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A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes
- 259. Les allégations présentées par la Confédération des travailleurs d'Amérique latine figurent dans deux communications, l'une du 3 mai et l'autre du 21 juin 1956, que l'on analysera séparément.
- Communication du 3 mai 1956
- 260. L'organisation plaignante allègue que le gouvernement colombien aurait instauré une politique de répression en violation des principes établis par la Déclaration universelle des droits de l'homme, politique impliquant une atteinte aux droits essentiels des travailleurs. Le gouvernement préparerait une offensive militaire contre les paysans du département de Tolima.
- 261. Le gouvernement aurait adopté deux décrets faisant du droit d'opinion un délit et supprimant le droit constitutionnel de grève. Le premier de ces décrets interdirait aux travailleurs «unitaires et agissant conformément aux intérêts des travailleurs » l'accession à la direction des organisations syndicales ; il serait interdit sous peine d'un emprisonnement de deux à dix ans de recevoir ou de diffuser les documents des organisations démocratiques internationales, ainsi que d'adhérer à ces organisations.
- 262. En vertu du deuxième décret, le gouvernement s'efforcerait d'empêcher les travailleurs de lutter pour leurs revendications économiques. En particulier, l'organisation plaignante mentionne la disposition suivante qui, à son sens, détruirait complètement le droit de grève reconnu par la Constitution de la Colombie et serait contraire aux résolutions, adoptées aux réunions de l'Organisation internationale du Travail, souscrites par le gouvernement de la Colombie.
- Sont notamment, en conséquence, des services publics, les activités suivantes:
- a) celles qui s'exercent dans un secteur quelconque des pouvoirs publics;
- b) celles des entreprises de transport par terre, par eau et par air, de même que d'adduction d'eau, d'énergie électrique et de télécommunications;
- c) celles des établissements sanitaires de toute classe, tels que les hôpitaux et les cliniques;
- d) celles des institutions d'assistance sociale, de charité et de bienfaisance ;
- e) celles des laiteries, des marchés, des abattoirs et de tous les organismes de distribution de ces établissements, officiels ou privés ;
- f) celles de tous les services d'hygiène et de voirie des villages;
- g) celles qui concernent l'extraction, la préparation et la distribution du sel ;
- h) celles qui concernent l'exploitation, le raffinage, le transport et la distribution du pétrole et de ses dérivés, quand, de l'avis du gouvernement, ils sont destinés à l'approvisionnement normal en combustible ;
- i) toutes autres qui, de l'avis du gouvernement, intéressent la sécurité, la santé, l'enseignement et la vie économique ou sociale de la population. Il appartiendra au gouvernement de décider si les activités dont il est question dans le présent alinéa revêtent le caractère de services publics, après avis préalable du Conseil d'Etat.
- Communication du 21 juin 1956
- 263. Dans cette communication, l'organisation plaignante présente une série de faits qui constituent « les plus effroyables crimes relatés dans l'histoire des pays d'Amérique latine » ; il s'agirait de la violation des droits syndicaux et démocratiques, de l'extermination massive de paysans et d'ouvriers, et de génocide ; il est demandé aux Nations Unies d'intervenir pour mettre fin à une telle situation. Le 24 avril, une vague d'assassinats aurait été lancée « sans aucune raison ni aucune cause qui la justifient » dans différentes localités du département de Colima, que l'organisation plaignante mentionne en détail. Il s'agirait d'un plan pour « pacifier » le pays. Le massacre aurait été effectué par des forces militaires, avec la participation d'un millier d'hommes. C'est à Santo-Domingo que les victimes - dont certaines sont désignées nommément dans la plainte - auraient été les plus nombreuses; des paysans auraient été castrés vivants et obligés de creuser leur propre fosse. A Los Brazuelos, Calarma et Guaipa, 140 paysans auraient été assassinés de manière sauvage ; les femmes auraient été outragées et frappées. De nombreux travailleurs auraient été assassinés alors qu'ils travaillaient dans les plantations de café. On compte, parmi les prisonniers détenus dans les prisons de ces localités, des enfants mineurs. De nombreux prisonniers disparaissent mystérieusement, sans doute assassinés. Le gouvernement estimerait que «les prisonniers politiques posent un problème parce qu'ils servent de drapeau à l'agitation, alors que les morts ne peuvent servir de drapeau que pendant quelques jours ». Les autorités ecclésiastiques auraient protesté, sans résultat, auprès des autorités militaires au sujet de ces crimes ; des milliers de personnes se sont enfuies dans d'autres régions pour sauver leur vie.
