Allégations: L’organisation plaignante allègue l’interdiction d’une manifestation
publique en raison du contexte sanitaire lié à la pandémie de COVID-19, ainsi que le
déploiement inapproprié de forces de police sur les lieux du rassemblement prévu à cette
occasion
- 160. La plainte figure dans une communication datée du 23 mai 2022,
soumise par la Centrale syndicale du secteur public (CSP), au nom de la plateforme
d’action syndicale Cameroun Workers Forum (CAWOF).
- 161. Le gouvernement a transmis ses observations dans une communication
en date du 22 juin 2022.
- 162. Le Cameroun a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale
et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit
d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations de l’organisation plaignante
A. Allégations de l’organisation plaignante- 163. Dans sa communication en date du 23 mai 2022, l’organisation
plaignante indique qu’en février 2022 le mouvement syndical camerounais s’est doté d’une
plateforme d’unité d’action syndicale dénommée Cameroun Workers Forum (CAWOF),
constituée de huit confédérations sur les douze que compte aujourd’hui le Cameroun, à
savoir: la CSP, également point focal et coordonnatrice; la Confédération syndicale des
travailleurs du Cameroun (CSTC); la Confédération des syndicats autonomes du Cameroun
(CSAC); l’Union des syndicats libres du Cameroun (USLC); la Confédération Entente
nationale des travailleurs du Cameroun (ENTENTE); la Confédération camerounaise du
travail (CTT); la Confédération des travailleurs unis du Cameroun (CTUC); et la
Confederation of Cameroon Workers Trade Unions (CCWTU).
- 164. L’organisation plaignante allègue que le 1er mai 2022 le CAWOF a eu
à affronter des forces de police déployées pour empêcher l’organisation d’un
rassemblement à l’occasion de la célébration de la fête du travail au siège de la CSP,
bien que l’activité ait été déclarée dans les délais prescrits, conformément à
l’article 3 de la loi no 90/55 du 19/12/1990 fixant le régime des réunions et des
manifestations publiques. La CSP allègue que le siège de l’organisation était cerné
depuis six heures du matin par une cinquantaine de policiers lourdement armés, empêchant
son président d’accéder à son bureau et interdisant aux militants de s’approcher du
siège de l’organisation. La CSP dénonce également une «chasse à l’homme» des
journalistes et photographes venus couvrir l’événement.
- 165. L’organisation plaignante indique que, en réponse à cette
provocation, les militants des confédérations membres du CAWOF venus en masse pour
l’occasion ont décidé d’«opposer à l’illégalité administrative, la légalité
républicaine» à travers une mobilisation ponctuée par des chants et autres actions de
résistance, ce qui a fini par faire plier les policiers qui ont levé le siège aux
environs de midi. Ce n’est qu’après leur départ que les différentes manifestations
prévues ont finalement pu avoir lieu.
- 166. L’organisation plaignante allègue que les autorités ont brandi le
prétexte des restrictions sanitaires liées à la pandémie de COVID-19 pour empêcher
l’organisation de la manifestation. Selon la CSP, il s’agit d’un argument fallacieux
dans la mesure où de grands rassemblements ont régulièrement été autorisés à la même
époque, à commencer par la Coupe d’Afrique des Nations de football en janvier 2022, la
fête de la jeunesse célébrée le 11 février 2022 sur l’ensemble du territoire national,
la Journée internationale de la femme également célébrée le 8 mars 2022 sur l’ensemble
du territoire sans aucune restriction, ou encore la fête nationale du 20 mai 2022
célébrée en présence du Chef de l’État ainsi que dans toutes les régions administratives
du pays.
- 167. L’organisation plaignante estime que la dangerosité du COVID-19
n’est apparemment manifeste qu’à l’égard des travailleurs et des organisations
syndicales du Cameroun au point de n’être convoquée que lors de la célébration du
1er mai 2022, dans le but d’empêcher toute dénonciation des abus d’autorité et autres
violations des droits que subissent les travailleurs du pays.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 168. Dans sa communication en date du 22 juin 2022, le gouvernement
indique que, dans le cadre des préparatifs de la célébration de la 136e édition de la
Journée internationale du travail le 1er mai 2022, des concertations tripartites
préalables se sont déroulées sous la conduite du ministre du Travail et de la Sécurité
sociale, à l’issue desquelles il a été arrêté que la marche des travailleurs ne pourrait
pas avoir lieu en raison du contexte sanitaire lié à la pandémie de COVID-19.
