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- 279. Des communications contenant des allégations en violation des droits syndicaux au Pérou ont été adressées par les organisations suivantes aux dates indiquées ci-après: Fédération syndicale mondiale (21 et 26 juillet, 2 août, 17 octobre 1977); Confédération mondiale du travail (19, 22 et 28 juillet, 10 août 1977); Congrès permanent d'unité syndicale des travailleurs d'Amérique latine (CPUSTAL) (28 juillet 1977); Centrale latino-américaine des travailleurs (22 juillet 1977); Confédération générale des travailleurs du Pérou (CGTP) et Confédération nationale des travailleurs (CNT) (22 juillet 1977); Union internationale des syndicats des travailleurs des industries alimentaires, tabacs, hôtels et branches connexes (12 août, 26 septembre, 20 octobre 1977); Fédération nationale des travailleurs des mines et de la métallurgie du Pérou (24 octobre 1977); Syndicat des travailleurs de l'entreprise de services commerciaux SA "Sermer" (31 octobre 1977). Le gouvernement a adressé ses observations dans une communication du 14 novembre 1977.
- 280. Le Pérou a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des plaignants
A. Allégations des plaignants
- 281. Les allégations présentées par les diverses organisations plaignantes concernent principalement la grève générale organisée au Pérou le 19 juillet 1977 et les conséquences qui en résultèrent pour les organisations syndicales et leurs dirigeants et militants.
- 282. Plusieurs des organisations plaignantes précisent que cette grève générale avait été déclenchée en vue de lutter contre la hausse des prix et d'obtenir une augmentation des salaires. La Confédération générale des travailleurs du Pérou (CGTP) et la Confédération nationale du travail (CNT) expliquent à cet égard que le gouvernement avait adopté en juin 1976 un programme de redressement économique. Ce programme prévoyait notamment la suppression des subventions aux produits alimentaires, la hausse des prix des combustibles, la réduction des dépenses publiques et la limitation des salaires. Selon ces organisations plaignantes, le gouvernement souhaitait imposer ce programme dans le cadre de "l'état d'urgence" qui était en vigueur dans le pays et qui interdisait les grèves. Les organisations syndicales rejetèrent énergiquement ce programme économique. Le mécontentement général, qui résultait de cette politique et aussi de diverses autres mesures (décret no 011.76 TR qui permet de licencier les travailleurs qui entravent la production; arrestation et déportation de dirigeants syndicaux), donna lieu à de nombreuses actions syndicales. D'importantes manifestations organisées dans les principales villes du Pérou furent réprimées par les forces de police. Des travailleurs furent, en ces occasions, tués, blessés ou arrêtés.
- 283. A Lima, les organisations syndicales légalement reconnues, dont trois confédérations - la CGTP, la CNT et la Centrale des travailleurs de la révolution péruvienne (CTRP) (section de Lima) et de nombreuses fédérations autonomes - appelèrent à une grève générale de protestation de 24 heures le 19 juillet 1977. Ce mouvement fut organisé - précisent les plaignants et notamment la CLAT - alors que tous les recours juridiques et techniques avaient été épuisés et qu'aucune réponse satisfaisante n'avait été donnée par les autorités. D'après les plaignants, la grève fut suivie massivement par les travailleurs de façon disciplinée et organisée. De manière générale, elle se déroula pacifiquement malgré des heurts intervenus à l'extérieur de la ville entre la marine de guerre et les habitants de quartiers suburbains.
- 284. La CMT et la CLAT signalent à cet égard que les affrontements en question provoquèrent la mort de six travailleurs. La CGTP et la CNT pour leur part allèguent que sept personnes trouvèrent la mort et qu'il y eut plusieurs blessés.
