Allégations: Les organisations plaignantes allèguent que la loi du 26 juillet
1996 relative à la promotion de l’emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité,
telle que modifiée par la loi du 19 mars 2017, a pour effet de restreindre drastiquement la
possibilité pour les partenaires sociaux de négocier librement les évolutions salariales des
travailleurs du secteur privé
- 110. La plainte figure dans une communication conjointe de la
Confédération des syndicats chrétiens (CSC), de la Fédération générale des travailleurs
de Belgique (FGTB) et de la Centrale générale des syndicats libéraux de Belgique (CGSLB)
du 6 décembre 2021. Dans une communication en date du 14 janvier 2022, les organisations
plaignantes ont fait parvenir des informations complémentaires.
- 111. Le gouvernement a envoyé ses observations dans une communication en
date du 24 février 2022.
- 112. La Belgique a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale
et la protection du droit syndical, 1948, la convention (no 98) sur le droit
d’organisation et de négociation collective, 1949, ainsi que la convention (no 154) sur
la négociation collective, 1981.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes- 113. Dans leur communication du 6 décembre 2021, les organisations
plaignantes allèguent que la loi du 26 juillet 1996 relative à la promotion de l’emploi
et à la sauvegarde préventive de la compétitivité, telle que modifiée par la loi du
19 mars 2017 (ci-après la loi), est contraire aux conventions nos 98 et 154 ratifiées
par la Belgique respectivement en 1953 et 1988. Les organisations indiquent que la loi
en question vise à introduire un mécanisme de modération salariale pour l’ensemble du
secteur privé (ainsi que pour quelques entreprises publiques économiques) en Belgique,
aboutissant à la définition d’une marge maximale disponible qui peut être définie comme
le pourcentage maximum autorisé pour les augmentations salariales négociées à tous les
niveaux de la concertation sociale (interprofessionnel, sectoriel et de l’entreprise).
Elles précisent que la notion d’augmentations salariales comprend toutes les mesures qui
présentent un coût pour l’employeur, à quelques exceptions près énumérées limitativement
à l’article 10 de la loi, et que le mécanisme ainsi décrit ne couvre pas uniquement les
hausses de salaires au sens strict, mais également l’augmentation des cotisations
sociales qui sont la principale source de financement de la sécurité sociale en
Belgique.
- 114. Les organisations plaignantes affirment que les adaptations à la loi
intervenues en 2017 ont considérablement durci le dispositif de modération salariale
applicable en Belgique dans la mesure où, jusqu’à lors, les autorités n’intervenaient
qu’à défaut d’accord entre les partenaires sociaux sur les évolutions salariales alors
que, depuis la modification légale introduite en 2017, le mécanisme établi par la loi
implique une intervention préalable, systématique et à durée indéterminée des autorités
dans les négociations relatives aux évolutions salariales. Les organisations plaignantes
allèguent que ce mécanisme porte ainsi gravement atteinte au droit à la négociation
collective tel qu’il est consacré par les conventions nos 98 et 154 dans la mesure où il
restreint drastiquement les marges de négociation et a de ce fait également un impact
négatif sur la promotion de la négociation collective libre et volontaire à tous les
niveaux de la concertation sociale. Les organisations plaignantes se réfèrent également
au processus législatif ayant conduit, en 2017, à la modification de la loi. Elles
manifestent à cet égard que: i) le gouvernement de l’époque avait consulté les
partenaires sociaux sur la modification de la loi en saisissant le Groupe des 10 qui est
un organe de concertation sociale informel au niveau interprofessionnel réunissant les
dirigeants des organisations syndicales et patronales, mais que cette consultation
n’était pas formellement intervenue par l’intermédiaire du Conseil national du travail,
compétent légalement pour remettre des avis aux autorités dans les matières sociales et
du travail; ii) cette consultation des partenaires sociaux est intervenue en novembre
2016, au moment même où ces derniers devaient négocier la marge salariale pour les
années 2017-18 et l’accord interprofessionnel (AIP) 2017-18, la consultation en question
ayant fortement détérioré l’esprit des négociations; iii) les partenaires sociaux n’ont
naturellement pas pu trouver de consensus autour de ces modifications législatives (qui
étaient plus favorables au banc patronal) et n’ont dès lors pas pu formellement émettre
d’avis; et iv) les organisations syndicales ont toutefois dès le départ émis de vives
critiques à l’égard des projets du gouvernement, ce qui n’a pas empêché celui-ci de
mettre à exécution son projet de modification de la loi. Les organisations plaignantes
manifestent finalement à cet égard que les organisations d’employeurs, favorables au
projet gouvernemental, avaient conditionné la conclusion de l’AIP 2017-18 (qui contenait
des dispositions importantes dans d’autres matières sociales que les salaires) au vote
parlementaire sur la loi modificative, raison pour laquelle l’AIP 2017-18 a été conclu
le 21 mars 2017, soit deux jours après le vote au sein du Parlement. Les organisations
plaignantes affirment que ces événements démontrent l’influence qu’exerce la loi, telle
que modifiée en 2017, sur le processus de négociation collective et le déséquilibre
qu’elle engendre à cet égard.
- 115. Les organisations décrivent ensuite de manière détaillée le
mécanisme établi par la loi telle que modifiée par la loi de 2017 et composé de quatre
étapes successives.
- 116. Les organisations plaignantes précisent que le mécanisme démarre en
premier lieu par l’établissement tous les deux ans, dans les années paires, d’un rapport
sur l’évolution de l’emploi et de la compétitivité établi, par le Conseil central de
l’économie (CCE). Elles indiquent à cet égard que les partenaires sociaux sont membres
du CCE. Elles manifestent que l’article 5, paragraphe 2, alinéa 1 de la loi précise
toutefois que la première partie du rapport dont il est question au paragraphe 1 «est
rédigée sous la responsabilité du secrétariat du CCE et concerne les marges maximales
disponibles pour l’évolution du coût salarial [...]» et que si les partenaires sociaux
sont membres du CCE, ils ne font en revanche aucunement partie de son secrétariat qui
agit en toute indépendance. Elles indiquent ensuite que les alinéas suivants de
l’article 5, paragraphe 2, énumèrent de manière exhaustive l’ensemble des paramètres que
le secrétariat du CCE doit prendre en compte pour effectuer le calcul de la marge
maximale disponible. Elles affirment à cet égard que: i) le secrétariat du CCE ne
dispose ainsi d’aucune marge de manœuvre pour effectuer le calcul de la marge maximale
disponible et est strictement lié par les dispositions de la loi; et ii) la loi ne
consacre par ailleurs aucun rôle institutionnel pour les partenaires sociaux dans la
rédaction de la première partie de ce rapport.
