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- 488. Par une communication datée du 22 avril 1993, la Confédération démocratique du travail (CDT) a présenté une plainte en violation des droits syndicaux contre le gouvernement du Maroc. Par une communication du 31 mai 1993, elle a présenté de nouvelles allégations.
- 489. A sa réunion de novembre 1993 (voir 291e rapport, paragr. 12), le comité a observé que, en dépit du temps écoulé depuis le dépôt de la plainte concernant ce cas, il n'avait toujours pas reçu les observations et informations du gouvernement. Le comité a attiré l'attention du gouvernement sur le fait que, conformément à la règle de procédure établie au paragraphe 17 de son 127e rapport, il pourrait présenter un rapport sur le fond de l'affaire en instance, même si les informations et observations du gouvernement n'étaient pas reçues à temps. Depuis cet appel pressant, le comité n'a reçu aucune réponse du gouvernement sur cette affaire.
- 490. Le Maroc n'a pas ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948; en revanche, il a ratifié la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations de l'organisation plaignante
A. Allégations de l'organisation plaignante
- 491. Dans sa communication du 22 avril 1993, la Confédération démocratique du travail (CDT) allègue des violations de la liberté syndicale au sein de la société "Huileries de Meknès", société privée dont le siège social se trouve à Rabat.
- 492. La CDT relate que cette entreprise, créée en 1960, est en plein essor économique et a connu une grande expansion quantitative et qualitative de ses activités industrielles. Elle compte 1.500 ouvriers.
- 493. D'après la CDT, la direction de cette entreprise manifeste une haine déclarée envers le syndicat ouvrier. Il est allégué que la législation du travail ne serait pas appliquée, que les cartes de travail ne seraient pas délivrées, que le SMIG et la prime d'ancienneté ne seraient pas octroyés, que les déclarations à la CNSS ne seraient pas faites, que l'horaire du travail régulier (14 heures par jour au lieu de 8 heures) ne serait pas respecté, que les ouvriers temporaires ne seraient pas titularisés, que les conditions de travail ne seraient pas respectées et que toutes sortes d'abus auraient lieu, en particulier à l'encontre des ouvrières.
- 494. C'est dans ces conditions que les ouvriers ont constitué le bureau syndical de la CDT en date du 22 octobre 1992. La direction de l'entreprise a réagi en licenciant les onze membres du bureau syndical ainsi que quatre autres militants. Une grève de protestation a été déclenchée le 4 novembre 1992 ainsi qu'un "sit-in" devant l'usine du 4 au 12 novembre. Les forces de l'ordre ont alors attaqué les travailleurs devant l'usine et ont blessé plusieurs ouvriers et ouvrières avant d'effectuer quelques arrestations. L'union locale de la CDT est intervenue auprès des autorités qui ont promis de régler le problème à condition que le "sit-in" soit transféré au siège local de la CDT, ce qui a été fait, mais les autorités n'ont pas tenu leur engagement. Ceci a amené, le 22 novembre 1992, les ouvriers à reprendre leur "sit-in" devant l'usine. Les forces de l'ordre sont à nouveau intervenues violemment et ont blessé plusieurs ouvriers et ouvrières.
- 495. L'organisation plaignante déclare que la direction de l'usine ne fait qu'augmenter la tension. Ainsi, elle aurait envoyé aux grévistes une mise en demeure leur rappelant que, depuis le premier jour de la grève, le 4 novembre, ils avaient été en état d'abandon de leurs postes et leur ordonnant de prendre le service dans les quarante-huit heures, faute de quoi ils seraient considérés comme démissionnaires.
- 496. Le 29 décembre 1992, toujours selon l'organisation plaignante, les forces de l'ordre sont à nouveau intervenues, appuyées par des bandes armées de gourdins, couteaux, barres de fer, bâtons, poignards, etc., mobilisées par la direction. Lors de cette intervention, 163 ouvriers ont été blessés, dont deux membres de l'union locale de la CDT qui ont également été arrêtés ainsi que 57 ouvriers. Trois jours plus tard, après dressement des procès-verbaux, ces personnes ont été remises en liberté. L'organisation plaignante joint à sa plainte une liste des personnes blessées ainsi qu'une description de leurs blessures.
