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Demande directe (CEACR) - adoptée 2023, publiée 112ème session CIT (2024)

Convention (n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948 - Belgique (Ratification: 1951)

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La commission prend note des observations émises par la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB), la Confédération des syndicats chrétiens (CSC) et la Centrale générale des syndicats libéraux de Belgique (CGSLB), en date du 31 août 2023, ainsi que de la réponse du gouvernement, qui portent pour l’essentiel sur des questions examinées dans le cadre du présent commentaire.
Article 3 de la convention. Droit des organisations d’organiser leurs activités et de formuler leur programme d’action. Entraves méchantes à la circulation (art. 406 du Code pénal). Dans ses commentaires précédents, la commission avait noté que selon les organisations syndicales précitées le délit d’entrave méchante à la circulation prévu à l’article 406 du code pénal porte atteinte à l’exercice du droit de grève, alors que le gouvernement faisait observer que l’article ne cible pas l’exercice de ce droit, mais traite de toutes les circonstances dans lesquelles des barrages routiers sont mis en place de manière malveillante, quel que soit le motif sous-jacent. Dans les deux affaires évoquées par le gouvernement (affaire du Port d’Anvers et affaire du Pont de Cheratte), les tribunaux ont considéré que le fait qu’une entrave à la circulation était organisée pour soutenir des revendications syndicales n’enlève pas nécessairement que cette entrave à la circulation soit malveillante au sens de l’article 406 du code. Dans l’affaire «Pont de Cheratte», la commission avait noté qu’en date du 19 octobre 2021, la Cour d’appel de Liège avait confirmé le verdict du tribunal correctionnel, en maintenant notamment les peines d’emprisonnement, estimant que les défendeurs étaient coupables d’entrave délibérée à la circulation et que le droit de grève ne pouvait être utilisé comme justification. Ayant noté que la FGTB envisageait un pourvoi en cassation contre la décision de la Cour d’appel de Liège, la commission avait prié le gouvernement de fournir des informations sur l’application de l’article 406 et sur le résultat du pourvoi en cassation. La commission note que, dans un arrêt du 23 mars 2022, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi dirigé contre l’arrêt de la Cour d’appel de Liège confirmant que la sanction pénale n’est pas disproportionnée au vu de la liberté d’expression et du droit de réunion pacifique, le droit de grève pouvant s’exercer sans porter atteinte à la liberté de circuler. Les organisations syndicales relèvent aussi que la Cour de cassation ne sanctionne pas le fait que: i) la Cour d’appel n’a pas examiné la nécessité de la sanction pénale, y compris au regard d’une participation passive à des faits de blocage; et que ii) des peines plus lourdes sont infligées lorsque la personne concernée exerce des responsabilités au sein du syndicat. La commission note enfin que les responsables et militants syndicaux condamnés le 19 octobre 2021 par la Cour d’appel de Liège ont introduit le 23 juillet 2022 une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme.
En ce qui concerne le volet législatif, la commission prend note des informations fournies par les organisations syndicales et le gouvernement, à savoir qu’un projet de réforme du Code pénal est en cours de discussion au niveau du gouvernement. S’agissant de l’article 406, ils indiquent qu’en ce qui concerne l’élément moral, il est proposé de remplacer le terme «méchamment» par les mots «à dessein de nuire». Ces mots indiquent que l’infraction devrait être commise avec «l’intention de faire mal, de porter atteinte aux droits de la société ou des particuliers ou de nuire à autrui». Par ailleurs, les projets d’articles sont complétés par une nouvelle disposition déterminant une clause de protection des droits et libertés fondamentaux. Selon le gouvernement, il est apparu important de prévoir explicitement que les personnes qui exercent leurs droits fondamentaux tels que le droit de grève, la liberté de réunion, la liberté d’association, etc. ne peuvent pas être poursuivies sur la base des dispositions d’entrave à la circulation. Les organisations syndicales et le gouvernement font cependant observer que les droits auxquels cette clause se réfèrent ne sont pas absolus, mais peuvent être soumis à des restrictions notamment justifiées par la nécessité d’assurer le respect d’autres droits fondamentaux concurrents. La commission prie le gouvernement de fournir des informations sur tout développement concernant la réforme en cours du code pénal et en particulier la modification de son article 406.
