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Observation (CEACR) - adoptée 2000, publiée 89ème session CIT (2001)

Convention (n° 105) sur l'abolition du travail forcé, 1957 - Türkiye (Ratification: 1961)

Autre commentaire sur C105

Réponses reçues aux questions soulevées dans une demande directe qui ne donnent pas lieu à d’autres commentaires
  1. 2019

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La commission prend note du rapport du gouvernement ainsi que des commentaires de la Confédération des syndicats turcs (TÜRK-IS) et de la Confédération turque des associations d’employeurs (TISK).

Travail obligatoire dans les prisons

1. Dans sa précédente observation, la commission demandait des précisions sur l’effet donnéà l’article 18 de la Constitution turque, concernant l’interdiction du travail forcé, pour ce qui est du travail pénitentiaire obligatoire rentrant dans des conditions relevant de l’article 1 de la convention. Dans son dernier rapport, le gouvernement se réfère au «Règlement concernant l’administration des établissements d’exécution des peines, les prisons et l’exécution des peines». Le gouvernement indique qu’en particulier les articles 101, 112 et 197 à 220 dudit règlement concernent l’emploi des condamnés ou détenus qui souhaitent travailler en prison et que, selon ces articles, l’emploi de ces personnes a pour but de les réadapter et de leur enseigner un travail ou un métier leur permettant de gagner leur vie après leur libération. Le gouvernement conclut qu’un tel emploi est couvert par le deuxième paragraphe de l’article 18 de la Constitution turque ainsi que par l’article 4(3)(a), (b), (c) et (d) de la Convention européenne des droits de l’homme et n’est pas considéré comme travail forcé ou obligatoire.

2. La commission a pris bonne note de ces indications. Elle note qu’en vertu de l’article 198 du règlement évoqué par le gouvernement, adopté par décision du Conseil des ministres du 5 juillet 1967 (no6/8517) sur la base de la loi no647 du 13 juillet 1965 relative à l’exécution des peines, les prisonniers ont l’obligation de travailler dans l’établissement. Dans son observation de 1978 au titre de la convention, la commission avait noté qu’aux termes de la circulaire du ministère de la Justice no26/62 en date du 14 mai 1975, adressée aux directeurs des établissements pénitentiaires et diffusée par la radio turque, les personnes condamnées dans les circonstances couvertes par l’article 1 de la convention n’avaient pas l’obligation de travailler (mais pouvaient choisir de le faire et revenir ultérieurement sur cette décision). Il semblerait, d’après le dernier rapport du gouvernement, qu’il ne soit plus donné effet à cette circulaire et que tous les condamnés (sans distinction d’aucune sorte) soient obligés de travailler, ainsi qu’il est indiquéà l’article 198 du règlement susmentionné adopté par décision du 5 juillet 1967 no6/8517 (modifié par l’article 87/12046 du 17 août 1987).

3. La commission se réfère aux explications développées aux paragraphes 102 à 109 de son étude d’ensemble de 1979 sur l’abolition du travail forcé, où elle a indiqué que les exceptions à la convention (nº 29) sur le travail forcé, 1930, et notamment l’exclusion du travail pénitentiaire, ne s’appliquent pas automatiquement à la convention (nº 105) sur l’abolition du travail forcé, 1957, qui était destinée à compléter la convention de 1930.

4. Comme la commission l’a indiqué au paragraphe 105 de son étude d’ensemble de 1979:

Evidemment, la convention de 1957 ne s’oppose pas à ce que du travail forcé ou obligatoire soit exigé d’un délinquant de droit commun reconnu coupable, par exemple, de vol, d’enlèvement, d’attentat à la bombe ou d’autres actes de violence ou encore d’une action ou omission mettant en danger la vie ou la santé d’autrui. En effet, bien qu’il soit astreint au travail sous la menace d’une peine et contre son gré, ce travail ne lui est pas imposé pour un des motifs énumérés dans la convention. Ainsi, le travail imposéà des personnes comme conséquence d’une condamnation judiciaire n’aura, dans la plupart des cas, aucun rapport avec l’application de la convention sur l’abolition du travail forcé. Par contre, si une personne est, de quelque manière que ce soit, astreinte au travail parce qu’elle a ou exprime certaines opinions politiques ou parce qu’elle a manquéà la discipline du travail ou participéà une grève, cela relève de la convention.

5. Pour ce qui est de la fonction réadaptatrice à laquelle le gouvernement se réfère à propos du travail pénitentiaire obligatoire, la commission a indiqué au paragraphe 108 de son étude d’ensemble de 1979 que:

Si, dans le cas des délinquants de droit commun, le travail pénitentiaire est destinéà la rééducation et à la réinsertion sociale, ce même besoin n’existe pas quand il s’agit de personnes condamnées pour leurs opinions ou pour avoir pris part à une grève. En outre, dans le cas des personnes condamnées pour avoir exprimé certaines opinions politiques, une intention de les réformer ou de les éduquer par le travail serait explicitement couverte par les termes de la convention, qui s’applique notamment à toute forme de travail obligatoire en tant que mesure d’éducation politique.

