Allégations: Les organisations plaignantes s’opposent à l’imposition de
l’arbitrage obligatoire dans les services publics non essentiels au sens strict du terme,
notamment dans le secteur de l’aviation
- 596. La plainte figure dans une communication du 31 janvier 2020 envoyée
par la Confédération nationale de l’unité syndicale indépendante du Panama (CONUSI) et
l’Union panaméenne des aviateurs commerciaux (UNPAC).
- 597. Le gouvernement a fait part de ses observations dans des
communications en date du 22 septembre 2021 et du 19 janvier 2023.
- 598. Le Panama a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale
et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit
d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes- 599. Dans leur communication en date du 31 janvier 2020, les
organisations plaignantes allèguent que le gouvernement n’a pas donné suite aux
recommandations du comité, le gouvernement ayant omis d’adapter sa législation dans le
but d’éliminer le recours à l’arbitrage obligatoire dans le cadre de la négociation des
conventions collectives, ce qui vient interférer avec l’exercice du droit de grève et le
limiter, en violation des conventions nos 87 et 98.
- 600. Les organisations plaignantes indiquent que la loi no 45 de 1998 a
porté modification de l’article 452 du Code du travail et introduit l’alinéa 3 qui
dispose que si le conflit collectif se produit dans une entreprise mettant en œuvre des
services publics, au sens de l’article 486 dudit code, la Direction régionale ou
générale du travail décidera de soumettre la grève à un arbitrage, une fois celle-ci
commencée. Les organisations plaignantes considèrent que l’alinéa 3 de l’article 452 du
Code du travail est contraire à l’article 3 de la convention no 87 en ce qu’il restreint
et limite le droit de grève des travailleurs des services publics, et ce en imposant
l’arbitrage obligatoire à des fins dissuasives dans le but d’annihiler les droits et les
intérêts des organisations syndicales. Les organisations plaignantes indiquent par
ailleurs que l’UNPAC a déposé le 16 avril 2019 une requête en inconstitutionnalité
contre l’alinéa 3 de l’article 452 du Code du travail, mais que celui-ci a été déclaré
constitutionnel au titre de l’autorité de la chose jugée par une décision de la Cour
suprême de justice en date du 17 octobre 2019 (une copie de la décision a été annexée à
la plainte). Elles estiment que cette décision est contraire à la jurisprudence de la
Cour elle-même, qui avait indiqué en 2015 que les conventions internationales du
travail, qui contiennent des dispositions relatives à la reconnaissance des droits
humains se matérialisant dans le cadre de l’activité professionnelle, devaient faire
partie de l’ordonnancement constitutionnel.
- 601. Les organisations plaignantes affirment que l’arbitrage obligatoire
n’est pas appliqué de façon concertée entre les parties et donnent en exemple le cas du
Syndicat national des travailleurs de l’industrie aérienne et des industries logistiques
similaires et connexes du Panama (SIELAS). Comme il est indiqué dans la plainte, cette
organisation syndicale a été soumise par le ministère du Travail et du Développement de
l’emploi (MITRADEL) à un arbitrage obligatoire au titre de la résolution no 511-DGT-17
afin qu’elle lève son préavis de grève, disposition que ladite organisation syndicale
avait prise faute d’être parvenue à un accord satisfaisant avec l’entreprise Copa
Airlines (ci-après, «la compagnie aérienne») dans le cadre de la négociation d’une
convention collective de travail. Les organisations plaignantes allèguent que les
travailleurs de SIELAS ont été persécutés, intimidés et menacés par les autorités du
MITRADEL et les forces de sécurité dans le but de les faire renoncer au préavis de
grève. C’est dans ce contexte que l’arbitrage obligatoire a été imposé.