Services pénitentiaires. Résolution de conflits. Dans ses précédents commentaires, la commission avait noté les allégations des organisations syndicales précitées selon lesquelles tout désaccord concernant les négociations sur le service minimum devait être réglé par un organisme indépendant, comme par exemple les autorités judiciaires, et non par le ministère concerné, alors que la loi du 23 mars 2019 concernant l’organisation des services pénitentiaires et le statut du personnel pénitentiaire dispose en son article 19 que, si le comité de concertation compétent ne présente pas de plan opérationnel dans les trois mois suivant l’entrée en vigueur de la loi, soit parce qu’il n’a pas pris de décision, soit parce qu’aucun accord n’a été conclu au sein du comité, le ministre détermine les prestations et les mesures à prendre. La commission avait noté que, pour sa part, le gouvernement faisait observer que le ministre n’intervenait qu’en dernier ressort, c’est-à-dire en l’absence d’accord issu des différentes étapes de consultation et de concertation. Prenant note des indications du gouvernement pour assurer le maintien d’un service minimum, la commission avait prié le gouvernement de fournir des informations additionnelles sur les garanties compensatoires ou les mécanismes de résolution applicables aux conflits dans les services pénitentiaires. La commission note que le gouvernement se réfère en particulier: i) à l’arrêté royal du 19 novembre 2019 qui, en application des articles 15 et 16 de la loi du 23 mars 2019, définit les procédures de consultation et de négociation à suivre en cas de conflit social, avec ou sans préavis de grève; et ii) au Protocole d’accord n° 351, conclu le 19 avril 2010 au sein du Comité sectoriel III Justice, relatif aux engagements mutuels du Service Public Fédéral (SPF) Justice, de la Direction générale des établissements pénitentiaires et des syndicats publics représentatifs du personnel des services extérieurs des établissements pénitentiaires dans le cadre du renforcement du dialogue social et de la gestion des conflits au sein du système pénitentiaire. La commission note que le protocole d’accord définit les modalités de gestion des conflits et confirme l’intention des partenaires de résoudre les conflits sociaux par le dialogue social et, le cas échéant, par une médiation indépendante. Par ailleurs, la commission prend note de la préoccupation exprimée par les organisations syndicales liée à l’impossibilité pour les agents pénitentiaires d’exercer effectivement leur droit de grève en raison du sous-effectif structurel dans les établissements pénitentiaires, ainsi que de la réponse du gouvernement à cet égard. Prenant note des informations communiquées par le gouvernement et les organisations syndicales concernant la mise en place d’un service minimum, la commission prie le gouvernement de continuer à fournir des informations sur les mécanismes de résolution applicables aux conflits dans les services pénitentiaires.
Atteintes au droit de grève. Remplacement des travailleurs grévistes par des étudiants. La commission prend note des préoccupations soulevées par la FGTB, la CSC et la CGSLB relatives à la possibilité pour les employeurs de remplacer les travailleurs grévistes par des étudiants. Les organisations syndicales font observer que les étudiants, bien que souvent solidaire avec la lutte menée par les travailleurs de l’entreprise, n’ont d’autre choix que de répondre favorablement aux sollicitations des entreprises de travailler au cours d’une grève du personnel, sous peine de ne pas voir leur contrat étudiant reconduit. La commission note que le gouvernement indique à ce sujet que le 1 juin 2023, le ministre fédéral du Travail a soumis pour avis aux partenaires sociaux au sein du Conseil National du Travail (CNT) un projet de texte législatif interdisant le remplacement des travailleurs grévistes par des travailleurs sous contrat étudiant. Prenant bonne note de cette initiative, la commission veut croire que le gouvernement, en collaboration avec les partenaires sociaux, sera prochainement en mesure d’annoncer l’abandon de cette pratique de replacement des travailleurs grévistes par des travailleurs sous contrat étudiant, qui constitue un obstacle sérieux à l’exercice du droit de grève.