- 117. Les organisations plaignantes indiquent qu’en second lieu
l’article 6, paragraphe 1 de la loi dispose que «Tous les deux ans, dans les années
impaires, avant le 15 janvier, l’accord interprofessionnel des interlocuteurs sociaux
fixe, sur la base du rapport visé à l’article 5, paragraphe 1, entre autres, des mesures
pour l’emploi ainsi que la marge maximale pour l’évolution du coût salarial des deux
années de l’accord interprofessionnel» et que le paragraphe 2 de l’article 6 précise que
«La marge maximale pour l’évolution du coût salarial, visée au paragraphe 1, est au
maximum la marge maximale disponible, telle que visée à l’article 5, paragraphe 2». Les
organisations plaignantes affirment à cet égard que les partenaires sociaux ne peuvent
s’accorder sur une marge maximale d’évolution des salaires supérieure à la marge
maximale disponible définie préalablement par le secrétariat du CCE sur la base des
paramètres imposés par la loi et que la marge maximale d’évolution des salaires sur
laquelle ils peuvent s’entendre ne peut donc être qu’inférieure ou égale à cette marge
maximale disponible. Si les partenaires sociaux parviennent à un accord, «la marge [...]
est [...] fixée dans une convention collective du travail conclue au sein du Conseil
national du travail [...]». Elles indiquent ensuite que l’article 7 de la loi précise
également que, si les partenaires sociaux décidaient d’un commun accord d’aller au-delà
de la marge maximale disponible définie dans le rapport du secrétariat du CCE, les
autorités fixeront la marge maximale pour l’évolution des coûts salariaux, conformément
à l’article 6, paragraphes 1 et 2, de la loi, autrement dit sans dépasser la marge
maximale disponible telle que définie dans le rapport rédigé par le secrétariat du CCE.
Les organisations plaignantes soulignent à cet égard que la marge maximale disponible
revêt une portée générale en ce qu’elle s’impose à tous les niveaux de la concertation
sociale (interprofessionnel, sectoriel et de l’entreprise).
- 118. Les organisations plaignantes indiquent que l’article 6,
paragraphe 3, de la loi prévoit que, «à défaut de consensus entre les interlocuteurs
sociaux dans un délai de deux mois à compter de la date du rapport [du CCE], le
gouvernement invite les interlocuteurs sociaux à une concertation et formule une
proposition de médiation, sur la base des données contenues dans ledit rapport». Si un
accord est trouvé à l’issue de cette tentative de conciliation, «la marge maximale pour
l’évolution des coûts salariaux est fixée dans une convention collective de travail
conclue au sein du Conseil national du travail».
- 119. Les organisations plaignantes signalent que, dans le cas où la
tentative de conciliation décrite au point précédent échoue, l’article 7, paragraphe 1,
alinéa 1, de la loi dispose que, «à défaut d’accord entre le gouvernement et les
interlocuteurs sociaux, dans le mois suivant la convocation des interlocuteurs sociaux à
une concertation visée à l’article 6, paragraphe 3, le Roi fixe, par arrêté délibéré en
Conseil des ministres, la marge maximale pour l’évolution des coûts salariaux,
conformément à l’article 6, paragraphe 1, et paragraphe 2 [...]». Elles réitèrent que
l’alinéa 2 de l’article 7 de la loi précise également que, si les partenaires sociaux
décidaient d’un commun accord d’aller au-delà de la marge maximale disponible définie
dans le rapport du secrétariat du CCE, les autorités fixeront la marge maximale pour
l’évolution des coûts salariaux, conformément à l’article 6, paragraphes 1 et 2 de la
loi, autrement dit sans dépasser la marge maximale disponible telle que définie dans le
rapport rédigé par le secrétariat du CCE.
- 120. Les organisations plaignantes concluent leur description du
mécanisme en manifestant que, même s’il est mis en œuvre de manière périodique (tous les
deux ans), le dispositif introduit par la révision de la loi en 2017 est un mécanisme à
durée indéterminée qui s’appliquera donc de manière récurrente sans limite dans le
temps.
