Visualizar en: Inglés - Español
- 138. Le Syndicat international des travailleurs unis de l'alimentation et du commerce (UFCW) a présenté une plainte en violation des droits syndicaux contre le gouvernement des Etats-Unis d'Amérique dans une communication datée du 5 mars 1990. La Fédération américaine du travail et Congrès des organisations industrielles (AFL-CIO) et la Fédération internationale des employés, techniciens et cadres (FIET) ont déclaré appuyer la plainte déposée par l'UFCW dans les communications qu'ils ont adressées, respectivement, en date du 13 mars et du 9 avril 1990. Le gouvernement a fourni ses observations dans une communication datée du 19 octobre 1990.
- 139. A sa session de février 1991, le comité a demandé au plaignant et au gouvernement de fournir toutes informations complémentaires qu'ils désireraient soumettre dans ce cas (voir 277e rapport, paragr. 9). A la suite de cette invitation, l'UFCW a adressé de nouvelles communications au BIT les 7 juin et 28 octobre 1991 ainsi que les 11 et 20 février 1992. Le gouvernement pour sa part a présenté des observations complémentaires dans des communications des 4 octobre 1991, 10 janvier et 8 mai 1992. Il y a joint les observations du US Council for International Business (USCIB), datées des 19 août et 16 septembre 1991, et 9 janvier et 4 mai 1992; selon le gouvernement, même si ces commentaires sont indépendants de ses propres observations, le comité aurait avantage à examiner tous les points de vue sur ce cas, et il devrait donc tenir pleinement compte des observations du USCIB.
- 140. Les Etats-Unis n'ont ratifié ni la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ni la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations du plaignant
A. Allégations du plaignant
- 141. Dans sa communication du 5 mars 1990, l'UFCW allègue que la législation américaine du travail et son application ne protègent pas convenablement les droits des syndicats et des travailleurs, et notamment la liberté syndicale et le droit d'association, contre les agissements antisyndicaux de certains employeurs. Le plaignant ajoute que, même lorsque le Conseil national des relations professionnelles ("le NLRB" ou "le Conseil") a de bonnes raisons d'estimer que les droits syndicaux ont été violés, les recours prévus par la loi ne sont d'aucune efficacité. L'UFCW soutient que les articles 10 (J) et (L) de la loi nationale sur les relations de travail (NLRA) ne traitent pas les syndicats et les employeurs sur un pied d'égalité.
- 142. La présente plainte fait état de certains agissements qualifiés par l'UFCW d'hostiles au syndicat qui auraient été commis par la société Delhaize-Food Lion, entreprise transnationale ayant son siège en Belgique et exploitant des magasins d'alimentation aux Etats-Unis. Dès 1985, Food Lion a étendu ses activités à quelque 300 magasins dans les Etats de Virginie, de Caroline du Nord et de Caroline du Sud. La stratégie habituelle de Food Lion consiste à lancer une offensive commerciale en proposant des prix peu élevés pour évincer ses concurrents établis sur le marché, objectif qu'elle a atteint en offrant des salaires et des avantages sociaux bien inférieurs à ceux qui sont généralement offerts dans l'industrie de l'alimentation de détail. La politique de croissance de Food Lion a eu pour effet de faire baisser les salaires et les avantages sociaux dans ce secteur. En outre, cette entreprise n'a pas créé d'emplois nouveaux mais s'est bornée à embaucher à salaires réduits des salariés auparavant employés par des magasins qu'elle a évincés du marché grâce à ses coûts de main-d'oeuvre moins élevés.
- 143. La section locale 400 du syndicat UFCW, qui représente des milliers de travailleurs du commerce de détail dans le district de Columbia et dans les Etats du Maryland et de Virginie, a réagi à l'offensive de Food Lion contre les conditions locales de travail en plaçant des piquets de grève et en distribuant des tracts, droits garantis par les articles 1, 7 et 8 A) 1) de la NLRA (les articles pertinents de la loi sont joints en annexe au présent document).
- 144. Le plaignant affirme que le piquetage dans un but d'information des salariés est licite, selon une jurisprudence bien établie du NLRB. Et pourtant, lorsque les piquets se sont installés devant les magasins de Food Lion, la direction a menacé les dirigeants syndicaux d'arrestation. Le NLRB était fondé à croire que ces menaces étaient contraires aux articles 8 A) 1) et 7 de la NLRA puisqu'il avait déjà émis des plaintes contre Food Lion à deux occasions au moins (Food Lion Inc., Culpepper, Virginie, plainte alléguant la violation de l'article 8 A) 1) par Food Lion qui aurait refusé au syndicat de rencontrer les consommateurs et aurait menacé les délégués syndicaux d'arrestation; Mc Mahon-Carver Properties, Fredericksburg, Virginie, plainte contre le propriétaire d'un centre commercial où Food Lion louait un local, pour avoir empêché le syndicat de communiquer avec les clients et avoir menacé les représentants syndicaux d'arrestation). Ces deux plaintes ont été réglées à l'amiable. Food Lion a accepté d'afficher les avis du NLRB dans les locaux réservés au personnel des établissements de Culpepper et Fredericksburg (lorsque le NLRB s'apprête à déposer plainte contre un employeur pour violation de l'article 8 A) 1) de la NLRA, l'affichage d'un avis est l'issue la plus fréquente de la procédure de règlement à l'amiable). Sur les avis ainsi affichés, Food Lion promettait de ne pas violer les droits d'organisation garantis par l'article 7. Ces avis indiquaient par ailleurs clairement que Food Lion ne reconnaissait en aucune façon avoir déjà enfreint la loi par le passé. Cela ne l'a pas empêchée de récidiver.
- 145. Avant le mois de décembre 1988, la section locale 400 de l'UFCW avait déjà tenté à plusieurs reprises de syndiquer les salariés de Food Lion. Les responsables syndicaux avaient essayé d'entrer en communication avec les salariés en dehors des lieux et des horaires de travail dans 14 magasins différents de Virginie. A chacune de leurs tentatives, Food Lion les avait menacés d'arrestation. La section locale 400 a porté plusieurs plaintes en violation de l'article 8 A) 1) devant le NLRB contre Food Lion, l'accusant d'avoir édicté une règle de non-sollicitation beaucoup trop large et de l'appliquer de façon discriminatoire, et aussi d'avoir menacé d'arrestation des dirigeants syndicaux non salariés qui "avaient simplement informé la direction qu'ils souhaitaient s'entretenir du syndicat avec des membres du personnel en dehors des heures et des lieux de travail, n'entravant en rien l'activité de l'entreprise". Comme l'ont déjà souvent décidé le NLRB et les tribunaux fédéraux, la liberté de communication est absolument indispensable au libre exercice des droits syndicaux. Pour que les salariés jouissent pleinement de ces droits, ils doivent être objectivement informés de tous les avantages et devoirs liés à l'affiliation syndicale. Comme l'a déclaré la Cour suprême des Etats-Unis (Central Hardware Company v. NLRB, 407 US 539, 543 (1972)), "les droits syndicaux ne peuvent s'exercer en vase clos; leur efficacité dépend en partie de la possibilité qu'ont les salariés d'être informés par des tiers des avantages et des inconvénients de l'affiliation syndicale". En raison de la formation spécifique qu'ils ont reçue et de l'expérience qu'ils ont acquise en initiant les salariés aux avantages de la syndicalisation, les responsables syndicaux assument un rôle déterminant en veillant à ce que les salariés puissent être pleinement informés. La Cour suprême a rappelé par ailleurs que la NLRA "garantit à la fois aux dirigeants syndicaux le droit de s'entretenir de la syndicalisation avec des salariés et, aux salariés, le droit d'en discuter entre eux".
- 146. En substance, le syndicat s'est plaint auprès du NLRB de la portée exagérément large, et partant, illégale, des mesures de non-sollicitation prises par Food Lion puisque celles-ci interdisaient la sollicitation par des syndicalistes non salariés en tout temps et en tout lieu (y compris en dehors des heures et des lieux de travail); de plus, aucun autre moyen de communication viable ne s'offrait au syndicat. Et pourtant, le NLRB a décidé de ne pas porter plainte sur les incidents survenus en décembre 1988. Se rangeant à l'avis du Conseiller juridique adjoint du Service consultatif du NLRB, selon lequel le syndicat n'avait pas prouvé l'absence de tout autre moyen de communication viable, le directeur du bureau régional no 5 du NLRB a décidé, le 2 mai 1989, de rejeter les accusations du syndicat. Cette décision fut contestée par le syndicat auprès du bureau du Conseiller juridique principal du NLRB mais son appel fut rejeté. Lorsque le Conseiller juridique principal rejette un appel formé contre le refus du directeur régional de donner suite à des accusations de pratiques déloyales de travail, il n'existe plus d'autres recours, devant le NLRB ou les tribunaux. En rejetant les allégations produites par la section locale 400 au sujet des incidents survenus en décembre 1988, le NLRB a interprété la loi d'une manière qui revient à dénier la liberté syndicale. En substance, sa décision équivaut à affirmer que les dirigeants syndicaux n'ont pas le droit de communiquer avec les salariés des magasins de Food Lion en dehors des lieux et des heures de travail, même lorsqu'il est établi qu'il n'en résulte aucune perturbation dans le travail. Autrement dit, le NLRB a prononcé une décision qui revient à dénier la pleine jouissance des droits syndicaux garantis par l'article 7, alors même que la primauté du droit de propriété de la partie adverse n'a pas été prouvée.
