Allégations: Les organisations plaignantes dénoncent des violations de droits
syndicaux commises par le gouvernement en lien avec l’arrestation et la détention de
dirigeants et de militants syndicaux, des actes de discrimination antisyndicale et des
pratiques antisyndicales
- 197. La plainte figure dans une communication datée du 17 mars 2022
soumise par l’Union internationale des travailleurs de l’alimentation, de l’agriculture,
de l’hôtellerie, de la restauration, du tabac et des branches connexes (UITA) et son
organisation affiliée, le Syndicat pour les droits du travail des employés khmers de
l’hôtel Naga. Des informations supplémentaires ont été fournies par des communications
datées du 28 septembre, du 27 octobre et du 2 décembre 2022 soumises par le syndicat, la
Confédération syndicale internationale (CSI) et l’UITA.
- 198. Le gouvernement du Cambodge a transmis ses observations dans des
communications datées du 2 juin 2022 et du 20 février 2023.
- 199. Le Cambodge a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale
et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit
d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes- 200. En ce qui concerne le contexte de la plainte, dans leur
communication datée du 17 mars 2022, les organisations plaignantes rappellent les
observations de la Commission de l’application des normes de la Conférence et de la
Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations, portant sur
les lacunes de la législation nationale sur les syndicats, en particulier s’agissant des
droits liés notamment à l’octroi du statut d’organisation la plus représentative et des
restrictions à la capacité des membres des syndicats d’exercer leurs droits auprès du
conseil d’arbitrage et leurs droits de négociation collective.
- 201. Dans une série de communications datées du 17 mars, du 28 septembre
et du 27 octobre 2022, les organisations plaignantes allèguent que le gouvernement
– notamment le ministère du Travail et de la Formation professionnelle – ne garantit
pas, tant en droit que dans la pratique, le droit à la liberté syndicale et à la
négociation collective. Elles présentent en particulier des allégations de plusieurs
violations, telles que des licenciements et des suspensions antisyndicales, commises par
NagaWorld (ci-après «l’entreprise»), une société détenue à 100 pour cent par NagaCorp
Ltd (ci-après «l’entreprise mère»).
- 202. Les organisations plaignantes rappellent que le Syndicat pour les
droits du travail des employés khmers de l’hôtel Naga, créé en 2000, n’a pas réussi à
obtenir une véritable reconnaissance syndicale en vingt et un ans d’existence, alors
qu’il compte 4 400 membres sur un total de 8 000 travailleurs employés par l’entreprise.
Selon elles, bien que ce syndicat soit le seul existant au sein de l’entreprise, il
s’est vu refuser le statut d’organisation la plus représentative du fait de formalités
administratives injustifiables, d’un manque de transparence et d’irrégularités de
procédure. En conséquence, la direction de l’entreprise aurait refusé d’engager des
négociations collectives avec le syndicat. Cette réaction de la direction aurait obéi à
un schéma consistant à refuser de façon sélective de reconnaître le syndicat et de
négocier de bonne foi. Les organisations plaignantes déclarent que, peu après que le
syndicat a exigé le droit de représenter ses membres visés par des licenciements et
d’engager des négociations, sa présidente Mme Chhim Sithar, sa vice-présidente Mme Sokha
Chun et son secrétaire général M. Sokhorn Chhim ont, eux aussi, reçu des avis de
licenciement.
- 203. Les organisations plaignantes allèguent que des actes de
discrimination antisyndicale ont été commis par l’entreprise, suivant des schémas
similaires établis en 2009, 2010, 2012, 2019 et 2021, en représailles aux demandes de
négociations, notamment collectives, du Syndicat pour les droits du travail des employés
khmers de l’hôtel Naga. Elles rappellent le cas précédent (cas no 2783) examiné par le
comité, pour lequel l’employeur a refusé de se conformer à une décision du conseil
d’arbitrage appelant à la réintégration de dirigeants syndicaux licenciés en 2009 et
2010, et de syndicalistes licenciés en 2012; elles se réfèrent en outre à la suspension
à titre de représailles de Chhim Sithar, en 2019, pour avoir appelé à la négociation
collective sur les salaires, qui n’a été pleinement réintégrée qu’en janvier 2020 à la
suite d’une action de grève prolongée et d’un tollé international. Selon les
organisations plaignantes, cela témoigne d’une longue tradition de violations des droits
syndicaux par l’entreprise et de l’échec du gouvernement à protéger ces droits.
- 204. En avril 2021, la direction de l’entreprise a annoncé un plan de
licenciement concernant 1 329 des 8 000 travailleurs, dont 1 100 membres ou dirigeants
du Syndicat pour les droits du travail des employés khmers de l’hôtel Naga. L’annonce
d’avril a été faite alors que l’entreprise avait volontairement fermé le 2 mars 2021 en
raison du COVID-19 et suite à un boycott du syndicat causé par le refus de la direction
de dialoguer avec lui sur ces questions. En avril 2021, l’entreprise et le syndicat ont
entamé des négociations bilatérales, mais celles-ci n’ont pas abouti. Les organisations
plaignantes indiquent qu’aucune information financière n’a été fournie et que le choix
des travailleurs à licencier ne découlait pas de l’application d’une méthodologie
neutre. Elles estiment donc que la décision de licencier les travailleurs reposait sur
la volonté d’éliminer le syndicat.
- 205. Les licenciements ont été annoncés à la réouverture de l’entreprise
en mai 2021 et les travailleurs licenciés ont reçu des avis de licenciement assortis
d’invitations à s’entretenir avec la direction. Les travailleurs ont néanmoins refusé
ces entretiens avec la direction dans la mesure où celle-ci ne les autorisait pas à
avoir une représentation syndicale. Les organisations plaignantes affirment que
l’absence de ces travailleurs aux entretiens proposés a conduit l’entreprise à déclarer
unilatéralement que les licenciements avaient été acceptés et que, par conséquent, les
travailleurs n’avaient droit qu’à une prime de licenciement inférieure à celle qu’ils
auraient perçue en cas de licenciement forcé.
- 206. En conséquence, 2 049 des 3 975 travailleurs ont signé une plainte
datée du 1er juin 2021 et l’ont soumise au ministère du Travail et de la Formation
professionnelle le 8 juin 2021, en invoquant quatre violations, à savoir que: i) les
licenciements avaient été imposés unilatéralement par la direction sans négociations
avec le Syndicat pour les droits du travail des employés khmers de l’hôtel Naga; ii) les
syndicalistes n’avaient pas été autorisés à se faire représenter par leur syndicat lors
de leur convocation à titre individuel à des entretiens au sujet de leur licenciement;
iii) les membres du syndicat n’avaient pas pu obtenir d’informations sur les motifs de
leur licenciement ni sur les critères retenus dans ce cadre, tels que l’ancienneté; et
iv) des membres du syndicat avaient été ajoutés à la liste des licenciements après avoir
insisté pour mener des négociations avec la direction. Par la suite, le 23 juin 2021, le
ministère du Travail et de la Formation professionnelle a convoqué une réunion de
médiation lors de laquelle, selon les organisations plaignantes, la direction n’a pas
fait preuve de bonne foi et a été soutenue par le ministère qui a déclaré que le
licenciement était une affaire impliquant des employés individuels, indépendamment d’une
fonction dans un syndicat ou d’une représentation syndicale.
- 207. Le refus du ministère du Travail et de la Formation professionnelle
de reconnaître le droit du Syndicat pour les droits du travail des employés khmers de
l’hôtel Naga à représenter ses membres lors de deux audiences du tribunal administratif
a rendu incertain le statut du syndicat et de ses dirigeants en tant que représentants
syndicaux. Selon les organisations plaignantes, cette situation a entraîné une réduction
des prestations pour les syndicalistes qui ont été licenciés de force, la poursuite des
licenciements de dirigeants syndicaux à titre de représailles et l’affaiblissement
général des négociations syndicales visant à protéger les droits fondamentaux dans le
contexte de la pandémie de COVID-19. De nombreux syndicalistes ont été contraints de
signer des lettres de démission en raison des difficultés économiques auxquelles ils
étaient confrontés, et seuls 373 des 1 329 travailleurs initialement menacés de
licenciement continuent de refuser le plan social. Les organisations plaignantes
indiquent en outre que, dans une lettre datée du 12 juillet 2021, le syndicat a soumis
au ministère et à l’entreprise une demande de reconnaissance officielle, qui a été
rejetée sans qu’aucune justification ne soit fournie.