- 285. L'ensemble des organisations plaignantes se réfèrent aux nombreuses arrestations de dirigeants et militants syndicaux qui furent opérées à l'occasion de la grève générale. Il est précisé, dans la communication de la CMT du 10 août 1977, que le nombre des travailleurs ainsi arrêtés s'élèverait à 1.500. La CMT et la CLAT mentionnent l'arrestation antérieure au déclenchement de la grève '(le 15 juillet 1977) de Luis Hernández, secrétaire général du Conseil syndical des travailleurs andins, organisation sous régionale pour les pays du groupe andin de la CLAT et de la CMT. La CLAT précise que ce dirigeant syndical a été expulsé au Venezuela. Le secrétaire général de la CGTP, Eduardo Castillo, a été arrêté le 18 juillet alors qu'il sortait du siège de son organisation pour aller dialoguer avec les autorités à une réunion où il avait été convoqué par un chef militaire. Le jour suivant, le secrétaire général de la CNT, Victor Sánchez Zapata, fut à son tour arrêté. De nombreux autres dirigeants de la CGTP, de la CNT, de la CTRP, des fédérations et des organisations de base furent également détenus. Selon la FSA, le ministère de l'Intérieur aurait annoncé son intention de soumettre aux autorités judiciaires les dirigeants des organisations ayant participé à la grève. La FSM précise également que parmi les personnes arrêtées figuraient des travailleurs des mines du centre et du sud du pays ainsi que des zones industrielles de Lima. La FSM, dans sa communication du 17 octobre 1977, indique que les secrétaires généraux de la CGTP et de la CNT ont été libérés, mais que d'autres dirigeants et travailleurs demeurent détenus.
- 286. Pour sa part, l'Union internationale des syndicats des travailleurs des industries alimentaires, tabacs, hôtels et branches connexes déclare que plus de 150 dirigeants du secteur des boissons et de l'alimentation ont été arrêtés. Parmi eux, figure Silverio Velasquez, président de la Fédération des travailleurs des eaux gazeuses et similaires du Pérou et président de la Confédération latino-américaine des travailleurs de l'alimentation. Dans sa communication du 20 octobre 1977, l'organisation plaignante signale que ces dirigeants syndicaux ont été remis en liberté mais qu'ils sont en attente de jugement.
- 287. La Fédération nationale des travailleurs des mines et de la métallurgie se réfère également à l'arrestation ainsi qu'à la déportation de dirigeants syndicaux. Selon cette organisation, le seul délit commis par ces personnes était de représenter et de défendre les droits et les intérêts des travailleurs. Elle ne précise pas si les mesures en question sont liées ou non à la grève du 19 juillet 1977. Sont aussi mentionnées comme arrêtées les personnes suivantes: César Barrera Bazán, secrétaire général du SUTEP; Agustín Ponce Núñez, secrétaire général de la Fédération des brasseries; Victor Diaz Arcelles, secrétaire de la Fédération des mines de Centromín; Cornelio Rivera Trinidad, secrétaire général de la Fédération des mines et de la métallurgie du centre; José Escudo Torres, secrétaire général de la Fédération de l'industrie du bâtiment, des matériaux de construction et similaires, et Jésus Martinez Lajos, secrétaire général du syndicat ouvrier de Toquepala. Sont recherchés José Sono et Luis Martinez, dirigeants du Syndicat des manufactures de nylon. Ont été déportés les dirigeants suivants: Victor Cuadros Paredes, secrétaire général de la Fédération nationale des travailleurs des mines et de la métallurgie; Julián Sierra Corrales, secrétaire à l'organisation de la Fédération des travailleurs de l'industrie métallurgique, et Hugo Blanco, dirigeant de la Confédération paysanne du Pérou.
- 288. Les organisations plaignantes allèguent également que des locaux syndicaux sont occupés par les forces de police, notamment ceux de la CGTP, de la CNT, de la CTRP et de la Fédération du livre.
- 289. Plusieurs plaintes dénoncent la promulgation, par le gouvernement le 22 juillet 1977, du décret suprême no 010.77 TR. Ce décret permet aux entreprises des secteurs public et privé de rompre, pendant une durée de quinze jours, le contrat de travail des dirigeants syndicaux responsables de la grève nationale du 19 juillet. Selon la Fédération nationale des travailleurs des mines et de la métallurgie du Pérou, l'adoption du décret en question faisait suite à d'autres dispositions adoptées depuis le lancement du plan de redressement économique en juin 1976. Ainsi, le gouvernement avait promulgué, le 13 août 1976, le décret suprême no 011.76 TR qui interdisait tout arrêt de travail pendant la durée de l'état d'urgence et autorisait les entreprises à résilier le contrat de travail de ceux qui enfreignaient cette interdiction. Des décrets-lois adoptés en 1976 avaient également suspendu le droit à la stabilité de l'emploi dans divers secteurs: entreprises de presse (décret-loi no 21446 du 16 mars 1976); secteur de la pêche (décret-loi no 21450); entreprises appartenant à "Editora Perce" (décret-loi no 21452 du 23 mars 1976); secteur des mines (décret-loi no 21462 du 6 avril 1976). La Fédération nationale des travailleurs des mines et de la métallurgie remarque en outre que le décret suprême 010.77 TR permettant le licenciement des responsables de la grève générale du 19 juillet prétend déroger à une source de droit supérieure, à savoir le décret-loi no 18471 qui garantit le droit à la stabilité de l'emploi. Ce décret suprême viole également le principe de non rétroactivité de la loi puisqu'il sanctionne par le licenciement des faits survenus avant sa promulgation.