- 497. La CDT indique qu'en date de la plainte la grève a été brisée par la direction à l'aide de ses bandes armées et en collaboration des autorités locales, plus de 500 ouvriers et ouvrières sont toujours expulsés, la direction refuse la réintégration de ces personnes ainsi que tout dialogue et négociation, et les autorités n'ont rien fait pour faire respecter les droits syndicaux et pour obtenir la réintégration des travailleurs expulsés et l'ouverture d'un dialogue avec les représentants syndicaux.
- 498. Dans sa communication du 31 mai 1993, la CDT allègue que le président du Conseil municipal de Mehdia-Kenitra a licencié arbitrairement, le 3 mai 1993, M. Kouadi Mohammed, agent de service stagiaire, en raison de son appartenance à la CDT et sa participation aux festivités du 1er mai 1993 organisées par la CDT. Elle transmet copie de cette décision.
B. Conclusions du comité
B. Conclusions du comité
- 499. Le comité souligne que l'absence de réponse du gouvernement dans le présent cas rend l'examen des allégations très difficile. Le comité regrette en effet que le gouvernement, malgré le temps écoulé depuis le dépôt de la plainte, et bien qu'il y ait été invité à plusieurs reprises, y compris par un appel pressant, n'ait pas formulé ses commentaires et observations à propos des allégations de l'organisation plaignante.
- 500. Dans ces conditions cependant, et conformément à la règle de procédure applicable (voir paragr. 17 du 127e rapport du comité, approuvé par le Conseil d'administration à sa 184e session), le comité se voit contraint de présenter un rapport sur le fond de cette affaire en l'absence des informations qu'il espérait recevoir du gouvernement.
- 501. Le comité rappelle tout d'abord au gouvernement que le but de l'ensemble de la procédure instituée à l'OIT pour l'examen des allégations faisant état d'atteintes à la liberté syndicale est d'assurer le respect de celle-ci, en droit comme en fait. Si cette procédure protège les gouvernements contre des accusations déraisonnables, ceux-ci doivent reconnaître de leur côté qu'il importe, pour leur propre réputation, qu'ils présentent, en vue d'un examen objectif, des réponses détaillées aux allégations formulées à leur encontre. (Voir premier rapport du comité, paragr. 31.)
- 502. Le comité observe que les allégations faisant l'objet du présent cas concernent des violations de la liberté syndicale au sein de la société "Huileries de Meknès". L'organisation plaignante allègue d'une manière générale que la direction de cette société manifeste une haine déclarée envers le syndicat ouvrier, qui se traduit notamment par son refus d'appliquer la législation du travail.
- 503. Pour ce qui est du licenciement des onze membres du bureau syndical de la CDT ainsi que de quatre autres syndicalistes, il apparaît que ces mesures ont été prises peu de temps après la constitution au sein de l'usine dudit bureau syndical. La nature antisyndicale de ces licenciements peut donc être légitimement présumée. C'est pourquoi le comité rappelle les principes selon lesquels tous les travailleurs doivent pouvoir former en toute liberté des organisations de leur choix et y adhérer librement et que nul ne devrait faire l'objet de discrimination dans l'emploi en raison de son affiliation ou de ses activités syndicales légitimes (voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, troisième édition, 1985, paragr. 222 et 538), et demande instamment au gouvernement de prendre des mesures pour diligenter une enquête impartiale en vue d'établir les véritables raisons de ces licenciements et, au cas où il serait prouvé que les personnes en question ont été licenciées en raison de leurs activités syndicales, qu'elles soient réintégrées dans leurs emplois. Il prie le gouvernement de le tenir informé des résultats de cette enquête.