- 208. Selon les organisations plaignantes, en raison de ce rejet,
l’employeur n’était pas tenu, dans la procédure du conseil d’arbitrage, de reconnaître
le syndicat ni de donner suite à l’une quelconque des preuves de discrimination
antisyndicale dans le cadre du processus de licenciement. Ainsi, face à l’absence de
clarté quant au statut représentatif du syndicat dans la procédure de règlement des
conflits, le conseil d’arbitrage et l’entreprise ont pu passer outre les arguments de
discrimination antisyndicale et de violations des droits dans le cadre du licenciement
collectif qui avaient été présentés par les représentants syndicaux. Les organisations
plaignantes allèguent une collusion entre l’entreprise et le gouvernement, en faisant
état du fait que des fonctionnaires gouvernementaux de haut niveau collaborent à la
sécurité de l’entreprise et que le président-directeur général de l’entreprise occupe un
poste gouvernemental. Elles indiquent que l’entreprise a empêché le conseil d’arbitrage
de rendre des décisions au sujet de la discrimination exercée quant au choix des
personnes à licencier et de l’indemnisation appropriée, au motif que le conseil
d’arbitrage n’était pas compétent puisque ces questions étaient pendantes devant le
ministère.
- 209. Face à cette situation, le syndicat a procédé à un vote à bulletin
secret entre le 8 et le 12 novembre 2021 dans le but d’entamer légalement une grève
pacifique pour protester contre l’absence de réponse aux revendications formulées
précédemment. Les organisations plaignantes déclarent que ce scrutin s’est soldé par un
vote positif, avec 1 653 votants parmi les membres du syndicat, dont 97 pour cent en
faveur de la grève. En conséquence, le 22 novembre 2021, le syndicat a déposé son
préavis de grève sous l’intitulé «Préavis de grève pacifique devant NagaWorld du
18 décembre 2021 jusqu’à obtention d’une solution». Ce préavis, transmis en copie au
comité pour le règlement des grèves et des manifestations, au ministère du Travail et de
la Formation professionnelle et à la mairie de Phnom Penh (ci-après «les autorités
municipales»), répertoriait 9 revendications adressées à l’entreprise. Parmi ces
revendications figurait la réintégration des 373 travailleurs qui refusaient le plan
social, la réintégration des 3 dirigeants syndicaux inclus dans la liste des
licenciements à titre de représailles, des augmentations de salaire, de nouveaux calculs
concernant les primes de licenciement, la fin des stages à temps plein déguisés et le
respect des sentences rendues précédemment par le conseil d’arbitrage.
- 210. L’entreprise n’a pas répondu au préavis. Le ministère du Travail et
de la Formation professionnelle a sollicité des réunions avec le syndicat les 3 et
14 décembre, mais aucune solution n’a été trouvée. Par la suite, le 15 décembre, des
représentants du syndicat ont organisé 3 consultations en ligne auprès de quelque
2 000 membres du syndicat, qui ont confirmé leur intention de poursuivre la grève. Les
organisations plaignantes indiquent que les autorités municipales ont également organisé
une réunion avec le syndicat le 17 décembre 2021, mais qu’aucun représentant de
l’entreprise n’y a assisté. Lors de cette réunion, les responsables municipaux ont
exhorté le syndicat à ne pas faire grève ou à la repousser et à accepter une réunion
bilatérale avec eux le 21 décembre 2021, ainsi qu’une réunion tripartite incluant
également l’entreprise le 27 décembre 2021. Les organisations plaignantes soulignent
que, selon les termes prévus pour la réunion tripartite proposée par les responsables
municipaux, ces derniers parleraient au nom des travailleurs et le syndicat ne serait
pas autorisé à défendre les intérêts de ses membres.
- 211. Les organisations plaignantes indiquent que la proposition de ne pas
faire grève a été soumise au vote des membres du syndicat, qui l’ont rejetée à une
écrasante majorité. Par conséquent, la grève a commencé le 18 décembre 2021 ainsi
qu’elle avait été initialement et légalement notifiée.
- 212. Néanmoins, le 16 décembre 2022, le tribunal de première instance de
Phnom Penh a rendu une injonction provisoire interdisant la grève proposée et déclarant
les grévistes passibles de faute grave et financièrement responsables – une décision
qui, selon les organisations plaignantes, n’a été communiquée au syndicat que le
18 décembre 2021, alors que la grève avait déjà débuté. L’entreprise a diffusé
l’injonction aux employés par l’intermédiaire d’une application mobile, en brandissant
la menace selon laquelle la poursuite de la grève violerait l’injonction. Une copie de
l’injonction a ensuite été remise à Chhim Sithar. Les organisations plaignantes
informent le comité que, par la suite, le ministère a publié un communiqué de presse
destiné à saper l’action de grève, exhortant les travailleurs à cesser le mouvement et
appelant les travailleurs et le public à «ne pas se faire escroquer par des personnes
malhonnêtes dont l’intention était de provoquer l’instabilité de l’entreprise et de
troubler l’ordre public». Le ministère a par ailleurs déclaré, d’une manière perçue
comme une menace par les grévistes, que les responsables municipaux mettraient fin à la
grève, dans la mesure où elle constituait un danger pour la sécurité publique dans le
contexte de la pandémie de COVID-19; les organisations plaignantes, quant à elles,
soutiennent que la grève s’est déroulée dans le respect des directives de l’Organisation
mondiale de la santé (OMS) et du ministère de la Santé.
- 213. Selon les organisations plaignantes, d’autres réunions entre le
syndicat, l’entreprise, le ministère du Travail et de la Formation professionnelle et
les autorités municipales ont eu lieu les 21, 22 et 27 décembre 2021 en vue de régler le
conflit, mais sans succès.
- 214. Les organisations plaignantes informent le comité que: i) le
31 décembre 2021, une centaine de militaires pourvus de boucliers antiémeute et de
matraques sont arrivés à bord de camions militaires au bureau du syndicat et ont
encerclé les lieux, tandis que plus d’une douzaine de policiers, en uniforme et en
civil, y faisaient une descente et qu’une dizaine de travailleurs étaient arrêtés;
ii) le 1er janvier 2022, les militaires et les policiers ont poursuivi leurs patrouilles
autour de l’entreprise, avec une centaine d’hommes déployés sur les lieux; iii) le
3 janvier 2022, 3 des personnes inculpées ont été libérées par la police après avoir
signé des accords; 6 autres détenus et 3 dirigeants du syndicat nouvellement élus (soit
9 personnes au total) ont été inculpés d’incitation à commettre un crime en vertu des
articles 494 et 495 du Code pénal, un délit passible d’une peine pouvant aller jusqu’à
cinq ans d’emprisonnement. L’un des 9 détenus a été libéré sous caution, tandis que les
autres restaient en détention. Les détenus ont été soumis à une quarantaine de vingt et
un jours d’emprisonnement – soit une période nettement plus longue que ce qui est
habituellement prévu – durant laquelle ils n’ont pas eu accès aux avocats. Les tribunaux
ont rejeté les appels contre leur détention provisoire formés par les avocats. Le
14 mars 2022, 8 des 11 travailleurs détenus ont été libérés sous caution, à la condition
qu’ils cessent la grève et incitent les autres à faire de même.
- 215. Les organisations plaignantes indiquent que la grève a néanmoins
repris, avec un rassemblement d’environ 400 membres du syndicat entre le Parlement et
l’un des bâtiments de l’entreprise. Les environs du deuxième bâtiment de l’entreprise
ont été bloqués par les forces militaires et policières qui portaient des boucliers.
Parmi les grévistes, 17 ont été arrêtés, dont une travailleuse enceinte qui a ensuite
été libérée sous caution. Les 16 autres sont restés en garde à vue à Phnom Penh.
- 216. Selon les organisations plaignantes, le 4 janvier 2022, Chhim Sithar
s’est rendue sur les lieux de la grève et a été arrêtée par des agents en civil. Sithar
ainsi que 2 autres syndicalistes (Sok Narith et Sok Kongkea), qui avaient été inculpés
précédemment, ont été arrêtés et détenus au commissariat municipal de Phnom Penh.
- 217. Selon les organisations plaignantes, le 5 février 2022, les
autorités cambodgiennes ont empêché plusieurs centaines de grévistes de se rendre sur le
lieu de la grève et leur ont ordonné de monter dans des bus destinés à les conduire sur
un site de test de fortune afin d’y subir des tests obligatoires de dépistage de
COVID-19. La police a arrêté et placé en détention 6 dirigeants du syndicat (3 hommes et
3 femmes) et émis des mandats d’arrêt à l’encontre de 4 autres femmes. Le 15 février
2022, toujours sous le prétexte de COVID-19, des agents du gouvernement ont demandé aux
travailleurs grévistes de quitter l’espace qu’ils occupaient devant le complexe
NagaWorld pour se rendre au parc de la liberté et de la démocratie situé à l’extérieur
de la ville de Phnom Penh, un lieu réservé aux actions politiques et non aux conflits du
travail. Conformément à la quarantaine imposée par les autorités, le syndicat a suspendu
la grève pendant dix jours, du 5 au 15 février 2022. Néanmoins, le 15 février 2022
– jour de la reprise de la grève –, les autorités municipales ont émis une notification
interdisant aux membres anciens et actuels du personnel de l’entreprise de manifester de
façon illégale, hormis au parc de la liberté et de la démocratie. Le 21 février, lorsque
les grévistes sont arrivés à proximité du NagaWorld, la police, secondée par la sécurité
du NagaWorld, les a empêchés de s’approcher du casino. Tous les grévistes ont alors été
contraints par les autorités de monter dans un bus qui les a emmenés dans un centre de
quarantaine récemment ouvert à la périphérie de la ville, où ils ont été forcés de
dormir sans vêtements à même le sol. Le centre de quarantaine ne disposait d’aucune
installation adéquate pour dormir ou se laver. Les grévistes ont reçu une déclaration
d’acquiescement pour cesser de participer à la grève. Aucun d’entre eux n’a été libéré
avant la fin de la période de quarantaine. À partir d’avril 2022, les autorités ont fait
transporter en bus des travailleurs jusqu’à la périphérie de la ville, près du zoo Phnom
Penh Safari, où ils ont prétendument été déposés.