- 264. Dans sa communication du 12 septembre 1956, le gouvernement de Colombie présente ses observations sur la plainte du 3 mai 1956. Il déclare tout d'abord, qu'il s'oppose de manière générale à toute forme d'intervention dans les affaires intérieures du pays, ne concédant à aucun organisme international la faculté de transgresser le domaine réservé exclusivement aux Etats, ainsi qu'il est expressément prévu à l'article 2, paragraphe 7, de la Charte des Nations Unies. Toutefois, par déférence envers l'Organisation internationale du Travail, dont la Colombie est Membre depuis sa fondation, le gouvernement, tout en déniant toute valeur aux accusations provenant d'une organisation de tendance communiste, « qui s'efforce systématiquement, de discréditer les gouvernements démocratiques », tient à présenter ses observations sur les charges avancées.
- 265. Le premier décret mentionné par la Confédération des travailleurs d'Amérique latine est vraisemblablement le décret extraordinaire no 0434, du 1er mars 1956, que le gouvernement reproduit dans sa réponse, pris pour réglementer la loi no 6, de 1954, révisant la Constitution nationale, « dans lequel est proclamée l'interdiction du communisme international. Ce texte législatif anticommuniste n'a d'autre fin que la défense de la démocratie et de la civilisation chrétienne, et il est faux d'affirmer que l'on s'efforcerait par ce moyen d'empêcher « les travailleurs unitaires » d'accéder à la direction des syndicats. Il existe en Colombie deux confédérations, de nombreuses fédérations et quelque 700 syndicats, qui exercent leurs droits librement et démocratiquement. Le fait est reconnu par l'Organisation régionale interaméricaine des travailleurs (O.R.I.T.) dans la lettre que reproduit la réponse gouvernementale ; il est dit dans celle-ci, entre autres choses, que «les documents communiqués par notre filiale... montrent la correspondance qui existe entre le syndicalisme indépendant et libre que vous préconisez pour votre pays et le concept de syndicalisme véritable que soutient notre propre O.R.I.T. ». Le délégué des travailleurs de la Colombie, à la 39ème session de la Conférence internationale du Travail, actuellement vice-président de l'Union des travailleurs de Colombie, a déclaré en séance plénière que «la liberté syndicale existe en pratique de façon absolue. Au cours des douze derniers mois, on a tenu 2.987 assemblées syndicales et congrès ouvriers ; dans ce même laps de temps, on a fondé une nouvelle confédération nationale et 80 syndicats de travailleurs, qui fonctionnent actuellement. Il existe maintenant trois centrales ouvrières, qui groupent la quasi-totalité des syndicats ; pour ce qui est de leur orientation et de leurs activités, ces organismes jouissent d'une liberté entière par rapport à l'Etat et les uns par rapport aux autres ». La politique gouvernementale, telle qu'elle ressort de diverses déclarations publiques, soutient «un syndicalisme libre et démocratique, par opposition à un syndicalisme d'orientation gouvernementale ou totalitaire, un syndicalisme professionnel et non politique, c'est-à-dire un syndicalisme qui se soucie des intérêts de la profession, à l'exclusion de toute préoccupation partisane... ; un syndicalisme nationaliste, éloigné du communisme et de toutes les funestes doctrines étrangères, sous quelque étiquette qu'elles se présentent ; un syndicalisme respectueux du sentiment catholique des Colombiens ». En 1955 et 1956, en application de cette politique, la personnalité juridique a été reconnue dans 96 cas, 105 réformes statutaires ont été approuvées, 213 nouvelles directives ont été acceptées, neuf congrès syndicaux ont été convoqués, les comptes de 351 organisations syndicales ont été approuvés, 140 consultations ont été données sur ces questions et 24.840 affaires ont été traitées au département national de la surveillance syndicale.