- 169. Le gouvernement fait savoir que le format définitif des célébrations
de la journée du 1er mai 2022 a été porté à la connaissance des acteurs du monde du
travail, avec à la clef un certain nombre d’activités parmi lesquelles: l’installation
des Comités d’hygiène et de sécurité au travail; l’animation d’un webinaire sur la santé
au travail avec la participation des partenaires sociaux; un Live chat tripartite en
présence du ministre du Travail et de la Sécurité sociale; la visite par le ministre des
sièges des organisations syndicales installées à Yaoundé, ainsi que l’organisation d’un
dîner-débat avec les responsables des organisations syndicales sur le thème retenu pour
cette journée internationale, à savoir: «Monde du Travail: lutte contre le COVID-19,
protection des emplois et productivité».
- 170. Le gouvernement indique que c’est dans ce contexte que la CSP,
agissant au nom du CAWOF, a introduit auprès de l’autorité administrative compétente une
déclaration de manifestation publique pour le 1er mai 2022, dans laquelle il était
précisé qu’elle se déroulerait dans la cour du siège de la CSP. Or, selon le
gouvernement, il est apparu lors de l’examen de cette demande que la CSP, sans tenir
compte des conclusions des concertations tripartites préalables, projetait plutôt
d’organiser des manifestations sur la principale voie de circulation de l’arrondissement
concerné et non dans la cour du siège de la CSP comme indiqué dans sa correspondance
adressée à l’autorité administrative. Fort de ce constat, cette dernière lui a fait part
de son impossibilité de lui délivrer un récépissé de déclaration pour le 1er mai
2022.
- 171. Le gouvernement fait observer que les organisateurs ont délibérément
décidé d’occuper la voie publique. Ainsi, dans le souci de préserver l’ordre public,
l’autorité administrative compétente a pris des dispositions pour, d’une part, garantir
le bon déroulement de la circulation routière sur cette artère importante de la ville
et, d’autre part, assurer l’encadrement sans incident de ce rassemblement sur la voie
publique.
- 172. Le gouvernement fait également observer que, «en dépit de cette
situation passagère», les activités retenues pour le 1er mai 2022 se sont normalement
déroulées conformément au format retenu. C’est ainsi que le ministre du Travail et de la
Sécurité sociale s’est rendu aux sièges des confédérations syndicales dont celui de la
CSP où il a été chaleureusement accueilli par les responsables des organisations
syndicales et les travailleurs réunis pour cette célébration. Selon le gouvernement,
aucun siège d’une organisation syndicale n’a été bloqué le 1er mai 2022; aucun
affrontement avec les forces de police n’a été relevé et aucune interpellation n’a été
ordonnée. Le gouvernement fait enfin observer qu’aucune action judiciaire n’a été
entamée par les responsables desdites organisations, à l’effet de contester la mesure
administrative prise en l’espèce. Le gouvernement considère que les faits présentés par
la CSP sont biaisés et qu’il s’agit d’allégations fantaisistes.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 173. Le comité observe que le présent cas porte sur des allégations
relatives à l’interdiction d’une manifestation publique à l’occasion de la fête du
1er mai 2022, en raison du contexte sanitaire lié à la pandémie de COVID-19, ainsi qu’au
déploiement inapproprié de forces de police sur les lieux du rassemblement convoqué ce
jour-là par la CSP.
- 174. Le comité note que, selon la CSP, des forces de police ont été
déployées le 1er mai 2022 pour empêcher l’organisation d’un rassemblement à l’occasion
de la célébration de la fête du travail au siège de la CSP, alors que l’activité avait
été déclarée dans les délais prescrits, conformément à la législation en vigueur. Le
comité observe que la CSP allègue à cet égard que le siège de l’organisation était
encerclé depuis les premières heures de la matinée par une cinquantaine de policiers
lourdement armés, empêchant son président d’accéder à son bureau et interdisant aux
militants de s’approcher du siège de l’organisation. Le comité note que l’organisation
plaignante dénonce également une «chasse à l’homme» des journalistes et photographes
venus couvrir l’événement.