- 147. Bien qu'il désapprouvât totalement la décision du NLRB, l'UFCW a cherché à épuiser tous les moyens de communication possibles. Le syndicat local a par exemple tenté de lancer une campagne de propagande, alors que peu de temps auparavant (en 1986), toutes les annonces publicitaires en faveur de la section locale 400 avaient été refusées par la presque totalité des journaux à plus ou moins grand tirage auxquels elles avaient été proposées. Un tableau d'affichage avait également été installé à Harrisonburg, en Virginie; il a immédiatement été maculé, et le shérif local a informé le syndicat qu'il ne pouvait rien contre cet acte de vandalisme. Quant aux autres organes de communication auxquels le syndicat s'est adressé, non seulement les stations de radio ont refusé de diffuser les annonces, mais le syndicat est également parvenu à la conclusion que la radio ne lui était d'aucune utilité puisqu'elle n'était pas en mesure de cibler son message, c'est-à-dire de le faire parvenir au personnel de Food Lion. La télévision ne pouvait pas davantage atteindre à coup sûr un auditoire particulier et, de plus, aurait coûté beaucoup trop cher au syndicat.
- 148. Le 23 juin 1989, des représentants de la section locale 400 se sont rendus dans un magasin de Food Lion situé à Fredericksburg, en Virginie. Ils ont demandé au gérant une copie du tableau de service de la journée. Ils voulaient savoir à quel moment certains salariés termineraient leur service pour essayer de les rencontrer; par cette démarche, ils ne faisaient là qu'utiliser un des moyens de communication qui, selon le NLRB, n'auraient pas été épuisés. Le gérant refusa néanmoins d'accéder à leur demande. Lors de la même visite, un des représentants syndicaux a rencontré un membre du personnel qui n'était pas de service ce jour-là et a commencé à discuter avec lui dans un endroit accessible au public, hors de l'enceinte du magasin. Quelques minutes après, la police locale, appelée par le gérant du magasin, est arrivée sur les lieux et a intimé l'ordre aux représentants syndicaux de "quitter les lieux" parce qu'ils "harcelaient les clients". Les policiers les ont prévenus que s'ils n'obtempéraient pas immédiatement, ils seraient arrêtés et emprisonnés sans mandat d'arrêt; ils leur ont également précisé que le gérant du magasin ne voulait plus les voir dans l'enceinte de Food Lion, y compris sur tout le parc de stationnement.
- 149. A propos de cet incident (ci-après dénommé "l'affaire de Fredericksburg"), le syndicat local a déposé une plainte, dans laquelle il accusait Food Lion d'avoir violé l'article 8 A) 1) de la NLRA. Le bureau régional no 5 du NLRB a estimé que les faits allégués permettaient raisonnablement de penser que Food Lion avait effectivement enfreint la loi, et a émis une plainte. Dans une sentence rendue le 15 février 1991 (à savoir dix-neuf mois après l'incident), M. Leiner, en sa qualité de juge administratif, a conclu que Food Lion "s'était interposée, et s'était rendue coupable d'entrave et de coercition" à l'égard de son personnel en l'empêchant d'exercer librement les droits syndicaux garantis par l'article 7 de la loi, et avait ainsi enfreint l'article 8 A) 1) de la loi ... ces agissements déloyaux ayant déjà perturbé les échanges, au sens où l'entend l'article 2 6) et 7) de la loi, et les perturbaient encore". Le juge a donc enjoint Food Lion Inc. de "cesser d'enfreindre la loi et de s'abstenir à l'avenir d'empêcher les représentants d'UFCW de s'entretenir avec les membres de son personnel ... ou de demander à la police de les menacer d'arrestation ...; ... et aussi de renoncer à toute intervention, entrave ou coercition à l'égard de ses salariés dans l'exercice des droits garantis à l'article 7 de la loi ...". Food Lion a ensuite présenté une série d'objections au NLRB, qui a confirmé les conclusions du juge Leiner mais pour des raisons différentes, et notamment le fait que l'employeur avait "fait un mauvais usage de ses règles concernant la non-sollicitation en les appliquant au syndicat". Le NLRB a, par ailleurs, rejeté une offre de règlement à l'amiable faite par Food Lion Inc., estimant qu'elle "ne correspondait ni à l'esprit ni à la lettre de la loi".
- 150. Dans ses deux premières observations complémentaires, le plaignant a souligné que les décisions du NLRB n'étaient pas exécutoires, seuls les tribunaux fédéraux itinérants (Federal Circuit Court) pouvant les rendre contraignantes. L'UFCW ne savait pas alors si l'employeur obtempérerait à la décision du NLRB. Ses efforts de syndicalisation continuaient d'être paralysés et le droit d'association des salariés était constamment violé. De fait, les infractions continuelles à la loi dont Food Lion se rend coupable paralysent les efforts d'organisation du syndicat; à chaque fois que ses dirigeants cherchent à communiquer avec les salariés de Food Lion, ils sont menacés d'arrestation. Le NLRB et les tribunaux fédéraux n'ont pas réussi à enrayer cette pratique devenue systématique.
- 151. Dans sa troisième observation complémentaire (11 février 1992), l'UFCW déclare que la Cour suprême des Etats-Unis a récemment rendu dans l'affaire Lechmere Inc. v. NLRB une décision qui aura des répercussions extrêmement négatives sur les droits des travailleurs en matière de liberté syndicale aux Etats-Unis. Selon l'UFCW, l'arrêt Lechmere annule toutes les récentes décisions du NLRB qui maintenaient un certain équilibre entre les droits d'association prévus à l'article 7 de la NLRA et le droit de propriété. La Cour suprême a en fait reconnu la priorité absolue de la propriété privée sur la liberté syndicale, dans tous les cas où des organisateurs syndicaux sont concernés.
- 152. Dans sa quatrième observation complémentaire (20 février 1992), l'UFCW reprend de façon assez élaborée deux des arguments précédemment invoqués, qu'elle résume comme suit: a) le fait qu'il n'existe pas de recours contre la décision du Conseiller juridique principal du NLRB de rejeter les plaintes déposées par le syndicat contre l'interdiction qui lui avait été faite de communiquer avec les employés de Food Lion en dehors des lieux et des heures de travail constitue une violation de la liberté syndicale; b) bien que le NLRB ait ultimement statué que Food Lion avait enfreint la NLRA en menaçant d'arrestation les représentants syndicaux qui tentaient de parler avec les employés sur le trottoir devant les magasins, ce droit d'accès limité a été nié irréversiblement parce que le gouvernement n'a jamais requis les mesures préliminaires efficaces qui auraient permis de prévenir ce préjudice dès le début.
- 153. Dans sa communication initiale, le plaignant a également allégué que la NLRA est à l'origine d'une inégalité flagrante puisqu'elle n'offre pas les mêmes recours aux syndicats et aux employeurs. D'une part, l'article 10 j) prévoit que le NLRB a le pouvoir de demander à un tribunal fédéral de district de rendre une injonction sur les violations de la NLRA commises par un défendeur, lorsqu'une plainte a été émise; cette voie de recours a un caractère facultatif. En d'autres termes, le NLRB aurait pu demander au tribunal de rendre une injonction ordonnant à Food Lion de cesser de violer constamment la loi; il n'a pourtant pas usé de ce droit en l'occurrence. Le droit d'association des salariés de Food Lion est par conséquent bafoué en toute impunité et sans recours possible. D'autre part, l'article 10 l) de la NLRA dispose que, lorsqu'un syndicat est accusé de s'être livré à des agissements illégaux et qu'une plainte est sur le point d'être déposée contre lui, le NLRB doit demander au tribunal fédéral d'émettre une ordonnance d'injonction. En résumé, les employeurs victimes de pratiques déloyales du travail de la part d'un syndicat ont le droit de se prévaloir des dispositions impératives de la NLRA relatives aux injonctions. Mais les syndicats et les salariés victimes de pratiques déloyales du travail peuvent obtenir qu'une ordonnance d'injonction soit rendue, mais seulement si le NLRB décide d'en faire la demande. En fait, la NLRA n'offre pas une protection égale en matière de recours en injonction. Dans sa communication du 13 mars 1990 appuyant la plainte, l'AFL/CIO a insisté sur cet aspect du cas, soulignant cette partialité qui découle du texte même de la législation du travail des Etats-Unis; ainsi, même dans des cas aussi sérieux que le licenciement de travailleurs pour activités syndicales, le NLRB n'est pas tenu de demander une injonction, alors qu'il doit le faire pour certaines pratiques déloyales du travail commises par les syndicats.