- 218. Les organisations plaignantes font savoir au comité qu’un nouveau
syndicat a été enregistré le 14 mars 2022, le jour même de la libération sous caution de
8 des 11 travailleurs encore détenus. Elles allèguent que ce syndicat a été enregistré
plus rapidement que la période normale et qu’il s’agit d’un syndicat d’entreprise
subordonné à la direction, dont le dirigeant est connu pour être un employé antisyndical
qui s’est précédemment abstenu de participer à des activités syndicales. Les
organisations plaignantes allèguent en outre que la direction de l’entreprise a convié
les travailleurs à des entretiens individuels pour les convaincre de résilier leur
adhésion au Syndicat pour les droits du travail des employés khmers de l’hôtel Naga et
d’adhérer au nouveau syndicat – un syndicat qui, selon les organisations plaignantes,
n’a mené aucune activité depuis sa création.
- 219. Parallèlement, les organisations plaignantes soulignent que les
3 travailleurs encore en détention, sur les 11, ont été libérés sous caution le 17 mars
2022, après l’annonce par le Syndicat pour les droits du travail des employés khmers de
l’hôtel Naga qu’il n’y aurait aucune négociation tant que tous les détenus ne seraient
pas libérés. Le 18 mars 2022, une réunion de conciliation infructueuse a eu lieu entre
le syndicat, les représentants du ministère du Travail et de la Formation
professionnelle et l’entreprise, suivie d’une deuxième réunion, puis d’une troisième,
respectivement les 21 et 23 mars. Les organisations plaignantes déclarent que le
ministère a demandé aux parties de régler la question de la réintégration de
200 travailleurs et s’est retiré du processus de résolution, si ce n’est pour la
coordination. Le ministère a informé les parties au conflit, à savoir l’entreprise et le
syndicat, que l’échec des négociations leur donnerait droit à un recours juridique
devant les tribunaux.
- 220. Les organisations plaignantes indiquent qu’à l’issue de ces
3 réunions, 14 réunions de conciliation infructueuses se sont tenues en 2022: le
29 mars; les 6 et 22 avril; les 11, 18 et 27 mai; les 8, 22 et 26 juin; les 6 et
22 juillet; le 18 août; et les 15 septembre et 6 octobre respectivement, avec une autre
réunion prévue pour le 27 octobre 2022. Les organisations plaignantes allèguent que la
direction souhaite licencier d’autres travailleurs et a, de ce fait, rejeté une
proposition sur un échange de travailleurs déposée lors d’une conciliation, destinée à
permettre aux employés qui veulent quitter leur emploi de partir avec une indemnité en
échange de la réintégration de ceux qui le souhaitent.
- 221. Les organisations plaignantes indiquent que le Syndicat pour les
droits du travail des employés khmers de l’hôtel Naga a organisé l’élection de ses
dirigeants en avril 2022. Chhim Sithar a été réélue présidente et 3 nouveaux candidats
ont été élus à d’autres fonctions. Elles allèguent que la demande d’enregistrement du
syndicat soumise début mai, assortie de tous les documents requis, a été rejetée par le
département des conflits du travail qui opère sous l’égide du ministère du Travail et de
la Formation professionnelle. Ce rejet découlait de l’argument de l’entreprise selon
lequel les dirigeants élus ainsi que certains électeurs étaient d’anciens employés de
l’entreprise, une situation que le département a jugée contraire au droit du travail. Le
syndicat a contesté ce refus par lettre et soumis à nouveau les documents
d’enregistrement, en faisant valoir que tous les électeurs étaient des employés actuels
puisque le différend portant sur leur licenciement n’était pas résolu.
- 222. La demande d’enregistrement a été rejetée une deuxième fois et le
ministère, invoquant l’article 25 de la loi sur les syndicats concernant la
responsabilité des actifs financiers, a demandé à l’entreprise de retenir les
cotisations syndicales jusqu’à ce que la nouvelle direction du syndicat soit
«enregistrée et légalement reconnue». La direction de l’entreprise a alors informé par
lettre le syndicat qu’elle retiendrait les cotisations de ses adhérents jusqu’à ce que
le syndicat «acquière une nouvelle direction dûment enregistrée et reconnue par le
ministère du Travail et de la Formation professionnelle». Le syndicat a répliqué en
faisant valoir que l’article ne dispose pas explicitement que l’employeur peut retenir
les cotisations syndicales.
- 223. Par ailleurs, les organisations plaignantes font savoir au comité
que, le 3 avril 2022, Chhim Sithar a reçu une menace de mort, communiquée par SMS à un
parent de l’un des représentants, indiquant que «si les travailleurs ne cessent pas la
grève à la fin de la mission de contacts directs de l’Organisation internationale du
Travail (OIT), une vingtaine de personnes seront arrêtées le 5 avril et certaines seront
tuées». Le Syndicat pour les droits du travail des employés khmers de l’hôtel Naga a
alors immédiatement fait part de cette communication au Haut-Commissaire des Nations
Unies aux droits de l’homme et à d’autres autorités.
- 224. Les organisations plaignantes soulignent également que la
prolongation de la grève par l’entreprise, en collusion avec le gouvernement, a des
effets préjudiciables importants sur la main-d’œuvre, tant sur le plan financier que sur
le plan émotionnel. Selon les organisations plaignantes, 74 travailleurs qui ont décidé
de reprendre le travail début juin 2022 ont été systématiquement isolés des autres
employés et contraints à suivre une formation dans un centre situé à l’extérieur de
l’entreprise, où ils sont maintenus séparés et convoqués à des entretiens individuels
avec la direction pour les pousser à résilier leur adhésion au Syndicat pour les droits
du travail des employés khmers de l’hôtel Naga. Selon les organisations plaignantes,
cela constitue une violation des articles 333 et 279 de la loi sur le travail, qui font
interdiction aux employeurs de sanctionner les travailleurs grévistes et de pratiquer
une discrimination antisyndicale.
- 225. Les travailleurs qui ont poursuivi la grève ont tenté de regagner
l’entreprise à pied le 27 juin 2022, mais ils ont été bloqués par les autorités qui les
ont encerclés sans aucun fondement juridique. En outre, toutes les routes ont été
bloquées le jour suivant, ce qui a conduit les grévistes à poursuivre leur protestation
derrière des barricades. Les organisations plaignantes ajoutent qu’en juin des membres
d’autres fédérations syndicales ont commencé à renforcer leur présence sur le site de la
grève, afin de montrer leur soutien au Syndicat pour les droits du travail des employés
khmers de l’hôtel Naga.
- 226. Les organisations plaignantes allèguent qu’à compter de février 2022
l’hostilité et la violence des autorités à l’égard des grévistes se sont renforcées,
avec des attaques, des harcèlements et des blessures, notamment yeux au beurre noir, nez
ensanglantés, os fracturés et, dans un cas, une fausse couche. La violence a diminué
durant une courte période en juin 2022, puis s’est à nouveau accrue lorsque, le 11 août
2022, les autorités ont attaqué 17 travailleurs, faisant de nombreux blessés. Cet
épisode a été suivi par une déclaration du Syndicat pour les droits du travail des
employés khmers de l’hôtel Naga, le 12 août 2022, condamnant les violences. Le
Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme au Cambodge
a observé la grève le 17 août 2022. Cette visite a permis aux grévistes de s’approcher
du lieu de la grève à proximité de l’entreprise sans que les autorités interviennent, et
les violences ont diminué. Les organisations plaignantes allèguent en outre que, le
30 septembre 2022, le président-directeur général des hôtels de l’entreprise mère – qui
est le fils du P.-D.G. de l’entreprise mère – a tenté de briser le téléphone de l’un des
grévistes en le jetant au sol.
