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- 561. La plainte figure dans une communication de la Centrale latino-américaine des travailleurs (CLAT) en date du 14 février 2007.
- 562. Le gouvernement a fait part de ses observations dans des communications en date des 21 mai, 11 juin et 15 août 2007.
- 563. El Salvador a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations de l’organisation plaignante
A. Allégations de l’organisation plaignante- 564. Dans sa communication du 14 février 2007, la Centrale latino-américaine des travailleurs (CLAT) indique que M. Vicente Ramírez, président de l’Association nationale des vendeurs et petits commerçants salvadoriens (ANTRAVEPECOS), est le premier dirigeant des travailleurs de l’économie informelle d’El Salvador qui a participé à diverses mobilisations en défense des travailleurs de la municipalité d’Apopa; elle ajoute que le 10 février 2007 a eu lieu une intervention des autorités municipales visant, sur ordre d’un juge, à déloger ces travailleurs. Des faits de ce type se produisent depuis 1998.
- 565. La CLAT ajoute qu’immédiatement après l’assaut des autorités M. Vicente Ramírez a protesté contre la mesure d’expulsion dont il faisait l’objet sur le site où il exerce son activité. Le 16 février 2007, le tribunal a émis un ordre de détention provisoire à son encontre, alléguant d’actes de terrorisme, et le jour même M. Vicente Ramírez a été privé de liberté ainsi que deux autres dirigeants – Mme Suyapa Martínez et M. Luis Cantarero. Une fois la mesure de détention à leur encontre exécutée, ces dirigeants ont été accusés en vertu de la loi spéciale contre les actes de terrorisme, au motif que la mobilisation des travailleurs de l’économie informelle constituait un acte terroriste.
- 566. La CLAT indique que cette accusation arbitraire pourrait déboucher sur une peine de quarante à soixante années de prison. Les accusations portées par le juge de paix contre ces dirigeants ne sont pas conformes à la vérité, car exprimer ouvertement et publiquement son refus d’être expulsé sans contre-proposition garantissant un travail et un moyen de subsistance quotidien à tous les travailleurs et à leurs familles ne constitue pas un acte terroriste; en revanche, la situation créée est une violation manifeste des droits fondamentaux qui illustre, une fois de plus, l’absence de liberté syndicale. La défense du droit au travail promu par le BIT en El Salvador dans le Programme mondial de l’emploi est un exercice naturel des droits de l’homme, et la mobilisation/manifestation relève de l’exercice de ce droit, raison pour laquelle la CLAT rejette catégoriquement les termes de cette accusation infondée. Elle souligne que les procédures administratives et judiciaires qui ont été utilisées, notamment le recours à une loi antiterroriste pour réprimer une manifestation syndicale, sont de tous les points de vue inacceptables et témoignent de la politique antisyndicale que les autorités municipales et nationales pratiquent, en violation de la convention no 87 de l’OIT.
- 567. La CLAT demande que les trois syndicalistes soient immédiatement libérés et que soient abandonnées les charges qui pèsent contre eux pour que soient pleinement respectées les dispositions suivantes de la convention no 87: «La législation nationale ne peut porter atteinte ni être appliquée de manière à porter atteinte aux garanties prévues par la présente convention», ainsi que de la convention no 98: «Les travailleurs doivent bénéficier d’une protection adéquate contre tous actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d’emploi. Une telle protection doit notamment s’appliquer en ce qui concerne les actes ayant pour but de: (…) b) congédier un travailleur ou lui porter préjudice par tous autres moyens, en raison de son affiliation syndicale ou de sa participation à des activités syndicales en dehors des heures de travail ou, avec le consentement de l’employeur, durant les heures de travail.»