- 154. Dans toutes ses communications, le plaignant conclut que les faits indiquent que la protection de la liberté syndicale accordée par le gouvernement des Etats-Unis est inefficace dans l'ensemble et demande au comité de faire tout ce qui est en son pouvoir pour que les droits d'association soient pleinement rétablis. Il ne s'agit pas d'un cas isolé; au contraire, il est révélateur d'une situation beaucoup plus répandue et d'une réalité très préoccupante aux Etats-Unis.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 155. Dans sa communication du 19 octobre 1990, le gouvernement soutient que sa législation est dans l'ensemble conforme aux conventions nos 87 et 98 de l'OIT et que les rapports de travail, et plus particulièrement la procédure suivie dans le cas présent, satisfont aux principes de l'OIT en matière de liberté syndicale. Le gouvernement précise que ses déclarations ne doivent pas être interprétées comme une approbation ou une critique des agissements de l'une ou l'autre partie, mais visent plutôt à montrer que la législation des Etats-Unis garantit aux salariés et aux représentants syndicaux une protection adéquate de la liberté syndicale et du droit d'organisation.
- 156. Selon le gouvernement, la plainte comporte les sept allégations suivantes:
- - la législation du travail des Etats-Unis et la façon dont elle est appliquée ne protègent pas convenablement le droit des syndicats et des travailleurs, notamment la liberté syndicale et le droit d'association;
- - même lorsque le NLRB est fondé à croire que les droits syndicaux sont violés, les recours offerts par la loi sont inefficaces;
- - les avis affichés par Food Lion en règlement amiable des plaintes émises par le NLRB, dans lesquels Food Lion s'engageait à ne pas violer le droit d'association, n'ont pas eu d'effet durable puis qu'ils n'ont pas empêché Food Lion d'enfreindre à nouveau la loi;
- - en rejetant les accusations de la section locale 400 concernant les incidents survenus lors de tentatives d'organisation en décembre 1988, le NLRB a donné une interprétation de la NLRA qui revient à dénier la liberté syndicale;
- - même si le NLRB a tranché en faveur des droits syndicaux dans l'affaire concernant les tentatives d'organisation du 23 juin 1989, le dépôt de la plainte n'a pas fait renoncer Food Lion à ses violations continuelles de la loi. A chaque fois que les dirigeants syndicaux tentent de communiquer avec les membres du personnel de Food Lion, ils sont menacés d'arrestation, et ni le NLRB ni les tribunaux fédéraux n'ont réussi à mettre fin à cette pratique devenue chronique;
- - la procédure d'examen dans les cas de pratiques de travail déloyales dure souvent plusieurs années, ce qui peut entraver le cours de la justice;
- - l'article 10 de la NLRA, qui prévoit dans certains cas l'émission d'une injonction en vue de prévenir de nouvelles violations de la NLRA après le dépôt d'une plainte, crée une inégalité flagrante en ce que les employeurs accusés d'avoir violé la NLRA peuvent faire l'objet d'une injonction, alors que celle-ci doit être rendue dans certains cas où un syndicat est accusé d'infraction à la NLRA.
- 157. En ce qui concerne la première allégation, le gouvernement déclare que la législation du travail américaine protège convenablement les droits des syndicats et des travailleurs, y compris la liberté syndicale et le droit d'association. Des garanties sont prévues dans le Premier Amendement à la Constitution des Etats-Unis, lequel dispose en son article pertinent que "le Congrès n'adoptera aucune loi ... portant atteinte à la liberté de parole ... ou au droit des personnes de tenir des réunions pacifiques ...". Le Premier Amendement accorde ainsi aux salariés le droit de s'affilier à des syndicats ou à d'autres organisations à but commercial ou lucratif. En outre, plusieurs dispositions de la NLRA vont dans le même sens, soit les articles 1, 7, 8 a) 1) et 10.
- 158. Comme l'a déjà relevé le Comité de la liberté syndicale dans ses conclusions sur les cas nos 1437 et 1467, la NLRA prévoit un ensemble de garanties procédurales quant au dépôt et à l'instruction des plaintes concernant les pratiques de travail déloyales. Dans la présente affaire, comme dans les autres cas précités, le plaignant continue d'utiliser les procédures instituées par la loi, ce qui donne à penser que le système conserve "dans une certaine mesure la confiance des organisations de travailleurs intéressées" (262e rapport du Comité de la liberté syndicale, paragr. 222). Dans le seul cas cité par l'UFCW sur lequel une décision définitive a été prise, la sentence était favorable à l'UFCW. Elle n'a donc pas réussi à prouver que le gouvernement avait enfreint l'un quelconque des droits inhérents à la liberté syndicale ou que la législation ne protégeait pas le droit d'association.
- 159. En ce qui concerne la deuxième allégation, le gouvernement soutient que les recours juridiques prévus par la NLRA permettent de remédier efficacement aux violations du droit d'association. L'article 10 c) habilite en effet le NLRB, lorsqu'il conclut à l'existence de pratiques de travail déloyales, à "rendre une ordonnance qu'il fera signifier au défendeur, lui enjoignant de cesser ses agissements déloyaux et d'y renoncer en prenant toutes mesures positives, y compris la réintégration des salariés avec ou sans rémunération rétroactive, aux fins d'application de la présente loi". L'article 10 e) autorise le NLRB à requérir de tout tribunal d'appel des Etats-Unis qu'il veille à l'exécution des décisions relatives à des pratiques de travail déloyales et au besoin qu'il rende une ordonnance temporaire d'injonction ou d'abstention ("temporary relief or restraining order") appropriée. Aux termes de l'article 10 j), le NLRB a en outre le pouvoir d'adresser une requête à un tribunal de district des Etats-Unis pour lui demander de rendre une ordonnance temporaire d'injonction ou d'abstention, lorsque le NLRB émet contre une personne une plainte de pratique déloyale de travail. Le NLRB jouit par conséquent de vastes pouvoirs de redressement qui lui permettent de prendre toutes les mesures nécessaires pour donner effet aux principes établis par la NLRA. L'UFCW n'a pas été en mesure d'invoquer, dans le cas particulier, un fait précis tendant à prouver que les recours prévus par le NLRB n'ont pas été suffisants pour remédier à des violations du droit d'association.
- 160. Quant à la troisième allégation concernant l'affichage d'avis (dans lesquels Food Lion promettait de ne pas violer le droit d'organisation) qui, selon l'UFCW, n'aurait pas empêché Food Lion d'enfreindre encore la loi, le gouvernement déclare qu'il est difficile d'y répondre parce qu'elle est exprimée en termes très généraux et peu étayée par des faits. L'UFCW ne prétend pas que Food Lion a enfreint une disposition du règlement à l'amiable conclu au sujet du magasin de Culpepper (Virginie), par exemple en s'opposant aux tentatives de la section locale 400 de l'UFCW de distribuer des tracts et de dresser des piquets dans ce magasin après la signature de l'accord.
- 161. Le NLRB a estimé que les incidents sur lesquels se fonde l'allégation de l'UFCW ne méritaient pas de faire l'objet d'une plainte. Autant dire que dans ces affaires aucun motif sérieux ne permettait d'affirmer que Food Lion avait enfreint les dispositions de la NLRA. En outre, les incidents antérieurs qui avaient fait l'objet d'un règlement à l'amiable se rapportent à des activités sensiblement différentes et à d'autres lieux. Les plus récents d'entre eux ne se sont pas seulement produits dans des magasins distincts mais ont été déclenchés par des tentatives d'organisation de l'UFCW et non par des activités d'information, comme lors des premiers incidents. On ne peut donc s'attendre à ce que la mesure de redressement imposée à la suite des premiers incidents offre nécessairement une réparation complète pour des activités de nature différente, exercées à des moments différents et en d'autres lieux.
- 162. Dans sa quatrième allégation, l'UFCW prétend qu'en refusant d'émettre une plainte lorsque les organisateurs syndicaux ont été menacés d'arrestation pour avoir essayé de communiquer avec les salariés de Food Lion en dehors des lieux et des heures de travail, le NLRB a interprété les dispositions de la NLRA d'une manière qui revient à dénier la liberté syndicale. Le gouvernement réplique qu'en refusant alors de déposer une plainte, le directeur régional du NLRB a considéré que les lieux non dévolus au travail où les représentants syndicaux avaient voulu entrer n'étaient cependant pas des espaces publics et que l'UFCW avait tenté d'exercer son droit d'organisation dans un lieu où le droit de propriété de Food Lion l'emportait. Le directeur régional a par ailleurs estimé que l'UFCW n'avait cité aucun fait établissant avec certitude que les représentants syndicaux ne disposaient d'aucun autre moyen pour communiquer avec les salariés. Cette opinion a été confirmée par le Conseiller juridique général du NLRB. Au moment de prononcer ses conclusions, le NLRB s'est enquis très précisément du droit et de la latitude d'exercer des activités d'organisation dont peut se prévaloir l'UFCW, aux termes des conventions nos 87 et 98.