- 290. A propos de l'application de ce décret suprême, la FSM rapporte, dans sa communication du 2 août 1977, que selon la presse péruvienne, 713 dirigeants et militants syndicaux auraient été licenciés. Le ministère de l'Industrie et du Tourisme aurait congédié 51 dirigeants syndicaux qui travaillaient dans des entreprises d'Etat. Des mesures analogues furent adoptées à la suite d'une grève déclenchée le 25 juillet par les travailleurs de l'entreprise d'Etat "Centromín". Seize travailleurs, accusés d'avoir organisé la grève, ont été licenciés. Dans sa communication du 17 octobre 1977, la FSM évalue à plus de 4.000 le nombre de travailleurs licenciés en raison de ce décret.
- 291. L'Union internationale des syndicats des travailleurs des industries alimentaires, tabacs, hôtels et branches connexes signale que plus de 1.500 travailleurs et dirigeants syndicaux du secteur de l'alimentation sont sans travail. Parmi les licenciés figure le secrétaire général de la Fédération des travailleurs des eaux gazeuses et similaires du Pérou, Silverio Velasquez. Le Syndicat des travailleurs de l'entreprise de services commerciaux SA Sermer dresse une liste de 13 travailleurs licenciés de cette entreprise.
- 292. Dans sa plainte, la Fédération nationale des travailleurs des mines et de la métallurgie formule d'autres allégations, notamment à propos du droit à la négociation collective. Sur ce point, l'organisation plaignante se réfère au décret-loi no 21202 du 26 juin 1975 qui institue des "maximums salariaux". Le 9 janvier 1976, le gouvernement a promulgué le décret-loi no 21394 qui limitait les revendications des travailleurs aux seules demandes d'augmentation de salaires. Grâce à l'action des travailleurs, fut adopté, un mois plus tard, le décret-loi no 21427 applicable jusqu'au 31 décembre 1976 qui autorisait les revendications liées aux conditions de travail à condition toutefois qu'elles tendent à faciliter le travail et à améliorer la protection du travailleur dans l'accomplissement de ses tâches. En dépit de cette clause restrictive, les travailleurs réussirent à conclure des conventions qui amélioraient leurs conditions de travail. Pourtant, ces accords furent annulés par les autorités administratives. A la suite de l'adoption du plan de redressement économique, fut promulgué le décret-loi no 21531 qui prolongeait la validité des conventions d'une année à 18 mois et suspendait pendant l'année 1977 les réajustements automatiques de rémunération. Si, par la suite, les décrets-lois nos 21866 et 21899 ont annulé certaines restrictions (maximums salariaux) et accordé certains avantages, ils n'ont cependant pas, selon l'organisation plaignante, compensé la hausse brutale du coût de la vie.
- 293. La Fédération nationale des travailleurs des mines et de la métallurgie dénonce également les refus de reconnaissance des organisations syndicales indépendantes ou de fonctionnaires (Syndicat unique des travailleurs de l'éducation, Service industriel de la marine, Habillements militaires, Postes et télécommunications, Sécurité sociale); le retard indéfini apporté aux procédures de reconnaissance syndicale et l'absence de reconnaissance de la représentativité des organisations syndicales indépendantes (Fédération nationale des travailleurs des mines et de la métallurgie, Fédération des pêcheurs du Pérou).
