Allégations: Refus des autorités de recevoir les dirigeants de l’Association des
inspecteurs du travail de la République dominicaine, mesures de mutation et avertissements à
l’encontre de syndicalistes en raison de leur participation à une manifestation
pacifique
- 182. La plainte figure dans une communication de la Confédération
nationale de l’unité syndicale (CNUS) en date du 3 avril 2014.
- 183. Le gouvernement a fait parvenir ses observations dans une
communication en date du 29 juillet 2014.
- 184. La République dominicaine a ratifié la convention (nº 87) sur la
liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (nº 98) sur
le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations de l’organisation plaignante
A. Allégations de l’organisation plaignante- 185. Dans sa communication du 3 avril 2014, la Confédération nationale de
l’unité syndicale (CNUS) allègue que, depuis sa création, l’Association des inspecteurs
du travail de la République dominicaine (ASITRAREDO) s’efforce, par tous les moyens
prévus par la loi, de renforcer la qualité des services d’inspection en améliorant les
conditions de travail et de vie des inspecteurs du travail. Dans ce cadre, l’ASITRAREDO
a demandé, d’abord de vive voix puis par écrit, à être reçue par la ministre du Travail
afin de lui soumettre un certain nombre de problèmes affectant l’association et les
inspecteurs. Cependant, le ministère n’a pas donné suite à ces demandes de rendez-vous
qui visaient l’instauration d’un dialogue.
- 186. L’organisation plaignante indique que, par la suite, en représailles
des demandes ainsi présentées et des activités syndicales et associatives du mouvement,
la ministre du Travail a ordonné la mutation de dix inspecteurs dans des sections
situées dans des lieux reculés. Ainsi, M. Enemencio Matos Gómez (président de
l’association), Mme Evelyn Geraldina Mejía Mejía (secrétaire aux affaires financières),
Mme Elizabeth Batista (membre de la Commission de discipline) et M. Víctor Guerrero
Ogando (secrétaire aux relations internationales) ont été mutés dans des sections très
éloignées de leur lieu d’affectation précédent et de l’endroit où ils résidaient avec
leur famille, alors même qu’ils y avaient entrepris des études qui devaient leur
permettre de se perfectionner, ce qui leur a causé un préjudice économique et personnel
considérable.
- 187. L’organisation plaignante allègue que, face au refus de la ministre
du Travail de lui concéder un entretien, l’ASITRAREDO a dressé la liste des problèmes
qu’elle souhaitait lui soumettre et, dans une communication reçue par le secrétariat de
la ministre en date du 16 novembre 2012, elle a exposé dans le détail chacun des points
appelant un examen conjoint et des mesures concertées, en renouvelant sa demande
d’entretien. L’association demandait notamment la réaffectation à leur poste antérieur
des inspecteurs mutés, plusieurs mesures à caractère financier, la mise à disposition
dans les locaux du ministère du Travail d’un espace réservé à l’association, qui
regroupe des inspecteurs, du personnel d’encadrement et des représentants de
l’administration du travail affectés dans des antennes locales, et l’organisation de
concours internes ouverts à tous les inspecteurs sur un pied d’égalité pour pourvoir les
postes de représentants dans une antenne locale devenus vacants.
- 188. La ministre n’ayant pas donné suite non plus à cette nouvelle
demande, et comme les problèmes affectant les inspecteurs perduraient, l’association a
envisagé d’autres moyens pour faire entendre sa voix et obtenir satisfaction, et elle a
décidé dans ce cadre d’organiser une manifestation qui devait se tenir devant le
ministère du Travail.
