de chacun de leurs membres devant les institutions de prévoyance, en justice et devant tout autre organisme de l'Etat; c) participer aux organismes gouvernementaux chargés de la réglementation du travail et de la sécurité sociale; d) intervenir dans les négociations collectives, signer et modifier des accords et des conventions collectives, contribuer à surveiller l'accomplissement de la législation sociale et promouvoir son extension et son perfectionnement; e) collaborer avec l'Etat en tant qu'organes techniques et consultatifs pour l'étude et la solution des problèmes concernant la profession; f) organiser des réunions et assemblées sans autorisation préalable; g) constituer un patrimoine destiné à des oeuvres mutuelles.
- 174. De cette façon - déclarent les plaignants - pour obtenir satisfaction dans des conflits ou des difficultés avec des employeurs, des organismes de l'Etat, de la sécurité sociale, etc., de nombreux travailleurs seront donc en fait obligés de s'affilier à un syndicat reconnu par l'Etat, l'activité des syndicats non reconnus étant paralysée.
- 175. Les plaignants citent ensuite les articles 18, 19 et 20 de la loi, qui fixent les critères dont il est tenu compte pour attribuer ou non la personnalité syndicale. Ces articles, tels qu'ils sont cités par les plaignants, sont ainsi conçus:
- Article 18. - L'association professionnelle de travailleurs, la plus représentative de l'activité dont il s'agit, aura droit de jouir de la personnalité syndicale à la condition que:
- 1) ses statuts s'ajustent aux dispositions contenues dans la présente loi;
- 2) elle possède le plus grand nombre d'affiliés et que ce nombre lui confère la capacité suffisante pour représenter l'activité ou la catégorie dans la zone où se circonscrit son action;
- 3) elle ait une ancienneté de plus de six mois dans l'exercice de l'action syndicale.
- Article 19. - Dans le cas où il existe un syndicat ayant la personnalité syndicale, cette personnalité ne pourra être donnée à un autre syndicat de la même activité que lorsque le nombre d'affiliés cotisants de ce dernier sera supérieur à celui des membres de l'association qui jouit de la personnalité syndicale, pendant une période minimum et continue de six mois immédiatement antérieure à la demande.
- Article 20. - Quand, dans le cas de l'article précédent, la personnalité syndicale sera donnée à un syndicat, le syndicat qui l'avait obtenue antérieurement la perdra s'il cesse de revêtir un caractère suffisamment représentatif. On tiendra compte, pour décider du maintien de la personnalité syndicale du syndicat dépassé en nombre d'affiliés, de son action syndicale comme de sa contribution à la défense et à la protection des intérêts professionnels.
- 176. De l'avis de l'organisation plaignante, les critères fixés dans ces articles pour attribuer la personnalité syndicale à une association ou pour la lui retirer sont non seulement très arbitraires, mais encore très vagues. De plus, déclarent les plaignants, « le gouvernement pourra se servir de ces critères d'après son appréciation de l'importance, de la valeur et de la tendance de l'activité syndicale d'une organisation professionnelle ». D'après eux, la loi donne donc au gouvernement toute possibilité de dominer le mouvement syndical monopolisé qui, en conséquence, risque de devenir un instrument politique aux mains dudit gouvernement.
- 177. En conclusion, la C.I.S.C demande à l'O.I.T.: a) de prier le gouvernement de la République argentine de ne pas appliquer la loi incriminée; b) de prier le gouvernement d'entamer les procédures nécessaires pour remplacer cette loi par une autre qui devra respecter pleinement la liberté syndicale et les droits syndicaux; c) de prier le gouvernement d'appliquer la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, ratifiée par l'Argentine; d) d'inviter le gouvernement à procéder, aussi rapidement que possible, à la ratification et à l'application de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948.
- 178. Dans sa réponse, le gouvernement affirme que la loi du 8 août 1958 n'impose aucune directive quant à l'organisation du mouvement syndical argentin; elle se borne à établir un régime juridique garantissant le fonctionnement des organismes professionnels, à assurer la légitimité des représentants qu'ils désignent et à protéger les droits des travailleurs qui en sont membres.