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 294. Dans sa réponse, le gouvernement brosse en premier lieu un tableau de la situation économique et sociale du pays. Dans le cadre du programme économique établi pour 1977, il a été nécessaire, explique-t-il, de prendre certaines mesures d'austérité en matière de dépenses publiques en vue de réduire le déficit budgétaire et les pressions inflationnistes. Par ailleurs, afin de compenser la diminution du pouvoir d'achat des travailleurs des secteurs public et privé, furent décrétées des augmentations successives des rémunérations, compte tenu de la capacité économique et financière du pays et du programme de stabilité économique. En outre, pour que la production ne soit pas paralysée à un moment où le pays avait besoin de toutes ses ressources matérielles et humaines pour sortir de la crise, le gouvernement promulgua le décret-loi no 11/76/TR qui interdisait pendant l'état d'urgence toute forme d'arrêts collectifs de travail tels que diminution de la production imputable aux travailleurs, débrayages, grèves, etc. Les dispositions légales et administratives en la matière rentreraient en vigueur une fois la situation normale rétablie dans le pays. Le décret-loi autorisait les employeurs à rompre le contrat de travail des travailleurs qui violeraient ces dispositions. De même, les employeurs qui provoqueraient l'arrêt du travail dans une entreprise seraient punis des amendes maximales prévues par la loi.
- 295. A la suite de l'adoption de ces mesures, poursuit le gouvernement, les organes directeurs de quelques centrales syndicales (la CGTP et la CNT), obéissant à des consignes anti-patriotiques d'organisations étrangères, décidèrent de déclencher une grève générale le 19 juillet 1977. Cette décision ne reçut pas l'appui des organisations de base de ces centrales, ni des travailleurs. Les directions confédérales firent alors régner un climat de menace et, le jour de la grève, empêchèrent le libre déplacement des travailleurs en bloquant les routes et en lapidant et incendiant des véhicules de transports publics. Les forces de police furent obligées d'intervenir pour maintenir l'ordre public, et les locaux des confédérations ont dû être occupés car ils servaient de base aux groupes d'agitateurs.
- 296. Au sujet de la détention de dirigeants syndicaux, le gouvernement remarque qu'après l'appel à la grève, il avait convoqué les secrétaires généraux de la CGTP et de la CNT en vue de dialoguer avec eux. Aucune mesure de force n'avait été prise contre eux. Le secrétaire général du Conseil des travailleurs andins, Luis Hernández, de nationalité vénézuélienne, entré au Pérou pour avoir des contacts avec ses organisations affiliées, fut arrêté à Cuzco alors qu'il se livrait à des activités d'agitation politique. Il fut conduit à Lima d'où il partit pour Caracas le 20 juillet 1977.
- 297. Pour les raisons exposées plus haut, la grève connut un succès partiel et entraîna de graves effets pour l'économie nationale. Cependant, le coût le plus élevé fut la perte de vies humaines dont sont directement responsables les agitateurs. Dans la mesure où la grève fut déclenchée dans une intention clairement politique, le gouvernement fut obligé de promulguer le décret suprême no 010/77/TR qui, dans un délai de 15 jours, permettait aux entreprises publiques et privées de licencier les travailleurs dont il était prouvé qu'ils étaient les instigateurs de la grève. Il n'était cependant pas dans l'intention du gouvernement de porter atteinte à la stabilité de l'emploi, ni de protéger une application abusive du décret. De ce fait, il fut demandé au ministère du Travail de procéder à une enquête approfondie sur tous les licenciements afin de vérifier s'ils avaient été effectués en accord avec l'esprit et la lettre du décret. En cas de licenciements injustifiés dûment prouvés, la réintégration immédiate des intéressés fut ordonnée et les entreprises furent sévèrement sanctionnées. En outre, en vertu du décret suprême no 011/77/TR, les entreprises du secteur privé qui avaient procédé à des licenciements furent obligées, dans les 30 jours, d'engager un nombre de travailleurs au moins égal à celui des licenciés et d'en rendre compte au ministère du Travail. Des mesures identiques furent adoptées pour le secteur public dans le cadre du décret-loi no 21902.
