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- 209. La plainte de l'Association des téléphonistes d'Irlande est contenue dans deux communications adressées directement à l'O.I.T, les 7 octobre et 10 novembre 1965, respectivement, et dans deux télégrammes adressés au Secrétaire général des Nations Unies, les 26 et 30 octobre 1965, et communiqués par ce dernier à l'O.I.T. Le gouvernement de l'Irlande a présenté ses observations au sujet de la plainte dans une communication en date du 20 avril 1966.
- 210. L'Irlande a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collectives, 1949.
A. Allégations relatives à la non-reconnaissance de l'organisation plaignante
A. Allégations relatives à la non-reconnaissance de l'organisation plaignante
- 211. L'organisation plaignante allègue que le gouvernement a refusé de la reconnaître aux fins de négociations, bien qu'elle représente la majorité des téléphonistes du sexe masculin employés à plein temps dans les centraux téléphoniques du Département des postes et des télégraphes. En septembre 1963, la section des téléphonistes de nuit du sexe masculin du Syndicat des postiers s'est démise en bloc de ce syndicat en signe de protestation parce que le Syndicat était résolument incapable de représenter la profession, et elle a constitué l'Association des téléphonistes d'Irlande. Le 27 février 1964, l'Association a demandé officiellement au ministre des Finances de la reconnaître aux fins de négociations, mais il n'a pas été fait droit à cette requête. En conséquence, l'Association a déclenché une grève en mars 1965, puis à nouveau en septembre 1965.
- 212. La demande de reconnaissance de la nouvelle association est motivée, selon l'allégation, par l'incapacité du Syndicat des postiers de redresser les griefs des téléphonistes de nuit du sexe masculin. Quinze pour cent seulement des effectifs masculins sont titularisés, bien que bon nombre d'entre eux aient une longue ancienneté, et lorsque de nombreux candidats se sont inscrits à un concours récent pour la titularisation, ils se sont vu refuser le droit d'admission et ils n'ont pas de possibilités d'avancement. Le plaignant critique également la durée du travail, les fréquents changements de service sans préavis et sans consultation des intéressés, ainsi que l'absence d'indemnités au titre du travail obligatoire en fin de semaine.
- 213. Le gouvernement déclare que le Syndicat des postiers est reconnu dans le cadre du régime de conciliation et d'arbitrage pour la fonction publique du fait qu'il représente environ 9000 employés des postes, parmi lesquels, 1570 téléphonistes de nuit du sexe féminin, 290 téléphonistes de nuit du sexe masculin et 200 téléphonistes auxiliaires du sexe masculin assurant le service de nuit et du dimanche. Le régime en question constitue le système de négociation adopté d'un commun accord par le ministre des Finances et les différentes organisations du personnel de la fonction publique pour examiner les réclamations concernant les salaires et les conditions de service des membres de la fonction publique. Seules les associations du personnel de la fonction publique reconnues par le ministre des Finances aux fins de conciliation et d'arbitrage peuvent être appelées à participer à sa mise en oeuvre. Les associations du personnel parties au régime sont représentées par le Comité du personnel du Conseil général de la fonction publique, que le ministre consulte avant de reconnaître une nouvelle association.
- 214. D'après le gouvernement, l'Association dissidente des téléphonistes d'Irlande compte environ 170 membres, les autres hommes assurant le service téléphonique ayant continué à adhérer au Syndicat des postiers. Lorsque le ministre des Finances consulta le Comité du personnel au sujet de la demande de reconnaissance de l'Association, le Comité recommanda le rejet de la demande pour les raisons qu'il a exposées dans une lettre qu'il a adressée au ministre le 29 janvier 1965.
- 215. Le gouvernement a communiqué le texte de la lettre du Comité du personnel. Dans cette lettre, le Comité déclare que les intérêts légitimes des téléphonistes de nuit du sexe masculin étaient «mieux et plus efficacement» défendus par le Syndicat des postiers dans le cadre du système de conciliation et d'arbitrage, et il a exprimé la conviction que « la reconnaissance officielle d'un groupe dissident tel que l'Association des téléphonistes d'Irlande compromettrait gravement le fonctionnement normal du régime de conciliation et d'arbitrage et pourrait donc faire grandement obstacle à la réalisation des buts ouvertement poursuivis par lui ».
