Allégations: L’organisation plaignante dénonce l’exclusion du Syndicat démocratique de la justice (SDJ) de tout processus de négociation collective par les autorités alors qu’elle est l’organisation la plus représentative dans son secteur, le harcèlement des membres de l’organisation et la répression violente des forces de l’ordre à l’occasion de manifestations pacifiques
- 544. Le comité a examiné ce cas à sa réunion de juin 2014 lors de laquelle il a présenté un rapport intérimaire au Conseil d’administration. [Voir 372e rapport, paragr. 376 à 433, approuvé par le Conseil d’administration à sa 321e session (juin 2014).]
- 545. Le gouvernement a transmis sa réponse dans une communication en date du 25 août 2014.
- 546. Le Maroc a ratifié la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, ainsi que la convention (no 135) concernant les représentants des travailleurs, 1971, la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978, et la convention (no 154) sur la négociation collective, 1981. Il n’a pas ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948.
A. Examen antérieur du cas
A. Examen antérieur du cas- 547. Lors de son examen antérieur du cas en juin 2014, le comité a formulé les recommandations suivantes [voir 372e rapport, paragr. 433]:
- a) Notant avec une profonde préoccupation l’indication selon laquelle des dirigeants du Syndicat démocratique de la justice (SDJ) ont subi des violences telles qu’ils ont dû être traités urgemment par les services médicaux, le comité prie le gouvernement ou l’organisation plaignante de le tenir informé de tous recours devant les instances judiciaires suite aux violences alléguées des forces de l’ordre, et de leurs résultats.
- b) Le comité prie le gouvernement de fournir des informations complémentaires sur les motifs spécifiques de la suspension du secrétaire général adjoint du SDJ, de le tenir informé de l’issue de la procédure judiciaire entamée par ce dernier et de communiquer copie du jugement final.
- c) Le comité prie le gouvernement de fournir ses observations en réponse aux allégations de l’organisation plaignante selon lesquelles des déductions de salaire pour fait de grève ne viseraient que des militants d’un syndicat uniquement et, si de tels agissements sont avérés, de faire cesser ce traitement discriminatoire immédiatement.
- d) Le comité prend note du projet de loi sur les syndicats professionnels, dont l’article 37 prévoit que, pour bénéficier de la qualité de syndicat le plus représentatif, le syndicat professionnel doit obtenir au niveau national dans le secteur public 6 pour cent au moins du nombre total de représentants des fonctionnaires au sein des commissions administratives paritaires. Il prie le gouvernement de le tenir informé de l’adoption du projet de loi en question et de son application dans le secteur de la justice.
- e) Le comité demande au gouvernement de prendre toutes les dispositions nécessaires à la poursuite de la négociation collective avec le SDJ et de la tenir informé des mesures conclues à cet égard.
- f) De l’avis du comité, compte tenu du nombre de travailleurs que représente le SDJ dans le secteur de la justice, il paraîtrait souhaitable, dans un esprit d’apaisement, que le gouvernement s’efforce d’intervenir pour que le dialogue soit renoué entre le ministère de la Justice et des Libertés et le syndicat, afin de poursuivre la négociation collective et d’assurer que les points de vue de toutes les représentations syndicales soient pris en compte dans le cadre de la réforme en cours. Le comité prie le gouvernement d’indiquer toute mesure prise dans ce sens.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 548. Dans une communication en date du 25 août 2014, le gouvernement fournit des éléments de réponse relatifs aux recommandations précédemment formulées par le comité.
- 549. S’agissant des recours devant les instances judiciaires suite aux violences alléguées des forces de l’ordre à l’encontre des dirigeants du Syndicat démocratique de la justice (SDJ) (recommandation a)), le gouvernement indique que le ministère de la Justice et des Libertés n’a reçu aucune information concernant l’existence d’un recours devant la justice contre des établissements ou des personnes au sujet des violences alléguées.
- 550. En ce qui concerne les motifs spécifiques de la suspension du secrétaire général adjoint du SDJ (recommandation b)), le gouvernement déclare que ce dernier n’aurait pas respecté le devoir de réserve qui lui incombe en sa qualité de chef de service du greffe du tribunal. Par ailleurs, le gouvernement ajoute que les rapports établis par ses chefs hiérarchiques établissent que celui-ci abuserait de son pouvoir pour inciter les fonctionnaires sous sa responsabilité à faire grève ou à participer à des sit-in à l’appel de son syndicat. Enfin, le gouvernement affirme que l’administration a été contrainte de le destituer de son poste de responsabilité au motif qu’il négligeait ses obligations professionnelles et afin de préserver le fonctionnement normal des services du tribunal.