- 266. En ce qui concerne le deuxième décret mentionné par le Confédération des travailleurs d'Amérique latine, le gouvernement reproduit l'article 18 de la Constitution colombienne, qui dispose : « Le droit de grève est garanti, sauf dans les services publics. La loi en réglementera l'exercice. » L'article 430 du Code du travail établit la réglementation primitive, modifiée ensuite par le décret no 0753 du 5 avril 1956, objet de la plainte de la Confédération des travailleurs d'Amérique latine, décret que le gouvernement reproduit dans sa réponse. Ce dernier décret introduit trois innovations au sujet de l'article 430 du Code du travail: il donne, en premier lieu, une définition technique des « services publics », adoptant le concept plus moderne admis par les auteurs des traités de droit administratif et reconnu par la Cour suprême de justice dès 1944. La définition légale trouve ses antécédents dans un projet de loi préparé par la faculté de droit de l'Université nationale de Colombie et dans un projet présenté en 1937 à la Chambre des représentants par un membre communiste. Il donne, en second lieu, une énumération, non exhaustive, des services publics dans lesquels est interdite la grève, conservant le texte de l'article 430 du Code du travail avec, pour seule addition « l'extraction, la préparation et la distribution du sel ». Enfin, conformément aux deux projets mentionnés, il dispose que seront considérées comme services publics, « toutes autres activités qui, de l'avis du gouvernement, intéressent la sécurité, la santé, l'enseignement et la vie économique ou sociale de la population. Il appartiendra au gouvernement de décider si les activités dont il est question dans le présent alinéa revêtent le caractère de services publics, après avis préalable du Conseil d'Etat ». L'intervention du Conseil d'Etat, organe suprême judiciaire, contentieux et administratif, constitue une garantie pour la communauté en général.
- 267. Le gouvernement conclut en affirmant que les faits mêmes apportent la preuve du manque de fondement des accusations de la Confédération des travailleurs d'Amérique latine : pendant les trois années d'existence du gouvernement actuel, il n'y a eu en Colombie que neuf grèves dans des entreprises désignées expressément dans la réponse gouvernementale, qui n'appartiennent pas au secteur des services publics.
Question préalable relative à la compétence
Question préalable relative à la compétence- 268. Le gouvernement déclare qu'il ne peut accepter - ainsi d'ailleurs que le dispose l'article 2, paragraphe 7, de la Charte des Nations Unies - d'interventions dans ses affaires intérieures, de la part d'organismes internationaux; cependant, par déférence pour l'Organisation internationale du 'travail, il accepte de présenter ses observations sur la plainte de la Confédération des travailleurs d'Amérique latine.
- 269. Dans ces conditions, le Comité désire réaffirmer les conclusions qu'il avait présentées au sujet de cas précédents (cas no 12 : République argentine; cas nos 63 et 102 : Union sud-africaine et cas no 148 : Pologne), en ce sens que, à la lumière de la décision prise en 1950 par la Conférence internationale du Travail à sa 33ème session, il n'est pas nécessaire d'examiner de nouveau la question de la compétence de l'Organisation internationale du Travail à ce sujet.
- Allégations relatives à l'interdiction du communisme
- 270. Selon l'organisation plaignante, un décret prononcé par le gouvernement actuel ferait du droit d'opinion un délit et interdirait à certains travailleurs l'accession à la direction des organisations syndicales. L'adhésion à des organisations démocratiques internationales ainsi que la réception ou la diffusion de documents seraient interdites sous peine d'un emprisonnement de deux à dix ans.