- 216. Le ministre a informé l'Association de la teneur de cette lettre, en déclarant que lui-même ainsi que le ministre des Postes et des Télégraphes désiraient vivement voir les questions touchant la représentation du personnel réglées par des accords entre les parties directement intéressées et que le Syndicat des postiers continuait de représenter la plus grande partie du personnel du service téléphonique. Il a suggéré que l'Association essaie d'engager des pourparlers avec d'autres parties pour surmonter la difficulté et, en attendant, il a différé sa décision sur la suite à donner à la demande de reconnaissance. Mais, déclare le gouvernement, l'Association a déclenché une grève d'une nuit le 30 mars 1965 puis a fait pression pour obtenir sa reconnaissance. En mai 1965, une lettre du ministère des Postes et des Télégraphes attirait à nouveau l'attention de l'Association sur le fait que la décision d'accorder la reconnaissance incombait, certes, au ministère des Finances, mais que si le personnel se divisait sur la question de sa représentation, il plaçait le ministre dans la situation odieuse d'avoir à décider en faveur d'un groupe de fonctionnaires contre un autre. L'Association était à nouveau priée d'organiser, avec le Syndicat des postiers, une rencontre présidée par une personnalité choisie d'un commun accord, mais elle ne donna pas suite à cette invitation. En septembre 1965, le ministre des Postes et des Télégraphes accorda une entrevue aux représentants de l'Association, mais il décida de la différer parce que la presse fit état de menaces de grève de l'Association et que celle-ci omit de confirmer que ces informations avaient été publiées sans son approbation. Le 24 septembre 1965, l'Association déclencha une grève au cours de laquelle se produisirent divers incidents.
- 217. Le gouvernement déclare que le différend se situe, en fait, au niveau d'organisations professionnelles. Dans une déclaration publiée le 3 novembre 1965, le Congrès des syndicats irlandais dit notamment que le Syndicat des postiers et celui des ingénieurs des postes ont offert leur participation à des pourparlers avec l'Association des téléphonistes d'Irlande, qu'il estimait que cette proposition devait être acceptée et que le Congrès lui-même devait enquêter sur le différend. Mais, déclare le gouvernement, l'Association n'a pas demandé l'aide du Congrès pour régler le différend, et elle a repoussé un certain nombre de propositions formulées par le Comité du personnel du régime, qui représente pratiquement tous les fonctionnaires n'ayant pas le grade de directeur. La grève a pris fin le 23 décembre 1965, et tous les membres de l'Association qui se sont présentés pour reprendre leur travail ont été remployés.
- 218. En ce qui concerne l'allégation relative au fait que le Syndicat des postiers n'assure pas la représentation des téléphonistes de nuit du sexe masculin, le gouvernement déclare que le Syndicat, depuis le début de 1964, a mené des négociations en leur faveur, qui ont abouti à deux augmentations de salaire s'élevant globalement à un taux maximum de 29,6 pour cent et à l'octroi d'une nuit supplémentaire de congé par semaine.
- 219. En l'occurrence, le différend porte uniquement sur la reconnaissance d'un syndicat. Il n'a pas été suggéré que des travailleurs se sont vu dénier le droit d'adhérer à l'organisation plaignante. Si la question de la reconnaissance est en fait tranchée par le ministre, il semble manifeste qu'il se laisse guider essentiellement par l'avis du Comité du personnel de l'organisme permanent de négociation collective au sein duquel sont représentés pratiquement tous les membres des services d'exploitation de la fonction publique. Le Syndicat des postiers représente les employés des postes en général et la très forte majorité des opérateurs de téléphone des deux sexes. L'une des catégories des opérateurs téléphonistes - les téléphonistes de nuit du sexe masculin - se trouve désormais représentée en partie par le Syndicat et en partie par l'organisation plaignante; en fait, ces deux organisations s'opposent à propos du droit de représentation exclusive des travailleurs de la catégorie en question. S'il semble qu'au cours des dernières phases du conflit, le Syndicat des postiers ait été disposé à discuter de l'objet du différend avec l'Association, il ne paraît pas que celle-ci soit prête à le faire. Le Comité du personnel existant, dont le Syndicat des postiers est membre, est en fait l'organisme par l'intermédiaire duquel toutes les associations du personnel de la fonction publique bénéficient de ce qui, en fait, constitue des clauses de sécurité syndicale, bien qu'il semble qu'il existe une souplesse suffisante pour permettre d'envisager d'admettre une nouvelle association au sein de l'organisme si cette association est manifestement représentative et ne semble pas devoir perturber toute la procédure actuelle de négociation.