- 189. Le 5 novembre 2013 à 11 heures, l’ASITRAREDO a effectivement
manifesté devant le ministère du Travail, en présence de représentants de la CNUS, avec
qui elle avait coordonné l’événement. Cette manifestation s’est déroulée de façon
pacifique, dans un respect absolu des personnes et des biens. Cependant, la ministre du
Travail n’a pas accepté de recevoir les représentants de l’association pour chercher à
résoudre les problèmes que celle-ci dénonçait; au contraire, en date du 11 novembre
2013, elle a prononcé un avertissement contre plusieurs de ses dirigeants, en l’espèce
MM. Enemencio Matos Gómez, Agustín del Carmen, Víctor Guerrero Ogando, Mme Evelyn
Geraldina Mejía Mejía et M. Juan Manuel Mercedes Montaño, et contre 14 autres de ses
membres, en représailles des revendications légitimes qu’ils avaient présentées. Il
apparaît par conséquent que, face aux activités syndicales menées par les inspecteurs et
à leur exercice de la liberté syndicale, la ministre du Travail a pris, dans un esprit
de représailles, des mesures qui constituent une violation flagrante de la Constitution
et des conventions de l’OIT sur la liberté syndicale ratifiées par le pays.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 190. Dans sa communication du 29 juillet 2014, le gouvernement indique
que l’analyse de la plainte présentée par la CNUS a montré que plusieurs éléments
appelaient une réponse. Ainsi, lorsque la CNUS laisse entendre que les autorités
dominicaines, notamment le ministère du Travail, refusent de reconnaître l’ASITRAREDO,
il précise que le ministère du Travail n’a fait aucune déclaration ni pris aucune mesure
à l’encontre de la liberté syndicale, droit reconnu à l’ensemble des agents du ministère
du Travail. Tout au contraire, le ministère a apporté son soutien à chacune des
directions successives de l’association depuis sa création, notamment à la première
d’entre elles, placée sous la présidence de M. Dionicio Morel, inspecteur du travail en
chef, puis à celle de M. Andrés Valentín Herrera, actuel responsable de la Direction
générale du travail, et, enfin, à celle de M. Daniel Jiménez et celle de M. Enemencio
Matos, président de la direction actuelle, qui a été reçu par la ministre du Travail,
seul ou au sein de délégations représentant l’association.
- 191. S’agissant des différentes demandes présentées par l’ASITRAREDO au
ministère, il convient de signaler que, pour mieux comprendre les différents problèmes
soulevés par l’association, la ministre du Travail a constitué une commission placée
sous la direction du vice-ministre, du responsable de la Direction générale du travail
et du coordonnateur de l’inspection, qui a convoqué plusieurs réunions devant permettre
d’examiner chacun des aspects mentionnés.
- 192. Par ailleurs, en ce qui concerne l’allégation selon laquelle les
inspecteurs du travail ont été mutés vers des lieux éloignés, en représailles des
demandes qu’ils avaient présentées, le gouvernement précise que 60 pour cent des
inspecteurs résident, avec leur famille, dans les deux principales villes du pays
(Saint-Domingue et Santiago de los Caballeros) et qu’il peut arriver par conséquent,
sans que cela n’ait rien d’anormal, que ces agents soient mutés dans l’une des autres
sections de l’inspection du travail, qui comprend 40 antennes réparties sur l’ensemble
du territoire national. L’absence d’intention de nuire dans les mutations de ces
dernières années est illustrée par le cas du président de l’ASITRAREDO, M. Enemencio
Matos, affecté à une section plus proche de son domicile de 150 km environ, ou encore
par celui de M. Víctor Guerrero Ogando, juriste et secrétaire aux affaires intérieures,
rapproché de son domicile de 80 km environ. Le gouvernement souligne que tous les
inspecteurs sont parfaitement informés que, une fois recrutés, ils pourront être
affectés sur des lieux éventuellement éloignés de leur domicile, et qu’ils acceptent par
conséquent, par consentement exprès, d’être réaffectés périodiquement ailleurs que sur
leur lieu de résidence. Le gouvernement joint copie des formulaires d’acceptation
correspondants.
- 193. S’agissant de la liste de points soumise au ministère du Travail par
l’ASITRAREDO, le gouvernement indique que l’institution a répondu au fur et à mesure à
chacune des questions qui y figuraient, et il fournit de nombreuses précisions à cet
égard, notamment sur les aspects financiers des conditions d’emploi et la question des
concours. S’agissant de la demande présentée par l’ASITRAREDO quant à la mise à
disposition d’un espace dans les locaux du ministère du Travail, le gouvernement déclare
que cette possibilité a toujours existé, indiquant à l’appui que l’ASITRAREDO dispose
d’un bureau et qu’elle a eu accès à des locaux chaque fois qu’elle l’a demandé, et il
estime par conséquent que la question ne devrait pas constituer un motif de
préoccupation pour l’association.