- 179. Pour juger de la valeur de cette loi, et pour se rendre compte des buts visés par ses dispositions, il convient, poursuit le gouvernement, de tenir compte du milieu dans lequel elle est appelée à être appliquée. En Argentine, déclare-t-il, les travailleurs aspirent à constituer des associations professionnelles puissantes; ils ont compris que, pour y parvenir, ils doivent éviter de disperser leurs efforts et ils veillent donc à maintenir la plus grande unité possible. A l'appui de cette assertion, le gouvernement rappelle que, pendant la période où était en vigueur le décret-loi no 9270/56, qui avait institué un régime de pluralité syndicale absolue, très peu nombreuses ont été les associations professionnelles de travailleurs qui se sont constituées parallèlement aux associations déjà existantes.
- 180. Le gouvernement déclare ensuite que la force obligatoire attribuée en Argentine aux conventions collectives du travail, force obligatoire qui s'exerce même à l'égard de tiers n'ayant pas pris part à la conclusion desdites conventions, fait une obligation aux autorités de veiller attentivement au caractère véritablement représentatif des associations qui négocient ces conventions. C'est pourquoi la loi en question - estime le gouvernement - si elle attribue des droits préférentiels aux associations professionnelles les plus représentatives, ne semble pas inappropriée aux conditions sociales qui règnent en Argentine et ne porte nullement atteinte à la liberté syndicale.
- 181. De l'avis du gouvernement, pour apprécier la mesure dans laquelle la liberté syndicale est une réalité, il convient de se placer à trois points de vue différents: le point de vue des rapports des associations avec l'Etat, le point de vue des rapports des individus avec les associations, le point de vue, enfin, des rapports des associations entre elles.
- 182. En ce qui concerne la première question, l'indépendance des associations professionnelles de travailleurs à l'égard de l'Etat est - déclare le gouvernement - très nettement sanctionnée dans le régime institué par la loi du 8 août 1958. L'article 38 de cette loi est en effet ainsi conçu: « En aucun cas, l'autorité d'application ne pourra intervenir dans la direction ou la gestion d'une association professionnelle », qu'on lui reconnaisse ou non le statut syndical. En outre, l'article 25 dispose expressément que « la suspension ou le retrait du statut syndical ne prive pas l'organisation du droit de poursuivre son activité comme simple association régie par le droit commun».
- 183. Du point de vue des rapports des individus avec les associations, la liberté syndicale - déclare le gouvernement - doit être considérée comme assurée dans la mesure où les individus jouissent de la liberté de s'affilier ou de ne pas s'affilier à une association, et, dans le premier cas, de s'en retirer quand ils le désirent, ainsi que de choisir librement l'association dont ils veulent devenir membres. Tous ces droits, indique le gouvernement, sont pleinement reconnus par la loi du 8 août 1958.
- 184. En ce qui concerne enfin le dernier point - rapports des associations entre elles -, le gouvernement déclare que la loi incriminée garantit l'indépendance des associations de travailleurs à l'égard de toute association d'employeurs et de toute organisation politique nationale ou internationale, et interdit aux associations de travailleurs d'accepter des subventions de ces dernières (article 7 de la loi).
- 185. La nouvelle législation, déclare le gouvernement, consacre le régime de la pluralité syndicale tout en consacrant le principe de l'unité en ce qui concerne la représentation professionnelle. Ce faisant, elle donne une base juridique à la prépondérance que l'association majoritaire s'assure nécessairement par sa force propre d'attraction, force qui constitue par ailleurs le fondement de la capacité juridique spéciale que la loi lui attribue. Ainsi, cette nouvelle législation n'a donc d'autre objet que de consacrer le principe démocratique de la prédominance de la majorité.
- 186. Le gouvernement ajoute:
- Il est certain que si l'on n'avait pas voulu instituer par la loi plusieurs catégories d'associations, on aurait pu choisir de les mettre toutes sur le même pied, quels que soient leur caractère représentatif et le nombre de leurs membres, mais alors les seuls droits qu'on aurait pu leur reconnaître sont ceux qui ont leur source dans les garanties constitutionnelles concernant la liberté, le droit de libre association et le droit de s'adresser aux autorités. Il ne faut pas confondre, cependant, les droits qui ont leur origine dans ces garanties avec les droits syndicaux spéciaux institués en raison du fait que toute branche professionnelle doit nécessairement être représentée. Cette disposition essentielle n'est pas faite dans les textes législatifs, qui groupent en une seule catégorie toutes les associations professionnelles, en faisant abstraction du système du statut syndical. En vertu de ces textes, il faut, pour qu'elles puissent accomplir des actes comportant représentation effective d'une branche professionnelle - la conclusion de conventions collectives, par exemple - que les organisations fassent la preuve de leur caractère représentatif.
