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Rapport définitif - Rapport No. 272, Juin 1990

Cas no 1503 (Pérou) - Date de la plainte: 27-JUIN -89 - Clos

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  1. 101. La Confédération mondiale des organisations de la profession enseignante (CMOPE) a présenté une plainte contre le gouvernement du Pérou en violation des droits syndicaux dans une communication en date du 27 juin 1989.
  2. 102. Le Pérou a ratifé la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
  3. 103. A sa réunion de février 1990, le comité avait regretté qu'en dépit du temps écoulé depuis le dépôt de la plainte et la gravité des allégations les observations et les informations demandées au gouvernement ne lui étaient pas parvenues. Depuis lors, le gouvernement a envoyé ses observations dans une communication en date du 27 mars 1990.

A. Allégations de la confédération plaignante

A. Allégations de la confédération plaignante
  1. 104. Dans sa communication en date du 27 juin 1989, la CMOPE présente une plainte au nom de son organisation affiliée, le Syndicat unitaire des travailleurs de l'éducation du Pérou (SUTEP). Elle indique que la situation matérielle des enseignants péruviens est misérable et que leur condition continue à se détériorer, ce qui a provoqué le départ de quelque 40.000 enseignants, qui ont dû être remplacés par des personnes non qualifiées. Le salaire des enseignants se dégrade au rythme de l'inflation qui caractérise le Pérou. A la suite de diverses démarches entreprises par le SUTEP pour obtenir des augmentations de salaires, les autorités ont procédé à la création d'une commission paritaire.
  2. 105. D'après la communication de la CMOPE en 1987, face à l'impossibilité du SUTEP et des autorités de parvenir à un accord salarial, un président du tribunal d'arbitrage a été désigné pour résoudre le conflit. Le 27 janvier 1988, le SUTEP a envoyé une communication au ministère de l'Education dans laquelle il a manifesté son désaccord de ne pas avoir été convoqué par le tribunal d'arbitrage, alors que les accords auraient dû entrer en vigueur le 1er janvier 1988. Le 6 avril 1988, le SUTEP a envoyé à nouveau un rappel au ministère de l'Education. Ce rappel étant resté sans réponse, les dirigeants du SUTEP ont présenté le cas à leur congrès national réuni les 29 et 30 avril 1988. Au cours de ce congrès, une grève nationale d'une durée indéterminée a été décrétée à partir du 8 juin 1988, et la décision a été notifiée aux autorités dans une lettre en date du 3 juin 1988.
  3. 106. Le 7 juin 1988, le ministère de l'Education a introduit un recours devant le juge de première instance, en lui demandant d'ordonner au nom du droit à l'éducation la suspension de l'ordre de grève lancé par le SUTEP. Le juge a ordonné cette suspension un jour où l'ensemble du personnel du ministère de la Justice se trouvait en grève. Le 7 juin, le SUTEP a fait appel de la décision du juge en apportant en plus la preuve que l'ordre de grève avait été effectivement lancé par le congrès du syndicat les 29 et 30 avril. Il a porté plainte auprès du procureur le 10 juin, arguant du fait qu'il y aurait eu des irrégularités dans la procédure devant le juge de première instance.
  4. 107. La CMOPE poursuit en signalant que, dans une résolution en date du 1er juillet 1988, le juge qui avait ordonné la suspension de l'ordre de grève lancé par le SUTEP s'était finalement prononcé sur l'objet même de la plainte, en invoquant le droit à l'éducation pour déclarer "sans effet" l'ordre de grève. Le 5 juillet, le SUTEP a introduit un recours contre la décision du juge et, le même jour, le ministère de l'Education a porté plainte contre le SUTEP pour avoir ignoré la décision du juge concernant la grève. Le SUTEP a interjeté un nouveau recours le 2 septembre 1988 en insistant sur le fait que les autorités n'avaient pas donné suite aux revendications syndicales de 1987. Le 18 octobre, le procureur a confirmé les premières décisions judiciaires et a affirmé que l'appel à la grève était "une violation du droit à l'éducation et à la culture inhérent à la personne humaine, consacré par l'article 2 de la Constitution politique, et portait préjudice aux élèves de l'enseignement primaire et secondaire du pays". Il a ordonné la publication de la sentence au Journal officiel et a condamné les dirigeants du SUTEP aux dépens bien que le syndicat ait interjeté un recours en nullité de la décision le 2 décembre 1988.