6. Pour ces raisons, la commission a estimé que toute sanction comportant l’obligation de travailler, y compris toute peine de prison comportant une obligation de travail pénitentiaire, est couverte par la convention de 1957 dans la mesure où elle est imposée dans l’une des cinq circonstances spécifiées par cet instrument.

Coercition politique et sanction pour l’expression
de certaines opinions en opposition à l’ordre établi
(article 1 a) de la convention)

7. La commission note que des sanctions comportant l’obligation de travailler peuvent être imposées en vertu de diverses dispositions de la législation nationale dans des circonstances relevant de l’article 1 a) de la convention, à savoir:

a)  article 143 du Code pénal (participation à des associations et institutions étrangères sans l’autorisation du gouvernement);

b)  article 159 du Code pénal (insulte ou injure proférée notamment à l’égard du «Turquisme», de diverses autorités de l’Etat, des lois de l’Etat ou des décisions de la Grande Assemblée nationale);

c)  article 241 du Code pénal (censure publique par des ministres de la religion, de l’administration gouvernementale, des lois de l’Etat ou des activités du gouvernement);

d)  articles 266 à 268 du Code pénal (insulte à des représentants de l’Etat); à cet égard, la commission note qu’en vertu de l’article 481 du code, dans les cas spécifiés aux articles 266, 267 et 268, une requête de prouver le bien-fondé de l’imputation d’un acte attentatoire à l’honneur ou à la dignité d’un fonctionnaire ou représentant de l’Etat ne peut être ni soutenue ni examinée, même lorsque l’acte incriminé est liéà l’exercice de la charge ou fonction publique de l’intéressé;

e)  article 312, paragraphes 2 et 3, du Code pénal (incitation publique à la haine de la population sur la base de distinctions de classe, de race, de religion ou de région);

f)  article 526, paragraphe 2, du Code pénal (agissements contraires aux interdictions ou obligations découlant de la loi no 671 concernant le port d’un couvre-chef et de la loi no1353 concernant l’adoption et l’utilisation de la graphie officielle turque);

g)  article 536, paragraphe 2, du Code pénal (affichage public de feuilles ou affiches manuscrites ou imprimées, etc., notamment sur un moyen de transport ou un panneau d’affichage privé, sans autorisation des pouvoirs publics);

h)  article 8 de la «loi contre le terrorisme» no3713 du 12 avril 1991, telle que modifiée le 13 novembre 1996 (propagande écrite ou orale, assemblées, manifestations et rassemblements contre l’indivisibilité de l’Etat).

8. Si certaines des dispositions visées au paragraphe 7 ci-dessus, notamment sous les alinéas e) et h) semblent dirigées contre les actes de violence ou d’incitation à l’usage de la violence, la résistance armée ou le soulèvement, leur portée, telle qu’elle ressort de l’application qui en est faite dans la pratique, ne se trouve pas limitée à de tels actes mais se prête à la coercition politique et à la répression de l’expression pacifique d’opinions non violentes mais critiques à l’égard de la politique du gouvernement et de l’ordre politique établi, avec des peines comportant l’obligation de travailler. A cet égard, la commission note que, ces dernières années, la Cour européenne de justice a été saisie d’un certain nombre de cas dans lesquels des peines comportant l’obligation de travailler ont été infligées en application des dispositions susmentionnées des articles nos159 et 312, paragraphes 2 et 3, du Code pénal et de l’article 8 de la «loi contre le terrorisme». En l’espèce, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu que les condamnations basées sur la législation nationale constituaient une violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, article qui protège la liberté d’expression. La commission espère que les mesures nécessaires seront adoptées prochainement au regard des diverses dispositions mentionnées au paragraphe 7 ci-dessus afin de rendre la législation nationale conforme à l’article 1 a) de la présente convention, et que le gouvernement fera rapport sur les mesures prises à cette fin.

9. La commission note qu’une série d’autres dispositions de la législation nationale prévoient des sanctions comportant l’obligation de travailler dans des circonstances définies dans des termes assez larges pour susciter des questions quant à leur application dans la pratique. Elle aborde ces questions dans une demande directement adressée au gouvernement en vue de vérifier le respect de la convention à cet égard.