- 271. Le gouvernement déclare qu'il s'agit de la loi no 6, de 1954, et du décret d'exécution y relatif, le décret extraordinaire no 0434 du 1er mars 1956. Le premier texte dispose:
- Article 1er. - Est interdite, l'activité politique du communisme international. La loi réglementera la manière dont prendra effet cette interdiction.
- De son côté, le décret no 0434, de 1956, réglemente la question de la façon suivante:
- Article 1er. - Quiconque prend part à des activités politiques de caractère communiste sera passible d'une peine d'un à cinq ans de travaux forcés ou de la relégation dans une colonie agricole disciplinaire pendant une période de même durée ; de l'interdiction de l'exercice de droits et fonctions publics pendant dix ans ; de l'incapacité d'exercer l'activité de dirigeant syndical pendant le même temps, et il lui sera absolument interdit d'appartenir dans l'avenir aux forces armées...
- La personne à qui s'applique l'une de ces sanctions n'aura droit à aucune des remises de peine accordées par les dispositions antérieures et, s'il s'agit d'un étranger, sera expulsée du territoire national, après avoir purgé sa peine.
- Article 2. - Exercent des activités politiques de caractère communiste, tous ceux qui obéissent à des ordres, des instructions ou des consignes de partis ou organes communistes étrangers ou qui, par quelque moyen que ce soit, préconisent ou s'efforcent d'introduire dans l'organisation de la famille, de la société ou de l'Etat les doctrines et méthodes du communisme international, ou qui assistent en connaissance de cause à des séances ou réunions de ce caractère, que celui-ci soit manifeste ou caché.
- Article 3. - Est présumé coupable de participer à des activités politiques de caractère communiste:
- a) quiconque figure, à sa connaissance et sans protester pour autant, comme membre inscrit d'une organisation communiste dans quelque livre, registre, liste, correspondance ou quelque autre document que ce soit;
- b) quiconque contribue, économiquement, au moyen de cotisations, de dons, à favoriser des objectifs communistes ;
- c) quiconque se soumet occasionnellement, temporairement ou de manière permanente à la discipline d'une organisation communiste;
- d) quiconque exécute des projets ou obéit à des instructions ou des ordres de personnes ou d'organisations communistes, ou les divulgue ou les communique par quelque moyen que ce soit e) quiconque agit comme dirigeant, administrateur, correspondant, messager, agent, propagandiste d'une organisation communiste ou y remplit un rôle similaire ;
- f) quiconque rédige des documents, pamphlets, feuilles volantes, livres ou publications de quelque type que ce soit, à l'appui des buts ou des objectifs du communisme, ou les distribue, les expédie ou les envoie à titre de propagande ;
- g) quiconque exprime la décision d'exécuter les projets, plans, instructions, ou ordres de personnes ou d'organisations communistes tendant à la réalisation des fins ou des objectifs du communisme.
- Article 4. - La justice pénale militaire connaîtra des infractions dont il s'agit dans le présent décret, selon la procédure des conseils de guerre, de forme orale, et, par suite, les arrêts qui seront prononcés seront susceptibles d'appel, de recours en cassation et de révision, comme il est prévu par le Code de justice pénale.
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- 272. Le gouvernement déclare en outre que cette législation anticommuniste ne vise à aucune fin contraire au syndicalisme, mais à la défense de la démocratie. L'Organisation régionale interaméricaine des travailleurs (O.R.I.T.) et le représentant des travailleurs colombiens auraient reconnu que le syndicalisme est libre en Colombie. La politique gouvernementale favorise un syndicalisme libre et démocratique, apolitique, nationaliste et respectueux du catholicisme.