Augmentation du nombre d’ordonnances rendues sur requête unilatérale. Les organisations syndicales précitées allèguent une recrudescence de la procédure de référé utilisée par des employeurs pour empêcher la mise en place de piquets de grève. Elles expliquent que: i) dans le cadre d’un conflit social récent relatif au passage sous franchise de magasins d’une grande enseigne, de nombreuses requêtes unilatérales ont été déposées par les employeurs qui invoquaient des risques de voies de fait; et ii) les juges de référé saisis ont déclaré les requêtes recevables et fondées, et ce dans plusieurs arrondissements judiciaires à Bruxelles, en Flandres et en Wallonie, privant en pratique les travailleurs du droit de mettre en place des piquets de grève. Les organisations syndicales font observer que ces décisions prescrivent des interdictions drastiques et générales (certaines pour tout le territoire belge) à l’encontre des travailleurs grévistes, sous peine d’astreintes très importantes. Elles dénoncent l’absence de juste équilibre entre les intérêts en présence, les juridictions s’arrogeant selon elles un pouvoir exorbitant dans le conflit, alors que l’absolue nécessité pouvant justifier le recours à la requête unilatérale est d’interprétation stricte. Bien que certaines juridictions aient rétracté trois ordonnances, les organisations syndicales estiment que le nombre d’ordonnances défavorables est en augmentation.
La commission prend note des indications du gouvernement relatives à la procédure en référé devant le Président du Tribunal de Première instance, réservée aux cas d’absolue nécessité et dans laquelle la partie adverses n’est pas convoquée. Le gouvernement informe que: i) il doit y avoir urgence, permettant au justiciable d’obtenir sur le champ une protection judiciaire. L’urgence ne peut pas s’entendre comme la «simple crainte» d’un préjudice irréparable mais comme l’existence ou la menace d’un mal très sérieux. Le caractère urgent est évalué par le juge; ii) le président peut prendre des mesures sans limitation de durée; iii) les ordonnances présidentielles sont exécutoires de plein droit. Ni l’appel ni la tierce opposition ne sont suspensifs de l’exécution; iv) elles peuvent être assorties d’une astreinte en général de 500 à 1000 euro par personne par infraction; et v) un appel peut par ailleurs être interjeté contre l’ordonnance, par les parties requérantes ou intervenantes. Un tiers ayant subi un préjudice à la suite de cette ordonnance a la possibilité de former une tierce opposition. Sur ce point le gouvernement fait observer que les organisations syndicales relèvent que trois juridictions ont récemment rétracté sur tierce opposition trois ordonnances. La commission prend note des informations fournies par le gouvernement comme par les organisations syndicales. Elle note que, selon ces dernières, l’utilisation par certains employeurs de la procédure de requête unilatérale aurait pour objectif de priver les travailleurs de l’exercice d’une modalité essentielle du droit de grève, à savoir la mise en place de piquets de grève, alors que cette procédure de requête est réservée aux cas d’absolue nécessité qui, comme le confirme le gouvernement, est d’interprétation stricte. Sur la question de la présence, à l’entrée des lieux de travail, de piquets de grève destinés à assurer le succès de l’action en persuadant les travailleurs concernés de ne pas travailler, la commission souhaite rappeler qu’elle considère que: i) tant que la grève reste pacifique, les piquets de grève et l’occupation des locaux devraient être permis. Les limitations aux piquets de grève et à l’occupation des locaux ne peuvent être acceptées que si les actions perdent leur caractère pacifique; et ii) il est cependant nécessaire, dans tous les cas, de garantir le respect de la liberté de travail des non-grévistes et le droit de la direction de pénétrer dans les locaux (voir Étude d’ensemble de 2012 sur les conventions fondamentales paragr. 149). Au vu de ce qui précède et observant que les allégations des organisations syndicales portent sur une période récente, la commission prie le gouvernement de fournir des informations sur le nombre et le résultat des décisions judiciaires rendues dans le cadre de la procédure sur requête unilatérale, en ce qui concerne la question des piquets de grève. La commission prie également le gouvernement d’indiquer le montant des amendes encourues le cas échéant, et de fournir des informations sur le nombre de recours en appel ainsi que le résultat de ces recours.
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