- 227. Les organisations plaignantes ajoutent que l’entreprise a déposé une
plainte officielle contre 18 femmes grévistes, dont Chhim Sithar, pour: effraction;
intention de causer des dommages avec circonstances aggravantes; et arrestation,
détention et séquestration. Les organisations plaignantes indiquent que 6 des
18 grévistes ont été convoquées individuellement au tribunal entre le 8 et le 18 octobre
et qu’elles encourent toutes une amende et/ou une peine de prison.
- 228. Dans leur dernière communication, les organisations plaignantes
indiquent que Chhim Sithar a été arrêtée le 26 novembre 2022 au motif arbitraire qu’elle
aurait violé les conditions de sa libération sous caution relatives aux voyages
internationaux, alors qu’elle avait voyagé auparavant hors du pays à deux reprises sans
que cela donne lieu à aucune action judiciaire ou policière. Son arrestation est
intervenue alors qu’elle rentrait au Cambodge après avoir participé au 5e Congrès
mondial de la CSI à Melbourne, en Australie. Le gouvernement a indiqué que Chhim Sithar
serait maintenue en quarantaine pendant quatorze jours après son déplacement, alors que
la quarantaine obligatoire dans le cadre de la pandémie de COVID 19 n’était plus requise
dans le pays. Les organisations plaignantes expriment leur inquiétude quant à sa
détention en prison et demandent une intervention urgente pour obtenir sa libération
immédiate et inconditionnelle et récupérer tous les biens essentiels du Syndicat pour
les droits du travail des employés khmers de l’hôtel Naga qui étaient en sa possession
et qui ont été saisis lors de son arrestation.
- 229. En conclusion, les organisations plaignantes affirment que des
cycles continus d’arrestation et d’emprisonnement constituent une grave ingérence dans
les libertés civiles en général et les droits syndicaux en particulier, tant pour les
personnes directement concernées que pour un nombre bien plus important de travailleurs
touchés par les effets dissuasifs qui en découlent. Les fonctionnaires du ministère du
Travail et de la Formation professionnelle se sont rendus complices de la perturbation
de la grève en utilisant sans discontinuer des haut-parleurs, en diffusant des
enregistrements audio et en persuadant les grévistes de choisir de percevoir
individuellement un ensemble de prestations au bureau du ministère. Le Syndicat pour les
droits du travail des employés khmers de l’hôtel Naga demande que les travailleurs qui
le souhaitent soient réintégrés, que l’entreprise reconnaisse le syndicat et négocie
avec lui de bonne foi, et que des indemnités équitables soient versées aux travailleurs
licenciés.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 230. Le gouvernement indique que les conflits entre l’entreprise et ses
employés découlent de l’impact négatif du COVID-19 sur les secteurs du tourisme, du
divertissement et de l’hôtellerie, qui a nécessité un licenciement collectif pour la
pérennité de l’entreprise et l’emploi de milliers d’autres travailleurs. Selon lui,
l’entreprise n’avait d’autre choix que de licencier certains employés; leur licenciement
était conforme à la législation nationale; ces licenciements ne visaient pas de
militants ni de dirigeants du syndicat; et un tel licenciement collectif relève du
contrôle des autorités du travail. Le gouvernement précise qu’un licenciement collectif
a pour fondement soit la réduction des activités des établissements, soit une
réorganisation prévue par l’employeur, et qu’il n’est pas soumis à l’approbation du
ministère conformément à l’article 95 de la loi sur le travail. La loi ne donne pas la
priorité aux dirigeants ou membres syndicaux travaillant dans les sections concernées
par le plan de licenciement. Dans le cas où tous les travailleurs d’une section ne
seraient pas concernés par un licenciement, les travailleurs à licencier seraient
sélectionnés sur la base de critères tels que l’ancienneté et la capacité
professionnelle.
- 231. L’entreprise a informé le Syndicat pour les droits du travail des
employés khmers de l’hôtel Naga du plan de licenciement concernant 1 329 travailleurs
dans 12 sections. Elle a convoqué une réunion avec les représentants des travailleurs
pour en discuter, réunion que 373 des 1 329 travailleurs susmentionnés ont refusée. Par
la suite, une équipe du comité de règlement de toutes les grèves et manifestations ou du
comité de règlement des grèves et manifestations avait été envoyée pour régler le
conflit au niveau de l’entreprise avant que le cas ne soit porté devant le ministère. Au
nom du gouvernement, le ministère a suivi l’affaire et a veillé à ce que l’entreprise
respecte les procédures applicables pendant le licenciement collectif et verse les
indemnités prévues par la loi. Le gouvernement déclare que la plupart des
1 329 travailleurs qui ont été licenciés, à l’exception de 373 travailleurs, ont accepté
l’indemnité de licenciement car le calcul des prestations était exact.
- 232. S’agissant de la plainte déposée par le Syndicat pour les droits du
travail des employés khmers de l’hôtel Naga auprès du ministère datée du 1er juin et
reçue le 8 juin 2021, le gouvernement indique que cinq revendications ont été adressées
à l’entreprise par les représentants des travailleurs, à savoir que l’entreprise:
1) cesse son plan de licenciement; 2) cesse tout acte d’intimidation à l’encontre des
salariés lors des entretiens individuels proposés; 3) verse des indemnités de départ,
conformément au droit du travail, aux employés licenciés fin 2020; 4) continue de verser
une indemnité d’ancienneté et un paiement à tous les employés; et 5) mette en place les
mesures sanitaires qui s’imposent sur le lieu de travail, conformément aux directives de
l’OMS et du ministère de la Santé en vue de prévenir le COVID 19 dans l’entreprise.
- 233. Dès réception de la plainte, le ministère du Travail et de la
Formation professionnelle a émis une lettre pour certifier neuf travailleurs, dont Chhim
Sithar, qui étaient les représentants légaux proposés par les travailleurs concernés
pour régler leur conflit collectif de travail. Le gouvernement déclare que les
fonctionnaires responsables ont entamé la procédure de conciliation conformément à la
législation nationale du travail qui autorise la soumission d’informations
supplémentaires par les parties au litige. La première réunion de conciliation a été
repoussée du 23 juin au 30 juin 2021 à la demande des parties. L’une des revendications
dans le cadre du conflit (la revendication 5) a donné lieu à un règlement.
- 234. Les quatre autres revendications ont été transmises au conseil
d’arbitrage le 2 juillet 2021. Au cours de la procédure, les parties au litige ont
choisi leurs arbitres respectifs et ont opté pour une sentence arbitrale non
contraignante qui ne peut être exécutée par la loi si l’une des parties au litige
soulève une objection. Le panel arbitral composé de trois arbitres a tenu deux audiences
successives avec la pleine participation des deux parties au litige. Le gouvernement
explique que le conseil d’arbitrage est un organe quasi judiciaire indépendant qui n’est
soumis à la supervision d’aucune institution, notamment le ministère du Travail et de la
Formation professionnelle. Le comité peut, à sa discrétion, décider de poursuivre ou de
suspendre ses audiences sans intervention aucune du ministère.
- 235. S’agissant de la demande de reconnaissance des représentants du
Syndicat pour les droits du travail des employés khmers de l’hôtel Naga, le gouvernement
indique que 2 049 travailleurs l’ont signée (par empreinte digitale) afin que
9 dirigeants syndicaux, dont Chhim Sithar, soient reconnus en tant que représentants des
travailleurs du syndicat. De ce fait, le conciliateur a émis une lettre datée du 30 juin
2021 pour acter la reconnaissance des 9 dirigeants syndicaux, faisant ainsi droit à la
demande. Le gouvernement réfute l’allégation selon laquelle la non-reconnaissance du
syndicat comme étant le plus représentatif a entravé le droit à la liberté syndicale et
déclare que le mécanisme de reconnaissance permet aux représentants des travailleurs
d’avoir le droit de représenter tous les membres du syndicat. Il ajoute que le droit de
représenter les membres du syndicat découle de la demande des travailleurs d’être
représentés.
- 236. En outre, le gouvernement indique que le conseil d’arbitrage a
rendu, le 10 septembre 2021, une sentence arbitrale non contraignante. Le conseil
d’arbitrage a refusé de se prononcer sur les deux premières demandes du syndicat et a
statué en faveur des travailleurs concernés pour les troisième et quatrième demandes. La
sentence a été contestée par le syndicat le 17 septembre 2021. Ceci est intervenu avant
l’annonce du préavis de grève, l’objectif étant de faire appliquer la sentence qui avait
déjà été contestée. Il est souligné que la contestation d’une sentence non contraignante
par une partie contestante empêche son exécution en vertu du droit du travail
national.
- 237. Dans ce cadre, le ministère du Travail et de la Formation
professionnelle a reçu deux plaintes du syndicat, respectivement les 23 septembre et
12 novembre 2021. La première réclamait la réintégration par l’entreprise des
373 travailleurs du précédent conflit, en plus de nouvelles revendications non évoquées
précédemment lors de la conciliation. La seconde contenait trois demandes
supplémentaires.