- 121. Les organisations plaignantes détaillent ensuite les motifs pour
lesquels elles considèrent que le mécanisme décrit ci-dessus serait, suite aux
amendements intervenus en 2017, contraire aux principes énoncés dans les conventions
nos 98 et 154. Elles affirment en particulier que: i) le dispositif en cause institue
une ingérence préalable des autorités dans la négociation collective et que, si le
Comité de la liberté syndicale a déjà admis que les autorités puissent intervenir après
qu’un accord n’a pu être trouvé entre les partenaires sociaux, ces hypothèses ne
concernent toutefois que les cas dans lesquels les autorités interviennent a posteriori;
elles soulignent que, dans le cas présent, en fixant au préalable une marge maximale
disponible pour l’évolution des salaires, l’ingérence des autorités dans le processus de
négociation collective intervient avant même que la négociation collective n’ait débuté
et restreint dès le départ de manière considérable le cadre des négociations au
détriment des intérêts défendus par les organisations représentatives des travailleurs;
ii) la fixation unilatérale par les autorités des paramètres pour déterminer l’évolution
salariale maximale est contraire aux critères du Comité de la liberté syndicale pour qui
«la détermination des critères à prendre en compte par les parties pour fixer les
salaires est matière à négociation entre celles-ci»; les partenaires sociaux devraient
en effet être mis en capacité de déterminer eux-mêmes les paramètres à prendre en compte
pour déterminer l’évolution maximale des salaires; iii) ces paramètres et leur mise en
œuvre induisent une marge maximale disponible tellement restreinte que les organisations
représentatives des employeurs ont peu d’intérêt à négocier; iv) imposant
unilatéralement les paramètres permettant le calcul de l’évolution salariale maximale,
sans aucune possibilité de dérogation, et en déterminant au préalable de manière
obligatoire une marge maximale disponible, les autorités nuisent gravement à l’autonomie
des parties à la négociation collective, et ce de manière permanente; les organisations
plaignantes ajoutent que l’article 7, alinéa 2, de la loi illustre particulièrement
l’entrave de cette législation à l’autonomie des parties à la négociation dans la mesure
où elle va jusqu’à permettre aux autorités d’annihiler un éventuel accord intervenu
entre les partenaires sociaux qui consacrerait une augmentation salariale maximale
supérieure à la marge salariale maximale disponible calculée conformément à l’article 5,
paragraphe 2, par le secrétariat du CCE; et v) dès lors que l’évolution des salaires est
limitée par une loi, les organisations représentatives des employeurs ont peu d’intérêt
à recourir à la négociation collective, ce qui crée un déséquilibre entre les parties et
empêche que se forment des accords équilibrés et satisfaisants pour tous les acteurs
concernés.
- 122. Sur la base de ce qui précède, les organisations plaignantes
affirment que le mécanisme objet de la présente plainte produit des effets néfastes sur
la promotion de la négociation collective et se réfèrent à cet égard à la mise en œuvre
pratique du mécanisme depuis 2017 et indiquent que: i) si un accord interprofessionnel –
en ce compris concernant les augmentations salariales – est intervenu en 2017-18, cet
accord (matérialisé par la conclusion de la convention collective de travail no 119
conclue le 21 mars 2017 au sein du Conseil national du travail) a été conclu dans un
contexte de grande défiance des organisations syndicales à l’égard du nouveau dispositif
de la loi du 26 juillet 1996; ii) les organisations plaignantes n’ont depuis lors cessé
d’adresser ces critiques virulentes à l’égard du mécanisme en cause et aucun accord
interprofessionnel en matière salariale n’a pu être engrangé pour la période 2019-20; le
gouvernement a donc dû imposer lui-même la marge maximale pour l’évolution des salaires
par l’adoption d’un arrêté royal; iii) de la même manière, les organisations syndicales
n’ayant pu accepter de s’enfermer dans le carcan imposé par la loi mise en cause, aucun
accord interprofessionnel en matière salariale n’a pu être engrangé pour la
période 2021-22; le gouvernement a donc à nouveau dû imposer lui-même la marge maximale
pour l’évolution des salaires par l’adoption d’un nouvel arrêté royal; et iv) il est à
craindre que le prochain round de négociations interprofessionnelles prévues pour la
période 2023-24 ne puisse lui non plus aboutir en ce qui concerne le volet relatif à
l’évolution salariale si la loi du 26 juillet 1996 n’est pas modifiée afin, notamment,
de respecter les principes contenus dans la convention no 98.
- 123. Afin d’illustrer les effets de la mise en œuvre du mécanisme
législatif sur la faculté des partenaires sociaux de s’accorder sur des augmentations de
salaires, les organisations plaignantes se réfèrent spécifiquement au secteur de
l’horticulture. À cet égard, elles affirment que: i) l’accord sectoriel de
l’horticulture pour les années 2017-18 prévoyait une augmentation plus large des
salaires des travailleurs saisonniers et occasionnels, pour parvenir d’ici à 2025 à une
harmonisation de ces salaires avec le salaire minimum de la catégorie la plus basse dans
le sous-secteur concerné; ii) la marge salariale maximale fixée pour les années 2017-18
à une augmentation de 1,1 pour cent empêche l’exécution de cette harmonisation des
salaires applicables; et iii) les partenaires sociaux qui concluraient des accords qui
dépassent la marge salariale maximale imposée s’exposent à des sanctions en vertu de
l’article 9, paragraphe 1, alinéas 4 à 6, de la loi qui prévoit en effet qu’«une amende
administrative de 250 à 5 000 euros peut être infligée à l’employeur qui ne respecte pas
l’obligation [de ne pas dépasser la marge salariale maximale autorisée]. [...] [Cette]
amende est multipliée par le nombre de travailleurs concernés, avec un maximum de
100 travailleurs.»
- 124. Dans leur communication complémentaire du 14 janvier 2022, les
organisations plaignantes se réfèrent en premier lieu à la situation d’une entreprise du
secteur des titres-services (services à la personne rémunérés par le biais d’un bon
reconnu par l’État) pour illustrer les effets restrictifs du mécanisme légal de
sauvegarde de la compétitivité sur la mise en œuvre des accords collectifs aux niveaux
sectoriel et de l’entreprise. Les organisations plaignantes indiquent qu’il existe en
Belgique un dispositif accordant des réductions temporaires de cotisations sociales pour
les entreprises qui introduisent pour une durée indéterminée une réduction collective du
temps de travail. Dans certaines conditions, les salaires des travailleurs à temps
partiel doivent également faire l’objet d’une péréquation à la suite de l’introduction
de cette réduction collective du temps de travail. L’entreprise concernée a toutefois
omis d’adapter les salaires de nombreux travailleurs à temps partiels, tout en
bénéficiant par ailleurs des réductions de cotisations sociales. Les organisations
plaignantes indiquent que l’entreprise n’étant pas disposée à apporter une solution à
son niveau, les organisations syndicales ont, afin d’éliminer cette pratique déloyale,
exigé et obtenu à l’occasion des négociations sectorielles 2019-20 dans le secteur des
titres-services d’inclure dans la convention collective sectorielle l’obligation pour
les entreprises qui procèdent à une réduction collective du temps de travail de procéder
à une péréquation des salaires des travailleurs à temps partiel. Les organisations
plaignantes affirment que l’entreprise en question refuse d’appliquer cette convention
sectorielle, estimant qu’elle est contraire à la loi du 26 juillet 1996 et qu’elle est
prête à faire valoir cette position devant les tribunaux dans l’hypothèse où les
syndicats agiraient en justice pour obtenir l’application de la convention sectorielle
librement négociée par les partenaires sociaux.