- 273. Il convient d'observer, en premier lieu, que l'organisation plaignante, si elle allègue que cette législation fait un délit du droit d'opinion et interdit à certaines personnes d'accéder à la direction des organisations syndicales, ne mentionne aucun cas concret d'application de cette législation qui aurait abouti expressément à une violation des droits syndicaux. Le décret no 0434, de 1956, toutefois, met dans l'incapacité d'exercer l'activité de dirigeant syndical, pour une période de dix années, « quiconque prend part à des activités politiques de caractère communiste ». Les sanctions sont appliquées par des tribunaux militaires et l'article 3 du décret énumère une série de « présomptions légales » selon lesquelles une personne peut être tenue pour « responsable de participer à des activités politiques de caractère communiste ». Cette situation pourrait impliquer une violation du principe de l'article 3 de la convention (no 87) concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, qui dispose que les organisations de travailleurs et d'employeurs « ont le droit d'élire librement leurs représentants... et de formuler leur programme d'action », et que « les autorités publiques doivent s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal ».
- 274. Le Comité a déjà eu l'occasion d'examiner des cas dans lesquels il était allégué que l'application d'un texte législatif anticommuniste impliquait la violation de la liberté syndicale. Dans les cas nos 63 et 102 (Union sud-africaine), le Comité avait à examiner des allégations relatives à l'application d'une loi sud-africaine de 1950 (modifiée en 1951), sur la suppression du communisme, en vertu de laquelle plusieurs dirigeants syndicaux s'étaient vu interdire de poursuivre toute activité syndicale. Dans le premier de ces cas, le Comité a conclu que, « dans la mesure où la loi sud-africaine de 1950 a été promulguée, comme l'affirme le gouvernement, uniquement pour une raison politique, à savoir celle d'interdire d'une manière générale aux communistes en tant que citoyens toute activité publique, le Comité estime qu'une question de politique nationale interne se pose, qui est hors de sa compétence et à l'égard de laquelle il doit donc s'abstenir d'exprimer une opinion quelconque. Mais étant donné que des mesures d'une nature politique peuvent avoir des répercussions indirectes sur l'exercice des droits syndicaux, le Comité désire attirer l'attention du gouvernement de l'Union sud-africaine sur les vues qu'il a exprimées dans les cas précités relativement, d'une part, au principe de la liberté pour les travailleurs, sans distinction d'aucune sorte, de s'affilier au syndicat de leur choix, et, d'autre part, à l'importance d'une procédure judiciaire régulière lorsque des mesures d'une nature politique peuvent avoir des répercussions indirectes sur l'exercice des droits syndicaux ».
- 275. Dans le présent cas, l'organisation plaignante n'allègue aucun exemple concret de violation de la liberté syndicale, mais fait seulement, ressortir qu'un texte législatif anticommuniste est en vigueur. Dans ces conditions, le Comité réaffirme les conclusions qu'il a formulées dans les cas nos 63 et 102 susmentionnés, en appelant l'attention du gouvernement de la Colombie sur l'importance qu'il attache à ce que l'application de mesures politiques qui peuvent avoir indirectement des répercussions sur le libre exercice des droits syndicaux ne soit pas de nature à entraver la liberté des travailleurs, sans distinction d'aucune sorte, de s'affilier aux organisations de leur choix, ni le droit des organisations syndicales d'élire librement leurs représentants, comme il est stipulé dans les articles 2 et 3 de la convention (no 87) concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, droits que l'incapacité prévue par le décret no 0434 de 1956 risque rait d'amener à méconnaître. Dans ces conditions, le Comité, comme dans les cas susmentionnés, recommande au Conseil d'administration de communiquer les présentes conclusions au gouvernement de la Colombie.