- 187. Le choix du système adopté, affirme en outre le gouvernement, exclut tout risque d'arbitraire de la part des autorités administratives puisque la loi du 8 août 1958, en son article 37, prévoit la possibilité d'en appeler aux tribunaux pour tout ce qui concerne le statut syndical.
- 188. La réponse du gouvernement relève que la plainte de la C.I.S.C énumère les compétences que l'article 16 de la loi accorde aux associations professionnelles les plus représentatives en omettant de faire la moindre allusion aux compétences consenties par l'article 15 de cette même loi aux autres associations, c'est-à-dire aux associations qui sont simplement inscrites. Contrairement à ce que paraissent alléguer les plaignants, il n'est nullement fait à ces dernières associations une interdiction absolue de défendre et de représenter les intérêts professionnels devant l'Etat et les employeurs. Ce n'est qu'au cas où il existe, pour la catégorie professionnelle dont relèvent ces associations simplement inscrites, une ou plusieurs associations jouissant du statut syndical reconnu, qu'elles doivent s'abstenir d'exercer les droits qui appartiennent exclusivement aux associations ayant le statut syndical. Ce système n'implique pas que les associations simplement inscrites ne peuvent intervenir pour défendre et représenter leurs membres, ni obtenir la personnalité juridique en qualité de simples associations, ni encore agir pour la défense des intérêts professionnels. La différence de compétence entre les associations professionnelles jouissant du statut syndical et les associations simplement inscrites réside en somme dans le fait que les premières représentent juridiquement leur branche professionnelle, alors que les secondes ne peuvent accomplir que des actes de gestion pour défendre les intérêts de leur catégorie.
- 189. Le gouvernement conclut en affirmant que la loi du 8 août 1958 ne viole donc en rien les dispositions des conventions internationales du travail nos 87 et 98, qu'elle ne crée pas un monopole syndical en faveur des organisations possédant le statut syndical, qu'elle n'interdit pas aux associations simplement inscrites de remplir leurs fonctions syndicales, qu'elle ne donne pas, enfin, au gouvernement la possibilité de dominer le mouvement syndical lui permettant ainsi de le transformer en un instrument de sa politique.
- 190. Il ressort, tant des allégations formulées par les plaignants que des observations présentées par le gouvernement, que la question essentielle du cas dans son ensemble consiste en la distinction opérée par la loi du 8 août 1958 entre les organisations professionnelles « ordinaires » et celles qui jouissent de la «personnalité syndicale » (personalidad gremial). Plaignants et gouvernement donnent à cette distinction une signification et une portée différentes, aussi, pour pouvoir aboutir à une conclusion, il convient de se reporter au texte même de la loi.
- 191. L'article 2 de la loi dispose que les travailleurs ont le droit de constituer, sans autorisation préalable, les organisations de leur choix et celui de s'y affilier. De son côté, l'article 6 interdit toute discrimination en matière syndicale. Cependant, dans ses chapitres IV et V, la loi réintroduit une notion qui avait été auparavant abandonnée, à savoir la distinction entre organisations ordinaires et organisations jouissant de la personnalité syndicale.
- 192. Le critère essentiel sur lequel se fonde l'octroi ou le refus de la personnalité syndicale réside dans le degré de représentativité de l'organisation postulante, degré qui est déterminé à son tour, d'une part et principalement, en se basant sur le nombre des adhérents de ladite organisation, par rapport à celui des affiliés des autres organisations, d'autre part, sur la contribution de l'organisation intéressée à la défense et à la protection des intérêts professionnels.
- 193. A plusieurs reprises, et notamment à propos de la discussion du projet de convention sur le droit d'organisation et de négociation collective, la Conférence a évoqué la question du caractère représentatif des syndicats, et elle a admis dans une certaine mesure la distinction faite parfois entre les divers syndicats en présence selon leur degré de représentativité. De son côté, l'article 3, paragraphe 5, de la Constitution de l'O.I.T consacre la notion d'« organisations les plus représentatives». En soi, la distinction faite par la nouvelle loi argentine entre deux catégories d'organisations syndicales ne saurait donc prêter à critique.