10. La commission note l’observation de la TÜRK-IS selon laquelle la résolution no87/11945 du Conseil des ministres en date du 12 juillet 1987 prévoit que les conscrits dont l’effectif excède les besoins de l’armée peuvent être tenus sans leur consentement, en lieu et place du service militaire, de travailler dans des entreprises publiques, mais sous le régime de la discipline militaire. La commission prend note des dispositions de l’article 10 de la loi no1111 sur le service militaire, telle que modifiée par la loi no3358, qui énonce les procédures concernant les réserves excédentaires, y compris les personnes non dispensées du service militaire qui sont affectées à certaines fonctions dans des organes et institutions publics. Elle note également qu’en vertu de l’article 5 de la résolution no 87/11945 du Conseil des ministres en date du 12 juillet 1987, adoptée en application de l’article 10 de la loi no1111, les personnes tenues d’accomplir leurs obligations au titre du service militaire en travaillant dans des organes et institutions publics seront déterminées par tirage au sort parmi les personnes restantes, déduction faite de celles qui acceptent de payer la somme qui les affranchit de cette obligation et de celles qui appartiennent aux catégories professionnelles nécessaires aux forces armées.

11. Le gouvernement indique dans son rapport que la loi no 3358 a été appliquée entre 1987 et 1991 mais que, depuis son abrogation en 1991, il n’est plus employé de conscrits en excédent des effectifs nécessaires à l’armée dans les organes et institutions de l’Etat. Tout en prenant note de cette information, la commission exprime l’espoir que le gouvernement communiquera copie du texte abrogateur ainsi que des informations sur les mesures prises pour abroger également la résolution susmentionnée no87/11945 du Conseil des ministres. Elle espère également que le gouvernement communiquera copie des Principes régissant l’assujettissement au service militaire des réserves (résolution du Conseil des ministres no86/10266 en date du 17 janvier 1986), à laquelle il est fait référence à l’article transitoire de la résolution no87/11945, ou bien de tout texte abrogeant lesdits principes.

Article 1 c) et d) de la convention. 

12. Dans ses précédents commentaires, la commission notait que:

a)    aux termes de l’article 1467 du Code du commerce (loi no 6762 du 29 juin 1956), les marins peuvent être ramenés de force à bord pour y accomplir leurs obligations;

b)  aux termes de l’article 1469 du même code, diverses infractions à la discipline du travail par les gens de mer sont punissables de l’emprisonnement (comportant, comme noté précédemment, l’obligation de travailler).

La commission notait en outre que le gouvernement avait saisi le Parlement d’un projet de loi tendant à modifier l’article 1467 du Code du commerce, lequel permet au capitaine d’un navire de recourir à la force pour ramener à bord les marins déserteurs afin que ceux-ci y accomplissent leurs obligations. La commission note que le projet comporte une disposition limitant les pouvoirs conférés par l’article 1467 au capitaine aux seules circonstances dans lesquelles la sécurité du navire ou la vie des passagers et de l’équipage serait mise en danger. La commission espère que l’article 1469 du Code du commerce sera de même modifié de telle sorte que son champ se limite aux actes mettant en danger la sécurité du navire ou la vie ou l’intégrité physique des personnes, et que le gouvernement communiquera copie des dispositions modificatrices dès qu’elles auront été adoptées.

Article 1 d). 13. La commission note que la loi no 2822, en date du 5 mai 1983, concernant les conventions collectives, les grèves et les lock-out (S.L.1983-Tur.2) prévoit, sous ses articles 70, 71, 72, 73, 75, 77 et 79, des peines comportant l’obligation de travailler comme sanction de la participation à des grèves illégales, du mépris de l’interdiction de l’appel à la grève, des grèves illégales tendant à influencer des décisions et du non-respect d’un ordre de suspension de la grève ou de restrictions concernant le nombre de piquets de grève et le droit de rassemblement pacifique devant les établissements de l’employeur. La commission rappelle que l’article 1 d) de la convention interdit expressément le recours à des sanctions comportant toute forme de travail obligatoire «en tant que punition pour avoir participéà des grèves». Néanmoins, comme elle l’explique aux paragraphes 120 à 132 de son étude d’ensemble de 1979 sur l’abolition du travail forcé, la commission a estimé que l’article 1 d) de la convention ne s’oppose pas à la répression d’actes collectifs tendant à paralyser des services dont l’interruption mettrait en danger, dans l’ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé des personnes, ni à la punition de la participation à des grèves purement politiques, c’est-à-dire à des grèves qui ne tendent pas à la défense des intérêts économiques et sociaux des participants, ou du non-respect d’une procédure normale à suivre pour appeler à la grève ou organiser un tel mouvement, sous réserve que les dispositions régissant cette question ne fassent pas peser de restriction sur le droit de grève lui-même. Se référant également à ses observations au titre de la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la commission fait observer que les dispositions susmentionnées de la loi no 2822 ne sont pas limitées dans leur portée à de telles circonstances. Elle espère que les mesures nécessaires seront adoptées en ce qui concerne la loi no 2822 de 1983 afin d’assurer le respect de l’article 1 d) de la convention (nº 105) sur l’abolition du travail forcé, 1957, et que le gouvernement fera rapport sur les mesures prises ou envisagées à cette fin.

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