- 238. Étant donné que la sentence précédente (no 012/21) a été rendue
inapplicable en raison de l’objection déposée par le syndicat, le ministère lui a
conseillé de s’adresser aux tribunaux pour obtenir réparation. En outre, le syndicat a
été informé que les nouveaux points de litige qui n’ont pas fait l’objet d’une
conciliation préalable doivent d’abord faire l’objet d’une plainte conformément à la
procédure établie par la loi sur le travail. Le gouvernement souligne que le syndicat ne
s’est pas encore adressé aux tribunaux pour obtenir une solution au litige déjà arbitré
par le conseil d’arbitrage.
- 239. Le gouvernement indique que le syndicat a notifié à l’entreprise la
décision de faire grève (avec le ministère du Travail et de la Formation professionnelle
en copie) sans l’épuisement préalable des procédures de règlement des conflits du
travail prévues par la loi. Le préavis de grève publié le 22 novembre 2021 contenait
quatre nouvelles revendications en sus des cinq précédemment soulevées devant le conseil
d’arbitrage. La loi sur le travail stipule qu’une revendication doit d’abord être
conciliée par le ministère et arbitrée par le conseil d’arbitrage avant qu’un droit de
grève puisse être exercé à son sujet. En outre, le droit de grève ne peut être exercé
que si le conseil d’arbitrage ne parvient pas à rendre une décision sur un litige
soulevé devant lui dans le délai prescrit par la loi et si la sentence non contraignante
a fait l’objet d’une objection. Considérant que le syndicat n’a pas respecté les
procédures du mécanisme de règlement des différends, le gouvernement soutient qu’il
n’avait pas le droit de faire grève.
- 240. Ce point a été réaffirmé par le tribunal de première instance de
Phnom Penh dans son jugement daté du 16 décembre 2021, qui indiquait que le conflit
collectif de travail dans l’entreprise doit être réglé par le conseil d’arbitrage et que
les nouveaux points de désaccord non soulevés précédemment devant le comité ne peuvent
faire l’objet d’une grève en vertu de la loi sur le travail. La cour a déclaré que le
projet de grève des travailleurs licenciés était illégal puisque les nouvelles
revendications n’ont pas été soulevées de manière conforme à la procédure établie par la
loi. Le gouvernement affirme que les travailleurs licenciés ont poursuivi leur grève
malgré la décision du tribunal et maintenu les neuf revendications figurant dans leur
préavis. Cela a entraîné l’arrestation des participants à la grève illégale pour trouble
à l’ordre et à la sécurité publics et pour non-respect des mesures préventives adoptées
par le gouvernement lors de la pandémie de COVID-19. Le nombre de grévistes arrêtés
s’élève à onze.
- 241. Le gouvernement fait savoir au comité que le ministère du Travail et
de la Formation professionnelle est fermement résolu à régler le confit de manière
pacifique et qu’il a accueilli 5 réunions le 18 décembre 2021. En outre, le conflit a
fait l’objet d’une conciliation à 18 reprises à la demande des parties conformément à la
loi applicable, et les 305 travailleurs restants ont été appelés à le régler.
- 242. En ce qui concerne la libération des grévistes détenus, le ministère
du Travail et de la Formation professionnelle a reçu des lettres datées du 12 mars (de
huit grévistes) et du 15 mars 2022 (de quelques autres) demandant une intervention par
le biais d’un soutien juridique afin d’obtenir leur libération temporaire en attendant
leur procès. Dans ces lettres, les travailleurs syndiqués s’engageaient à coopérer avec
les autorités, à respecter les mesures de prévention du COVID 19 et à s’abstenir de se
rassembler ou de manifester d’une manière qui affecte l’ordre, la paix ou la sécurité
publics. Par conséquent, le ministère du Travail et de la Formation professionnelle a
envoyé deux lettres, datées respectivement du 14 mars et du 15 mars 2022, au ministère
de la Justice, demandant à ce dernier de les examiner. Le ministère de la Justice a
ensuite demandé au tribunal de Phnom Penh d’envisager la libération temporaire des
grévistes détenus. Par la suite, le tribunal a décidé, à sa discrétion, de libérer les
11 grévistes sous réserve qu’ils soient placés sous contrôle judiciaire, conformément au
Code de procédure pénale du Cambodge.
- 243. En ce qui concerne le rejet de la demande d’enregistrement des
nouveaux dirigeants du Syndicat pour les droits du travail des employés khmers de
l’hôtel Naga, le gouvernement indique que la demande, reçue le 9 mai 2022 par le
département des conflits du travail du ministère du Travail et de la Formation
professionnelle, violait à la fois l’article 4 de la loi sur les syndicats et
l’article 9 du statut du syndicat, puisque certains des dirigeants nouvellement élus et
certains électeurs étaient d’anciens employés de l’entreprise au moment de l’élection.
Le ministère a émis une lettre datée du 6 juin 2022, conformément aux articles 12 et 16
de la loi sur les syndicats, informant le syndicat du retard dans l’enregistrement et
demandant la rectification et la nouvelle présentation des documents dans un délai de
trente jours. Le gouvernement souligne que le ministère n’a pas encore reçu les
documents rectifiés du syndicat.
- 244. Le gouvernement réfute les allégations concernant le manque
d’indépendance du nouveau syndicat enregistré le 14 mars 2022. Le ministère du Travail
et de la Formation professionnelle est tenu par la loi de garantir l’indépendance des
syndicats vis-à-vis des employeurs, et tout syndicat qui n’est pas indépendant est
susceptible de perdre son enregistrement en vertu de la loi sur les syndicats. Selon le
gouvernement, les allégations non fondées menacent la solidarité et l’unité du mouvement
des travailleurs dans le pays. Il demande donc aux plaignants de fournir des preuves
pour étayer les allégations à cet égard.
- 245. Le gouvernement précise que Chhim Sithar a été arrêtée en raison
d’une violation des conditions de sa mise en liberté provisoire dans l’attente de son
procès. L’article 230 du Code de procédure pénale prévoit qu’une personne sous contrôle
judiciaire doit obtenir l’autorisation préalable du tribunal avant d’entreprendre un
voyage à l’étranger. Cette condition étant un terme standard dans le verdict du tribunal
lors de la mise en liberté provisoire, l’ignorance n’est pas une justification. Le
gouvernement informe le comité que son cas doit être entendu par le tribunal de première
instance de Phnom Penh le 21 février 2023.
- 246. Le gouvernement indique que le ministère du Travail et de la
Formation professionnelle a épuisé tous les mécanismes de règlement des conflits
collectifs du travail et qu’il continue de faciliter le conflit par le biais du
mécanisme existant de règlement des conflits par le comité de règlement des grèves et
manifestations, qui est un système de coordination qui n’a pas le pouvoir de statuer.
Les parties au conflit ont demandé et tenu 23 réunions en vue de parvenir à une
solution. En ce qui concerne l’indemnité à verser aux travailleurs licenciés, le
ministère a facilité le calcul conformément à la législation et à la sentence arbitrale
afin de veiller au versement des prestations auxquelles les travailleurs licenciés ont
droit. L’entreprise s’est montrée conciliante en appliquant le nouveau calcul convenu et
a commencé à reverser l’indemnité d’ancienneté en 2021. Par conséquent, au 4 février
2023, 70 pour cent des anciens travailleurs avaient accepté de recevoir les indemnités
de licenciement proposées et se sont inscrits auprès de l’Agence nationale pour l’emploi
du ministère du Travail et de la Formation professionnelle. Le ministère s’engage à
faciliter les négociations pour les 108 contestataires restants.
- 247. Dans ces circonstances, après l’épuisement des autres recours – par
voie de règlement du conflit de travail en faisant appel à l’inspection du travail et au
conseil d’arbitrage –, il est possible de se tourner vers les tribunaux en invoquant
l’article 385 de la loi sur le travail. S’agissant des arrestations, le gouvernement a
indiqué à l’OIT que ce point est dans les mains des autorités judiciaires du pays, qui
sont indépendantes. Cela étant, le ministère fera ce qu’il peut pour fournir une
assistance à la demande des individus, notamment par l’intermédiaire d’un appui
interministériel.
- 248. Selon le gouvernement, l’impasse n’a pas été causée par le ministère
mais plutôt par le manque de volonté des parties de porter le litige devant le tribunal
approprié. Étant donné que l’entreprise a maintenant porté le litige devant le tribunal,
le gouvernement attend la décision.
