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- 203. La Confédération internationale des syndicats libres (CISL) ainsi que la Fédération internationale des travailleurs des plantations, de l'agriculture et des secteurs connexes (FITPAS) ont présenté une plainte en violation des conventions sur la liberté syndicale dans une communication du 4 octobre 1983. Par la suite, la FITPAS a transmis des informations complémentaires à l'appui de la plainte dans des communications du 26 janvier et du 7 février 1984. Le gouvernement a présenté ses commentaires dans une communication du 17 janvier 1984.
- 204. Le Brésil n'a pas ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948; mais il a ratifié la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes
- 205. La CISL et la FITPAS font savoir que, le 13 août 1983, Margarida Maria Alves a été assassinée de plusieurs balles dans la tête tirées par trois individus descendant de voiture, alors qu'elle se tenait devant son domicile avec son fils. Elle était alors présidente du Syndicat des travailleurs ruraux de Alagoa Grande (Etat de Paraíba, dans le nord-est du Brésil), dont elle avait été l'une des fondatrices en 1967. Les plaignantes soulignent dans leurs communications que cet Etat est une région sucrière où les travailleurs vivent dans une misère absolue et sont privés des droits les plus élémentaires depuis de longues années. Il est précisé dans la plainte qu'au moment de l'assassinat de sa présidente le syndicat était en train de préparer une campagne de diverses revendications concernant notamment l'octroi de conditions minima de travail, telles que le paiement d'un salaire minimum, la journée de huit heures, le paiement des heures supplémentaires, des congés annuels, etc. Les organisations plaignantes précisent qu'un groupe politique dénommé "Grupo da Várzea" composé de propriétaires des plantations de canne à sucre s'est opposé fortement au syndicat des travailleurs. Selon les habitants de Paraíba, ce groupe serait déjà responsable de l'assassinat en 1962 d'un président de syndicat des travailleurs ruraux, Joao Pedro Teixeira. Comme d'autres dirigeants syndicaux de la région, Margarida Maria Alves aurait reçu des menaces de mort si elle continuait son travail de défense des travailleurs dans les plantations sucrières, menaces émanant en particulier de propriétaires de plantations. Les organisations plaignantes allèguent que l'assassinat de la présidente serait pour les propriétaires des plantations une autre tentative d'intimidation des travailleurs dans les plantations sucrières du nord-est du Brésil dans leur lutte pour la justice.
- 206. Dans ses communications de janvier et février dernier, la FITPAS présente des informations du Centre d'éducation et de culture des travailleurs ruraux (CENTRU) dont la présidente assassinée était un des membres fondateurs et en assumait la direction. Ces informations concernent non seulement les faits mais aussi le déroulement de l'enquête et insistent en particulier sur le caractère dominant des activités syndicales de la FITPAS dans la campagne de défense des droits des travailleurs dans laquelle sont associés d'autres syndicats, et en particulier des précisions sur les activités des employeurs, c'est-à-dire les propriétaires des plantations de sucre.
- 207. Ces informations font l'objet des développements suivants: après quatre mois d'enquête, Gilberto da Rosa, délégué par la justice aux fins d'enquêter sur l'assassinat de Margarida Maria Alves, a révélé à la presse le nom des trois tueurs de la présidente qui, selon lui, auraient agi pour le compte du fermier Antônio Régis. Cette affirmation contenue dans le Bulletin d'information du CENTRU annexé à la lettre de la FITPAS de janvier 1984 est suivie de précisions relatives à Antônio Régis lui-même et au "Grupo da Várzea". Ce gros propriétaire terrien, connu par les habitants de la région en particulier pour sa violence et son autoritarisme, serait membre de l'organisation composée de propriétaires terriens de la région de Várzea, nommée "Grupo da Várzea", groupe qui dominerait politiquement différents députés de l'Etat de Paraíba et de l'Etat fédéral. Selon la publication du CENTRU, ce serait à la suite des indications de ce groupe que le secrétaire à la sécurité, le Dr Fernando Milanez, aurait été nommé à son poste.