- 220. Comme le Comité l'a déjà relevé dans certains cas antérieurs, il a fait siennes les vues de la Conférence internationale du Travail elle-même, selon lesquelles les questions que soulèvent les clauses de sécurité syndicale doivent être réglementées en conformité de la législation nationale. A cet égard, le Comité a rappelé la déclaration de la Commission des relations professionnelles instituée par la Conférence pour examiner, entre autres, le texte de la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949 (ratifiée par l'Irlande), selon laquelle la Commission a décidé d'indiquer dans son rapport que la convention « ne devrait d'aucune façon être interprétée comme autorisant ou interdisant les clauses de sécurité syndicale et que de telles questions relèvent de la réglementation et de la pratique nationales ». La Conférence a accepté cet avis lorsqu'elle a adopté le rapport de la Commission.
- 221. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration de décider qu'il n'y a pas lieu de poursuivre l'examen de ces allégations.
- Allégations relatives à l'arrestation de syndicalistes ayant participé aux piquets de grève
- 222. L'organisation plaignante allègue que le 25 septembre 1965, à l'occasion de la grève déclenchée par elle, un tribunal a pris une décision provisoire pour empêcher le président, certains des membres désignés de l'Association et ses préposés de constituer des piquets de grève autour du bâtiment des postes. Le 8 octobre, un jugement interlocutoire a été rendu contre les personnes en question et, le 21 octobre, un mandat de dépôt était décerné par la Cour suprême contre trois des six prévenus. Deux des membres de l'Association ont été emprisonnés le 26 octobre « pour avoir fait le piquet de grève à leur poste de travail dans le cadre d'un conflit du travail ». Ces hommes ont fait une grève totale de la faim, à la suite de quoi le gouvernement a demandé et obtenu leur libération sans condition par l'intermédiaire de la Cour suprême. Il est allégué que vingt membres de l'Association ont été mis en prison pour avoir participé à des piquets pacifiques devant le Parlement national, de même que quatre téléphonistes du sexe féminin qui avaient fait cause avec eux, le gouvernement invoquant à cet effet les dispositions de l'article 28, paragraphe 1, de la loi sur les délits contre l'Etat aux termes desquelles « n'est pas considérée comme légale une réunion publique organisée sur la voie publique ou en un lieu fermé, ou un défilé suivant ou traversant la voie publique ou un lieu clos qui est situé en tout ou en partie à moins de 800 mètres d'un édifice dans lequel les deux chambres ou l'une des deux chambres de l'Oireachtas siègent ou sont sur le point de siéger ». De l'avis de l'organisation plaignante, le fait d'invoquer une loi qui est conçue pour les délits politiques contre des citoyens qui font des piquets de grève dans le cadre d'un conflit du travail constitue « une violation injustifiée de la liberté du travail ». L'organisation plaignante déclare que ses membres ont un conflit du travail, par l'intermédiaire de leur employeur (en l'occurrence le ministre des Postes et des Télégraphes), avec le gouvernement et qu'aux termes de la loi sur les conflits du travail de 1906, ils peuvent « se réunir dans ou près d'une maison dans laquelle une personne demeure ou travaille ou exerce une activité ou peut se trouver ».