- 125. Les organisations plaignantes se réfèrent ensuite de nouveau aux
paramètres établis par la loi pour le calcul de la marge maximale disponible pour
l’évolution du coût salarial. Après avoir réitéré que, en vertu de la loi, telle que
modifiée en 2017, les partenaires sociaux n’ont pas la compétence de déterminer lesdits
paramètres, ce qui serait contraire aux conventions nos 98 et 154, elles allèguent le
caractère inadapté des critères choisis, en soulignant en particulier que: i) la
position relative du coût salaire horaire de la Belgique par rapport aux pays voisins
est tronquée par l’absence de prise en compte de la réduction des cotisations patronales
et des subsides salariaux versés par le biais de fonds publics; et ii) ne sont comparés
que les coûts salariaux horaires absolus, sans tenir compte de la productivité du
travail, plus élevée en Belgique que dans les pays voisins. Les organisations
plaignantes ajoutent que, même si les partenaires sociaux ont réussi à se mettre
d’accord sur une augmentation phasée du salaire minimum de 5 pour cent entre 2022
et 2026, cet accord ne suffira pas à rattraper le retard induit par la politique de
modération salariale qui a eu pour effet que le salaire minimum interprofessionnel réel
a baissé de 4 pour cent entre 2009 et 2019.
- 126. Les organisations plaignantes manifestent finalement que le
mécanisme de fixation des salaires au niveau interprofessionnel devrait présenter un
caractère indicatif et non impératif, tel que cela était le cas avant la réforme de
2017. Elles affirment que: i) la rigidité créée par la loi actuelle ne permet pas de
répondre aux réalités économiques parfois très différentes selon les secteurs et qu’une
norme salariale indicative permettrait de laisser un espace pour des rattrapages dans
les secteurs à bas salaires, en particulier pour une augmentation des salaires minima et
pour des opérations destinées à créer ou conserver des emplois grâce à la réduction de
la durée du travail avec maintien du salaire; et ii) avant la réforme de 2017, de légers
dépassements dans certains secteurs ou entreprises ont toujours été compensés par des
accords salariaux plus limités dans d’autres secteurs, la norme salariale n’ayant jamais
été dépassée de manière globale entre 1996 et 2017.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 127. Dans sa communication en date du 24 février 2022, le gouvernement
fournit en premier lieu des éléments concernant l’histoire, les motifs et les mécanismes
de la loi du 25 juillet 1996. Le gouvernement indique que, dans le cadre de
l’intégration de la Belgique au sein de l’Union économique et monétaire et de la zone
euro, le Parlement belge a voté en 1996 l’adoption, afin d’éviter les dérapages de
compétitivité plutôt que de les corriger ex-post comme c’était le cas en vertu de la
législation antérieure. Le gouvernement précise que chaque année impaire, avant le
15 janvier, sur la base du rapport visé à l’article 5, paragraphe 1, de la loi, l’accord
paritaire des interlocuteurs sociaux détermine notamment les mesures en faveur de
l’emploi et la marge maximale d’évolution des coûts salariaux pour les deux années
couvertes par ledit accord. Il précise que, dans ce cadre, il convient de distinguer
entre la procédure de calcul de la marge maximale disponible, d’une part, et, d’autre
part, la procédure de fixation de la marge maximale pour l’évolution du coût
salarial.
- 128. Concernant le calcul de la marge maximale disponible pour
l’évolution du coût salarial, le gouvernement indique que: i) la procédure, sensiblement
modifiée en 2017, prévoit l’intervention du secrétariat du CCE qui rédige tous les deux
ans, dans les années paires, un rapport concernant les marges maximales disponibles pour
l’évolution des coûts salariaux et le handicap des coûts salariaux de la Belgique
vis-à-vis de trois pays voisins de référence (Allemagne, France, Pays-Bas); ii) le
secrétariat du CCE doit, en calculant la marge maximale disponible, suivre les
dispositions légales qui se trouvent dans l’article 5 précité, sans possibilités de
dérogation; et iii) les modalités et calculs à effectuer par le CCE en vertu de ce
nouvel article 5 incluent entre autres des mesures de prudence (marge de sécurité), des
mesures pour réduire le handicap salarial accumulé depuis 1996 (terme de correction) et
des mesures pour tenir compte non seulement des prévisions de l’évolution pour les deux
années à venir, mais aussi de l’évolution des coûts salariaux qui a été constatée au
cours des deux années écoulées, tout en comparant à chaque fois ces données avec les
pays de référence. Le gouvernement précise que la réforme apportée en 2017 audit
mécanisme avait pour but, tel qu’indiqué dans le résumé introductif du projet de loi, de
«faire disparaître le handicap des coûts salariaux par rapport à nos trois pays voisins
avant la fin de la législature, en concertation avec les partenaires sociaux».
- 129. Concernant la procédure de fixation de la marge maximale pour
l’évolution du coût salarial, décrite dans les articles 6 et 7 de la loi, le
gouvernement indique que: i) les partenaires sociaux sont à l’initiative de la
négociation sur la base du rapport du CCE; ii) depuis la réforme de 2017, leur accord
doit être concrétisé par une convention collective de travail conclue au sein du Conseil
national du travail; iii) le gouvernement fédéral n’intervient qu’en cas de l’échec de
la négociation et de la médiation proposée par ce dernier et, à défaut d’un accord entre
les interlocuteurs sociaux sur la marge maximale pour l’évolution du coût salarial,
cette marge est fixée par un arrêté royal (AR) délibéré en Conseil des ministres. Sur la
base de ce qui précède, le gouvernement manifeste que: i) les partenaires sociaux sont
toujours les premiers à garder la main des négociations, même si elles sont encadrées,
en ce qui concerne la détermination de la marge maximale pour l’évolution du coût
salarial; ii) même si le gouvernement peut également intervenir lorsque l’accord conclu
entre les partenaires sociaux n’est pas conforme à la marge maximale fixée par le CCE,
il n’en reste pas moins qu’il est toujours possible d’établir un dialogue; et iii) il
convient de souligner que le gouvernement lui-même s’engage à respecter la norme fixée
par le CCE, ce qui signifie que si la norme est fixée à un certain pourcentage, ce
pourcentage sera respecté, peu importe sa valeur. Le gouvernement manifeste également
que les AR successifs adoptés depuis 2011 et fixant unilatéralement la norme salariale
ont été pris de plus en plus tard au cours de leurs années respectives afin de laisser
aux partenaires sociaux toutes les possibilités de trouver un accord (le 28 mars pour
l’AR de 2011; le 28 avril pour l’AR de 2013; le 19 avril pour l’AR de 2019 et le
30 juillet pour l’AR de 2021).