- 194. Il convient néanmoins d'examiner, à la lumière des textes, quels sont, d'une part, les critères et, d'autre part, les conséquences d'une pareille distinction.
- 195. En effet, pour admissible qu'elle soit en elle-même, encore faut-il en premier lieu que les critères qui président à la distinction opérée entre organisations plus ou moins représentatives soient objectifs et qu'ils se fondent sur des éléments n'offrant pas de possibilités d'abus.
- 196. Aux termes de l'article 19 de la loi argentine, un syndicat ne pourra obtenir la personnalité syndicale, s'il en existe déjà un la possédant, que si le nombre de ses adhérents vient à dépasser celui de ceux que comptait le syndicat antérieur. De son côté, l'article 20 dispose que le syndicat qui jouissait de la personnalité syndicale perdra cette personnalité s'il cesse de revêtir un caractère suffisamment représentatif. Et cet article ajoute: « On tiendra compte, pour décider du maintien de la personnalité syndicale au syndicat dépassé en nombre d'affiliés, de son action syndicale comme de sa contribution à la défense et à la protection des intérêts professionnels. »
- 197. Le Comité estime que le manque de précision qui caractérise cette dernière formule serait susceptible de permettre des abus quant à la décision qui serait ainsi prise par le gouvernement de maintenir ou non la personnalité syndicale à un syndicat déterminé.
- 198. Il semble en effet que l'indépendance des organisations professionnelles dans leurs rapports avec les pouvoirs publics pourrait être compromise si le législateur ou le pouvoir exécutif établit, entre les diverses organisations en présence, une discrimination qui n'est pas fixée sur des critères objectifs, et, à plus forte raison - comme il ressort, ainsi qu'on le verra plus loin, d'une analyse de la loi argentine - si les conséquences de la distinction entre les différentes organisations aboutissent à réserver à certaines organisations un monopole tant dans le domaine de la réglementation des conditions d'emploi (négociations collectives, etc.) que dans celui de la représentation et de la défense des intérêts des travailleurs auprès des autorités publiques.
- 199. Sur ce dernier point, les conséquences de la distinction entre les organisations sans personnalité syndicale et les organisations possédant cette personnalité sont déterminées dans les articles 15 et 16 de la loi, qui définissent les fonctions et les droits de ces deux genres d'organisations. L'article 16 précise que les droits et fonctions qu'il énumère sont réservés exclusivement aux organisations ayant la personnalité syndicale. Parmi les droits ainsi consentis par l'article 16 aux seules organisations jouissant de la personnalité syndicale figurent: la participation aux travaux des organismes officiels chargés de la réglementation du travail et de la sécurité sociale, la négociation et la conclusion de conventions collectives, la collaboration avec l'Etat, à titre technique et consultatif, dans l'étude des solutions aux problèmes intéressant la branche professionnelle représentée par l'organisation, la tenue de réunions sans autorisation préalable, la défense et la représentation des intérêts individuels des membres de l'organisation devant les institutions de la sécurité sociale, les tribunaux et autres organismes publics, la défense, enfin, et la représentation des intérêts professionnels vis-à-vis de l'Etat et des employeurs. Il est vrai que ce dernier droit est également consenti aux organisations ordinaires, mais l'article 15 de la loi précise toutefois qu'elles n'en jouissent que dans le cas où il n'existe pas d'organisation ayant la personnalité syndicale pour la branche d'activité considérée.
- 200. Parmi les activités auxquelles peuvent se livrer les organisations ordinaires, l'article 15 de la loi mentionne la création d'institutions de prévoyance, de camps de vacances, de restaurants, d'hôpitaux, etc., l'établissement de coopératives de production et de consommation, la promotion de l'éducation générale et de la formation professionnelle par la création de bibliothèques, de laboratoires, etc. Du point de vue strictement syndical, le rôle imparti à ces organisations est donc extrêmement limité. Si l'on se reporte en effet à la définition donnée par l'article 10 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, l'expression « organisations professionnelles » doit être entendue comme signifiant «toute organisation de travailleurs ou d'employeurs ayant pour but de promouvoir et de défendre les intérêts des travailleurs ou des employeurs ». Il est certain, à la lecture de la loi, que si c'est peut-être bien là le but visé par les organisations ordinaires, les moyens de l'atteindre leur font défaut et que les possibilités d'action de ces organisations sont particulièrement limitées.