- 602. Les organisations plaignantes ont conscience que le droit de grève
peut être restreint, voire interdit, dans les services essentiels au sens strict du
terme, c’est-à-dire les services dont l’interruption risquerait de mettre en danger la
vie, la sécurité ou la santé de tout ou partie de la population. Elles précisent
toutefois que le transport de passagers et de marchandises n’est pas un service
essentiel au sens strict du terme. Elles soutiennent que, bien que le transport de
passagers et de marchandises soit un service public d’importance primordiale dans le
pays, l’imposition d’un service minimum en cas de grève peut se justifier, mais non pas
l’imposition d’un arbitrage comme le prévoit l’alinéa 3 de l’article 452 du Code du
travail.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 603. Dans ses communications du 22 septembre 2021 et du 19 janvier 2023,
le gouvernement a indiqué que le 30 août 2017, le SIELAS avait déposé auprès de la
Direction générale du travail une demande contenant une liste de revendications en vue
de négocier une nouvelle convention collective avec la compagnie aérienne. Étant donné
qu’aucun accord n’avait pu être trouvé, le SIELAS s’est employé, conformément à
l’article 490 du Code du travail, à déclarer la grève pour une durée indéterminée à
partir du 23 novembre 2017, à la suite de quoi la Direction générale du travail a décidé
le même jour, par la résolution no 511-DGT-17, de soumettre la grève à un arbitrage et a
ordonné la suspension immédiate de celle-ci, ainsi que la réouverture des différents
lieux de travail.
- 604. Le gouvernement indique que les organisations plaignantes avaient
déposé une requête en inconstitutionnalité contre l’alinéa 3 de l’article 452 du Code du
travail, mais que la Cour suprême, par sa décision du 17 octobre 2019, avait déclaré
l’article en question constitutionnel au titre de l’autorité de la chose jugée et
ordonné l’archivage du dossier dans la mesure où elle avait déjà statué sur cette
question par le passé.
- 605. Le gouvernement fait savoir que, depuis l’année 2017 jusqu’à ce
jour, le SIELAS et la compagnie aérienne ont conclu deux conventions collectives: la
première était en vigueur du 1er décembre 2017 jusqu’au 1er décembre 2021 et la deuxième
a été signée le 1er avril 2022 et sera applicable jusqu’en 2026. Il souligne que le
MITRADEL a pour principale mission d’assurer la paix sociale en veillant au respect des
droits fondamentaux et des droits des travailleurs, en particulier du fait de son rôle
de médiateur, ce qui a permis de garantir une bonne entente entre les parties sans
porter atteinte aux décisions qu’elles pouvaient prendre, les dispositions du Code du
travail étant mises en œuvre comme il convient dans le but de parvenir à un résultat
favorable qui profite aux parties prenantes à la relation de travail.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 606. Le comité observe que, dans le présent cas, les organisations
plaignantes allèguent que l’alinéa 3 de l’article 452 du Code du travail restreint et
limite le droit de grève en prévoyant l’imposition de l’arbitrage obligatoire dans les
services publics non essentiels au sens strict du terme, notamment dans le secteur du
transport de passagers et de marchandises en général et dans le secteur de l’aviation en
particulier. Il observe également que les organisations plaignantes se réfèrent
expressément à une résolution du MITRADEL, au titre de laquelle la grève déclarée par le
SIELAS à la fin de l’année 2017 avait été soumise à un arbitrage obligatoire.
- 607. Le comité note que les organisations plaignantes et le gouvernement
ont indiqué que, en 2019, l’UNPAC avait déposé une requête en inconstitutionnalité
contre l’alinéa 3 de l’article 452 du Code du travail. Il note également que, dans sa
décision, la Cour suprême de justice a indiqué qu’elle avait déjà statué sur cette
disposition en 1999, raison pour laquelle elle avait déclaré l’alinéa 3 dudit article
constitutionnel au titre de l’autorité de la chose jugée et ordonné l’archivage du
dossier. Le comité note par ailleurs que, dans sa décision de 2019, la cour a rappelé
que la reconnaissance du droit de grève était consacrée par l’article 65 de la
Constitution et que ce droit pouvait, au sein de services publics déterminés, être
soumis à des restrictions spéciales au titre de la loi. Il constate à cet égard que dans
les décisions de 1999 et de 2019 il n’est pas procédé à l’examen spécifique des services
publics énoncés dans le Code du travail pour lesquels la législation prévoit le recours
à l’arbitrage obligatoire.