- 208. La deuxième lettre de la FITPAS datée de février dernier contient une communication du CENTRU avec davantage d'informations. Les activités du syndicat de Alagoa Grande et de Margarida Maria Alves sont décrites de façon plus détaillées. D'abord, il est précisé que la campagne pour la défense des droits des travailleurs est dirigée par 32 syndicats de travailleurs ruraux, par la Fédération des travailleurs de l'agriculture (FETAG) et par la Confédération nationale des travailleurs de l'agriculture (CONTAG). Les principaux objectifs de cette campagne lancée au niveau de l'Etat de Paraíba sont d'obtenir une carte professionnelle, le paiement d'un treizième salaire, des congés annuels, la journée de huit heures, etc. Il est précisé qu'un petit nombre de travailleurs ruraux dans l'Etat de Paraíba bénéficient de ces droits essentiels, mais qu'environ 150.000 travailleurs en sont privés. Le syndicat de Alagoa Grande est considéré comme jouant dans cette campagne un rôle dirigeant au sein des 13 syndicats de la région de Brejo. Il ressort de la communication du CENTRU que les actions syndicales ont surtout été effectuées contre les grands propriétaires terriens et qu'elles ont été suivies de menaces de mort sur les personnes des dirigeants syndicaux et notamment de Margarida Maria Alves. Selon ce que déclare le CENTRU, la région de Brejo est dominée politiquement par le groupe de Várzea, qui serait le plus réactionnaire sur le plan politique dans l'Etat de Paraíba. Selon les termes mêmes des habitants de la région, les membres de ce groupe seraient à l'ordinaire des meurtriers et les responsables de l'assassinat en 1962 de Pedro Teixeira, président d'une ligue de paysans d'une municipalité voisine de Alagoa Grande. Dans sa communication, le CENTRU fait état d'une déclaration du député Aécio Pereira, beau-frère de Aguinaldo Veloso Borges, propriétaire d'une usine de sucre et président du Grupo da Várzea, qu'il aurait faite à la presse après la mort de la présidente, déclaration selon laquelle il contestait que Margarida Maria Alves aurait été exécutée sur l'ordre d'un groupe politique qu'elle aurait refusé de soutenir et visant à porter des accusations de meurtre contre le "Parti des travailleurs" (PT) et le "Parti du Mouvement démocratique brésilien" (PMDB) pour innocenter le groupe dont son parent est le dirigeant.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 209. Dans sa communication du 17 janvier 1984, le gouvernement envoie des informations sur l'assassinat de Margarida Maria Alves ainsi que sur l'enquête qui a été effectuée par la suite. Il joint à sa communication des copies de décisions de la délégation de la police concernant l'enquête, ainsi que des coupures de presse faisant état par ordre chronologique du déroulement de l'enquête. Le gouvernement indique que l'assassinat de Margarida Maria Alves, le 12 août 1983, à 18 heures, est une tragédie qui a ébranlé l'opinion publique principalement à cause des éléments de perversité qui l'ont caractérisée. Le lendemain, vu la gravité des faits et la difficulté de les élucider, le Dr Fernando Milanez, secrétaire à la sécurité publique, a suggéré au gouverneur de l'Etat qu'il demande au tribunal de justice de l'Etat de Paraíba de former une commission judiciaire pour enquêter sur l'affaire. Le 17 août, le tribunal réuni en séance plénière a rejeté la demande par 13 voix contre deux, au motif que le crime n'avait pas perturbé l'ordre public. Le gouverneur a alors nommé M. Gilberto Indrusiak da Rosa délégué spécial en vue d'enquêter sur le crime. Au cours de son enquête, le délégué a sollicité, le 29 septembre 1983, la prison préventive pour un groupe de sept gitans, sur lesquels pesaient certains soupçons. Par la suite, les charges qui pesaient sur ce groupe de gitans ont été éliminées, mais d'autres indices ont permis d'inculper Amauri José do Rego, Amaro (ou Mário) José do Rego (son frère) et une tierce personne connue sous le nom de "Toinho". Dans le même temps, le groupe de gitans préalablement inculpé a été relâché. En conséquence, le 8 décembre 1983, le président de l'enquête, M. Gilberto Indrusiak da Rosa, a présenté les preuves de la culpabilité des personnes dont il a pu obtenir ainsi la mise en détention préventive, les trois suspects Amauri José do Rego, Amaro José do Rego et "Toinho" comme auteurs matériels du crime, et également d'une quatrième personne, Marcos Antònio Coutinho Régis, comme auteur intellectuel. D'après les coupures de presse envoyées par le gouvernement, les meurtriers auraient reçu une somme de 500.000 cruzeiros pour assassiner la présidente du syndicat.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 210. En premier lieu, le comité déplore vivement le tragique assassinat, en août 1983, de Mme Margarida Maria Alves, présidente du Syndicat des travailleurs ruraux de Alagoa Grande, Etat de Paralba, abattue froidement devant son domicile par trois individus descendant, de voiture.