- 201. Le gouvernement, dans sa réponse, définit la différence de fonctions entre les organisations jouissant de la personnalité syndicale et les organisations ordinaires comme résidant uniquement dans le fait que les premières représentent juridiquement leur branche professionnelle alors que les secondes ne peuvent accomplir que des actes de gestion pour défendre les intérêts de leur catégorie. En fait, c'est sur les associations dotées de la personnalité syndicale que repose en définitive tout le système des relations professionnelles, et ces organisations semblent être les seules ayant les moyens de défendre et de promouvoir les intérêts des travailleurs; quant aux autres organisations de travailleurs, elles sont, de par la loi, privées de fonctions syndicales essentielles telles que, outre la défense et la promotion des intérêts professionnels, celles de conclure des conventions collectives.
- 202. Dans ces conditions, étant donné que la distinction opérée par la loi entre organisations jouissant de la personnalité syndicale et organisations ordinaires se traduit, en particulier pour les secondes, on l'a vu, par une impossibilité de défendre les intérêts professionnels auprès des employeurs, de tenir des réunions sans autorisation préalable et de conclure des conventions collectives - ce point ayant une importance particulière en Argentine, où les conventions collectives peuvent être étendues à des tiers n'ayant pas participé à leur négociation et à leur conclusion -, il apparaît que les organisations n'ayant pas la personnalité syndicale n'ont pas le droit d'organiser librement leur gestion et leur activité et de formuler leur programme d'action. En outre, étant donné les fonctions limitées qui sont reconnues à ces organisations, on est en droit de se demander si cette distinction ne soulève pas la question du principe généralement reconnu du droit pour les travailleurs de constituer des organisations de leur choix et de s'y affilier, principe consacré par l'article 2 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948.
B. B. Conclusions du comité
B. B. Conclusions du comité
- 203. La Conférence, en effet, en faisant figurer les termes «organisations de leur choix» dans ladite convention, entendait tenir compte du fait que, dans un certain nombre de pays, il existe plusieurs organisations d'employeurs et de travailleurs entre lesquelles les intéressés peuvent choisir pour des raisons d'ordre professionnel, confessionnel ou politique, sans pour autant se prononcer sur la question de savoir si, dans l'intérêt des travailleurs et des employeurs, l'unité dans l'organisation syndicale est ou non préférable au pluralisme syndical. Mais elle entendait également consacrer le droit, pour tout groupe de travailleurs (ou d'employeurs), de constituer une organisation en dehors de l'organisation déjà existante, s'il estime cette solution préférable pour la défense de ses intérêts d'ordre matériel ou moral.
- 204. La convention précise du reste que les organisations de travailleurs et d'employeurs doivent avoir le droit d'organiser leur gestion et leur activité et de formuler leur programme d'action (article 3) et que l'acquisition de la personnalité juridique par les organisations professionnelles ne devra pas être subordonnée à des conditions de nature à mettre en cause les garanties prévues par la convention (article 7), garanties parmi lesquelles figurent le libre choix des organisations par les travailleurs, et le droit des organisations d'organiser leur gestion et leur activité et de formuler leur programme d'action.
- 205. Enfin, il n'est peut-être pas inutile de mentionner ici les constatations faites par la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations à sa dernière session (avril 1959), aux termes desquelles, notamment, dans certains cas, une interdiction de créer une organisation professionnelle apte à « défendre et promouvoir les intérêts de ses membres » peut résulter de la «reconnaissance » par le gouvernement d'une autre organisation. « Il en est clairement ainsi, par exemple - poursuit la Commission - lorsque la loi elle-même désigne nommément l'organisation bénéficiaire. Il peut en être également ainsi lorsque la réglementation relative à la «reconnaissance» impose aux organisations de travailleurs considérées une structure qui risque de porter atteinte à leur liberté d'action et n'établit pas des règles «objectives » pour la reconnaissance, pour une période déterminée, d'une organisation aux fins de « représentation » ou de «négociation».»
- 206. Dans le cas d'espèce, il apparaît que seules les organisations qui se voient reconnaître la personnalité syndicale ont les moyens de «défendre et promouvoir les intérêts de leurs membres», alors que les organisations auxquelles cette personnalité est refusée ne sont pas à même d'assumer ces fonctions.