- 249. Le gouvernement réaffirme son engagement à promouvoir, protéger et
respecter tous les devoirs et obligations prévus dans les conventions internationales du
travail auxquelles il est partie.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 250. Le comité note que ce cas porte sur des allégations de représailles,
de discrimination antisyndicale et de licenciements, ainsi que d’arrestation et de
détention de travailleurs qui ont participé à une action de grève, dans un contexte où
le cadre législatif ne garantit pas de manière adéquate la reconnaissance effective de
la liberté syndicale. Les organisations plaignantes indiquent qu’avant le lancement de
l’action collective et à ce jour, le Syndicat pour les droits du travail des employés
khmers de l’hôtel Naga, créé en 2000, n’a pas réussi à obtenir sa pleine reconnaissance
en tant que syndicat. Elles affirment que le syndicat, bien qu’il représente 4 400 des
8 000 travailleurs de l’entreprise et soit le seul syndicat existant, s’est vu refuser
le statut d’organisation la plus représentative, selon elles du fait de formalités
administratives injustifiables, d’un manque de transparence et d’irrégularités de
procédure, qui ont entravé sa capacité à défendre pleinement ses membres.
- 251. Les organisations plaignantes allèguent que cette situation a
favorisé un contexte de discrimination antisyndicale qui a entraîné le licenciement des
dirigeants du Syndicat pour les droits du travail des employés khmers de l’hôtel Naga,
en 2009 et 2010, puis de l’ensemble des militants en 2012, et le refus de l’entreprise
de se conformer à la sentence du conseil d’arbitrage de les réintégrer. À cet égard, le
comité rappelle les recommandations qu’il avait adressées au gouvernement en 2011 au
sujet de cette même entreprise, le priant de l’informer de l’appel interjeté par
l’employeur contre la décision rendue par le conseil d’arbitrage en février 2010
ordonnant la réintégration de 4 dirigeants syndicaux – ce qui devait régler la question
des accords de licenciement considérés comme ayant été signés sous la contrainte –, il a
demandé au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour obtenir leur
réintégration sans délai et de veiller à ce que les dirigeants syndicaux soient
immédiatement autorisés à exercer leurs activités syndicales dans l’entreprise, en
attendant la conclusion de la procédure d’appel.
- 252. Le comité note avec regret qu’aucune autre information n’a été
fournie par le gouvernement concernant les mesures prises pour donner suite à ces
recommandations et qu’il a eu connaissance d’autres allégations d’entraves aux activités
du syndicat, telles que les allégations selon lesquelles Chhim Sithar, la présidente du
syndicat, a été suspendue en 2019 dans l’attente de son licenciement pour avoir appelé
au respect du droit de négocier collectivement les salaires et n’a été pleinement
réintégrée qu’en janvier 2020 à la suite d’une action de grève prolongée et d’un tollé
international.
- 253. Le comité note les autres allégations portant sur une série de
violations des droits des travailleurs et de la liberté syndicale dans le contexte d’un
licenciement collectif et forcé dans l’entreprise, notamment que: i) les licenciements
ont été imposés unilatéralement par la direction sans négociation avec le Syndicat pour
les droits du travail des employés khmers de l’hôtel Naga, à l’exception d’une première
négociation bilatérale entre l’entreprise et le syndicat en avril 2021; ii) les membres
du syndicat n’ont pas été autorisés à être représentés par le syndicat lorsqu’ils ont
été convoqués à titre individuel à des entretiens portant sur leur licenciement;
iii) les membres du syndicat n’ont pas pu obtenir d’informations sur les motifs de leur
licenciement ni sur les critères retenus dans ce cadre; et iv) trois responsables du
syndicat ont été ajoutés à la liste des licenciements après avoir demandé à la direction
de respecter la liberté syndicale et d’entamer des négociations avec eux. Par la suite,
le ministère du Travail et de la Formation professionnelle a convoqué une réunion de
médiation au cours de laquelle les organisations plaignantes ont allégué que la
direction n’avait pas fait preuve de bonne foi et le ministère a soutenu l’entreprise en
déclarant que le licenciement était une affaire impliquant des employés individuels,
indépendamment d’une fonction dans un syndicat ou d’une représentation syndicale.
- 254. En ce qui concerne les licenciements collectifs, le comité note
l’indication du gouvernement selon laquelle le conflit entre l’entreprise et ses
employés découle de l’impact du COVID-19 sur le secteur du tourisme et du
divertissement, qui a nécessité un licenciement collectif pour la pérennité de
l’entreprise et l’emploi de milliers d’autres travailleurs. Le gouvernement soutient que
l’entreprise n’avait pas d’autre choix que de licencier certains employés; que leurs
licenciements étaient conformes à la législation nationale; que ces licenciements ne
visaient pas de militants ni de dirigeants du Syndicat pour les droits du travail des
employés khmers de l’hôtel Naga; et qu’un tel licenciement collectif relève du contrôle
des autorités du travail.
- 255. Sur le point spécifique du licenciement collectif, et tout en
observant qu’il ne dispose pas d’informations suffisantes pour déterminer l’étendue des
consultations menées avec le syndicat en la matière, le comité rappelle qu’il a toujours
souligné l’importance de mener des consultations complètes et franches avec les
syndicats lors de l’élaboration des plans de restructuration, étant donné qu’elles sont
essentielles pour s’assurer que des programmes de cette nature ont le moins d’incidence
négative possible sur les travailleurs. [Voir Compilation des décisions du Comité de la
liberté syndicale, sixième édition, 2018, paragr. 1556.]
- 256. Tout en rappelant qu’il ne peut examiner des allégations relatives
aux programmes de rationalisation économique et aux processus de restructuration que
dans la mesure où ceux-ci ont pu donner lieu à des actes de discrimination ou
d’ingérence à l’encontre de syndicats, le comité prend note des allégations des
organisations plaignantes selon lesquelles le refus du ministère du Travail et de la
Formation professionnelle de reconnaître le droit du Syndicat pour les droits du travail
des employés khmers de l’hôtel Naga à représenter ses membres lors de deux audiences du
tribunal administratif a rendu incertain le statut du syndicat et de ses dirigeants en
tant que représentants syndicaux et a entraîné l’affaiblissement général des
négociations syndicales visant à protéger les droits fondamentaux dans le contexte de la
pandémie de COVID-19. Il est également allégué que, dans ce contexte, de nombreux
syndicalistes ont été contraints de démissionner du syndicat en raison des difficultés
économiques auxquelles ils étaient confrontés, et seuls 373 des 1 329 travailleurs
initialement menacés de licenciement continuent de refuser le plan social. Bien que
l’affaire ait été portée devant le conseil d’arbitrage, les organisations plaignantes
allèguent que les demandes de reconnaissance du syndicat en tant qu’organisation la plus
représentative déposées auprès du ministère sont restées sans réponse, ce qui, ajouté à
la collusion présumée entre l’entreprise et le gouvernement, a conduit le conseil
d’arbitrage à refuser de reconnaître le syndicat et de donner suite à tout élément de
preuve de discrimination antisyndicale dans le processus de licenciement.
- 257. Le comité prend note des efforts que le gouvernement indique avoir
consentis pour recourir à la conciliation et suivre l’affaire, et de l’accord obtenu au
sujet de la revendication adressée à l’entreprise concernant la mise en place des
mesures sanitaires qui s’imposent sur le lieu de travail conformément aux directives de
l’OMS et du ministère de la Santé en vue de prévenir le COVID-19, tandis que les
4 autres revendications ont été transmises au conseil d’arbitrage, qui est un organe
quasi judiciaire indépendant, le 2 juillet 2021. Le gouvernement ajoute qu’il est
fermement résolu à régler le conflit de manière pacifique et qu’au-delà de ces efforts,
il a facilité le calcul de l’indemnité conformément à la législation et à la sentence
arbitrale afin de veiller au versement des prestations auxquelles les travailleurs
licenciés ont droit, ce qui a conduit l’entreprise à appliquer le nouveau calcul convenu
et à commencer à reverser l’indemnité d’ancienneté en 2021.
- 258. Le comité observe que ces allégations s’inscrivent dans un contexte
où le syndicat n’a pas obtenu le statut d’organisation la plus représentative, n’a donc
pas été reconnu par le gouvernement ni par l’entreprise pour mener des négociations
collectives et, de ce fait, n’a pas non plus été en mesure de représenter ses membres
devant le conseil d’arbitrage. Bien que le comité ne dispose pas d’informations
suffisantes pour établir le statut représentatif du syndicat, il se doit de rappeler que
lorsque, dans un système de désignation d’agent négociateur exclusif, aucun syndicat ne
représente le pourcentage de travailleurs requis pour être déclaré agent négociateur
exclusif, les droits de négociation collective devraient être accordés aux syndicats de
l’unité, au moins au nom de leurs propres membres. [Voir Compilation, paragr. 1389.] De
même, le comité considère que les travailleurs doivent pouvoir être représentés dans le
cadre de leurs réclamations, collectives ou individuelles, par l’organisation de leur
choix et veut croire que le gouvernement y veillera à l’avenir. Le comité prie
instamment le gouvernement de fournir des informations détaillées sur l’état actuel de
la demande du syndicat concernant l’obtention du statut d’organisation la plus
représentative et, dans le cas où elle remplirait les conditions légales, de veiller à
ce que ce statut lui soit accordé sans délai. En outre, il prie le gouvernement de
fournir des informations sur les mesures prises pour garantir que le syndicat aura au
moins le droit de présenter des demandes au nom de ses membres et de les représenter en
ce qui concerne leurs réclamations individuelles.