- 163. L'UFCW allègue par ailleurs que, si le NLRB a bel et bien statué en faveur du droit d'association en émettant une plainte au sujet de l'incident survenu le 23 juin 1989 à Fredericksburg (Virginie), Food Lion n'a pourtant pas renoncé à ses violations continuelles; le plaignant déclare en outre que le NLRB et les tribunaux fédéraux ne sont pas parvenus à empêcher Food Lion de menacer les responsables syndicaux d'arrestation chaque fois qu'ils tentaient de communiquer avec des membres de son personnel. Le gouvernement répond que cette cinquième allégation est insuffisamment fondée. Par exemple, L'UFCW se borne à alléguer que Food Lion s'est livrée aux mêmes agissements illégaux dans son magasin de Quiocassin à Richmond, Virginie. Lorsqu'elle affirme que ses dirigeants sont généralement menacés d'arrestation, elle omet également de préciser si les circonstances sont toujours identiques et si des accusations ont été portées devant le NLRB. Ce dernier jouit de vastes pouvoirs de redressement, et il peut en outre rendre une ordonnance visant l'ensemble des établissements de l'employeur; on ne peut cependant s'attendre à ce qu'il examine toutes les pratiques de travail déloyales et veille à les redresser, à moins qu'il n'en soit saisi au moyen d'une accusation officiellement déposée.
- 164. Contrairement à ce qu'affirme l'UFCW dans sa sixième allégation, la procédure d'examen des cas de pratiques de travail déloyales se déroule rapidement et le cours de la justice est rarement entravé. Le gouvernement croit comprendre que, selon un principe général du droit d'association, la législation nationale doit prévoir un droit d'appel devant les juridictions compétentes ou des tribunaux indépendants: ces procédures d'appel sont inscrites dans la législation des Etats-Unis. Un des premiers objectifs du système judiciaire américain est de juger les affaires avec célérité. Ainsi donc, selon la procédure en vigueur aux Etats-Unis, les appels doivent être formés dans un délai précis dont l'expiration entraîne la prescription du droit d'appel, à quelques exceptions près.
- 165. Pendant l'exercice financier 1988, année la plus récente pour laquelle des statistiques sont disponibles, le NLRB a été saisi de 31.453 accusations de pratiques de travail déloyales (NLRB, 53e rapport annuel). Plus de 90 pour cent d'entre elles ont été tranchées dans un délai moyen de 40 jours environ, sans donner lieu à un débat contradictoire. Dans les cas ayant donné lieu à des plaintes, le délai moyen entre le dépôt des accusations et l'émission de la plainte était de 46 jours. Le délai de règlement de ces mêmes cas varie beaucoup d'une affaire à l'autre, selon les circonstances particulières, la complexité des problèmes à résoudre et le niveau où se situe la juridiction d'appel saisie. Dans la grande majorité des cas, les affaires sont tranchées dans un délai raisonnable. Quelques exceptions doivent néanmoins être relevées: par exemple, en octobre 1990, près de 27 affaires étaient en instance devant le NLRB depuis plus de deux ans. De telles situations sont toutefois extrêmement rares et le NLRB a entrepris de modifier sa procédure d'instruction pour y remédier. Sans référence à un cas précis dans lequel la procédure d'examen aurait été trop longue, il n'est pas possible de réfuter l'allégation de l'UFCW. Le gouvernement ne peut donc que réaffirmer que la législation américaine a pour objet d'assurer un prompt règlement de tous les cas, selon une procédure conforme aux règles du droit.
- 166. En ce qui concerne enfin l'allégation selon laquelle la NLRA consacrerait une inégalité flagrante entre les demandes d'injonction qui peuvent être déposées à l'encontre d'un employeur et celles que le NLRB doit déposer à l'encontre d'un syndicat, le gouvernement estime qu'une étude plus approfondie du contexte et de l'objectif visé par ces dispositions montre que ces règles reposent sur un raisonnement solide et témoignent du souci du Congrès d'équilibrer l'influence des deux parties.
- 167. Aux termes de l'article 10 l) de la NLRA, lorsque le NLRB a des motifs raisonnables de penser qu'une accusation de pratiques déloyales de travail est fondée (selon les articles 4 A), B) ou C); 8 e); 8 b); ou 8 b) 7)) et qu'une plainte devrait être émise, il est tenu de demander une injonction. Ces dispositions concernent les grèves et le piquetage de solidarité, les accords de boycottage et les piquets aux fins de reconnaissance syndicale. Il apparaît donc que le Congrès n'a rendu obligatoires les ordonnances temporaires d'injonction et d'abstention que dans les cas où les pratiques déloyales alléguées risquent de causer un très grand préjudice à l'employeur dans un temps très bref. Cette disposition vise à empêcher l'activité illégale d'atteindre son but avant que la procédure administrative ne soit achevée, ce qui rendrait les recours administratifs inopérants. La déclaration de l'UFCW selon laquelle "les employeurs victimes de pratiques de travail déloyales de la part d'un syndicat ont le droit strict de se prévaloir des dispositions impératives de la NLRA relatives aux injonctions" est inexacte. Les ordonnances rendues en vertu de l'article 10 l) ne s'appliquent qu'au très petit nombre de pratiques déloyales énumérées limitativement à l'article 10 l), à savoir les pratiques de travail déloyales comportant des risques de perturbation si graves que, si l'on ne parvient pas à les faire cesser rapidement, elles pourraient menacer l'existence d'une entreprise, ou même d'un secteur de l'économie, et causer un préjudice irréparable aussi bien aux employeurs qu'aux salariés. Dans la quasi-totalité des cas où un syndicat est accusé de pratiques de travail déloyales, le recours à l'injonction n'est pas ouvert. Par exemple, pendant l'exercice financier 1988, 9.111 accusations de pratiques de travail déloyales ont été portées contre des syndicats en vertu de l'article 8 b); seules 52 d'entre elles (soit 0,05 pour cent environ) ont donné lieu à une requête d'injonction, dont seulement 14 ont été acceptées (à savoir quelque 0,015 pour cent) (NLRB, rapport 1988, pp. 189 et 245).
- 168. Dans sa communication du 4 octobre 1991, le gouvernement a présenté des observations complémentaires, et joint une annexe dans laquelle il exposait en détail l'évolution de la jurisprudence américaine sur le droit des représentants syndicaux de communiquer avec les salariés. Lorsqu'il apprécie le droit des représentants syndicaux non salariés de communiquer librement avec des salariés dans un lieu dont leur employeur est propriétaire, le NLRB tient compte des droits des salariés, des droits à la propriété privée des employeurs et s'interroge sur l'existence d'autres moyens de communication viables. Le gouvernement énumère à titre d'exemple un certain nombre de droits consacrés par l'article 7 de la NLRA, comme celui de former ou tenter de former un syndicat dans une entreprise; le droit de s'affilier à un syndicat, que celui-ci ait ou non été reconnu par l'employeur; le droit de soutenir une organisation ouvrière qui tente de syndiquer les salariés occupés par un employeur; le droit de faire grève pour obtenir de meilleures conditions de travail; le droit de refuser de participer aux activités syndicales. L'application effective de ces droits est d'abord assurée par le NLRB et le Conseiller juridique général à travers un réseau composé de plus de 52 bureaux régionaux et locaux. Le NLRB interprète les dispositions de la NLRA en fonction du cas dont il est saisi. Sa jurisprudence est susceptible de révision par les organes du système judiciaire: tribunaux d'appel itinérants et Cour suprême. Les cas individuels soulèvent souvent un ensemble complexe de questions de droit et de fait. Les droits des parties ne sont pas établis une fois pour toutes par une disposition spécifique, mais découlent plutôt de la jurisprudence en perpétuelle évolution que constitue l'ensemble des décisions prises par le NLRB, les tribunaux d'appel et la Cour suprême.
- 169. L'évolution de la jurisprudence quant aux moyens de communication permettant aux organisateurs syndicaux non salariés d'une entreprise de communiquer avec les travailleurs occupés par cet employeur dans un lieu qui lui appartient (c'est-à-dire la question fondamentale soulevée par l'UFCW dans ses allégations concernant l'incident de Fredericksburg) est exposée en détail dans l'annexe jointe aux observations complémentaires du gouvernement. En résumé, pour délimiter l'étendue du droit de communiquer, les tribunaux évaluent les droits des salariés garantis par l'article 7, d'une part, et les droits que confère à l'employeur sa qualité de propriétaire, d'autre part. Si le droit à la propriété est jugé équivalent au droit énoncé à l'article 7, le juge doit alors examiner s'il existe d'autres moyens de communication n'empiétant pas sur le droit de propriété. S'il ne jouit d'aucun droit de propriété, un employeur ne peut refuser aux syndicalistes la liberté d'accès. Lorsqu'il est établi qu'aucun autre moyen de communication n'existe, l'employeur doit généralement renoncer à ses droits de propriétaire pour accorder l'entrée dans l'enceinte de son exploitation. Même lorsque les droits de propriété ont été reconnus et qu'un autre moyen de communication peut raisonnablement être utilisé, le fait pour un employeur de refuser l'entrée aux syndicalistes non salariés peut être considéré comme un acte illégal dans la mesure où il montre que l'employeur réserve ce traitement aux dirigeants syndicaux et aux autres personnes qui se livrent à des activités comparables. Ces diverses considérations ont été prises en compte par le juge administratif et le NLRB, et ils ont finalement statué qu'en refusant de laisser entrer des représentants syndicaux sur les terrains situés en bordure des magasins de Food Lion à Fredericksburg, Virginie, cette entreprise avait enfreint les dispositions de la NLRA.