- 298. En conclusion, le gouvernement déclare que:
- - la grève organisée le 19 juillet 1977 était illégale et entraîna un grave préjudice à l'économie nationale;
- - l'intervention de la force publique était due à la nécessité d'empêcher et de freiner les abus commis par les agitateurs;
- - les locaux syndicaux furent occupés à titre de mesure préventive et de manière temporaire;
- - les arrestations de quelques travailleurs n'avaient pas pour origine leur activité syndicale ou professionnelle, mais avaient été opérées en raison d'atteintes flagrantes à l'ordre public ou à la sécurité de la vie et du patrimoine de particuliers;
- - aucun dirigeant syndical ni aucun travailleur ne sont actuellement détenus pour leurs activités syndicales;
- - l'expulsion de Luis Hernández fut ordonnée alors que ce dernier se livrait à des activités subversives
- - la promulgation du décret suprême no 010/77/TR fut une mesure transitoire destinée à freiner les actions de sabotage à la production dans un moment de crise nationale;
- - des mesures furent prises en vue de garantir le droit des travailleurs et d'empêcher des abus de la part des employeurs.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 299. Le présent cas concerne essentiellement la grève générale organisée le 19 juillet 1977 par la CGTP, la CNT et diverses autres organisations syndicales péruviennes. Le mouvement a entraîné la mort de certains travailleurs lors de heurts avec les forces de l'ordre, l'arrestation de dirigeants et militants syndicaux, le licenciement de nombreux travailleurs opéré dans le cadre d'une réglementation spéciale adoptée par le gouvernement et l'occupation de locaux syndicaux.
- 300. Le comité observe que la grève s'est déroulée alors que le pays se trouvait en "état d'urgence", période pendant laquelle les arrêts collectifs de travail avaient été interdits. De ce fait, la grève était illégale au regard de la législation nationale. Le gouvernement justifie cette interdiction générale de la grève par la nécessité de remédier à la crise économique qui frappe le pays. Le comité estime à ce sujet que, du fait que l'interdiction générale des grèves constitue une restriction importante à l'un des moyens essentiels dont disposent les travailleurs et leurs organisations pour promouvoir et défendre leurs intérêts professionnels, cette interdiction ne saurait être justifiée que dans une situation de crise nationale aiguë et pour une durée limitée. A cet égard, le comité relève que l'état d'urgence a été instauré en 1976 alors que la grève nationale a été déclenchée un an plus tard en juillet 1977, et seulement pour une durée de 24 heures. D'ailleurs, l'état d'urgence et l'interdiction de la grève qui en résultait ont été levés peu de temps après le 29 août 1977.
- 301. Le comité observe également que les objectifs de la grève sont définis de manière différente par le gouvernement et les plaignants. Pour le gouvernement, les intentions poursuivies en organisant ce mouvement étaient clairement politiques. Le comité remarque cependant que le gouvernement n'apporte pas de précisions sur les éléments qui permettraient de qualifier la grève de politique. En revanche, les plaignants insistent sur le caractère professionnel et syndical du mouvement. Le comité note à cet égard que les appels à la grève signés par les centrales organisatrices protestent contre la politique économique suivie par le gouvernement et la hausse des prix et revendiquent des augmentations de salaires. Par ailleurs, le gouvernement reconnaît lui-même qu'il a dû prendre des mesures d'austérité dans le cadre de sa politique économique. Le comité a eu l'occasion, dans un passé récent, de traiter d'un cas analogue concernant une grève générale de 24 heures destinée à faire aboutir des revendications dont certaines étaient manifestement d'ordre professionnel. Le comité avait rappelé que l'interdiction des grèves visant à exercer une pression sur le gouvernement lorsqu'elles sont dépourvues de caractère professionnel ne porte pas atteinte à la liberté syndicale et que les grèves purement politiques ne tombaient pas dans le champ d'application des principes de la liberté syndicale. Cependant, le comité avait estimé que les travailleurs et leurs organisations doivent pouvoir manifester le cas échéant leur sentiment sur des questions économiques et sociales touchant à leurs intérêts si une telle action se limite à l'expression d'une protestation. Le comité doit cependant ajouter qu'il importe que des mouvements de ce type n'entraînent pas des actes de violence.
- 302. Au sujet de la mort de travailleurs survenue lors de heurts avec les forces de l'ordre, le comité note que, selon le gouvernement, la responsabilité en incombe à des agitateurs. Cependant, celui-ci ne fournit pas de précisions sur les circonstances de ces événements. Le comité rappelle à cet égard qu'à plusieurs reprises dans des cas où la police était intervenue pour disperser les participants à des réunions publiques ou à des manifestations et où il y avait eu pertes de vies humaines, le comité a attaché une grande importance à la nécessité de procéder immédiatement à une enquête impartiale sur les faits et de mener à bien une procédure régulière pour déterminer les motifs de l'action menée par les forces de police et établir les responsabilités. Le comité souhaiterait savoir si une telle enquête a été effectuée et, dans l'affirmative, en connaître les résultats.