- 504. Le comité observe également que, d'après l'organisation plaignante, en novembre et décembre 1992, les forces de l'ordre et des bandes armées seraient à trois reprises intervenues violemment pour briser les grèves et "sit-in" de protestation organisés par les travailleurs. Lors de ces interventions, la police aurait blessé de nombreux travailleurs et effectué des arrestations. Le comité note que la CDT indique que les deux membres de l'union locale de la CDT et les 57 ouvriers qui ont été arrêtés le 29 décembre 1992 ont été libérés trois jours plus tard, après dressement des procès-verbaux.
- 505. Le comité souligne une fois de plus qu'un mouvement syndical réellement libre et indépendant ne peut se développer que dans le respect des droits fondamentaux de l'homme (voir Recueil, op. cit., paragr. 68), et rappelle que les autorités ne devraient avoir recours à la force publique dans des cas de mouvements de grève que dans des situations présentant un caractère de gravité et où l'ordre public serait sérieusement menacé. Le comité déplore cette violence et demande par conséquent instamment au gouvernement d'ouvrir une enquête impartiale et approfondie des circonstances pour déterminer la nature et le bien-fondé des actions de la police et définir les responsabilités, et de le tenir informé des résultats de cette enquête.
- 506. Quant aux arrestations de grévistes auxquelles la police a procédé selon l'organisation plaignante, le comité rappelle au gouvernement que le droit de grève est un des moyens essentiels dont disposent les travailleurs et leurs organisations pour promouvoir et défendre leurs intérêts économiques et sociaux. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 363.) En outre, de l'avis du comité, les autorités ne devraient pas avoir recours aux mesures d'emprisonnement en cas d'organisation ou de participation à une grève pacifique. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 447.) Le comité rappelle que le seul fait de participer à un piquet de grève et d'inciter fermement, mais pacifiquement, les autres salariés à ne pas rejoindre leur poste de travail ne peut être considéré comme une action illégitime. Il en va toutefois autrement lorsque le piquet de grève s'accompagne de violences ou d'entraves à la liberté du travail par contrainte exercée sur les non-grévistes, actes qui, dans beaucoup de pays, sont punis par la loi pénale. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 435.) Compte tenu de ces principes auxquels il attache une grande importance, le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l'évolution de la situation de l'ensemble des travailleurs arrêtés en indiquant si des charges ont été retenues contre eux et, dans la négative, de s'efforcer d'obtenir leur réintégration dans leur poste de travail.
- 507. S'agissant de l'allégation relative à l'expulsion de plus de 500 ouvriers et ouvrières en raison de leur participation aux grèves de protestation, le comité souligne que le recours à des mesures extrêmement graves, comme le licenciement de travailleurs du fait de leur participation à une grève, implique de graves risques d'abus et constitue une violation de la liberté syndicale. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 444.) Il demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires afin que ces personnes soient réintégrées dans leurs emplois et de le tenir informé de l'évolution de leur situation.
- 508. Enfin, d'après la copie de la décision du 3 mai 1993 du président du conseil municipal de Mehdia transmise par l'organisation plaignante, le comité observe que M. Kouadi Mohammed a été licencié, entre autres, en raison de sa participation au défilé du 1er mai 1993 organisé par la CDT à laquelle il est affilié. Le comité, rappelant que le droit d'organiser des réunions publiques et des cortèges à l'occasion du 1er mai constitue un aspect important des droits syndicaux CDT (voir Recueil, op. cit., paragr. 155), demande au gouvernement de prendre des mesures afin que cette personne soit réintégrée dans son poste de travail. Il prie le gouvernement de le tenir informé à cet égard.