- 130. Le gouvernement précise ensuite que la marge maximale pour
l’évolution du coût salarial ne peut pas être dépassée par des conventions de travail au
niveau intersectoriel, sectoriel, d’entreprise ou individuel. Le non-respect de la marge
maximale pour l’évolution du coût salarial peut être contrôlé par les services
d’inspection sociale qui peuvent, en cas d’infraction, dresser un procès-verbal. Une
sanction administrative est cependant uniquement prévue envers l’employeur individuel
qui n’a pas respecté la marge maximale pour l’évolution du coût salarial. Les
organisations d’employeurs ou de travailleurs qui concluent des conventions qui
dépassent la marge maximale pour l’évolution du coût salarial ne peuvent pas être
sanctionnées.
- 131. Le gouvernement manifeste que, à partir de 1996, la loi a introduit
une forme avancée de coordination des coûts salariaux dans le système belge de fixation
des salaires et de négociation collective, en utilisant cet instrument pour équilibrer
les objectifs macroéconomiques suivants: i) préserver la compétitivité fondée sur les
coûts dans une économie mondialisée et dans l’euro marché (où la dévaluation de la
monnaie n’est plus possible); ii) stimuler l’emploi dans un pays fortement dépendant des
exportations; et iii) l’obtention par le facteur travail d’une part équitable du revenu
national croissant grâce à des négociations sectorielles (avec un impact positif sur la
consommation intérieure).
- 132. Le gouvernement manifeste également que des études internationales
récentes, menées notamment par l’Organisation de coopération et de développement
économiques, ont souligné l’importance d’une telle coordination, en particulier en ce
qui concerne les inégalités sociales. La Belgique est donc un pays où l’inégalité
salariale est extrêmement faible, et cette inégalité est d’ailleurs restée très
stable.
- 133. Le gouvernement indique que cette forme de coordination est utilisée
dans un système institutionnel qui facilite fortement les négociations (salariales)
collectives et sectorielles et qui dispose d’un système très développé de détermination
des salaires de base sectoriels par des conventions collectives au moyen de barèmes
salariaux sectoriels et d’une indexation conventionnellement garantie. Le gouvernement
souhaite souligner qu’il est important de ne pas considérer l’instrument de manière
isolée, mais de voir comment il s’intègre dans un ensemble plus large d’institutions et
de réglementations qui encadrent et facilitent le système belge de négociation
collective.
- 134. Le gouvernement se réfère ensuite aux incidences de la loi telle que
modifiée par la loi du 19 mars 2017 sur le droit de négociation collective libre et
autonome. Il manifeste à cet égard que: i) la procédure légale instaure un équilibre
entre l’objectif de sauvegarde préventive de la compétitivité et la promotion de
l’emploi tout en veillant à l’inclusion des partenaires sociaux dans chacune des étapes
du processus; ii) la procédure légale laisse aux interlocuteurs sociaux le soin de
déterminer par la négociation collective quelle sera la marge maximale d’augmentation du
coût salarial, et ce n’est qu’en l’absence de consensus entre les partenaires sociaux ou
en cas de non-respect du cadre légal que le gouvernement est habilité à intervenir;
iii) l’absence de consensus entre les partenaires sociaux au niveau interprofessionnel
peut éventuellement entraîner le blocage des négociations collectives aux niveaux
inférieurs, le Comité de la liberté syndicale ayant à cet égard admis qu’il arrive un
moment dans les négociations où, après des négociations prolongées et infructueuses,
l’intervention des autorités peut être justifiée, lorsqu’il devient évident que
l’impasse ne pourra pas être résolue sans une initiative de leur part; iv) malgré les
critiques à l’encontre de la modification législative intervenue en 2017, les
partenaires sociaux ont pu aboutir à un accord pour la période 2017 18 en conformité
avec les nouvelles dispositions légales même s’il est vrai que, lors des deux cycles de
négociation suivants, les partenaires sociaux ne sont pas parvenus à trouver un accord
dans le cadre de la loi modifiée; et v) les données statistiques disponibles démontrent
que le nombre de conventions collectives conclues au niveau sectoriel n’a pas diminué
depuis 2017 et qu’il existe toujours au sein de celles-ci une grande diversité de thèmes
traités.
- 135. Le gouvernement manifeste ensuite que le mécanisme légal de calcul
de la marge maximale pour l’évolution du coût salarial n’inclut pas l’ensemble des
éléments relatifs au coût salarial dans la mesure où, en vertu de l’article 10 de la
loi, ne sont pas pris en compte pour le calcul du coût salarial les éléments suivants:
i) les participations bénéficiaires, telles que définies par la loi; ii) les
augmentations de la masse salariale résultant de l’accroissement du nombre de personnes
occupées en équivalents plein temps; iii) les paiements en espèces ou en actions ou
parts aux travailleurs, en application de la loi du 22 mai 2001 relative à la
participation des travailleurs au capital des sociétés et à l’établissement d’une prime
bénéficiaire pour les travailleurs; iii) les cotisations versées dans le cadre des
régimes de pension qui remplissent les conditions visées par la loi du 28 avril 2003
relative aux pensions complémentaires; iv) les primes uniques d’innovation visées à
l’article 28 de la loi du 3 juillet 2005; et v) la prime corona de soutien temporaire au
pouvoir d’achat des travailleurs d’un montant maximal de 500 euros incluse dans l’AR du
21 juillet 2021 et qui peut être négociée au niveau sectoriel, de l’entreprise ou
individuel.