- 170. Le gouvernement déclare que la législation des Etats-Unis offre donc des recours contre les violations de la liberté syndicale et veille à ce que toutes les parties puissent en bénéficier équitablement et avec succès. Il fournit des informations détaillées sur la composition du NLRB, la procédure relative aux cas d'accréditation et de pratiques de travail déloyales, les recours concernant la liberté syndicale et les conditions régissant les demandes d'injonction. Il s'agit d'une procédure de type contradictoire qui permet à toutes les parties d'exposer librement leur point de vue et leur offre la possibilité de faire comparaître des témoins, d'apporter des preuves, de plaider et, au besoin, de former un appel devant une instance judiciaire indépendante.
- 171. Le gouvernement explique en outre que l'UFCW a utilisé et continue d'utiliser la législation et les procédures en vigueur en cas de violation de la liberté syndicale. Elle a parfois obtenu gain de cause et, d'autres fois, a été déboutée. Quoi qu'il en soit, les allégations de l'UFCW ne démontrent d'aucune manière que la législation et les procédures en vigueur ne protègent pas la liberté syndicale:
- - un accord a été conclu au sujet des allégations formulées par l'UFCW concernant les incidents survenus dans l'établissement de Culpepper (Virginie) où elle avait tenté de constituer des piquets d'information et de distribuer des tracts. Elle n'a présenté aucune preuve donnant à penser que Food Lion a violé les termes de l'accord;
- - les 14 allégations de pratiques de travail déloyales dans plusieurs établissements de Virginie (et les prétendues violations de l'article 8 (A) 1) de la NLRA) ont été rejetées par le directeur régional et le Conseiller juridique général du NLRB;
- - les trois accusations portées en octobre 1989 contre Food Lion au sujet des incidents survenus dans trois établissements de Virginie ont été retirées par l'UFCW en février 1990;
- - les deux dernières allégations déposées par l'UFCW (concernant les affaires de Fredericksburg) ont été tranchées en sa faveur, comme il est expliqué au paragraphe suivant.
- 172. La section locale de l'UFCW a déposé plainte contre Food Lion en juillet et en octobre 1989, alléguant que cette entreprise avait violé les droits syndicaux garantis par la NLRA dans deux établissements de Fredericksburg (en refusant aux représentants syndicaux la possibilité de s'entretenir dans des conditions acceptables avec les membres de son personnel, en les menaçant d'arrestation et en faisant appel à la police locale pour les expulser des locaux appartenant à l'employeur). Des plaintes formelles ont été émises par le NLRB et réunies en mars 1990, mais tous les efforts déployés pour trouver une solution ont échoué. Plusieurs audiences se sont tenues devant le juge administratif Zenkel, les 26 et 27 mars et les 2, 4 et 29 mai 1990; les mémoires ont été communiqués en juillet 1990. Malheureusement, le juge Zenkel est décédé avant d'avoir pu rendre sa sentence; il a donc été convenu de transmettre le cas au juge Leiner. Celui-ci fut saisi du dossier en novembre 1990. Le 15 février 1991, il rendait ses conclusions dans lesquelles il déclarait que Food Lion avait enfreint l'article 8 (A) 1) de la NLRA; à son avis Food Lion n'avait pas réussi à démontrer qu'il jouissait d'un droit de propriété exclusif sur les terrains attenant à ses magasins et ne pouvait donc en refuser l'accès aux représentants de l'UFCW. En mars 1991, Food Lion a formulé ses objections contre la décision du juge mais, le 27 août 1991, le NLRB a confirmé cette décision, quoique sur des bases différentes, statuant que les agissements de l'employeur pouvaient être assimilés à "un traitement discriminatoire et contraire à la loi". Le NLRB a adopté la décision du juge après qu'elle eut été modifiée de manière à souligner le caractère discriminatoire des violations commises.
- 173. Compte tenu des circonstances, les deux années requises pour faire aboutir cette affaire constituaient un délai raisonnable; à plusieurs reprises, on s'est efforcé de trouver une solution; l'examen du cas a réclamé cinq jours d'audience, et de longs mémoires ont été présentés par les deux parties. En fait comme en droit, certains problèmes restaient à élucider; les parties ont pu faire valoir tous leurs arguments et témoignages sur un pied d'égalité, chacune d'entre elles ayant la même possibilité de former appel contre la décision du juge administratif ou du NLRB. Ce cas montre à quel point la législation des Etats-Unis et son application dans la pratique protègent efficacement les droits des salariés, des employeurs et des syndicats, tant sur le fond que dans la forme. Ce système impartial, qui a fait ses preuves, a été conçu et est utilisé pour résoudre les différends de manière à la fois rapide, efficace et équitable.
- 174. Contrairement à ce qu'a prétendu l'UFCW dans ses observations complémentaires, Food Lion a spontanément accepté de se conformer à la décision rendue par le NLRB le 27 août 1991, et il n'a pas été nécessaire de recourir à la procédure d'application prévue par la NLRA. Le 9 décembre 1991, Food Lion a, sur l'ordre du NLRB, signé une communication adressée à son personnel, dont le texte est reproduit ci-après:
- Le Conseil national des relations professionnelles, estimant que nous avions enfreint la loi sur les relations de travail (NLRA), nous a ordonné d'afficher le présent avis et de nous y conformer.
- L'article 7 de la loi garantit le droit des salariés: de s'organiser, de former des organisations ouvrières, d'y adhérer ou de les soutenir, de négocier collectivement par l'intermédiaire de représentants de leur choix, d'entreprendre toute autre action concertée aux fins d'aide et de protection mutuelles, de s'abstenir de s'ingérer dans l'une quelconque de ces activités concertées.
- NOUS NOUS ENGAGEONS à ne pas appliquer de mesures discriminatoires en empêchant les représentants de l'UFCW, de la section locale 400 ou de l'AFL-CIO de s'entretenir avec les membres de notre personnel sur les passages, voies d'accès ou parcs de stationnement situés devant nos magasins de Breezewood et les centres d'achats Chancellor, situés à Fredericksburg (Virginie) ou à proximité, ou en les menaçant d'expulsion lorsqu'ils se trouvent sur les passages, voies d'accès ou parcs de stationnement attenants dans le dessein d'y rencontrer des membres de notre personnel.
- NOUS NOUS ABSTIENDRONS de toute action pouvant être assimilée à une quelconque intervention, entrave ou coercition à l'égard de nos salariés dans l'exercice des droits garantis par l'article 7 de la loi.
- 175. En outre, à la demande du Conseil, Food Lion a placardé cet avis dans les magasins de Fredericksburg où il devait rester affiché pendant 60 jours, jusqu'au début de février 1992. Food Lion s'est donc ainsi pliée à la décision du Conseil. Le déroulement de cette affaire et son issue montrent que la législation et la pratique des Etats-Unis garantissent le respect de la liberté syndicale et du droit d'organisation.
- 176. En ce qui concerne la prétendue inégalité qui ressort des dispositions de la NLRA relatives aux injonctions, le gouvernement souligne que, dans l'affaire de Fredericksburg, l'UFCW n'a pas requis du NLRB qu'il dépose une demande d'injonction auprès du tribunal fédéral de district; elle lui a plutôt demandé en guise de mesure de redressement de rendre "une ordonnance enjoignant Food Lion de cesser d'empêcher les représentants de la section locale 400 de communiquer avec les membres de son personnel sur les trottoirs situés à l'extérieur de ses magasins, et de permettre aux syndicalistes de s'entretenir avec les salariés de Food Lion". Tel est en substance le contenu de la sentence rendue par le juge administratif. Le 12 avril 1991, l'UFCW a demandé au Conseil de confirmer la décision du juge, déclarant que "les mesures de redressement imposées par le juge Leiner étaient manifestement appropriées et pleinement conformes aux autres sentences de même nature rendues précédemment ...". Après y avoir apporté la modification évoquée plus haut pour faire ressortir la nature discriminatoire de la violation, le Conseil a confirmé la décision du juge. L'UFCW a ainsi obtenu la mesure de redressement demandée, qu'elle avait qualifié "d'appropriée"; aucun motif ne lui permet donc d'affirmer que la législation et les procédures appliquées aux Etats-Unis sont inadaptées.
- 177. Bien que la prétendue "inégalité" qui caractérise, selon les affirmations de l'UFCW, le recours en injonction ne soit pas en cause dans cette affaire, le gouvernement souligne une fois de plus que la distinction établie par la loi entre les injonctions "obligatoires" ou "facultatives" est fondée sur des raisons solides. Les injonctions "obligatoires" prévues par l'article 10 l) de la NLRA ne s'appliquent qu'à un nombre restreint de pratiques de travail déloyales, à savoir les grèves et le piquetage de solidarité, les accords de boycottage et les piquets de grève visant à obtenir la reconnaissance syndicale. Ces pratiques peuvent porter préjudice à des tierces parties neutres. Les mesures de redressement en question visent à empêcher que des dommages irréparables ne soient causés à ces tiers et ne faussent nullement l'équilibre que la loi établit entre les intérêts des employeurs, des salariés et de leurs représentants.