- 303. Au sujet des arrestations de militants et dirigeants syndicaux, le comité note que, selon le gouvernement, ces mesures n'avaient pas pour origine l'activité syndicale ou professionnelle des intéressés mais avaient été prises en raison d'atteintes à l'ordre public ou à la sécurité des personnes et des biens. En outre, il note que, toujours selon le gouvernement, aucun dirigeant syndical n'est actuellement détenu pour ses activités syndicales. Cependant, le comité relève que certaines organisations plaignantes ont déclaré que les syndicalistes arrêtés seraient en attente de jugement bien que des libérations soient intervenues, parmi lesquelles celles des secrétaires généraux de la CGTP et de la CNT. Dans ces conditions, tout en notant avec intérêt que des syndicalistes ont été libérés, le comité souhaiterait que le gouvernement indique si certains des syndicalistes arrêtés lors de la grève du 19 juillet 1977 sont toujours détenus et si les intéressés seront soumis à une instance judiciaire. D'ores et déjà, cependant, le comité tient à souligner que des arrestations massives de grévistes comportent de graves risques d'abus et de sérieux dangers pour la liberté syndicale.
- 304. L'une des organisations plaignantes, la Fédération nationale des travailleurs des mines et de la métallurgie, a signalé que certains dirigeants syndicaux sont détenus, poursuivis ou déportés sans qu'elle précise si ces mesures sont liées à la grève du 19 juillet 1977. Le gouvernement n'ayant pas répondu sur ce point, le comité souhaiterait qu'il transmette ses observations à ce sujet.
- 305. A propos de la mesure d'expulsion prise à l'encontre de Luis Hernández, secrétaire général du Conseil syndical des travailleurs andins, le gouvernement indique de façon générale que l'intéressé se livrait à des activités subversives. Le comité souhaiterait que le gouvernement fournisse des précisions sur les activités menées au Pérou par le dirigeant syndical en question et qui ont motivé son expulsion du pays.
- 306. Les licenciements effectués à la suite de la grève du 19 juillet 1977 ont été prononcés en vertu d'une réglementation d'exception qui permettait aux entreprises de résilier le contrat de travail des instigateurs et responsables du mouvement. Une enquête fut menée par le ministère du Travail en vue de vérifier si la réglementation avait été respectée. Il apparaît qu'un très grand nombre de travailleurs ont ainsi perdu leur emploi. Dans ces conditions, la question se pose de savoir si les licenciements ont été opérés uniquement contre les responsables et instigateurs de la grève ou si de nombreux travailleurs n'ont pas été licenciés pour leur simple participation à la grève. Il apparaît d'ailleurs, selon certaines informations, que le gouvernement a relevé un nombre important de cas de licenciements injustifiés.
- 307. Le comité a déjà examiné plusieurs cas de licenciements massifs survenus à la suite d'une grève et a estimé que de telles mesures comportent de graves risques d'abus et de sérieux dangers pour la liberté syndicale. Il a considéré aussi, à ces occasions, que le développement des relations professionnelles pourrait être compromis par une attitude inflexible dans l'application aux travailleurs de sanctions trop sévères pour faits de grève. En raison de ces considérations et de celles exposées au paragraphe 301 au sujet des actions de protestation des travailleurs, le comité estime qu'il serait souhaitable que le gouvernement prenne des mesures pour réexaminer la situation de tous les travailleurs licenciés en vue de leur réintégration.
- 308. Au sujet de l'occupation des locaux syndicaux par la force publique, le gouvernement indique que ces mesures furent prises à titre préventif et de manière temporaire. Sur ce point, le comité tient à rappeler que dans sa résolution concernant les droits syndicaux et leurs relations avec les libertés civiles adoptée à sa 54e session (1970), la Conférence internationale du Travail a considéré que le droit à la protection des biens syndicaux constitue l'une des libertés civiles essentielles à l'exercice normal des droits syndicaux.