- 136. Le gouvernement rappelle ensuite que les indexations et les
augmentations barémiques sont garanties dans la loi de 1996 et que l’augmentation
salariale établie en vertu du mécanisme légal objet de la présente plainte viendra donc
s’ajouter aux éventuelles indexations et augmentations barémiques. À cet égard, la
Belgique est, contrairement à ses trois pays voisins de référence, le seul qui dispose
d’un mécanisme d’indexation automatique conventionnellement garantie des salaires. La
procédure mise en place par la loi depuis 1996 trouve à s’appliquer tous les deux ans. À
chaque round de négociation, une nouvelle norme calculée sur la base d’éléments
économiques objectifs sera à chaque fois dégagée, et cette norme présentera donc un
caractère temporaire et variable.
- 137. En guise de conclusions, le gouvernement manifeste finalement que:
i) comme le reconnaissent les plaignants, le processus confère aux partenaires sociaux
le soin de fixer la norme salariale, ces derniers conservant un rôle de premier plan
dans la détermination de celle-ci; ii) bien que la négociation collective soit encadrée
par la loi, de nombreuses mesures sont prises afin de préserver le niveau de vie des
travailleurs; iii) s’avère d’une particulière importance le mécanisme d’indexation
conventionnellement garantie des salaires dans le cadre de la protection du pouvoir
d’achat des travailleurs belges; iv) les augmentations barémiques restent autorisées, et
l’article 10 de la loi précitée prévoit que certains éléments ne sont pas pris en compte
pour le calcul de l’évolution du coût salarial, les partenaires sociaux conservant ainsi
leur liberté de négociations sur des éléments salariaux; et v) la concertation sociale
se poursuit sur les autres thèmes, la négociation collective ne se limitant pas aux
seules négociations relatives au salaire.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 138. Le comité observe que le présent cas concerne la loi du 26 juillet
1996 relative à la promotion de l’emploi et à la sauvegarde préventive de la
compétitivité, telle que modifiée par la loi du 19 mars 2017, en vertu de laquelle, tous
les deux ans, est adoptée au niveau intersectoriel, avec la participation des
partenaires sociaux, une norme salariale consistant en la fixation d’une marge maximale
pour l’évolution du coût salarial qui s’applique ensuite aux différents niveaux de
négociation collective dans le pays. Le comité prend note des allégations des
organisations plaignantes selon lesquelles cette loi aurait pour effet, particulièrement
depuis sa révision en 2017, de restreindre drastiquement la possibilité pour les
partenaires sociaux de négocier librement les évolutions salariales des travailleurs du
secteur privé et serait, de ce fait, contraire au principe de la négociation collective
libre et volontaire consacré par les instruments de l’OIT ratifiés par la Belgique. Le
comité constate que, pour sa part, le gouvernement soutient que le mécanisme, dont le
but est de trouver un équilibre entre la sauvegarde préventive de la compétitivité et la
promotion de l’emploi, continue d’attribuer un rôle significatif aux partenaires sociaux
dans la détermination de l’évolution des salaires et que la loi en question ne peut pas
être évaluée séparément de l’ensemble du système de relations collectives belge qui
reconnaît une place de premier plan à la négociation et à la concertation entre les
partenaires sociaux.
- 139. Le comité note que les organisations plaignantes allèguent que le
mécanisme légal précité implique, en particulier depuis la réforme de 2017 que les
organisations de travailleurs avaient rejetée, une intervention préalable, systématique
et à durée indéterminée des autorités publiques dans les négociations relatives aux
évolutions salariales du secteur privé. Le comité note que les organisations plaignantes
affirment en particulier que: i) les négociations au niveau intersectoriel entre
partenaires sociaux, instaurées depuis 1996 par la loi, sur la définition tous les deux
ans d’une marge maximale pour l’évolution du coût salarial sont, depuis la réforme de
2017, précédées d’un rapport établi par le secrétariat du Conseil central de l’économie
(CCE) qui calcule, sur la base de critères limitativement énumérés par la loi et sans
participation des partenaires sociaux, ladite marge maximale; ii) ces critères de calcul
imposés unilatéralement par la loi sont tronqués par l’absence de prise en compte de la
réduction des cotisations patronales et des subsides salariaux versés par le biais de
fonds publics ainsi que de la productivité du travail et ne permettent ainsi pas de
comparer de manière exacte le coût réel du travail entre la Belgique et ses pays
voisins; iii) au cours des négociations intersectorielles qui suivent le calcul effectué
par le secrétariat du CCE, les partenaires sociaux sont tenus de respecter la marge
ainsi définie et ne peuvent s’accorder sur un niveau supérieur d’évolution maximale des
coûts salariaux; iv) dans le cas où les partenaires sociaux décideraient de dépasser la
marge maximale calculée par le secrétariat du CCE, leur accord sera annulé par les
autorités qui définiront unilatéralement la marge maximale disponible dans le respect du
calcul effectué par le secrétariat du CCE; et v) sous peine de sanctions, la marge
maximale pour l’évolution du coût salarial s’impose ensuite à tous les niveaux
successifs de négociation (sectoriel et entreprise).