- 194. S’agissant de l’allégation relative aux avertissements prononcés à
l’encontre de plusieurs inspecteurs qui avaient manifesté pour faire valoir des
revendications présentées sans succès, le gouvernement souligne que la Constitution
comme la loi no 41-08 sur la fonction publique et ses règlements d’application
garantissent pleinement le droit des fonctionnaires de manifester si telle est leur
volonté. Cependant, la loi no 41-08 énonce en outre les modalités applicables en toutes
circonstances en la matière, des règles que plusieurs inspecteurs n’ont pas respectées,
paralysant le service le 5 novembre 2013 et empêchant ainsi les citoyens d’accéder aux
services publics rendus par le ministère du Travail dans des conditions de normalité.
Pris à l’improviste, le ministère du Travail n’a pas pu prendre les dispositions voulues
pour répondre aux demandes des usagers (art. 32, paragr. 4, de la loi no 41-08). Le
gouvernement réaffirme que le pays est disposé à recevoir des orientations de la part de
l’Organisation internationale du Travail (OIT) au sujet des questions soulevées dans le
présent rapport, et qu’il s’efforce en outre en permanence de veiller à la mise en œuvre
effective des normes juridiques, qu’elles soient nationales ou internationales, en vue
d’assurer la paix sociale entre employeurs et travailleurs.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 195. Le comité observe que, dans la présente plainte, la CNUS fait état
des éléments suivants: 1) le refus de la ministre du Travail de recevoir les
représentants de l’ASITRAREDO pour s’entretenir avec eux afin que ceux-ci puissent
améliorer la qualité de l’inspection et les conditions de travail et de vie des
inspecteurs (des copies de courriers datés des 22 octobre 2012, 10 avril 2013 et 2 août
2013, par lesquels l’association demande à être reçue par la ministre du Travail, sont
fournies); 2) la mutation dans des lieux reculés de dix inspecteurs du travail en
représailles des demandes et des activités de l’association, mutations qui ont causé un
préjudice économique et personnel aux intéressés (ces mutations auraient visé plusieurs
dirigeants syndicaux, en l’espèce M. Enemencio Matos Gómez (président de l’association),
Mme Evelyn Geraldina Mejía Mejía (secrétaire aux affaires financières), Mme Elizabeth
Batista (membre de la Commission de discipline), et M. Víctor Guerrero Ogando
(secrétaire aux relations internationales ); 3) le refus de la ministre du Travail de
donner suite à la demande de rendez-vous présentée par l’association en vue de l’examen
d’une liste de points à traiter (document reçu par le secrétariat de la ministre en date
du 16 novembre 2012); parmi ces points figuraient notamment la réaffectation des
inspecteurs mutés à leurs postes antérieurs, plusieurs mesures à caractère financier, la
mise à disposition, dans les locaux du ministère du Travail, d’un espace réservé à
l’association, qui regroupe des inspecteurs, du personnel d’encadrement et des
représentants de l’administration du travail affectés dans des antennes locales, et
l’organisation de concours internes ouverts à tous les inspecteurs sur un pied d’égalité
pour pourvoir les postes de représentants dans une antenne locale devenus vacants; 4) la
communication reçue par le secrétariat de la ministre étant restée sans réponse,
l’association a envisagé d’autres moyens d’action et a décidé dans ce cadre d’organiser
une manifestation, qui a eu lieu le 5 novembre 2013 à 11 heures devant le ministère du
Travail, et qui s’est déroulée de façon pacifique, en présence de représentants de la
CNUS; 5) le 11 novembre 2013, en représailles, la ministre du Travail a adressé un
avertissement à plusieurs dirigeants syndicaux, en l’espèce MM. Enemencio Matos Gómez,
Agustín del Carmen, Víctor Guerrero Ogando, Mme Evelyn Geraldina Mejía Mejía et M. Juan
Manuel Mercedes Montaño, et à 14 autres membres de l’association.