  5. 108. La CMOPE indique par ailleurs que le représentant du ministère de l'Education a envoyé le 15 mars 1989 une lettre au juge chargé de l'affaire, en lui demandant d'exiger du comité exécutif du SUTEP une indemnité de 5 milliards d'intis en faveur des parents des élèves n'ayant pu entrer à l'université à cause de la grève. Dans son jugement définitif rendu le 31 mars 1989, le juge a condamné le SUTEP au paiement d'une indemnité de 100 millions d'intis.
  6. 109. La CMOPE signale dans sa communication que, lorsque l'on connaît le niveau des salaires des enseignants au Pérou (moins de 150 francs suisses par mois), il apparaît évident que la mesure répressive qui vise à condamner le SUTEP au paiement d'une indemnité a pour objet d'anéantir l'organisation en confisquant son patrimoine, ce qui n'est qu'une manière déguisée de supprimer le droit syndical.
  7. 110. Toujours d'après la communication de la CMOPE le 9 août 1989, le ministère de l'Education a adopté une autre mesure tendant à limiter en pratique le droit de grève, en accordant divers avantages aux enseignants n'ayant pas participé à la grève, et notamment une bonification de 10 points de leur échelle de salaires. Il ajoute qu'au Pérou règne actuellement un climat de tension dans lequel le secrétaire général du SUTEP, M. Olmedo Auris Melgar, a reçu des menaces de mort en février 1989. La communication de la CMOPE conclut en demandant à l'OIT d'intervenir pour rétablir les négociations, faire respecter le droit de grève, faire suspendre la condamnation au paiement d'une indemnité prononcée par le juge, et garantir la protection des dirigeants syndicaux, notamment celle du secrétaire général du SUTEP.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 111. Dans sa communication en date du 27 mars 1990, le gouvernement affirme qu'il n'existe pas de restrictions au droit de grève et que celui-ci est reconnu par la Constitution du Pérou. De plus, jamais les négociations collectives n'ont été interrompues puisque, au Pérou, les conventions collectives acquièrent force de loi pour les parties lorsqu'il y a un vide, comme le prévoient l'article 54 de la Constitution politique et les normes connexes.
  2. 112. Le gouvernement indique qu'il a toujours respecté le droit de grève, surtout lorsqu'il s'agit des services publics et que ce droit est inscrit dans la Constitution; il est réglementé par le décret suprême no 010-83-PCM; cependant, s'il est certain que la grève est un droit, il est également vrai que son exercice est soumis aux limitations prévues par la loi.
  3. 113. Le gouvernement signale en outre que, dans le cas d'espèce, le pouvoir judiciaire a sanctionné définitivement le SUTEP par la voie civile par une mesure d'amparo qui a condamné les dirigeants au paiement d'une indemnité au ministère de l'Education et aux parents des élèves n'ayant pu recevoir un enseignement au cours de l'année scolaire 1988. Il s'agit d'un jugement ferme et définitif qui doit être exécuté et qui est inexorable, faute de quoi le représentant légal du ministère de l'Education commettrait un délit de prévarication.