- 140. Le comité note que les organisations plaignantes affirment que le
mécanisme de modération salariale ainsi décrit: i) restreint dès le départ et de manière
considérable le cadre des négociations au détriment des intérêts défendus par les
organisations de travailleurs et réduit l’intérêt des organisations représentatives des
employeurs à recourir à la négociation collective, ce qui crée un déséquilibre entre les
parties; ii) nuit gravement et de manière permanente à l’autonomie des parties à la
négociation collective en imposant unilatéralement les paramètres permettant le calcul
de l’évolution salariale maximale, sans aucune possibilité de dérogation, et en
permettant aux autorités de déterminer au préalable de manière obligatoire une marge
maximale disponible; iii) produit des effets néfastes sur la promotion de la négociation
collective comme le démontre l’absence d’accords interprofessionnels salariaux pour les
périodes 2019-20 et 2021-22, la marge maximale pour l’évolution des salaires ayant été
dans les deux cas imposée unilatéralement par les autorités par le biais d’arrêtés
royaux, tel que le prévoit dans ce cas la législation; iv) empêche, par exemple dans le
cas de l’horticulture, la mise en œuvre d’accords sectoriels ayant pour but de réévaluer
les salaires de catégories de travailleurs particulièrement vulnérables comme les
saisonniers ou les occasionnels; et v) de manière générale, ne permet pas aux différents
secteurs d’activité de répondre aux réalités économiques parfois très différentes
auxquelles ils font face et ne laisse pas suffisamment d’espace pour des rattrapages
dans les secteurs à bas salaires, ce qui souligne qu’une norme indicative serait à cet
égard préférable.
- 141. Le comité prend note que, pour sa part, le gouvernement rappelle en
premier lieu que le mécanisme légal de fixation de la marge maximale d’évolution des
coûts salariaux a pour principales finalités de préserver la compétitivité fondée sur
les coûts dans une économie mondialisée et dans l’euro marché et de stimuler l’emploi
dans un pays fortement dépendant des exportations et qui présente un handicap de coûts
salariaux vis à vis de ses voisins directs. Le comité note que, après avoir décrit à son
tour les différentes étapes du mécanisme légal, le gouvernement affirme que: i) même si
celles ci sont certes encadrées par la loi et basées sur le rapport du secrétariat du
CCE, les partenaires sociaux gardent l’initiative des négociations de la norme
salariale; ii) le gouvernement fédéral n’intervient pour fixer la norme salariale qu’en
cas de l’échec de la négociation entre les partenaires sociaux et de la médiation
proposée par ce dernier; iii) même si le gouvernement peut également intervenir lorsque
l’accord conclu entre les partenaires sociaux n’est pas conforme à la marge maximale
fixée par le CCE, il reste toujours possible d’établir un dialogue: iv) même si des
accords n’ont pu être trouvés lors des deux rounds suivants de négociation, les
partenaires sociaux ont réussi, dans le cadre du mécanisme réformé en 2017, à adopter de
manière consensuelle la marge maximale d’évolution du coût salarial pour la période
2017-18; et v) la norme salariale adoptée soit par accord des partenaires sociaux, soit
par un arrêté royal (AR) a une durée d’application de deux ans et ne présente donc pas
un caractère permanent.
- 142. Le comité note que le gouvernement manifeste par ailleurs que le
mécanisme légal de calcul de la marge maximale pour l’évolution du coût salarial
n’inclut pas l’ensemble des éléments relatifs au coût salarial dans la mesure où, en
vertu de l’article 10 de la loi, ne sont pas pris en compte pour le calcul du coût
salarial les éléments suivants: i) les participations bénéficiaires, telles que définies
par la loi; ii) les augmentations de la masse salariale résultant de l’accroissement du
nombre de personnes occupées en équivalents plein temps; iii) les paiements en espèces
ou en actions ou parts aux travailleurs, en application de la loi du 22 mai 2001
relative à la participation des travailleurs au capital des sociétés et à
l’établissement d’une prime bénéficiaire pour les travailleurs; iii) les cotisations
versées dans le cadre des régimes de pension qui remplissent les conditions visées par
la loi du 28 avril 2003 relative aux pensions complémentaires; iv) les primes uniques
d’innovation visées à l’article 28 de la loi du 3 juillet 2005; et v) la prime corona de
soutien temporaire au pouvoir d’achat des travailleurs d’un montant maximal de 500 euros
incluse dans l’AR du 21 juillet 2021.
- 143. Le comité note que le gouvernement indique ensuite que les
indexations des salaires et les augmentations barémiques (c’est-à-dire l’augmentation
salariale existante en fonction de l’ancienneté, de l’âge, des promotions normales ou
changements de catégorie individuels, prévue par une convention collective) sont
garanties par la loi et que l’augmentation salariale établie en vertu du mécanisme légal
objet de la présente plainte viendra donc s’ajouter aux éventuelles indexations et
augmentations barémiques. Le gouvernement manifeste à cet égard que, parmi ses voisins,
la Belgique est le seul pays à disposer d’un mécanisme automatique d’indexation des
salaires conventionnellement garanti. Le comité note finalement que le gouvernement
indique que: i) la coordination de la norme salariale au niveau intersectoriel objet du
présent cas ne peut être examinée séparément du système institutionnel dans lequel elle
s’insère, lequel facilite fortement les négociations (salariales) collectives et
sectorielles et qui dispose d’un système très développé de détermination des salaires de
base sectoriels par des conventions collectives; ii) les données statistiques
disponibles démontrent que le nombre de conventions collectives conclues au niveau
sectoriel n’a pas diminué depuis 2017 et qu’il existe toujours au sein de celles-ci une
grande diversité de thèmes traités; et iii) la concertation sociale se poursuit sur les
autres thèmes, la négociation collective ne se limitant pas aux seules négociations
relatives aux salaires.