- 608. Le comité note en outre que l’exemple concret donné par les
organisations plaignantes, à savoir la résolution du MITRADEL par laquelle la grève
déclarée par le SIELAS a été soumise à un arbitrage obligatoire à la fin de l’année
2017, est une question qu’il avait examinée dans un précédent cas concernant le Panama
[cas no 3319, rapport no 397]. À cette occasion, le comité a formulé les conclusions et
recommandations suivantes:
- 596. Pour ce qui est du mouvement de grève organisé
par le SIELAS et la décision adoptée par le MITRADEL ordonnant un arbitrage
obligatoire et la levée dudit mouvement, le comité rappelle qu’il a considéré que
l’arbitrage obligatoire pour mettre fin à un conflit collectif du travail est
acceptable soit s’il intervient à la demande des deux parties au conflit, soit dans
les cas où la grève peut être limitée, voire interdite, à savoir dans les cas de
conflit dans la fonction publique à l’égard des fonctionnaires exerçant des
fonctions d’autorité au nom de l’État ou dans les services essentiels au sens strict
du terme, c’est-à-dire les services dont l’interruption risquerait de mettre en
danger dans tout ou partie de la population la vie, la santé ou la sécurité de la
personne. [Voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, sixième
édition, 2018, paragr. 816.] Le comité a également considéré que, dans la mesure où
l’arbitrage obligatoire empêche la grève, il porte atteinte au droit des
organisations syndicales d’organiser librement leurs activités et ne pourrait se
justifier que dans la fonction publique ou dans les services essentiels au sens
strict du terme. [Voir Compilation, paragr. 818.]
- 597. […] Il rappelle que,
dans des conclusions adoptées dans d’autres cas relatifs au secteur du transport
aérien d’autres pays, il a considéré, sur la base de la situation propre à chaque
cas, que le secteur du transport aérien dans son ensemble n’est pas un service
public essentiel au sens strict. Le comité souligne également qu’il a considéré que
le maintien de services minima en cas de grève ne devrait être possible que: 1) dans
les services dont l’interruption risquerait de mettre en danger la vie, la sécurité
ou la santé de la personne dans une partie ou dans l’ensemble de la population
(services essentiels au sens strict du terme); 2) dans les services qui ne sont pas
essentiels au sens strict du terme mais où les grèves d’une certaine ampleur et
durée pourraient provoquer une crise nationale aiguë menaçant les conditions
normales d’existence de la population; et 3) dans les services publics d’importance
primordiale. [Voir Compilation, paragr. 866.] À cet égard, le comité a considéré que
le transport de voyageurs et de marchandises ne constitue pas un service essentiel
au sens strict du terme; il s’agit toutefois d’un service public d’une importance
primordiale où l’imposition d’un service minimum en cas de grève peut se justifier.
[Voir Compilation, paragr. 893.]
- 598. Compte tenu de ce qui précède, le
comité prie le gouvernement de prendre, en consultation avec les organisations les
plus représentatives d’employeurs et travailleurs, les mesures nécessaires, y
compris d’ordre législatif, pour que les règles en matière d’arbitrage obligatoire
soient conformes aux critères exposés précédemment, de manière à ce que l’exercice
du droit de grève et de la négociation collective dans le secteur du transport
aérien ne soit pas indûment restreint.
- 609. Le comité note que, selon le gouvernement, le SIELAS et la compagnie
aérienne ont conclu deux conventions collectives (2017-2021 et 2022-2026). Tandis qu’il
prend dûment note de ces informations, le comité réaffirme l’importance des conclusions
et recommandations adoptées dans le cadre du cas no 3319 et la nécessité de leur donner
pleinement effet, ce qui inclut en particulier celles ayant trait à la nécessité de
prendre des mesures, y compris d’ordre législatif, pour que les règles en matière
d’arbitrage obligatoire ne restreignent pas indûment l’exercice du droit de grève et de
la négociation collective dans le secteur du transport aérien. Étant donné que le comité
réexaminera ces questions dans le cadre du suivi dudit cas, il considère que le présent
cas est clos et n’appelle pas un examen plus approfondi.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 610. Au vu des conclusions qui précèdent et qui permettent de réaffirmer
l’importance des recommandations formulées dans le cas no 3319 et la nécessité de leur
donner pleinement effet, et qu’il s’agit toujours d’un cas en suivi, le comité
recommande au Conseil d’administration de décider que le présent cas n’appelle pas un
examen plus approfondi.