- 509. D'une manière générale, le comité doit à nouveau rappeler au gouvernement qu'il est nécessaire que la législation établisse d'une manière expresse des recours et des sanctions suffisamment dissuasives contre les actes de discrimination antisyndicale et d'ingérence des employeurs à l'égard des travailleurs et des organisations de travailleurs afin d'assurer l'efficacité pratique des articles 1 et 2 de la convention no 98. Le comité doit également rappeler à cet égard que, depuis de nombreuses années, la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations demande au gouvernement d'adopter des dispositions spécifiques visant à protéger de manière efficace les travailleurs contre les actes de discrimination antisyndicale et les travailleurs contre les actes d'ingérence. (Voir Rapport III (Partie 4A), 1992, p. 281.) Le comité prie donc instamment le gouvernement d'adopter dans les meilleurs délais des mesures législatives ou autres pour assurer l'application de la convention.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 510. Vu les conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité souligne que l'absence de réponse du gouvernement dans le présent cas rend l'examen des allégations très difficile.
- b) Rappelant néanmoins que tous les travailleurs doivent pouvoir former en toute liberté des organisations de leur choix et y adhérer librement et que nul ne devrait faire l'objet de discrimination dans l'emploi en raison de son affiliation ou de ses activités syndicales légitimes, le comité demande au gouvernement de prendre des mesures pour diligenter une enquête impartiale en vue d'établir les véritables raisons du licenciement des onze membres du bureau syndical de la CDT et de quatre autres syndicalistes et, au cas où il serait prouvé qu'ils ont été licenciés en raison de leurs activités syndicales, qu'ils soient réintégrés dans leurs emplois. Il prie le gouvernement de le tenir informé des résultats de cette enquête.
- c) S'agissant des interventions violentes de la police en novembre et décembre 1992 lors des grèves et "sit-in" de protestation organisés par les travailleurs, le comité rappelle que les autorités ne devraient avoir recours à la force publique dans des cas de mouvements de grève que dans des situations présentant un caractère de gravité et où l'ordre public serait sérieusement menacé, et demande au gouvernement de prendre des mesures pour diligenter une enquête impartiale et approfondie des circonstances pour déterminer la nature et le bien-fondé des actions de la police et définir les responsabilités, et de le tenir informé des résultats de cette enquête.
- d) Quant aux arrestations de grévistes auxquelles la police a procédé d'après les allégations, le comité rappelle au gouvernement que le droit de grève est un des moyens essentiels dont disposent les travailleurs et leurs organisations pour promouvoir et défendre leurs intérêts économiques et sociaux et que les autorités ne devraient pas avoir recours aux mesures d'emprisonnement en cas d'organisation ou de participation à une grève pacifique. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l'évolution de la situation de l'ensemble des travailleurs arrêtés en indiquant si des charges ont été retenues contre eux et, dans la négative, de s'efforcer d'obtenir leur réintégration dans leurs postes de travail.
- e) Soulignant que le recours à des mesures extrêmement graves, comme le licenciement de travailleurs du fait de leur participation à une grève, implique de graves risques d'abus et constitue une violation de la liberté syndicale, le comité demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires afin que les plus de 500 ouvriers et ouvrières expulsés d'après les allégations en raison de leur participation aux grèves de protestation soient réintégrés dans leurs emplois. Il prie le gouvernement de le tenir informé de l'évolution de leur situation.
- f) S'agissant du licenciement de M. Kouadi Mohammed pour entre autres raisons, sa participation au défilé du 1er mai 1993 organisé par la CDT à laquelle il est affilié, le comité demande au gouvernement de prendre des mesures afin que cette personne soit réintégrée dans son poste de travail et de le tenir informé à cet égard.
- g) Le comité doit à nouveau rappeler au gouvernement qu'il est nécessaire que la législation établisse d'une manière expresse des recours et des sanctions contre les actes de discrimination antisyndicale et d'ingérence des employeurs à l'égard des travailleurs et des organisations de travailleurs afin d'assurer l'efficacité pratique des articles 1 et 2 de la convention no 98. Il demande instamment au gouvernement d'adopter dans les meilleurs délais des mesures législatives ou autres pour assurer l'application de la convention.