  4. 114. En ce qui concerne les menaces de mort qui auraient visé le secrétaire général du SUTEP, M. Olmedo Auris Melgar, le gouvernement indique qu'elles n'existent pas, ce qui apparaît évident du fait que, plus d'un an après les prétendues menaces, M. Auris Melgar est toujours en pleine santé et qu'il jouit de sa liberté; de plus, comme tous les citoyens du Pérou, il dispose du droit d'obtenir des garanties auprès des autorités.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 115. Le comité observe que les allégations en instance dans le présent cas se réfèrent à des restrictions au droit de grève des enseignants, découlant de recours judiciaires et de récompenses par des bonifications aux non-grévistes, à la condamnation des dirigeants du SUTEP au paiement d'une indemnité aux parents des élèves n'ayant pu entrer à l'université en raison de la grève, et à des menaces de mort visant le secrétaire général du SUTEP, M. Olmedo Auris Melgar.
  2. 116. Le comité observe que le SUTEP a pris la décision de lancer un ordre de grève face à l'impossibilité de parvenir à un accord salarial avec les autorités et à l'échec des tentatives de conciliation, faute d'avoir été convoqué par le juge qui préside le tribunal d'arbitrage. A ce sujet, le comité souhaite rappeler qu'il a toujours considéré que le droit de grève est un des droits fondamentaux des travailleurs et de leurs organisations et qu'il constitue un des moyens essentiels dont ils disposent pour promouvoir et pour défendre leurs intérêts professionnels. (Voir Recueil des décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, 3e édition, 1985, paragr. 362 et 363.)
  3. 117. En ce qui concerne la décision judiciaire selon laquelle le mot d'ordre de grève lancé par le SUTEP aurait violé le droit à l'éducation, et la condamnation au paiement d'une indemnité aux parents des élèves victimes de la grève, le comité rappelle que le droit de grève ne peut faire l'objet de restrictions, voire d'une interdiction dans la fonction publique, que lorsque les fonctionnaires publics agissent en tant qu'organes de la puissance publique, ou qu'ils exercent leurs responsabilités dans des services essentiels, au sens strict du terme (à savoir des services dont l'interruption risque de mettre en péril la vie, la sécurité ou la santé de la personne dans tout ou partie de la population). (Voir à ce sujet, par exemple, le cas no 1140 (Colombie), paragr. 144, 236e rapport du comité.) En outre, le comité a estimé que les enseignants ne tombaient pas dans la définition des services essentiels ou de la fonction publique exerçant des prérogatives de puissance publique. (Voir à ce sujet, par exemple, cas no 1173 (Canada/Colombie britannique), paragr. 577, 230e rapport du comité.) Le comité demande donc au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour que les enseignants puissent exercer librement leur droit de grève.
  4. 118. En ce qui concerne les mesures accordées par le ministère de l'Education pour faire bénéficier les enseignants n'ayant pas participé à la grève d'une bonification dans leur échelle de salaires, le comité estime que de telles pratiques discriminatoires constituent un obstacle important au droit des syndicats d'organiser leurs activités.
  5. 119. S'agissant des menaces de mort visant le secrétaire général du SUTEP, M. Olmedo Auris Melgar, en février 1989, le comité rappelle qu'un mouvement syndical réellement libre et indépendant ne peut se développer que dans un climat exempt de violence et d'incertitude. Il demande au gouvernement d'ouvrir une enquête afin de déterminer l'origine de ces menaces et de garantir l'intégrité physique de ce dirigeant syndical.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 120. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) D'une manière générale, le comité regrette que le gouvernement ait tardé à envoyer ses commentaires et observations sur la présente plainte.
    • b) Au sujet des restrictions imposées à l'exercice du droit de grève des enseignants, le comité demande au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que les enseignants puissent exercer librement le droit de grève.
    • c) En ce qui concerne la pratique qui a consisté à faire bénéficier les enseignants n'ayant pas participé à la grève d'une bonification de leur échelle de salaires, le comité estime que cette pratique discriminatoire constitue un obstacle important au droit des syndicats d'organiser leurs activités.
    • d) En relation avec les menaces de mort visant le secrétaire général du SUTEP, M. Olmedo Auris Melgar, en février 1989, le comité demande au gouvernement d'ouvrir une enquête afin de déterminer l'origine de ces menaces et de garantir l'intégrité physique de ce dirigeant.
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