- 259. Le comité note l’allégation des organisations plaignantes selon
laquelle l’absence de résolution des revendications par l’intermédiaire du processus du
conseil d’arbitrage a conduit le syndicat à soumettre un préavis de grève répertoriant
9 revendications, dont la réintégration des 373 travailleurs qui refusaient le plan
social, la réintégration des 3 dirigeants syndicaux inclus dans la liste des
licenciements à titre de représailles, des augmentations de salaire, de nouveaux calculs
concernant les primes de licenciement, la fin des stages à temps plein déguisés et le
respect des décisions rendues précédemment par le conseil d’arbitrage. Selon les
organisations plaignantes, les réunions de décembre avec le ministère n’ont pas permis
de résoudre le problème et le syndicat a continué à être mis à l’écart en tant que
représentant de ses membres.
- 260. Le comité note l’indication du gouvernement selon laquelle, en ce
qui concerne le premier litige, le conseil d’arbitrage a refusé de statuer sur les deux
premières demandes formulées par le Syndicat pour les droits du travail des employés
khmers de l’hôtel Naga et a statué en faveur des travailleurs concernés pour les
troisième et quatrième demandes, alors que le syndicat a contesté la sentence le
17 septembre 2021. Le gouvernement indique par ailleurs qu’il a reçu deux plaintes
supplémentaires du syndicat les 23 septembre et 12 novembre 2021 demandant la
réintégration par l’entreprise des 373 travailleurs du précédent litige et formulant
trois demandes supplémentaires. Selon le gouvernement, étant donné que la sentence
précédente a été rendue inapplicable en raison de l’objection déposée par le syndicat,
le ministère du Travail et de la Formation professionnelle a conseillé au syndicat de
s’adresser aux tribunaux pour obtenir réparation, ce que le syndicat n’a pas encore
fait, tandis que les nouveaux points litigieux devraient d’abord être soumis à la
conciliation conformément à la loi. Le syndicat est allé de l’avant et a notifié à
l’entreprise sa décision de faire grève sans avoir épuisé au préalable les procédures de
règlement des conflits du travail prévues par la loi.
- 261. Le comité note que c’est dans ce contexte que les organisations
plaignantes et le gouvernement indiquent que, le 16 décembre 2022, le tribunal de
première instance a rendu une injonction provisoire interdisant la grève proposée au
motif que certaines des revendications n’avaient pas encore été examinées par le conseil
d’arbitrage et déclarant les grévistes passibles de fautes graves et financièrement
responsables.
- 262. Au vu de ces circonstances, les organisations plaignantes allèguent
que le gouvernement a pris une série continue de mesures visant à perturber la grève et
les activités du syndicat en violation grave de la liberté syndicale tout au long de
l’année 2022, dont: i) la mise en quarantaine des grévistes de force et leur transport
en bus loin du centre-ville, sous le prétexte qu’il existait un risque pour la sûreté et
la sécurité publiques dans le contexte de la pandémie de COVID-19; ii) la publication
d’un communiqué de presse stigmatisant l’action syndicale; iii) l’envoi de militaires
munis de boucliers antiémeute et de matraques pour encercler le bureau du syndicat
tandis que plus d’une douzaine de policiers, en uniforme et en civil, y faisaient une
descente; iv) l’arrestation d’un certain nombre de travailleurs, leur détention à
l’isolement et le refus de leur permettre de consulter un avocat pendant vingt et un
jours, et la libération uniquement de ceux qui avaient signé une déclaration acceptant
de ne pas faire grève; v) l’inculpation de 9 syndicalistes, dont Chhim Sithar, pour
incitation à commettre un crime en vertu des articles 494 et 495 du Code pénal; et
vi) le renforcement de l’hostilité et de la violence des autorités à l’égard des
grévistes entre février 2022 et juin 2022, se traduisant par des attaques, des
harcèlements et des blessures, suivis de nouvelles violences entraînant à nouveau des
blessures le 11 août 2022, qui se sont calmées par la suite après la visite du
Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme au Cambodge
six jours plus tard.
- 263. Le comité note avec regret que le gouvernement n’a pas répondu aux
allégations détaillées des organisations plaignantes portant sur l’ingérence du
gouvernement, de l’armée et de la police dans l’action syndicale. En ce qui concerne la
période de détention provisoire prolongée (deux mois) des dirigeants et de membres du
Syndicat pour les droits du travail des employés khmers de l’hôtel Naga, le gouvernement
indique que: i) l’affaire est entre les mains des autorités judiciaires du pays, qui
sont indépendantes; ii) le ministère a envoyé deux lettres en mars 2022 au ministère de
la Justice pour lui demander d’y réfléchir; iii) le ministère de la Justice a demandé au
tribunal de Phnom Penh d’envisager la libération temporaire des grévistes détenus; et
iv) le tribunal a ensuite décidé, à sa discrétion, de libérer les 11 grévistes sous
réserve qu’ils soient placés sous contrôle judiciaire conformément au Code de procédure
pénale.
- 264. Le comité rappelle qu’il a toujours reconnu aux travailleurs et à
leurs organisations le droit de grève comme un moyen légitime de défense de leurs
intérêts économiques et sociaux. Le recours à la police pour briser une grève constitue
une atteinte aux droits syndicaux. Les autorités ne devraient recourir à la force
publique en cas de grève que si l’ordre public est réellement menacé. L’intervention de
la force publique devrait être proportionnée à la menace pour l’ordre public, et les
gouvernements devraient prendre des dispositions pour que les autorités compétentes
reçoivent des instructions appropriées en vue de supprimer le danger qu’impliquent les
excès de violence lorsqu’il s’agit de contrôler des manifestations qui pourraient
troubler l’ordre public. Aucun travailleur participant à une grève de façon pacifique ne
devrait être passible de sanctions pénales. [Voir Compilation, paragr. 752, 931, 935,
954.] Le comité note que le gouvernement réaffirme son engagement à promouvoir, protéger
et respecter tous les devoirs et obligations prévus dans les conventions internationales
du travail auxquelles il est partie. Par conséquent, le comité prie instamment le
gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour mener une enquête indépendante sur
les allégations détaillées fournies par les organisations plaignantes concernant les
interventions, les violences et les harcèlements de la part du gouvernement, de l’armée
et de la police, de transmettre les résultats et de veiller à ce que les autorités
compétentes reçoivent les instructions appropriées en vue de supprimer le danger
qu’implique la violence lorsqu’il s’agit de contrôler des manifestations qui pourraient
troubler l’ordre public. En outre, le comité note que, bien que les membres du syndicat
aient été libérés par la suite, les charges retenues contre eux restent pendantes.
Rappelant que nul ne devrait pouvoir être privé de liberté ni faire l’objet de sanctions
pénales pour le simple fait d’avoir organisé une grève pacifique ou d’y avoir participé
[voir Compilation, paragr. 971], le comité prie le gouvernement de veiller à ce que
toutes les accusations portées contre les dirigeants et les membres du Syndicat pour les
droits du travail des employés khmers de l’hôtel Naga pour avoir participé à une grève
pacifique soient abandonnées. Il prie le gouvernement de le tenir informé des mesures
prises à cet égard. En outre, le comité prie instamment le gouvernement de prendre les
mesures nécessaires pour qu’une enquête indépendante soit menée sur les divers actes de
discrimination et d’ingérence antisyndicale que les organisations plaignantes allèguent
avoir été commis par l’employeur depuis le début du conflit et de le tenir informé des
résultats.