- 207. Il ne paraît pas douteux que le statut privilégié ainsi accordé aux organisations dotées de la personnalité syndicale peut indirectement peser sur la liberté des travailleurs d'adhérer à l'organisation de leur choix. C'est du reste l'opinion que le Comité avait exprimée alors qu'il avait été saisi d'un autre cas mettant en cause le régime syndical argentin du moment.
- 208. Dans ce cas, constatant que la réglementation alors en vigueur ne mettait pas sur le même plan les organisations ordinaires et les organisations dotées de la personnalité syndicale, le Comité, «tenant compte du fait que le statut privilégié accordé aux associations dotées de la personnalité syndicale peut indirectement avoir pour effet de peser sur la liberté des travailleurs d'adhérer à des organisations de leur choix », avait estimé désirable que le gouvernement réexamine les problèmes soulevés par la distinction faite entre les associations dotées de la personnalité syndicale et les autres organisations syndicales.
- 209. Dans un autre cas, intéressant cette fois le Brésil, et où il avait eu à connaître d'un système présentant des points communs avec le système argentin, le Comité avait exprimé l'opinion suivante:
- On peut se demander toutefois si, du seul fait que les syndicats reconnus jouissent, à l'exclusion des autres organisations, de privilèges d'une importance capitale pour la défense des intérêts professionnels, les salariés ne sont pas indirectement tenus d'adhérer aux syndicats reconnus. Il arrive que le législateur d'autres pays confère, sans esprit de discrimination, à des syndicats reconnus qui sont en fait les plus représentatifs, certains privilèges en matière de défense des intérêts professionnels qu'ils sont seuls en mesure d'exercer utilement. Mais l'octroi de tels privilèges ne saurait être subordonné à des conditions telles que les garanties fondamentales de la liberté syndicale puissent, de ce fait, être mises en cause.
- 210. En s'inspirant de ces précédents et tenant compte du fait que les conditions existant dans le cas d'espèce sont sensiblement analogues à celles dont il avait déjà eu à connaître lors de son examen du cas no 12 relatif à l'Argentine, le Comité estime, tout en notant qu'il ne s'agit pas de la même législation, que le statut privilégié accordé aux associations dotées de la personnalité syndicale limite considérablement les moyens d'action des organisations qui ne sont pas dotées de cette personnalité et peut indirectement avoir pour effet de peser sur la liberté des travailleurs d'adhérer à des organisations de leur choix et il recommande au Conseil d'administration d'attirer l'attention du gouvernement argentin sur l'opportunité qu'il y aurait d'envisager la possibilité de supprimer la distinction opérée par la loi du 8 août 1958 entre les associations dotées de la personnalité syndicale et les autres organisations syndicales.
- 211. Sur un point plus particulier, enfin, le Comité a noté qu'aux termes des articles 15 et 16 de la loi lus en conjonction, les organisations ne jouissant pas de la personnalité syndicale se voient interdire de tenir des réunions sans autorisation préalable. Or, le droit de tenir librement des réunions fait partie intégrante du droit au libre fonctionnement des syndicats. C'est ce point de vue que le Comité a exprimé toutes les fois qu'il a été appelé à se prononcer sur des plaintes alléguant que des atteintes avaient été portées au libre exercice du droit de réunion syndicale. A cet égard, la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations a, de son côté, souligné en 1957 que «le degré de liberté dont jouissent les organisations professionnelles pour déterminer et organiser leur action dépend d'une manière très étroite de certaines dispositions législatives de portée générale relatives au droit de libre réunion, au droit de libre expression de la pensée et, d'une manière générale, aux libertés civiles et politiques dont jouissent les habitants d'un pays». De ce point de vue également, la limitation considérable qu'apporte aux possibilités d'action des organisations ne jouissant pas de la personnalité syndicale le fait qu'elles ne peuvent tenir des réunions sans autorisation préalable disparaîtrait si la distinction entre ces deux genres d'organisations était supprimée.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 212. Dans ces conditions, le Comité voudra peut-être recommander au Conseil d'administration:
- a) de suggérer au gouvernement d'envisager la ratification, dans un avenir rapproché, de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948;
- b) de suggérer au gouvernement d'envisager d'amender, d'une manière générale, sa législation, en vue de mettre cette législation en pleine harmonie avec les principes contenus dans la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948.
- Genève, 28 mai 1959. (Signé) Paul RAMADIER, Président.