- Allégations relatives au droit de grève dans les services publics
- 276. L'organisation plaignante allègue que le droit de grève - reconnu pourtant par la Constitution colombienne - serait réduit à rien par un décret modifiant le Code du travail, décret qui élargirait considérablement la définition des services publics dans lesquels la grève est interdite ; cette définition élargie comprendrait en effet toutes autres activités qui, de l'avis du gouvernement, intéressent la sécurité, la santé, l'enseignement et la vie économique ou sociale du pays ; il appartiendrait en outre au gouvernement de décider du caractère de service public de telle ou telle activité après avoir pris avis du Conseil d'Etat. De son côté, le gouvernement déclare que la Constitution même, en son article 18, interdit la grève dans les services publics et que le décret mentionné par l'organisation plaignante - décret no 0753, du 5 avril 1956, modifiant l'article 430 du Code du travail - ne fait qu'introduire des modifications techniques et des changements de détail dans la réglementation existante, à savoir : qu'il donne une conception technico-juridique des « services publics » ; qu'il ajoute à l'énumération non exhaustive du Code l'extraction, la préparation et la distribution du sel (voir paragraphe 262 ci-dessus) ; enfin, qu'il dispose qu'il appartiendra au gouvernement, après avis préalable du Conseil d'Etat, d'établir quelles autres activités seront tenues pour des services publics. En outre, ajoute le gouvernement, le défaut de fondement de la plainte, à ce sujet, ressort des faits eux-mêmes : sous la présente administration, il n'a pas éclaté de grève dans ces services, comme le montre une liste détaillée des mouvements de cet ordre, qui accompagne la réponse gouvernementale.
- 277. Le Comité considère que l'unique aspect de la plainte qu'il est appelé à examiner consiste à savoir si les restrictions imposées au droit de grève dans les services publics colombiens impliquent ou non une atteinte aux droits syndicaux.
- 278. En différentes circonstances, le Comité a déjà eu l'occasion de se prononcer sur les restrictions apportées au droit de grève, pour des raisons d'ordre public ou dans des services considérés comme essentiels à la communauté. Dans le cas no 60 (Japon), le Comité - résumant les conclusions auxquelles il avait abouti dans des cas précédents - a conclu « qu'il n'est pas appelé à examiner dans quelles mesures le droit de grève en général - droit qui n'est pas spécialement visé par la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ni par la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949 - doit être considéré comme un droit syndical. Toutefois, dans plusieurs cas antérieurs, et notamment dans celui de la Turquie, le Comité a constaté que le droit de grève est généralement accordé aux travailleurs et à leurs organisations comme faisant partie de leurs droits de défense des intérêts communs. Dans un autre cas, relatif au Brésil (cas no 11), le Comité avait été appelé à examiner la question du refus du droit de grève dans le cas des personnes employés dans des « occupations essentielles» telles que les services d'eau, de gaz et d'électricité, des hôpitaux, et, dans ce cas particulier, les transports et communications. Dans ce cas, le Comité avait noté que les grèves n'étaient absolument interdites que dans les occupations désignées comme ayant un caractère « essentiel ». En conclusion de son examen de ce cas, le Comité avait recommandé au Conseil d'administration d'attirer l'attention du gouvernement brésilien sur l'importance qu'il attachait, dans des cas où les grèves sont interdites dans les occupations essentielles, à assurer des garanties adéquates pour sauvegarder pleinement les intérêts des travailleurs ainsi privés d'un moyen essentiel de défendre leurs intérêts professionnel.»
- 279. Dans le cas présent, le Comité note que le Code du travail de la Colombie prévoit, en ses articles 452 et suivants, une procédure d'arbitrage des conflits collectifs qui ont lieu dans les services publics. Le conflit doit être soumis obligatoirement à un tribunal d'arbitrage tripartite, convoqué par le ministre du Travail (article 453) ; le sentence arbitrale, dont la validité ne peut excéder deux années, met fin au conflit et revêt le caractère d'une convention collective (article 461).
- 280. Dans ces conditions, le Comité note que, bien qu'il existe des procédures visant au règlement des conflits au moyen de l'arbitrage, les restrictions apportées au droit de grève dans les services publics sont importantes, et que le gouverne ment a le droit d'inclure dans la définition de ceux des services publics où les grèves sont interdites, toutes autres activités qui, de l'avis du gouvernement, intéressent la sécurité, la santé, l'enseignement et la vie économique ou sociale de la population et la faculté de décider, après avis préalable du Conseil d'Etat, quelles sont, les activités qui entrent dans les catégories ainsi définies. Le Comité recommande en conséquence au Conseil d'administration d'attirer l'attention du gouvernement sur les possibilités d'abus offertes par un semblable système et de demander au gouvernement de lui fournir des informations sur la mesure dans laquelle les dispositions en question ont été appliquées et sur la jurisprudence du Conseil d'Etat en ces matières.