- 265. Le comité note en outre les allégations des organisations
plaignantes selon lesquelles le gouvernement a refusé d’enregistrer la réélection des
dirigeants du Syndicat pour les droits du travail des employés khmers de l’hôtel Naga en
avril 2022, notamment celle de Chhim Sithar à la fonction de présidente, au motif que
les dirigeants élus ainsi que certains des électeurs étaient d’anciens employés de
l’entreprise, alors que le différend portant sur leur licenciement n’est pas résolu. Le
comité observe que le gouvernement affirme d’abord que la reconnaissance de 9 dirigeants
syndicaux, dont Chhim Sithar, a été actée le 30 juin 2021 et qu’il réfute les
allégations selon lesquelles la non-reconnaissance du syndicat comme étant le plus
représentatif a entravé le droit à la liberté syndicale. Le gouvernement ajoute dans sa
communication ultérieure que le département des conflits du travail a rejeté la deuxième
demande du 9 mai 2022, car elle violait l’article 4 de la loi sur les syndicats et
l’article 9 du statut du syndicat, étant donné que certains des dirigeants nouvellement
élus et certains électeurs étaient d’anciens employés de l’entreprise au moment de
l’élection. Si, selon le gouvernement, le ministère n’a reçu aucun document de
rectification après avoir informé le syndicat, le 6 juin 2022, de la nécessité de
soumettre à nouveau les documents dans un délai de trente jours, le comité prend note
des allégations des organisations plaignantes selon lesquelles le syndicat s’est opposé
par écrit et a soumis à nouveau les documents d’enregistrement, en faisant valoir que
tous les électeurs étaient des employés actuels puisque le différend concernant leur
licenciement n’était pas résolu, pour être rejeté une deuxième fois, le ministère
demandant cette fois à l’entreprise de retenir les cotisations syndicales jusqu’à ce que
la nouvelle direction du syndicat soit «enregistrée et légalement reconnue». Le comité
note également dans ce contexte les allégations de reconnaissance d’un syndicat non
indépendant dans l’entreprise par le gouvernement en mars 2022 et les efforts de
l’entreprise pour contraindre les travailleurs à quitter le Syndicat pour les droits du
travail des employés khmers de l’hôtel Naga et à rejoindre ce syndicat alors que
celui-ci est totalement inactif depuis sa création. Sur cette allégation, le comité note
que le gouvernement se limite à indiquer qu’il est tenu par la loi d’assurer
l’indépendance des syndicats vis-à-vis des employeurs et que tout syndicat qui n’est pas
indépendant est susceptible de perdre son enregistrement en vertu de la loi sur les
syndicats, sans fournir d’autres détails sur l’enregistrement du syndicat.
- 266. En ce qui concerne la reconnaissance des dirigeants du Syndicat pour
les droits du travail des employés khmers de l’hôtel Naga dans ce contexte, le comité
rappelle que les travailleurs et leurs organisations devraient avoir le droit d’élire
leurs représentants en toute liberté et que ces derniers devraient avoir le droit
d’exprimer les revendications des travailleurs. [Voir Compilation, paragr. 586.] Le
comité rappelle en outre que la suppression de la possibilité de retenir les cotisations
à la source, qui pourrait déboucher sur des difficultés financières pour les
organisations syndicales, n’est pas propice à l’instauration de relations
professionnelles harmonieuses et devrait donc être évitée. [Voir Compilation,
paragr. 690.] Le comité observe avec une profonde inquiétude que la non reconnaissance
des dirigeants du syndicat et l’arrêt du système de prélèvement automatique des
cotisations entravent effectivement la capacité du syndicat à défendre ses membres et
pourraient entraîner l’éradication totale du syndicat. Dans ces circonstances, et en
gardant à l’esprit les allégations selon lesquelles le statut des membres votants n’a
pas encore été finalisé à la lumière du conflit en cours et de la longue histoire de
non-reconnaissance et de licenciement des dirigeants du syndicat remontant à la
précédente plainte de 2011, le comité prie instamment le gouvernement de veiller à ce
que l’élection des dirigeants du syndicat en avril 2022 soit dûment reconnue afin qu’ils
puissent défendre efficacement les intérêts de leurs membres et que les mesures
nécessaires soient prises pour que les cotisations des membres soient dûment transférées
au syndicat. En ce qui concerne les allégations selon lesquelles l’entreprise a déposé
une plainte officielle contre 18 femmes grévistes, dont Chhim Sithar, le comité demande
au gouvernement et aux organisations plaignantes de fournir des informations détaillées
sur la nature des accusations et sur le statut actuel de ces cas.
- 267. Enfin, le comité note avec une profonde préoccupation les
allégations selon lesquelles Chhim Sithar a été arrêtée une nouvelle fois le 26 novembre
2022 pour avoir prétendument violé les conditions de sa libération sous caution
relatives aux voyages internationaux à son retour au Cambodge après avoir assisté au
5e Congrès mondial de la CSI à Melbourne, en Australie, alors que des documents
essentiels du syndicat ont été saisis. Le comité observe que le gouvernement affirme que
Chhim Sithar a été arrêtée en raison d’une violation des conditions de sa mise en
liberté provisoire dans l’attente de son procès, ce qui est un terme standard dans les
verdicts des tribunaux pendant la mise en liberté provisoire, et que son cas doit être
entendu par le tribunal de première instance de Phnom Penh le 21 février 2023. Le comité
rappelle qu’aucun travailleur participant à une grève de façon pacifique ne devrait être
passible de sanctions pénales et que les actes de confiscation et d’occupation de
propriétés de dirigeants d’organisations d’employeurs ou de travailleurs sont contraires
à la liberté syndicale lorsqu’ils sont la conséquence de leurs activités en tant que
représentants de telles organisations. [Voir Compilation, paragr. 954 et 293.] Les
mesures de détention préventive contre des dirigeants d’organisations d’employeurs et de
travailleurs pour des activités liées à l’exercice de leurs droits sont contraires aux
principes de la liberté syndicale et doivent être limitées dans le temps à de très
brèves périodes et uniquement destinées à faciliter le déroulement d’une enquête
judiciaire. [Voir Compilation, paragr. 137 et 140.] Étant donné que les premières
accusations portées contre Chhim Sithar concernaient sa participation à une action
syndicale pacifique, et profondément préoccupé par son maintien en détention préventive
pendant plus de deux mois, le comité prie instamment le gouvernement de veiller à sa
libération immédiate et inconditionnelle et à la restitution de tout bien syndical
confisqué.
- 268. Étant donné que les allégations en l’espèce se rapportent à une
entreprise, le comité prie instamment le gouvernement de solliciter des informations
auprès de l’organisation d’employeurs concernée afin de disposer des points de vue de
l’organisation et de l’entreprise sur les questions en cause.
Recommandations du comité
Recommandations du comité- 269. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite
le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le
comité prie instamment le gouvernement de fournir des informations détaillées sur
l’état actuel de la demande du Syndicat pour les droits du travail des employés
khmers de l’hôtel Naga concernant l’obtention du statut d’organisation la plus
représentative et, dans le cas où elle remplirait les conditions légales, de veiller
à ce que ce statut lui soit accordé sans délai. Il prie en outre le gouvernement de
fournir des informations sur les mesures prises pour garantir que le syndicat aura
au moins le droit de présenter des demandes au nom de ses membres et de les
représenter en ce qui concerne leurs réclamations individuelles.
- b) Le
comité prie instamment le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour mener
une enquête indépendante sur les allégations détaillées fournies par les
organisations plaignantes concernant les interventions, les violences et les
harcèlements de la part du gouvernement, de l’armée et de la police lors de l’action
syndicale menée par le syndicat, de transmettre les résultats et de veiller à ce que
les autorités compétentes reçoivent les instructions appropriées en vue de supprimer
le danger qu’implique la violence. Le comité demande en outre au gouvernement de
veiller à ce que toutes les accusations portées contre les dirigeants et les membres
du Syndicat pour les droits du travail des employés khmers de l’hôtel Naga pour
avoir participé à une grève pacifique soient abandonnées. Il demande au gouvernement
de le tenir informé des mesures prises à cet égard.
- c) Le comité prie
instamment le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour qu’une enquête
indépendante soit menée sur les divers actes de discrimination et d’ingérence
antisyndicale que les organisations plaignantes allèguent avoir été commis par
l’employeur depuis le début du conflit et de le tenir informé des
résultats.
- d) Ayant à l’esprit les allégations selon lesquelles le statut
des membres votants n’a pas encore été finalisé à la lumière du conflit en cours et
de la longue histoire de non-reconnaissance et de licenciement des dirigeants du
syndicat remontant à la précédente plainte de 2011, le comité prie instamment le
gouvernement de veiller à ce que l’élection d’avril 2022 des dirigeants du syndicat
soit dûment reconnue afin qu’ils puissent défendre efficacement les intérêts de
leurs membres et que les mesures nécessaires soient prises pour que les cotisations
des membres soient dûment transférées au syndicat.
- e) En ce qui concerne les
allégations selon lesquelles l’entreprise a déposé une plainte officielle contre
18 femmes grévistes, dont Chhim Sithar, le comité demande au gouvernement et aux
organisations plaignantes de fournir des informations détaillées sur la nature des
accusations et sur le statut actuel de ces cas.
- f) Le comité exprime sa
profonde préoccupation quant au fait que Chhim Sithar a été arrêtée à son retour du
5e Congrès mondial de la CSI et qu’elle est maintenue en détention préventive depuis
plus de deux mois. Étant donné que les premières accusations portées contre Chhim
Sithar concernaient sa participation à une action syndicale pacifique, le comité
prie instamment le gouvernement de veiller à sa libération immédiate et
inconditionnelle et à la restitution de tout bien syndical confisqué.
- g)
Étant donné que les allégations en l’espèce se rapportent à une entreprise, le
comité prie instamment le gouvernement de solliciter des informations auprès de
l’organisation d’employeurs concernée afin de disposer des points de vue de
l’organisation et de l’entreprise concernée sur les questions en
cause.