- 309. L'une des plaintes s'était référée à divers décrets promulgués depuis 1975 en vue de réglementer la négociation collective. Ces décrets avaient notamment pour but de fixer des maximums salariaux, de limiter les revendications aux seules augmentations de salaires à l'exclusion de celles relatives aux conditions de travail et, enfin, de prolonger la validité des conventions collectives en vigueur. Par la suite, le décret-loi no 21899 du 2 août 1977 a supprimé l'établissement d'un maximum d'augmentation des rémunérations. En vertu de ce décret-loi, les conventions collectives, les résolutions administratives de travail et les sentences arbitrales pourront fixer, comme unique point, une augmentation générale de rémunération conforme à l'évaluation économique et financière de l'entreprise.
- 310. Le comité est pleinement conscient que, dans certaines conditions, les gouvernements peuvent estimer que la situation économique de leur pays appelle, à certains moments, des mesures de stabilisation dans le cadre desquelles il ne serait pas possible que le taux de salaire soit librement fixé par voie de négociation collective. Toutefois, le comité estime que de telles restrictions devraient constituer des mesures d'exception. Le comité considère également que les organisations syndicales devraient avoir la possibilité de négocier les conditions d'emploi. Dans ces conditions, le comité estime qu'un objectif majeur du gouvernement devrait être de rétablir la liberté de négociation collective. Le comité souhaite en outre attirer l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations sur cet aspect du cas.
- 311. La Fédération nationale des travailleurs des mines et de la métallurgie a présenté des allégations relatives aux refus de reconnaissance d'organisations syndicales de fonctionnaires ainsi qu'à l'absence de reconnaissance de la représentativité d'autres organisations (Fédération nationale des travailleurs des mines et de la métallurgie, Fédération des pêcheurs du Pérou). Le comité a déjà traité dans des cas récents des allégations relatives à la situation des organisations de fonctionnaires et de la Fédération des pêcheurs. Il a abouti, dans chacun de ces cas, à des conclusions intérimaires lors de sa session de novembre 1977. Le comité avait en particulier invité le gouvernement à prendre des mesures en vue de reconnaître le libre exercice du droit syndical à tous les travailleurs du secteur public. En conséquence, le comité souhaiterait que le gouvernement adresse ses observations au sujet de la reconnaissance de la représentativité de l'autre organisation mentionnée par les plaignants, à savoir la Fédération nationale des travailleurs des mines et de la métallurgie.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 312. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration:
- a) d'attirer l'attention du gouvernement sur les principes et considérations exposés aux paragraphes 300 à 303, 309 et 306 à 308 ci-dessus en relation avec la grève générale du 19 juillet 1977, et notamment sur le principe selon lequel les travailleurs et leurs organisations doivent pouvoir manifester, le cas échéant, leur sentiment sur des questions économiques et sociales touchant à leurs intérêts à condition qu'une telle action se limite à l'expression d'une protestation et n'entraîne pas des actes de violence;
- b) de noter avec intérêt que certains syndicalistes ont été libérés, en particulier les secrétaires généraux de la CGTP et de la CNT;
- c) de prier le gouvernement d'indiquer si une enquête a été effectuée au sujet de la mort de travailleurs lors de heurts avec la police et, dans l'affirmative, d'en communiquer les résultats; d'indiquer si certains syndicalistes arrêtés lors de la grève du 19 juillet 1977 sont toujours détenus et si les intéressés seront soumis à une instance judiciaire, de communiquer ses observations au sujet des mesures d'arrestation, de recherches et de déportation prises à l'encontre des dirigeants syndicaux mentionnés au paragraphe 287 ci-dessus et de fournir des précisions sur les activités qui ont motivé l'expulsion de Luis Hernández;
- d) pour les raisons indiquées au paragraphe 307 ci-dessus, de signaler au gouvernement qu'il serait souhaitable qu'il prenne des mesures pour réexaminer la situation de tous les travailleurs licenciés en vue de leur réintégration;
- e) d'attirer l'attention du gouvernement sur les principes et considérations exposés au paragraphe 310 ci-dessus concernant la négociation collective, de lui signaler qu'un objectif majeur devrait être de rétablir la liberté de négociation collective et d'attirer l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations sur cet aspect du cas;
- f) de prier le gouvernement de communiquer ses observations au sujet des allégations concernant l'absence de reconnaissance de la représentativité de la Fédération nationale des travailleurs des mines et de la métallurgie;
- g) de noter le présent rapport intérimaire.