- 178. Le fait que les injonctions prévues à l'article 10 l) de la NLRA soient appelées en langage courant "obligatoires" ne signifie pas qu'elles sont automatiquement accordées à toute partie qui allègue une violation des articles 8 b), 4) A), B) ou C), ou de l'article 8 e) de la NLRA. Le terme "obligatoire" signifie seulement qu'une requête d'injonction doit être déposée par le Conseil auprès du tribunal fédéral de district, lorqu'un directeur régional du NLRB estime avoir des motifs raisonnables de penser que l'accusation est fondée. L'injonction n'est prononcée que si la preuve est faite devant le tribunal de district, et que ce dernier juge que la mesure de redressement envisagée est équitable et appropriée.
- 179. L'ordonnance temporaire d'injonction prévue aux articles 10 j) et l) a pour but de préserver les pouvoirs de redressement du Conseil en ce qu'elle permet de maintenir la situation en l'état jusqu'à ce que le Conseil ait pris sa décision définitive. Pour expliquer les raisons qui motivent les articles 10 j) et l), le rapport du Sénat des Etats-Unis se réfère notamment aux longs délais qui peuvent intervenir avant que le Conseil ne rende sa sentence, et à la nécessité de supprimer toute entrave au libre cours des échanges et de favoriser le libre déroulement de négociations collectives en séance privée; le Congrès a prévu pour sa part que "le Conseil, agissant dans l'intérêt général et non pour défendre les droits de particuliers, puisse demander qu'une injonction soit rendue dans tous les cas de pratiques de travail déloyales, et qu'il en fasse également la demande dans les cas de grève ou de boycottage assimilés à de telles pratiques". Lorsqu'il a promulgué l'article 10 l), le Congrès entendait essentiellement protéger les individus innocents contre le préjudice causé par des boycottages de solidarité.
- 180. Le Conseil demande qu'une ordonnance d'injonction soit rendue en vertu de l'article 10 j) dans les diverses situations où il estime que les droits des salariés sont gravement menacés. Il dépose une requête d'injonction lorsque "des pratiques de travail déloyales ont de profondes répercussions, que l'intérêt général est sérieusement affecté, que la procédure du Conseil est entravée ou que toute décision finale qu'il aurait lui-même prise en de pareilles circonstances n'aurait manifestement pas été suffisante, et que les agissements incriminés sont indiscutables et flagrants". Cette possibilité limitée de recours à l'injonction reflète la volonté du Congrès des Etats-Unis d'empêcher que des individus innocents, des salariés et des employeurs subissent un préjudice irréparable lorsqu'ils en sont gravement menacés. Quoi qu'il en soit, chaque fois qu'un dommage irréparable risque d'être causé aux droits des salariés, le NLRB peut demander qu'une ordonnance d'injonction soit rendue en vertu de l'article 10 j), et le demande effectivement.
- 181. Dans sa troisième observation complémentaire (8 mai 1992), le gouvernement souligne que les derniers arguments de l'UFCW ne soulèvent aucun élément nouveau, de fait ou de droit. Il répond toutefois de façon détaillée à ces commentaires en faisant le lien avec ses propres observations antérieures, résumées ci-dessus. Quant aux commentaires du plaignant sur l'arrêt Lechmere, le gouvernement fait valoir que Food Lion n'était pas partie prenante à cette affaire, qui n'a de toute façon aucune incidence sur les plaintes de pratique déloyale du travail déposées par l'UFCW contre Food Lion.
- 182. Le gouvernement conclut enfin que l'UFCW n'a pas prouvé que la législation et les procédures appliquées aux Etats-Unis permettent des violations répétées des droits syndicaux, ni que les travailleurs et leurs organisations avaient des motifs sérieux de douter du système. Le seul cas qui n'avait pas encore été tranché par le NLRB lorsque l'UFCW avait déposé sa plainte au comité en mars 1990 l'a finalement été en faveur de l'UFCW en août 1991; en décembre 1991, Food Lion s'est conformée volontairement à l'ordonnance du NLRB. Cela démontre que la législation des Etats-Unis protège le droit des salariés à la liberté syndicale. L'UFCW a pleinement tiré parti des moyens que lui offraient la législation et la pratique des Etats-Unis en engageant des poursuites dans cette affaire, et le cas a été rapidement tranché, compte tenu des problèmes qu'il soulevait et de la nécessité d'offrir à toutes les parties les mêmes recours. Contrairement à ce qu'affirme l'UFCW, cette affaire montre à quel point la législation et les procédures appliquées aux Etats-Unis suffisent à protéger la liberté syndicale des salariés.
- 183. La législation du travail des Etats-Unis et ses modalités d'application ont fait la preuve de leur efficacité depuis plus de cinquante ans en permettant de trouver une solution à la fois équitable, impartiale, rapide et efficace dans un million de cas relatifs à des pratiques de travail déloyales. Le fait que l'UFCW ne soit pas satisfait de la suite donnée à toutes les allégations qu'il a produites en ce qui concerne ses efforts de syndicalisation des salariés de Food Lion en Virginie ne prouve aucunement qu'il existe des lacunes dans le système.
- 184. Dans sa communication du 19 août 1991, le United States Council for International Business (USCIB) soutient que le fait que les présentes allégations constituent la quatrième plainte déposée à l'encontre du gouvernement des Etats-Unis ne prouve nullement que le système établi soit impuissant à déjouer les manoeuvres antisyndicales et les pratiques de travail déloyales. Dans un pays aussi vaste que les Etats-Unis, plus de 20.000 accusations par année sont portées contre des employeurs auxquels il est reproché de s'être livrés à des pratiques de travail déloyales. Le fait que quatre syndicats différents, mus par des motifs de politique et participant à une campagne concertée, aient saisi le Comité de la liberté syndicale de quatre plaintes seulement sur les 80.000 accusations de pratiques déloyales du travail produites au cours de la même période (soit 0,0005 pour cent de l'ensemble des accusations) n'est pas une base suffisante pour conclure que les procédures du NLRB laissent à désirer.
- 185. Toutes les accusations de pratiques de travail déloyales évoquées dans la présente affaire ont été tranchées à ce jour, c'est-à-dire rejetées ou accueillies quant au fond, retirées par le syndicat ou réglées à sa satisfaction. Aucun élément ne permet donc de conclure dans ce cas à l'inefficacité des mesures de redressement prévues contre les pratiques déloyales de travail. Le fait que le NLRB soit saisi d'une accusation ne signifie pas forcément que l'employeur concerné s'est effectivement livré à des agissements déloyaux en matière de travail; toutefois, chaque année, des centaines d'employeurs sont reconnus coupables, aux termes d'une procédure expéditive conduite par le NLRB, et condamnés à payer plus de 34 millions de dollars au titre des rappels de salaire pour avoir violé la loi. Dans plus de 90 pour cent des cas, ces accusations sont tranchées en 40 jours, voire dans un délai plus court.
- 186. Etant donné qu'aucune injonction n'a été demandée par l'une ou l'autre partie ou par le NLRB lui-même dans la présente affaire, le comité n'est pas fondé à se prononcer sur l'efficacité des articles 10 j) et l) relatifs aux injonctions. De fait, sur les 9.111 accusations de pratiques de travail déloyales portées contre des syndicats en 1988, seules 52 ont abouti aux injonctions prévues à l'article 10 1), ce qui représente 0,5 pour cent de l'ensemble des griefs formulés à l'encontre de syndicats. Ces injonctions s'appliquent aux pratiques syndicales qui, telles les violences, risquent de menacer l'existence d'une entreprise ou même un secteur entier de l'économie ou de causer un préjudice irréparable aussi bien aux employeurs qu'à leurs salariés, si l'on n'intervient pas rapidement pour y mettre fin. En vertu de l'article 10 j), un syndicat peut requérir qu'une injonction soit prononcée à l'encontre d'un employeur s'il estime que son droit à la liberté d'association a été violé. En 1988, le NLRB a ainsi déposé 24 demandes d'injonctions à l'encontre d'employeurs.
- 187. Dans sa communication du 16 septembre 1991, l'USCIB déclare que la décision rendue par le NLRB le 27 août 1991 indique clairement que, lorsqu'une allégation de pratique de travail déloyale est fondée et s'appuie, quant au fond, sur des faits probants, les recours offerts par la loi sont efficaces. En conséquence, ce cas illustre l'efficacité des mesures de redressement prévues par la NLRA contre ceux qui se livrent à des pratiques déloyales de travail. Compte tenu de la situation, il n'y a pas lieu de réexaminer le système de recours institué par la législation des Etats-Unis en cette matière. Cela équivaudrait à une réforme de la législation du travail des Etats-Unis et bouleverserait l'équilibre bien établi qui existe depuis 1947 entre les droits respectifs des employeurs, des syndicats et des salariés.
- 188. Dans sa communication du 9 janvier 1992, l'USCIB rappelle que le fait que Food Lion se soit pliée à la décision du NLRB prouve que les procédures et recours institués par la NLRA sont efficaces. Il existe par ailleurs des raisons de douter de la bonne foi du plaignant lorsqu'il affirme qu'il s'efforce de syndiquer les salariés de Food Lion. Sur la base de plusieurs documents (concernant d'autres conflits opposant Food Lion à l'UFCW, des articles de journaux rassemblés et publiés dans "Imprint", journal interne de l'UFCW, et une lettre de l'UFCW invitant les salariés de Food Lion à présenter des plaintes pour violation de la législation sur le salaire horaire), l'USCIB soutient que l'UFCW n'a jamais cherché à organiser les salariés de Food Lion, au sens où l'entend la législation des Etats-Unis. Cela permet de douter sérieusement du bien-fondé de la plainte portée à l'attention du comité, laquelle est, au mieux, une utilisation abusive des mécanismes de contrôle de l'OIT.