- B. Réponse du gouvernement
- 568. Dans sa communication du 21 mai 2007, le gouvernement déclare qu’effectivement, comme l’a indiqué l’organisation plaignante, M. Vicente Ramírez, président de l’Association nationale des vendeurs et petits commerçants salvadoriens (ANTRAVEPECOS), a été arrêté; ce qui n’est pas vrai en revanche, c’est qu’il l’ait été alors qu’il participait à une manifestation contre l’expulsion de leur lieu de travail des membres qu’il représente. Son arrestation a eu lieu six jours après cette manifestation, laquelle a occasionné des dommages matériels et personnels tant à la municipalité qu’à ses employés. La détention de M. Ramírez s’inscrit effectivement dans le cadre de la réorganisation des différents vendeurs et petits commerçants du marché municipal et des zones limitrophes de la ville d’Apopa.
- 569. Pour cette réorganisation, la mairie d’Apopa a convoqué plusieurs réunions avec les représentants de l’Association nationale des vendeurs et petits commerçants salvadoriens (ANTRAVEPECOS) afin de réglementer l’utilisation des parcs, des rues, des trottoirs et autres lieux publics et ainsi de garantir la libre circulation dans ces lieux, les parties ayant décidé de s’asseoir à la table des négociations et de se concerter pour faciliter l’adoption d’accords mutuellement satisfaisants par lesquels elles s’engageraient à ne pas provoquer de violences ni à y recourir, ainsi qu’à d’autres moyens en dehors de la ville d’Apopa.
- 570. Cependant, le 10 février 2007, en signe de désaccord avec la réorganisation prévue, les vendeurs ont organisé une marche de protestation au cours de laquelle ils ont proféré des injures et lancé des pierres et des pavés contre le patrimoine municipal; ils ont aussi incendié un véhicule municipal et en ont endommagé d’autres qui se trouvaient à proximité. Certains employés de mairie ont été victimes de ces actes de vandalisme. Devant cette situation, le Procureur général de la République, à la demande de la mairie d’Apopa, a lancé à une enquête pour déterminer qui parmi les participants étaient responsables des lésions et dommages matériels occasionnés. Sur la base de témoignages et de photographies, le procureur est parvenu à établir que M. José Vicente Ramírez se trouvait sur le lieu du délit, organisant et dirigeant la manifestation, qu’il a lancé des objets contondants et incité les autres à l’imiter afin d’endommager le patrimoine de la commune.
- 571. Le gouvernement ajoute que, selon l’enquête du procureur, les témoins présents assurent que M. José Vicente Ramírez a remis à M. Luis Cantarero Castro un récipient qui contenait une substance inflammable (essence), avec laquelle ils ont mis le feu au véhicule municipal.
- 572. Fort de ces preuves, le Procureur général de la République a saisi le juge d’Apopa, avec ordre formel de détention provisoire à l’encontre de M. José Vicente Ramírez, pour délit qualifié d’actes terroristes commis avec armes, substances ou engins explosifs, agents chimiques, biologiques ou radiologiques, armes de destruction massive ou articles similaires, tel que prévu et sanctionné à l’article 15 de la loi spéciale contre les actes de terrorisme, aggravé conformément à l’article 34 a), c), g), h) et j) de ladite loi, au préjudice de l’ordre public. Ce délit découle de la mise en danger de biens juridiques protégés, comme l’intégrité de la personne, la liberté, la propriété, la tranquillité publique, etc., biens consacrés par la Constitution aux articles 1 et 2, de sorte que se trouvent réunies les conditions fixées à l’article 292 du Code de procédure pénale pour établir l’un des principes de l’apparence du droit (fumus bonis iuris) en ce qui concerne ces mesures.
- 573. La détention provisoire n’est pas la règle générale, mais dans ce cas le juge de paix a décidé que l’exception s’imposait, le délit étant considéré de gravité majeure, passible d’une peine de prison supérieure à trois ans (acte délictueux), et ayant par ailleurs troublé l’ordre social. Cette décision résulte aussi du fait que l’accusé a plusieurs lieux de résidence mais pas de domicile établi, d’où la probabilité que sa remise en liberté ne facilite ses déplacements et donc la possibilité pour lui de se cacher à l’intérieur du pays, avec le risque de faire obstacle à l’enquête et à l’action de la justice.