- 196. Le comité prend acte des déclarations suivantes du gouvernement:
1) comme ses prédécesseurs, le président de l’association a été reçu à de nombreuses
reprises par le ministère du Travail, seul ou au sein de délégations représentant
l’organisation, qu’il dirigeait; 2) face aux préoccupations exprimées par l’association,
la ministre du Travail a constitué une commission placée sous la direction du
vice-ministre, du responsable de la Direction générale du travail et du coordonnateur de
l’inspection, qui a convoqué plusieurs réunions devant permettre d’examiner chacune des
questions soulevées (des précisions sont fournies à cet égard dans la réponse du
gouvernement), notamment les problèmes de nature financière et la question de la mise à
la disposition de l’association d’un bureau (effective dans les faits) et d’autres
locaux si elle en faisait la demande; 3) s’agissant de la mutation alléguée
d’inspecteurs dans des lieux éloignés en représailles des demandes présentées par
l’association, il n’y avait pas d’intention de nuire puisque les inspecteurs concernés
avaient exprimé par écrit leur consentement à des mutations périodiques dans des
sections éventuellement éloignées de leur lieu de résidence, étant entendu qu’il existe
40 antennes de l’inspection du travail réparties sur l’ensemble du territoire national;
ainsi, le président actuel de l’association (M. Enemencio Matos Gómez) et son secrétaire
aux relations internationales (M. Víctor Guerrero Ogando) ont été mutés dans des
sections plus proches de leur domicile de 150 et 80 km respectivement; 4) s’agissant des
avertissements prononcés à l’encontre de 19 inspecteurs, la législation en vigueur
autorise les fonctionnaires à manifester s’ils le souhaitent, mais les inspecteurs qui
ont paralysé le service le 5 novembre 2013 n’ont pas respecté les règles fixées par la
loi no 41-08 sur la fonction publique, qui régit les modalités applicables à l’ensemble
des mouvements de revendication, et ils ont empêché les citoyens d’accéder aux services
publics rendus par le ministère du Travail dans des conditions de normalité; pris à
l’improviste, le ministère du Travail n’a pas pu prendre les dispositions voulues pour
répondre aux demandes des usagers; 5) le ministère n’a jamais agi à l’encontre de la
liberté syndicale.
- 197. Le comité constate que le gouvernement récuse l’absence de dialogue
avec l’association et présente à l’appui des preuves suffisantes, qu’il affirme que les
mesures de mutation et les avertissements prononcés à l’encontre de plusieurs
inspecteurs étaient dépourvus de caractère antisyndical et qu’il souligne que cette
dernière décision a été prise conformément au droit et parce que la manifestation
organisée devant le ministère n’avait pas été annoncée et qu’elle avait nui au bon
déroulement des services dus aux usagers.
- 198. Le comité accueille favorablement les déclarations par lesquelles le
gouvernement se déclare disposé à recevoir des orientations du BIT sur les questions
soulevées et, compte tenu des divergences entre la version des faits de l’organisation
plaignante et celle du gouvernement, il souhaite formuler les conclusions suivantes: le
problème principal dans la plainte à l’examen est constitué par la mutation de dix
inspecteurs membres de l’association (qui avaient consenti cependant par écrit à des
réaffectations périodiques), parmi lesquels cinq dirigeants de l’association, notamment
son président. Par ailleurs, il ressort des annexes présentées par l’organisation
plaignante que l’association avait notamment revendiqué l’établissement d’un «règlement
et protocole rappelant les formalités et les modalités applicables aux mutations ainsi
que les motifs pouvant les justifier». Le comité invite le gouvernement à examiner cette
proposition avec l’association.
- 199. S’agissant de l’avertissement adressé à cinq dirigeants syndicaux et
14 membres de l’association à la suite d’une manifestation organisée devant le ministère
du Travail, un mouvement pacifique, selon le syndicat, mais qui n’aurait pas été annoncé
et serait contraire aux dispositions de la loi no 41-08, selon le gouvernement, du fait
qu’il aurait nui indûment au bon déroulement des services dus aux usagers, et compte
tenu en outre des déclarations du gouvernement selon lesquelles l’ensemble des
revendications présentées par l’association ont été soumises à une commission de haut
niveau qui a abordé chacun des problèmes soulevés, le comité suggère au gouvernement et
à l’association, afin de rétablir des relations harmonieuses entre les parties,
d’envisager conjointement de réexaminer, dans un esprit constructif, les avertissements
prononcés à l’encontre de syndicalistes.
Recommandations du comité
Recommandations du comité- 200. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil
d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) S’agissant des
mutations alléguées, le comité invite le gouvernement à examiner avec l’ASITRAREDO
la proposition que cette association a présentée quant à l’établissement d’un
règlement et protocole rappelant les formalités et modalités applicables aux
mutations ainsi que les motifs pouvant les justifier.
- b) S’agissant des
avertissements allégués, et afin de rétablir des relations harmonieuses entre les
parties, le comité suggère au gouvernement et à l’association d’envisager
conjointement de réexaminer, dans un esprit constructif, les avertissements
prononcés à l’encontre de syndicalistes.