- 189. Dans sa communication du 4 mai 1992, l'USCIB reprend certains de ses arguments antérieurs, résumés ci-dessus, et fait une analyse détaillée de l'arrêt Lechmere et de son importance pour la liberté syndicale et le droit d'association dans le droit des Etats-Unis. Il souligne que Food Lion n'était pas concernée par cette affaire, qui ne met d'ailleurs pas en cause la question juridique soulevée par la seule plainte fondée de pratique déloyale du travail formulée par l'UFCW contre la société. Quant au fond, l'arrêt Lechmere vient tout au plus réaffirmer une décision unanime rendue en 1956 par la Cour suprême (NLRB c. Babcock & Wilcox), dont le NLRB s'était écarté récemment. Quoi qu'il en soit, l'incidence de l'arrêt Lechmere dans le droit du travail des Etats-Unis - à supposer qu'elle se vérifie - ne se fera pas sentir avant plusieurs années. L'USCIB conclut que la présente affaire représente un recours abusif à la procédure du comité. Aucune des craintes exprimées par l'UFCW dans ses trois premières observations ne s'est concrétisée. En fait, le système de droit du travail des Etats-Unis a fait ici la preuve de son efficacité pour résoudre les plaintes de pratiques déloyales du travail, grâce aux mécanismes d'enquête, de conciliation et de décision quant au fond.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 190. Avant de traiter la plainte quant au fond, le comité souhaite mentionner que la description de la position des parties faite ci-dessus ne représente, malgré sa longueur, qu'une tentative de résumer les quelque 150 pages d'allégations, réponses et répliques, et 600 pages de documentation soumises à l'appui (documents et décisions du NLRB, jugements, articles de doctrine juridique, statistiques, documents syndicaux, coupures de presse, etc.). Au-delà des complexités factuelles, juridiques et jurisprudentielles de cette affaire, il demeure que l'allégation essentielle est que la législation et la pratique en matière de travail aux Etats-Unis ne protègent pas convenablement le droit d'association, puisque les organisateurs syndicaux ne peuvent réellement exercer leur droit de communiquer avec les employés. L'UFCW allègue également que, même lorsque le NLRB a des motifs de considérer que le droit d'association est violé, les recours juridiques existants - en particulier ceux qui concernent les pratiques de travail déloyales - sont en fait inefficaces; elle explique que ses affiliés locaux ont été empêchés de mettre sur pied un syndicat regroupant les salariés dans l'industrie alimentaire de détail en raison des pratiques de travail déloyales de Food Lion, qui exploite quelque 300 magasins d'alimentation aux Etats-Unis. Le plaignant affirme aussi que la NLRA crée une inégalité flagrante entre les employeurs et les syndicats étant donné que, lorsqu'une plainte pour pratiques de travail déloyales est déposée, cette loi prévoit seulement la possibilité d'une injonction en faveur des syndicats, tandis que ce recours existe de plein droit pour les employeurs.
- 191. Le gouvernement répond que sa législation du travail est généralement conforme aux conventions nos 87 et 98 de l'OIT, et que les pratiques en matière de travail aux Etats-Unis, notamment dans le présent cas, sont conformes aux principes de l'OIT concernant la liberté syndicale. En résumé, le gouvernement affirme que les différends portant sur des faits ont été dûment tranchés, que la législation du travail protège convenablement le droit d'organisation et que les dispositions de la NLRA relatives aux injonctions ne sont pas discriminatoires à l'égard des syndicats.
- 192. En ce qui concerne les divers incidents relatifs aux activités d'organisation, de mise en place de piquets d'information et de distribution de tracts du syndicat local, le comité note que l'UFCW a formulé contre Food Lion plusieurs plaintes pour pratiques de travail déloyales, avec plus ou moins de succès. En premier lieu, les accusations concernant les efforts d'organisation de l'UFCW dans 14 magasins situés dans toute la Virginie ont été rejetées par le directeur régional du NLRB à Baltimore puis, en appel, par le conseiller juridique général du NLRB, devant lesquels les deux parties ont eu toutes possibilités de présenter les témoignages, preuves et arguments qu'elles avaient à faire valoir. En deuxième lieu, un accord a été conclu au sujet du magasin de Culpepper, par lequel Food Lion s'engageait à afficher dans les locaux réservés aux salariés un avis dans lequel elle promettait de ne pas porter atteinte à leurs droits syndicaux; il n'existe aucune preuve que cet accord ait été violé. En troisième lieu, les plaintes déposées en octobre 1989 à l'encontre de trois magasins de Virginie ont été retirées par l'UFCW en février 1990. Enfin, le NLRB a maintenu en août 1991 les accusations portées dans l'affaire de Fredericksburg, et Food Lion a décidé de son plein gré en décembre 1991 de donner suite à la sentence du NLRB en affichant l'avis dans les deux magasins.
- 193. Comme il a déjà pu le constater dans des cas antérieurs concernant les Etats-Unis, le comité note que la NLRA n'en établit pas moins un système très élaboré d'instruction et de règlement des plaintes pour pratiques de travail déloyales devant le NLRB, avec des possibilités de recours pour les deux parties pouvant aller jusqu'à la Cour suprême dans certains cas. En tant qu'organe quasi judiciaire spécialisé agissant à l'échelle nationale, le NLRB rend des décisions de caractère obligatoire après avoir entendu les témoins, examiné les témoignages et arguments - souvent très complexes en raison de la nature des cas de pratiques de travail déloyales - en tenant compte des intérêts respectifs des parties et en interprétant la législation nationale du travail et la jurisprudence appliquées à un concours de circonstances particulières. Sur la base des informations fournies, il apparaît que la majorité des cas sont traités rapidement par le NLRB.
- 194. Le comité est d'avis que les relations entre Food Lion et la section locale de l'UFCW étaient manifestement tendues. Les efforts de syndicalisation déployés par le plaignant se sont apparemment heurtés d'emblée à une forte résistance de l'employeur. Le comité note en particulier que les représentants syndicaux n'ont souvent même pas réussi à entrer en communication avec des membres du personnel en dépit de tous leurs efforts. En plusieurs occasions, les dirigeants syndicaux ont reçu des menaces d'arrestation, et parfois la police est intervenue pour les expulser. Il ressort des documents présentés que plusieurs incidents ont entraîné le dépôt de plaintes devant le NLRB, les rapports tendus entre l'UFCW et Food Lion ayant suscité dans l'ensemble de nombreux conflits. En particulier, le comité ne peut qu'être préoccupé par les menaces d'arrestation proférées contre les représentants syndicaux et leur expulsion des lieux où ils ont pris contact avec les travailleurs de l'entreprise. De telles intimidations ou menaces ne peuvent évidemment qu'entraîner un climat défavorable aux activités syndicales légitimes, et en particulier celles visant à affilier les travailleurs. Le comité rappelle qu'une attitude indûment ou exagérément formaliste est incompatible avec des relations de travail harmonieuses, et même les compromet, et que des rapports harmonieux dépendent essentiellement du comportement réciproque des parties et de la confiance mutuelle qu'elles se portent (Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, troisième édition, 1985, paragr. 624). Le comité demande au gouvernement, au cas où des entreprises prennent des mesures qui vont à l'encontre des droits syndicaux, d'attirer l'attention des entreprises concernées sur ses conclusions dans ce cas que le comité a formulées et d'indiquer clairement aux parties la nécessité de développer des relations professionnelles harmonieuses fondées sur une confiance mutuelle.
- 195. Le comité demande au gouvernement de garantir aux représentants syndicaux l'accès aux lieux du travail, en respectant pleinement les droits de propriété et les droits de la direction, afin que les syndicats puissent communiquer avec les travailleurs dans le but de les informer des avantages que la syndicalisation peut présenter pour eux.
- 196. En ce qui concerne le deuxième aspect important du cas, le plaignant soutient que la NLRA ne traite pas les employeurs et les syndicats sur un pied d'égalité, ce qui rend l'UFCW encore plus méfiant à l'égard du système. Le gouvernement répond que les injonctions temporaires "obligatoires" prévues par l'article 10 l) ont pour but d'empêcher que des tierces parties neutres subissent un préjudice irréparable; ces recours ne sont d'ailleurs ouverts que lorsque les agissements présumés illégaux risquent de causer aux employeurs un très grand tort dans un délai extrêmement court. D'après le gouvernement, l'injonction n'est obligatoire que dans les cas où les pratiques de travail déloyales des syndicats présentent un tel danger de perturbation qu'elles risquent de menacer l'existence d'une entreprise et de causer un tort irréparable aussi bien aux employeurs qu'aux salariés, si l'on n'y met pas fin rapidement.