- 223. Le gouvernement déclare que des piquets ont été placés dans les centraux téléphoniques de Dublin, Cork, Limerick, de l'aéroport de Shannon et dans d'autres localités. Le tribunal accorda une injonction provisoire interdisant aux membres de l'Association de placer des piquets tant que la procédure était en instance. Les membres de l'Association persistèrent cependant à former des piquets de grève dans les locaux des postes et une procédure fut alors engagée pour refus d'obéissance aux décisions de la Cour. Deux membres de l'Association, qui avaient déclaré devant le tribunal ne pas vouloir s'engager à obéir à la décision de la Cour, furent écroués pour outrage à magistrat. En prison, ils refusèrent toute nourriture et ils furent remis en liberté au bout de huit jours, sur ordre de la Cour qui déférait ainsi à la demande du procureur général. Le gouvernement souligne que ces hommes n'ont pas été écroués parce qu'ils avaient formé des piquets de grève mais parce qu'ils avaient refusé de se soumettre à une décision de la Cour. Il leur aurait été loisible d'en appeler à la Cour suprême, mais ils ne l'ont pas fait. Des membres de l'Association ont continué à placer des piquets de grève dans les locaux de postes, mais le ministre des Postes et des Téléphones s'est abstenu de les faire poursuivre. Certains membres, cependant, furent poursuivis en justice pour menaces, intimidation, etc.
- 224. En ce qui concerne l'allégation relative à la mise en place de piquets à proximité du siège du Parlement, le gouvernement déclare que l'article 40 de la Constitution garantit le droit des citoyens de se rassembler pacifiquement et sans armes, sous réserve des mesures qui peuvent être prises par voie législative en vue d'interdire ou de contrôler tout rassemblement à proximité des deux chambres du Parlement, et que l'article 28 de la loi de 1939 sur les délits contre l'Etat se fonde sur cette disposition de la Constitution. Toutefois, le gouvernement déclare qu'aucune des personnes en question n'a été emprisonnée au titre de la loi sur les délits contre l'Etat. Certains de ceux qui avaient été arrêtés dans les conditions prévues par l'article 28 de la loi refusèrent leur mise en liberté sous caution et durent être gardés en détention préventive jusqu'à ce que le tribunal soit saisi de leur cas. Ils furent ensuite jugés et condamnés à une amende par le tribunal de simple police.
- 225. Le Comité a toujours appliqué le principe selon lequel les allégations relatives au droit de grève n'échappent pas à sa compétence dans la mesure où elles touchent à l'exercice des droits syndicaux. Il a souligné que le droit qu'ont les travailleurs et leurs organisations de se mettre en grève leur est généralement reconnu comme moyen légitime de défense de leurs intérêts professionnels. Le Comité a également souligné l'importance qu'il attache aux principes selon lesquels les piquets de grève organisés dans le respect de la loi ne doivent pas voir leur action entravée par les autorités publiques.
- 226. Il ressort des éléments d'information fournis par le gouvernement qu'un certain nombre de personnes ont été arrêtées pour voies de fait, intimidation, etc., et pour des délits commis dans des circonstances illégales à proximité du Parlement. Le Comité n'estime donc pas que ces divers points méritent d'être examinés de façon plus approfondie. Toutefois, il y a un point sur lequel il est difficile de se prononcer, en dépit des informations fournies par le gouvernement. Le gouvernement n'a pas précisé son attitude à l'égard de l'allégation de l'organisation plaignante selon laquelle ses membres avaient un conflit avec leur employeur, le ministre des Postes et des Télégraphes, et que, à l'occasion de ce conflit, ils avaient le droit de mettre en place des piquets pacifiques sur les lieux de l'emploi en vertu de la loi sur les conflits du travail de 1906. Dans ces circonstances, le Comité ne voit pas à l'évidence les motifs pour lesquels la Cour a été invitée à rendre une injonction leur interdisant de placer des piquets sur les lieux de travail - bureaux de postes de Dublin, Limerick, Cork, aéroport de Shannon, etc. - ou les motifs sur lesquels l'injonction rendue a cet égard s'est fondée. Aussi, avant de soumettre au Conseil d'administration ses recommandations sur cet aspect du cas, le Comité prie-t-il le gouvernement de bien vouloir lui fournir des renseignements plus complets sur ce point particulier.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 227. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration:
- a) de décider que les allégations relatives à la non-reconnaissance de l'Association des téléphonistes d'Irlande n'appellent pas un examen plus approfondi;
- b) de prendre note du présent rapport intérimaire du Comité en ce qui concerne les autres allégations, étant entendu que le Comité fera nouvellement rapport à ce sujet au Conseil d'administration lorsqu'il aura reçu les informations complémentaires qu'il a décidé de prier le gouvernement de bien vouloir lui fournir.
- Genève, 25 mai 1966. (Signé) Roberto AGO, président.