- 574. Le 2 mars 2007, le défenseur de M. Vicente Ramírez a demandé au juge d’instruction d’Apopa une audience spéciale en révision de la détention provisoire pour le délit susmentionné. Lors de cette audience, M. Vicente Ramírez a demandé sa libération sous caution au motif qu’il avait un domicile établi, ce qui d’après le tribunal n’a pu être vérifié. Aussi la mesure de détention préventive a-t-elle été confirmée.
- 575. L’audience préliminaire initialement fixée au 18 avril 2007 a été reportée au 6 juin 2007, à 10 heures, conformément à l’article 275 du Code de procédure pénale, à la demande du représentant du procureur qui souhaitait poursuivre l’enquête.
- 576. Comme on peut le constater, la détention de M. Vicente Ramírez se fonde sur les dommages matériels causés à la commune d’Apopa, ainsi qu’aux troubles de l’ordre public auxquels il a participé directement, ces faits étant réglementés par la procédure pénale nationale. Le gouvernement affirme donc catégoriquement que la détention de M. Ramírez n’a aucun lien avec des questions de travail, ni a fortiori avec la violation de l’exercice des droits syndicaux. Dans le présent cas, M. Ramírez n’appartient à aucun syndicat ni n’en représente aucun au sens strict.
- 577. El Salvador est un pays démocratique qui respecte les libertés, mais qui est régi par le droit en vertu duquel toute personne ou tout fonctionnaire est assujetti à des lois qu’il doit respecter. En tant que pays démocratique, El Salvador respecte la liberté d’expression telle que consacrée par les articles 29, 2, de la Déclaration universelle des droits de l’homme, 19, 3, a), b), et 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et 13, 1, 2, a), b), de la Convention américaine relative aux droits de l’homme.
- 578. Considérant les éléments susmentionnés, le gouvernement considère que les faits allégués ne constituent pas une violation des droits syndicaux et qu’il convient donc de classer la présente plainte.
- 579. Dans sa communication du 11 juin 2007, le gouvernement signale que l’audience préliminaire de MM. Vicente Ramírez et Luis Alonso Cantarero et de Mme Suyapa Martínez, jugés pour actes de terrorisme, a bien eu lieu le 6 juin 2007. A l’issue de cette audience, le juge d’instruction a décidé que les faits pour lesquels MM. Ramírez et Cantarero et Mme Martínez ont été emprisonnés ne peuvent être qualifiés d’actes de terrorisme, que la loi spéciale contre les actes de terrorisme ne peut donc s’appliquer et qu’ils seront jugés pour délit commun de blessures et dommages graves, conformément aux articles 143, 221 et 222 du Code pénal. Le juge a par ailleurs décidé que MM. Ramírez et Cantarero et Mme Martínez devaient être maintenus en prison pendant l’audience (publique) au cours de laquelle le jugement serait rendu. Le gouvernement réaffirme que les détentions n’ont aucun rapport avec des questions de travail, ni a fortiori avec une violation des droits syndicaux.
- 580. Dans sa communication du 15 août 2007, le gouvernement déclare que l’audience du 5 juillet 2007 devant la cinquième juridiction de San Salvador, dans laquelle MM. Ramírez et Cantarero étaient inculpés de délits de blessures et dommages graves conformément aux articles 143, 221 et 222 du Code pénal, a abouti à leur libération suite à un règlement amiable avec les victimes des délits susmentionnés. Selon ce règlement amiable, les personnes impliquées paieront 6 943,65 dollars, dont 3 000 dollars ont été remis lors de l’audience à la représentante légale de la municipalité d’Apopa en présence du juge. Il est clair, au vu de cette information, que les détentions de MM. Vicente Ramírez, Luis Alonso Cantarero et de Mme Suyapa Martínez n’avaient aucun motif lié au travail, ni a fortiori de nature à limiter leurs fonctions en tant que dirigeants syndicaux.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 581. Le comité note que, dans la présente plainte, l’organisation plaignante indique que MM. Vicente Ramírez et Luis Cantarero et Mme Suyapa Martínez, dirigeants de l’Association nationale des vendeurs et petits commerçants salvadoriens (ANTRAVEPECOS), sont détenus et jugés pour actes terroristes, alors qu’en réalité ils n’ont fait que participer à une manifestation contre l’expulsion des vendeurs et commerçants de l’économie informelle par les autorités municipales d’Apopa sur ordre du juge.