- 197. Le comité est bien conscient du fait que l'injonction dite "obligatoire" n'est pas automatiquement accordée à un employeur qui allègue une violation des articles 8 b) 4) A), B) ou C) ou de l'article 8 e) de la NLRA (à savoir, certaines pratiques déloyales de travail commises par des syndicats). Toutefois, il ne peut qu'observer que le NLRB doit requérir une ordonnance d'injonction en vertu de l'article 10 l) lorsqu'un directeur régional estime avoir des motifs raisonnables de penser que l'allégation d'un employeur est fondée, alors qu'il a la faculté (ou, en d'autres termes, peut) demander qu'une telle ordonnance d'injonction soit rendue contre un employeur, en vertu de l'article 10 j).
- 198. Si le comité comprend bien l'explication du gouvernement, ce sont le caractère "perturbateur" d'une activité et l'incidence qu'elle risque d'avoir sur des tierces parties neutres qui justifient le recours "obligatoire" et non "facultatif" à cette mesure de redressement. Ce raisonnement est certes fondé, mais le comité estime que le même argument pourrait être invoqué à l'inverse pour justifier l'extension des injonctions "obligatoires" contre les employeurs dans certains cas (par exemple lorsque des pratiques de travail déloyales entravent la liberté syndicale des salariés), aux fins d'empêcher que les actes illégaux qui ont été allégués n'atteignent leur but avant l'issue de la procédure administrative, rendant ainsi tout recours administratif inopérant. Le comité prie en conséquence le gouvernement de veiller à ce que, dans le cadre de l'application de la loi fédérale sur les relations professionnelles, les travailleurs et les employeurs soient traités sur un pied de parfaite égalité, en particulier en ce qui concerne les pratiques déloyales de travail.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 199. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité demande au gouvernement de garantir aux représentants syndicaux l'accès aux lieux du travail, en respectant pleinement les droits de propriété et les droits de la direction, afin que les syndicats puissent communiquer avec les travailleurs dans le but de les informer des avantages que la syndicalisation peut présenter pour eux.
- b) Le comité demande au gouvernement, au cas où des entreprises prennent des mesures qui vont à l'encontre des droits syndicaux, d'attirer l'attention des entreprises concernées sur ses conclusions dans ce cas que le comité a formulées et d'indiquer clairement aux parties la nécessité de développer des relations professionnelles harmonieuses fondées sur une confiance mutuelle.
- c) Le comité prie le gouvernement de veiller à ce que, dans le cadre de l'application de la loi fédérale sur les relations professionnelles, les travailleurs et les employeurs soient traités sur un pied de parfaite égalité, en particulier en ce qui concerne les pratiques déloyales de travail.
Z. ANNEXE
Z. ANNEXE
- EXTRAITS DE LA LOI FEDERALE DES RELATIONS
- PROFESSIONNELLES
- Article 1:
- Il est déclaré par les présentes que les Etats-Unis ont pour
- principe
- d'éliminer les causes d'obstacles importants au libre cours des
- échanges et de
- réduire ou d'éliminer ces obstacles lorsqu'ils existent, en
- encourageant la
- pratique et la procédure des négociations collectives et en
- protégeant
- l'exercice par les salariés de la pleine liberté d'association,
- d'organisation
- et de désignation des représentants de leur choix, aux fins de
- débattre les
- termes et conditions de leur emploi ou d'autres formes d'aide
- ou de protection
- mutuelles.
- Article 7:
- Les salariés ont le droit de s'organiser, de former des
- organisations
- ouvrières, d'y adhérer, de les soutenir ou de négocier
- collectivement par
- l'intermédiaire des représentants de leur choix, et
- d'entreprendre toutes
- autres actions concertées aux fins de négociation collective
- ou d'autres
- formes d'aide ou de protection mutuelles; ils ont également le
- droit de
- s'abstenir d'exercer ces activités ...
- Article 8:
- a) 1): Sont considérées comme des pratiques de travail
- déloyales de la part
- d'un employeur "... toute intervention, entrave ou coercition à
- l'égard de ses
- salariés dans l'exercice des droits garantis par l'article 7 ..."
- b): Sont considérés comme des pratiques de travail déloyales
- de la part d'une
- organisation ouvrière ou de ses agents: ...
- 4) i) la grève, ou le refus concerté au cours du travail (ou
- l'incitation ou
- l'encouragement de tout individu employé par une personne
- quelconque engagée
- dans des échanges commerciaux ou dans une activité
- industrielle affectant ces
- échanges) d'utiliser, de fabriquer, de mettre en oeuvre, de
- transporter, ou de
- traiter d'autre manière des marchandises, articles, matériaux ou
- matières, ou
- d'exécuter des services; ou ii) toute menace, coercition ou
- entrave à l'égard
- d'une personne engagée dans des échanges commerciaux ou
- dans une activité
- industrielle affectant ces échanges lorsque l'acte commis a
- pour but:
- A) de forcer un employeur ou un travailleur indépendant à
- adhérer à une
- organisation de travailleurs ou d'employeurs, ou à devenir
- partie à l'un
- quelconque des accords interdits par l'article 8 e);
- B) de forcer une personne quelconque à cesser d'utiliser, de
- vendre, de
- manipuler, de transporter ou de traiter d'autre manière les
- produits d'un
- autre producteur, exploitant ou fabricant, ou de cesser ses
- relations
- d'affaires avec aucune autre personne, voire de contraindre
- un autre employeur
- à reconnaître une organisation de travailleurs représentant ses
- salariés ou à
- négocier avec elle, à moins que cette organisation n'ait été
- reconnue comme
- représentant les salariés, conformément aux dispositions de
- l'article 9;
- C) de forcer un employeur à reconnaître une organisation de
- travailleurs
- déterminée comme représentant ses salariés ou à négocier
- avec elle à cette
- fin, si une autre organisation de travailleurs a été reconnue
- comme les
- représentant, conformément aux dispositions de l'article 9; ...
- 7) le fait de constituer des piquets de grève ou d'en
- encourager la
- constitution, de menacer un employeur de constituer des
- piquets de grève ou
- d'en encourager la constitution, lorsque cet acte a pour objet
- de demander à
- un employeur ou de le forcer à reconnaître une organisation
- de travailleurs
- comme représentant ses salariés, ou à négocier avec elle, ou
- de forcer des
- salariés occupés par un employeur à accepter ou à désigner
- cette organisation
- comme représentant leurs intérêts lors de négociations
- collectives ...
- e) Est considéré comme une pratique de travail déloyale de la
- part de toute
- organisation de travailleurs et de tout employeur le fait de
- devenir partie à
- un contrat ou à un accord par lequel, expressément ou
- implicitement, il
- s'engage à cesser ou s'abstenir (ou accepte de cesser ou de
- s'abstenir) de
- manipuler, d'utiliser, de vendre, de transporter ou de traiter
- d'autre manière
- l'un quelconque des produits fabriqués par un autre employeur,
- ou de cesser
- ses relations d'affaires avec une personne quelconque, et tout
- contrat ou
- accord passé antérieurement ou ultérieurement contenant une
- telle clause sera
- réputé nul et sans effet ...
- Article 10:
- a) Le Conseil a le pouvoir ... d'empêcher quiconque de se
- livrer à des
- pratiques de travail déloyales (énumérées à l'article 8) affectant
- les
- échanges ...
- b) S'il est allégué qu'une personne a pratiqué ou pratique de
- tels agissements
- déloyaux en matière de travail, le Conseil, ou tout agent ou
- organisme désigné
- par lui à cet effet, a le pouvoir d'émettre et de faire signifier à
- cette
- personne une plainte contenant les charges relevées contre
- elle ...
- j) Le Conseil a le pouvoir, si une plainte est émise
- conformément au
- paragraphe b) accusant une personne de s'être livrée ou de
- se livrer à des
- pratiques de travail déloyales, de requérir tout tribunal de
- district des
- Etats-Unis (y compris le tribunal de district des Etats-Unis pour
- le district
- de Columbia), dans tout district où, selon les allégations
- produites, les
- pratiques déloyales ont été commises ou dans lequel la
- personne incriminée
- réside ou exerce son activité, de rendre une ordonnance
- temporaire
- d'injonction ou d'abstention appropriée ("relief or restraining
- order"). Sur
- dépôt de la requête, le tribunal la fait signifier à l'intéressé,
- après quoi
- il a compétence pour accorder au Conseil toute ordonnance
- d'injonction ou
- d'abstention qu'il estime équitable et appropriée ...
- l) Si une personne est accusée de s'être livrée à des pratiques
- de travail
- déloyales au sens de l'alinéa 4 A), B) ou C) de l'article 8 b), de
- l'article 8
- e), ou de l'article 8 b) 7), l'examen préliminaire de la plainte a
- lieu sans
- délai et a priorité sur les autres cas, à l'exception des cas de
- même nature
- auprès de l'organe devant lequel la plainte est portée ou
- auquel il aura été
- renvoyé. Si, après examen, le fonctionnaire, ou le procureur
- régional, auquel
- l'affaire a été renvoyée a des raisons sérieuses d'admettre que
- la plainte est
- fondée et qu'il y a lieu d'émettre une plainte, il doit requérir, au
- nom du
- Conseil, tout tribunal de district des Etats-Unis ... d'émettre une
- ordonnance
- d'injonction appropriée en attendant la décision finale du
- Conseil sur
- l'affaire ...
- (non souligné dans le texte).