- 211. Le comité note, d'après les informations transmises par les organisations plaignantes, qu'au moment du drame le syndicat, dont la victime était non seulement la présidente mais aussi l'une des fondatrices, préparait avec 13 autres syndicats un mouvement de revendications contre les grands propriétaires terriens dans la région sucrière de Brejo, au sein d'une campagne plus large pour la défense des droits des travailleurs à laquelle participent 32 syndicats ruraux de l'Etat de Paraíba. De ce fait, la présidente ainsi que d'autres dirigeants syndicaux avaient reçu des menaces de mort, et le but de ce drame serait de démanteler la campagne de revendications et le syndicat lui-même.
- 212. Tout en notant que l'enquête a été menée par les instances judiciaires et a abouti à l'arrestation de trois coupables qui, selon ce qui ressort des informations de toutes les parties, ont agi pour le compte de Marcos Antònio Coutinho Régis également inculpé dans cette affaire, le comité relève qu'aucune mention n'est faite de la procédure judiciaire qui devrait s'ensuivre. Le comité prie instamment le gouvernement de transmettre des informations sur la suite donnée à ces inculpations et, en particulier, de fournir les textes des jugements, y compris leurs attendus, dès qu'ils seront rendus à l'encontre de ces quatre personnes.
- 213. En outre, le comité doit rappeler que les droits syndicaux ne peuvent s'exercer que dans un climat dénué de violence, de pressions ou menaces de toutes sortes à l'encontre des syndicalistes, et qu'il appartient aux gouvernements d'assurer le respect de ce principe. Le comité souligne qu'en l'occurrence les allégations des organisations plaignantes relatives au caractère politique du "Grupo da Várzea" et à ces agissements criminels sont suffisamment graves et semblent conférer à ce groupe d'employeurs une autorité et une force sur les travailleurs incompatibles avec le développement des relations professionnelles harmonieuses.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 214. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration d'approuver le présent rapport, et notamment les conclusions suivantes:
- a) Le comité déplore vivement le tragique assassinat de Margarida Maria Alves, présidente du Syndicat des travailleurs ruraux de Alagoa Grande, qui a troublé l'opinion publique et porté un grave coup à la campagne de défense des droits des travailleurs employés dans les plantations de canne à sucre ainsi qu'au syndicat lui-même.
- b) Tout en notant que l'enquête a permis l'inculpation de trois exécuteurs et de leur commanditaire, membre du "Grupo da Várzea", groupement politique des propriétaires des plantations employant les travailleurs ruraux de la région, le comité demande au gouvernement de transmettre des informations sur la suite donnée aux inculpations des quatre criminels.
- c) Le comité invite le gouvernement à adopter sans délai des mesures sévères de lutte contre les agissements violents de tels groupes d'employeurs, ainsi que des dispositions visant à protéger le libre exercice des droits syndicaux.
- d) Le comité prie le gouvernement de transmettre une copie des jugements, avec leurs attendus, dès qu'ils seront rendus.