- 582. Le comité prend note des déclarations du gouvernement selon lesquelles: 1) M. Vicente Ramírez a été arrêté non pas au cours d’une manifestation contre l’expulsion de leur lieu de travail des membres qu’il représente, mais six jours après les manifestations de rue qui ont occasionné des dommages matériels et personnels à la mairie et à ses employés; 2) ces emprisonnements s’inscrivent dans le cadre de la réorganisation des vendeurs et petits commerçants du marché municipal et zones limitrophes de la commune d’Apopa, les parties ayant décidé de s’asseoir à la table des négociations et de se concerter en s’engageant à ne pas recourir à la violence; 3) malgré cela, le 10 février 2007, en désaccord avec la réorganisation prévue, les vendeurs ont organisé une manifestation au cours de laquelle ils ont lancé des pierres et des pavés, incendié ou endommagé des véhicules, blessant certains employés de la mairie; 4) le procureur est parvenu à établir que M. Vicente Ramírez dirigeait la manifestation, qu’il a lancé des objets contondants, incitant d’autres personnes à l’imiter; des témoins qui étaient présents ont assuré que ce dernier a remis à M. Luis Cantarero un récipient contenant de l’essence avec laquelle ils ont mis le feu à un véhicule; 5) à la demande du procureur, le juge de paix d’Apopa a ordonné la détention provisoire de José Vicente Ramírez, la liberté provisoire lui étant refusée notamment au motif que son domicile n’a pu être établi; 6) lors de l’audience préliminaire (6 juin 2007), le juge a décidé que MM. Ramírez et Cantarero et Mme Martínez n’avaient pas commis d’actes de terrorisme mais qu’ils seraient jugés pour délits communs de blessures graves sur personnes et dommages graves sanctionnés par le Code pénal; il a décidé également qu’ils seraient maintenus en prison pendant l’audience publique; 7) les deux syndicalistes ont retrouvé leur liberté à l’audience du 5 juillet 2007 devant l’autorité judiciaire suite à un règlement amiable avec les victimes des délits mentionnés auxquelles ils verseront 6 943,65 dollars; 8) ces emprisonnements n’étaient pas liés à l’exercice des droits syndicaux mais se fondent sur des faits qualifiés de délit. Le comité rappelle l’article 8 de la convention no 87 qui dispose que, dans l’exercice des droits qui leur sont reconnus par la présente convention, les travailleurs, les employeurs et leurs organisations respectives sont tenus, à l’instar des autres personnes ou collectivités organisées, de respecter la légalité.
- 583. Tout en notant que les versions des organisations plaignantes et du gouvernement sur les faits allégués sont contradictoires, le comité prend note du règlement amiable (dans le cadre de la procédure judiciaire) entre les syndicalistes MM. Ramírez et Cantarero, d’une part, et les victimes, d’autre part. Etant donné que la dernière communication du gouvernement ne contient aucune information sur la situation de la syndicaliste Mme Suyapa Martínez (détenue dans le cadre d’un procès pénal), le comité demande au gouvernement de lui communiquer le texte du jugement qui sera rendu à l’égard de cette syndicaliste et espère que l’autorité judiciaire se prononcera très prochainement.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 584. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver la recommandation suivante:
- Le comité demande au gouvernement de lui communiquer le texte du jugement qui sera rendu à l’égard de la syndicaliste Suyapa Martínez et espère que l’autorité judiciaire se prononcera très prochainement.