- 551. En ce qui concerne les allégations relatives à des retenues sur salaire pour fait de grève qui, selon l’organisation plaignante, ne frapperaient que les militants du SDJ de façon discriminatoire (recommandation c)), le gouvernement affirme que l’administration applique simplement les dispositions juridiques en vigueur en retenant les salaires de tous les grévistes, quelle que soit leur appartenance syndicale ou politique.
- 552. Les recommandations du comité portaient également sur le projet de loi sur les syndicats professionnels (recommandation d)). A cet égard, le gouvernement indique que le projet de loi en question se réfère non seulement à la Constitution nationale mais également aux conventions nos 87, 98 et 135 de l’OIT. Le gouvernement déclare en outre que le projet de loi a été transmis aux partenaires sociaux pour commentaires et que, une fois adoptée, la loi s’appliquera à tous les secteurs de la fonction publique, y compris la justice.
- 553. S’agissant des recommandations du comité encourageant la négociation collective avec le SDJ (recommandations e) et f)), le gouvernement indique que le ministère de la Justice et des Libertés a pris l’initiative d’inviter le SDJ à dialoguer au cours de cinq séances en présence du secrétaire général du ministère et des directeurs centraux. Dernièrement, le SDJ a été associé à l’examen des demandes de mutation des fonctionnaires.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 554. Le comité rappelle que le présent cas porte sur des allégations d’exclusion du Syndicat démocratique de la justice (SDJ) de tout processus de négociation collective par le ministère de la Justice et des Libertés alors qu’elle serait l’organisation la plus représentative dans le secteur de la justice, des actes de discrimination à l’encontre de ses dirigeants et la répression violente des forces de l’ordre à l’occasion de manifestations pacifiques organisées par le SDJ.
- 555. Le comité prend note de la réponse du gouvernement selon laquelle le ministère de la Justice et des Libertés n’aurait reçu aucune information concernant l’existence d’un recours devant la justice contre des établissements ou des personnes au sujet des violences alléguées par le SDJ (recommandation a)). A cet égard, le comité prend note de l’indication du gouvernement. Rappelant que l’organisation plaignante dénonçait la répression violente systématique par les forces de l’ordre de manifestations pacifiques alors que le gouvernement indiquait que les forces de sécurité ont dû intervenir afin de préserver la sécurité des personnes et des biens dans le cadre d’affrontements initiés par les membres du SDJ, le comité ne peut qu’exprimer une nouvelle fois sa préoccupation que des manifestations publiques pour défendre des intérêts professionnels soient violemment réprimées ou aboutissent à l’usage de la violence, de part et d’autre. Il veut croire que le gouvernement et l’organisation plaignante veilleront à l’avenir au respect des principes qu’il a précédemment rappelés sur le droit de manifestation des organisations syndicales et l’utilisation de la force publique. [Voir 372e rapport, paragr. 426.]
- 556. Le comité avait également pris note des allégations relatives aux représailles à l’encontre de dirigeants et membres du SDJ pour l’organisation ou la participation à des grèves. Le comité avait en particulier noté l’indication selon laquelle le secrétaire général adjoint du SDJ avait été suspendu de ses fonctions à la tête du greffe du tribunal de première instance de Ksar El Kébir (ville au nord du Maroc), sans motif, une semaine à peine après l’organisation d’une manifestation à l’occasion de la visite du ministre de la Justice. Dans sa réponse, le gouvernement avait justifié la mesure d’éviction par une exigence d’intérêt général sans lien avec l’affiliation syndicale du fonctionnaire. Le comité note la déclaration du gouvernement selon laquelle le secrétaire général adjoint du SDJ aurait fait l’objet de sanctions pour ne pas avoir respecté le devoir de réserve qui lui incombe en sa qualité de chef de service du greffe du tribunal et que les rapports établis par ses chefs hiérarchiques indiquent que ce dernier abuserait de son pouvoir pour inciter les fonctionnaires sous sa responsabilité à faire grève ou à participer à des sit-in à l’appel de son syndicat. Enfin, le gouvernement affirme que l’administration a été contrainte de le destituer de son poste de responsabilité au motif qu’il négligeait ses obligations professionnelles et afin de préserver le fonctionnement normal des services du tribunal. A cet égard, le comité appelle l’attention du gouvernement sur les dispositions de la convention (no 135) concernant les représentants des travailleurs, 1971, dans lesquelles il est expressément déclaré que les représentants des travailleurs dans l’entreprise doivent bénéficier d’une protection efficace contre toutes mesures qui pourraient leur porter préjudice, y compris le licenciement, et qui seraient motivées par leur qualité ou leurs activités de représentants des travailleurs, leur affiliation syndicale, ou leur participation à des activités syndicales, pour autant qu’ils agissent conformément aux lois, conventions collectives ou autres arrangements conventionnels en vigueur. Le comité rappelle néanmoins que les fonctionnaires de l’administration et du pouvoir judiciaires sont des fonctionnaires qui exercent des fonctions d’autorité au nom de l’Etat, et leur droit de recourir à la grève peut donc faire l’objet de restrictions, telles que la suspension de l’exercice du droit ou d’interdictions. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 800 et 578.]