- 144. Le comité prend bonne note des différents éléments fournis par les
parties. Il relève qu’il ressort des descriptions concordantes des organisations
plaignantes et du gouvernement que le mécanisme de fixation de la norme salariale au
niveau intersectoriel, établi en 1996 et réformé en 2017 et qui a pour but d’établir
pour une période de deux ans la marge maximale pour l’évolution du coût salarial, est
composé des étapes suivantes: i) chaque année paire, le secrétariat technique du CCE
effectue un calcul de ladite marge maximale sur le fondement de critères limitativement
énumérés par l’article 5 de la loi; ii) sur la base de ce calcul, les partenaires
sociaux entament des négociations pour fixer la marge maximale, leur éventuel accord
étant consacré dans une convention collective nationale (article 6, paragraphe 2, de la
loi); iii) en cas d’absence de succès des négociations, le gouvernement facilite un
processus de concertation et médiation entre les partenaires sociaux (article 6,
paragraphe 3, de la loi); et iv) en cas d’échec de la médiation, il revient au
gouvernement de fixer la marge maximale, sa décision donnant lieu à l’adoption en
Conseil des ministres d’un AR (article 7, paragraphe 1, de la loi). Le comité relève que
les parties coïncident également sur le fait que, aussi bien les partenaires sociaux
dans l’hypothèse où elles concluent un accord que le gouvernement dans le cas de
l’adoption d’un AR, ne peuvent aller au delà de la marge calculée en début de processus
par le secrétariat du CCE (article 7 de la loi) et que la marge finalement fixée est
d’application générale aux différents niveaux de négociation sous peine de sanction des
employeurs concernés.
- 145. Le comité relève que si le mécanisme ainsi décrit s’inscrit dans une
pratique établie de concertation sur les salaires au niveau intersectoriel dont les
résultats s’appliquent ensuite aux différents niveaux de négociation existants dans le
pays, la réforme intervenue en 2017 a modifié de manière significative certains de ses
aspects. À cet égard, le comité observe que le gouvernement reconnaît l’existence de
limites à la liberté de négociation des partenaires sociaux en matière d’évolution des
salaires, en particulier du fait de l’obligation de respecter la marge maximale calculée
en début de processus par le secrétariat du CCE. Le comité constate que l’appréciation
des parties diverge en revanche, d’une part, sur l’ampleur des restrictions apportées à
l’autonomie des parties et, d’autre part, sur le caractère temporaire ou non de ces
limites.
- 146. Concernant le premier point, le comité relève, tel qu’indiqué par
les parties, qu’en vertu de la législation en vigueur les partenaires sociaux ne peuvent
s’accorder sur une norme salariale prévoyant une hausse supérieure à la marge maximale
d’évolution des coûts salariaux établie au préalable par le secrétariat technique du
CCE, elle-même calculée sur la base de critères limitativement énumérés par la loi. À
cet égard, le comité note que l’article 2 de la loi définit l’évolution du coût salarial
comme «l’augmentation en termes nominaux du coût salarial moyen par travailleur dans le
secteur privé» et que, dans ce cadre, le coût salarial est défini par la même
disposition comme «l’ensemble des rémunérations en espèces ou en nature que versent les
employeurs à leurs salariés en paiement du travail accompli par ces derniers au cours de
la période de référence (...)». Tout en prenant bonne note que l’article 10 de la loi
dispose que certaines augmentations de la masse salariale limitativement énumérées
n’entrent pas dans le calcul de la marge maximale, le comité observe que les éléments
décrits indiquent l’existence d’une restriction significative de la capacité des
partenaires sociaux à négocier de manière autonome l’évolution du niveau des salaires du
secteur privé. À cet égard, le comité rappelle qu’il a considéré qu’il revient aux
parties de déterminer les questions à négocier et que la détermination des critères à
prendre en compte par les parties pour fixer les salaires (hausse du coût de la vie,
productivité, etc.) est matière à négociation entre celles-ci, et il ne revient pas au
comité de se prononcer sur les critères à retenir en matière de réajustements salariaux.
[Voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, sixième édition,
2018, paragr. 1289 et 1465.] Rappelant que la Belgique a ratifié les conventions nos 98
et 154, le comité souligne également qu’il a considéré que les mesures prises
unilatéralement par les autorités pour restreindre l’étendue des sujets négociables sont
souvent incompatibles avec la convention no 98; des discussions tripartites visant à
élaborer sur une base volontaire des lignes directrices en matière de négociation
collective constituent une méthode particulièrement appropriée pour y remédier. [Voir
Compilation, paragr. 1290.]
- 147. Concernant le caractère temporaire ou non des limites à la libre
négociation de la marge maximale de l’évolution des coûts salariaux décrites
précédemment, le comité observe que, si la norme salariale adoptée tous les deux ans
n’a, par définition, pas de caractère permanent, le mécanisme qui permet de l’établir et
qui fait l’objet de la présente plainte est en revanche d’application continue dans le
temps dans la mesure où, en vertu de la législation en vigueur, il régit pour une durée
indéterminée les exercices successifs de fixation de la marge maximale d’évolution des
coûts salariaux. À cet égard, et tout en prenant dûment compte des caractéristiques du
présent cas (participation des partenaires sociaux à la fixation de la marge maximale,
possibilité de négocier certains aspects circonscrits des rémunérations en sus de
celle-ci, mécanisme d’indexation des salaires), le comité rappelle qu’il a considéré que
si, au nom d’une politique de stabilisation, un gouvernement considère que le taux des
salaires ne peut pas être fixé librement par voie de négociations collectives, une telle
restriction devrait être appliquée comme une mesure d’exception, limitée à
l’indispensable, elle ne devrait pas excéder une période raisonnable et elle devrait
être accompagnée de garanties appropriées en vue de protéger le niveau de vie des
travailleurs. [Voir Compilation, paragr. 1456.]
- 148. Sur la base de ce qui précède et prenant dûment compte de la
tradition de concertation qui caractérise les relations collectives de travail en
Belgique, le comité prie le gouvernement, en pleine consultation avec les partenaires
sociaux, de prendre les mesures nécessaires pour assurer que les partenaires sociaux
peuvent décider librement des critères sur lesquels baser leurs négociations sur les
évolutions de salaires au niveau intersectoriel et des résultats desdites négociations.
Le comité prie le gouvernement de le tenir informé de l’évolution de la situation.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 149. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil
d’administration à approuver la recommandation suivante:
- Le comité prie le
gouvernement, en pleine consultation avec les partenaires sociaux, de prendre les
mesures nécessaires pour assurer que les partenaires sociaux peuvent décider
librement des critères sur lesquels baser leurs négociations sur les évolutions de
salaires au niveau intersectoriel et des résultats desdites négociations. Le comité
prie le gouvernement de le tenir informé de l’évolution de la
situation.