- Allégations relatives à des massacres de paysans et de travailleurs
- 281. Les allégations relatives à des massacres de paysans et de travailleurs, en avril 1956, par des forces militaires, dans le département de Tolima, figurent principalement dans la communication du 21 juin 1956 de l'organisation plaignante, au sujet de laquelle le gouvernement n'a pas eu la possibilité de présenter ses observations, étant donné qu'elles n'ont été transmises à l'Organisation internationale du Travail, par le Secrétaire des Nations Unies, que le 9 octobre 1956 et communiquées au gouvernement le 23 octobre 1956.
- 282. Ces allégations impliquent, selon la Confédération des travailleurs d'Amérique latine, «les plus effroyables crimes relatés dans l'histoire des pays d'Amérique latine»; « l'extermination massive de paysans et d'ouvriers », un « féroce massacre... sans comparaison dans l'histoire » ; « des crimes barbares qui sont une honte pour toute l'humanité ». En résumé, il s'agirait d'allégations relatives à des violations des droits de l'homme, et du crime de génocide, condamné par les Nations Unies et par «l'humanité tout entière ».
- 283. Le gouvernement de la Colombie n'ayant pas encore eu la possibilité de présenter ses observations sur ces allégations, le Comité, tout en considérant qu'il ne peut se prononcer sur ces allégations ou sur la mesure dans laquelle il se pose une question intéressant les droits syndicaux tant que le gouvernement colombien n'aura pas présenté ses observations, souligne l'importance qu'il a toujours attachée aux libertés civiles fondamentales proclamées dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et à la garantie d'une procédure judiciaire régulière lors de l'examen d'accusations relatives à des infractions à la loi nationale qui peuvent avoir des conséquences sur l'exercice des droits syndicaux. Le Comité fera à nouveau rapport au Conseil d'administration lorsqu'il sera en possession des informations sollicitées du gouvernement.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 284. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration:
- a) de communiquer au gouvernement colombien les observations formulées au paragraphe 275, mais de décider que les allégations relatives à la législation anticommuniste n'appellent pas de sa part un examen plus approfondi ;
- b) d'attirer l'attention du gouvernement sur les possibilités d'abus que présente l'application des dispositions qui donnent au gouvernement la possibilité d'inclure dans la définition des services publics ou la grève est interdite, toutes autres activités qui, de l'avis du gouvernement, intéressent la sécurité, la santé, l'enseignement et la vie économique ou sociale de la population, et de décider, après consultation préalable du Conseil d'Etat, quelles sont les activités qui entrent dans les catégories ainsi définies ; le Comité demande en outre au Conseil d'administration de prier le gouvernement de lui fournir des informations sur la mesure dans laquelle les dispositions en question ont été appliquées et sur la jurisprudence du Conseil d'Etat en ces matières.
- c) de prendre note du présent rapport intérimaire en ce qui concerne les allégations relatives aux massacres de travailleurs et de paysans, dans lequel le Comité indique qu'il lui est impossible de formuler ses conclusions sur ces allégations ou sur la mesure dans laquelle il se pose une question intéressant les droits syndicaux tant que le gouvernement de la Colombie n'aura pas présenté ses observations ; de souligner l'importance qu'il a toujours attachée aux libertés civiles fondamentales proclamées dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et à la garantie d'une procédure judiciaire régulière lors de l'examen d'accusations relatives à des infractions à la loi nationale qui peuvent avoir des conséquences sur l'exercice des droits syndicaux, et de noter que le Comité fera à nouveau rapport au Conseil d'administration lorsqu'il sera en possession des observations sollicitées du gouvernement.
- Genève, le 15 novembre 1956. Roberto AGO, Président.