- 557. Dans ces conditions, le comité prie le gouvernement d’indiquer tout recours administratif ou judiciaire intenté par le secrétaire général adjoint du SDJ suite aux mesures disciplinaires prises à son encontre, de transmettre copie des jugements rendus et de faire état des suites données.
- 558. En ce qui concerne les allégations de l’organisation plaignante relatives à la retenue des salaires qui toucherait uniquement les militants grévistes du SDJ, le comité avait précédemment rappelé que les déductions de salaire pour les jours de grève ne soulèvent pas d’objections du point de vue des principes de la liberté syndicale. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 654.] Cependant, si les déductions de salaire ne visent que des militants d’un syndicat uniquement, comme allégué en l’espèce, et dans la mesure où tous les syndicats ont appelé à la grève, cette situation constituerait de fait un traitement discriminatoire à l’encontre du syndicat visé affectant les principes de la liberté syndicale. Notant que dans sa dernière réponse le gouvernement affirme que l’administration a simplement appliqué les dispositions juridiques en vigueur en retenant les salaires de tous les grévistes, quelle que soit leur appartenance syndicale ou politique, et en l’absence d’information complémentaire de la part de l’organisation plaignante qui lui aurait permis de conclure que seuls les membres du SDJ ont été l’objet de mesures de représailles, le comité s’attend à ce que le gouvernement assure le plein respect des principes qu’il rappelle ci-dessus.
- 559. Dans ses précédentes conclusions, le comité avait émis l’avis que, compte tenu du nombre de travailleurs que représente le SDJ dans le secteur de la justice, il paraîtrait souhaitable, dans un esprit d’apaisement, que le gouvernement s’efforce d’intervenir pour que le dialogue soit renoué entre le ministère de la Justice et des Libertés et le syndicat, afin que les points de vue de toutes les représentations syndicales soient pris en compte dans le cadre de la réforme en cours. Le comité note avec intérêt l’indication selon laquelle le ministère de la Justice et des Libertés a pris l’initiative d’inviter le SDJ au dialogue via cinq réunions en présence du secrétaire général du ministère et des directeurs centraux, et que dernièrement le SDJ a été associé à l’examen des demandes de mutation des fonctionnaires. Le comité encourage la poursuite de ce dialogue apaisé et invite le gouvernement à continuer de faire état des mesures dans ce sens.
- 560. Enfin, le comité note l’indication du gouvernement selon laquelle le projet sur les syndicats professionnels a été transmis aux partenaires sociaux pour commentaires et que, une fois adoptée, la loi s’appliquera à tous les secteurs de la fonction publique, y compris la justice. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé de tout fait nouveau à cet égard, et notamment de transmettre copie de la loi une fois adoptée.
Recommandations du comité
Recommandations du comité- 561. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité demande au Conseil d’administration d’approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité prie le gouvernement d’indiquer tout recours administratif ou judiciaire intenté par le secrétaire général adjoint du Syndicat démocratique de la justice suite aux mesures disciplinaires prises à son encontre, de transmettre copie des jugements rendus et de faire état des suites données.
- b) Le comité encourage la poursuite du dialogue apaisé entre le ministère de la Justice et des Libertés et le Syndicat démocratique de la justice, compte tenu de sa représentativité importante, et invite le gouvernement à continuer de faire état des mesures dans ce sens.
- c) Le comité prie le gouvernement de le tenir informé de tout fait nouveau concernant le projet de loi sur les syndicats professionnels, et notamment de transmettre copie de la loi une fois adoptée.