- 175. Le comité note que le gouvernement de son côté récuse l’ensemble des
allégations présentées, qu’il qualifie de «fantaisistes» indiquant que: i) les
organisations syndicales étaient dûment informées du format retenu pour la célébration
de la journée du 1er mai 2022 en raison de la crise sanitaire et que des concertations
tripartites préalables s’étaient déroulées sous la conduite du ministre du Travail et de
la Sécurité sociale à cet effet; ii) dans ce contexte, la CSP a introduit auprès de
l’autorité administrative compétente une déclaration de manifestation publique pour le
1er mai 2022, dans laquelle il était précisé qu’elle se déroulerait dans la cour du
siège de la CSP. Or, il est apparu lors de l’examen de cette demande que la CSP, sans
tenir compte des conclusions des concertations tripartites préalables, projetait plutôt
d’organiser des manifestations sur la principale voie de circulation de l’arrondissement
concerné et non dans la cour du siège de la CSP comme indiqué dans sa correspondance
adressée à l’autorité administrative, si bien que cette dernière lui a fait part de son
impossibilité de lui délivrer un récépissé de déclaration pour le 1er mai 2022; iii) les
organisateurs ayant délibérément décidé d’occuper la voie publique, des forces de police
ont été déployées pour garantir le bon déroulement de la circulation sur l’axe routier
en question et préserver l’ordre public; iv) les activités retenues pour le 1er mai 2022
se sont ensuite normalement déroulées conformément au format retenu. Le ministre du
Travail et de la Sécurité sociale s’est ainsi rendu aux sièges des confédérations
syndicales dont celui de la CSP où il a été chaleureusement accueilli par les
responsables des organisations syndicales et les travailleurs réunis pour cette
célébration; v) aucun siège d’organisation syndicale n’a été bloqué le 1er mai 2022 au
Cameroun, aucun affrontement avec les forces de police n’a été relevé, aucune
interpellation n’a été ordonnée, et aucune action judiciaire n’a été entamée par les
responsables des organisations concernées, à l’effet de contester la mesure
administrative prise en l’espèce.
- 176. Le comité prend note des informations fournies par le gouvernement
concernant le refus de l’autorité compétente d’autoriser le rassemblement des militants
du CAWOF à l’initiative de la CSP, en raison du contexte sanitaire et des mesures prises
à cet égard. Le comité observe que, selon le gouvernement, les organisations syndicales
auraient consenti au format exceptionnel envisagé pour la célébration de la journée du
1er mai 2022, alors que les informations fournies par le plaignant, comme l’objet de la
plainte elle-même, donnent à penser qu’à tout le moins il y a eu un malentendu entre les
parties quant à ce qui a été convenu. Le comité observe en effet, d’après les pièces
portées à sa connaissance que: i) la demande de la CSP adressée à l’autorité compétente
au nom du CAWOF précise que la manifestation publique aurait lieu au siège de
l’organisation; ii) l’autorité compétente a répondu en indiquant ne pas être en mesure
de délivrer le récépissé de la déclaration de manifestation, car les festivités marquant
cette journée devaient être organisées en comités restreints, en raison du contexte
sanitaire et conformément au résultat des concertations; et iii) le gouvernement, dans
sa communication du 22 juin 2022, affirme que la CSP envisageait en réalité d’occuper la
voie publique, mais ne fournit pas d’éléments susceptibles d’étayer cette affirmation.
Le comité observe également que la CSP et le CAWOF qu’elle représente ont entendu
maintenir la manifestation publique, sans qu’il soit possible d’établir s’il était
envisagé d’occuper ou non la voie publique.
- 177. Le comité note que si les raisons de l’interdiction de la
manifestation publique ont trait au COVID 19, comme le souligne le gouvernement, il
ressort des allégations de la CSP, auxquelles le gouvernement n’a pas répondu, que de
telles mesures restrictives n’auraient pas été prises à l’occasion d’autres grands
rassemblements, à savoir la Coupe d’Afrique des Nations (janvier 2022), la fête de la
jeunesse (11 février 2022), la Journée internationale de la femme (8 mars 2022), ou
encore la fête nationale (20 mai 2022).
- 178. Tout en prenant note du caractère contradictoire des versions
présentées par le gouvernement et l’organisation plaignante relativement au contexte
sanitaire, et considérant qu’il ne lui appartient pas d’apprécier les mesures de
restriction liées à la pandémie, le comité rappelle que le droit d’organiser des
réunions publiques et des cortèges à l’occasion du 1er mai constitue un aspect important
des droits syndicaux. [Voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale,
sixième édition, 2018, paragr. 212.]
- 179. Tout en prenant dûment note des mesures imposant des limitations
quant à la tenue des réunions publiques qui, selon le gouvernement, ont été acceptées
par les syndicats, le comité rappelle que ces restrictions devraient remplir des
critères stricts, répondre aux principes de nécessité et de proportionnalité et être
évaluées au cas par cas. Le comité regrette à cet égard que le gouvernement n’ait pas
engagé de discussions avec la CSP à la suite de sa demande d’organiser une manifestation
publique le 1er mai 2022, d’une manière qui, à la fois, respecte les mesures prises pour
assurer l’ordre public et tienne compte de l’importance d’organiser des réunions
publiques le 1er mai en tant que forme traditionnelle de l’action syndicale.
- 180. S’agissant des allégations relatives au déploiement des forces de
police devant les locaux de la CSP, et tout en notant le caractère contradictoire des
informations portées à sa connaissance, le comité souhaite rappeler que les autorités ne
devraient avoir recours à la force publique que dans des situations où l’ordre public
serait sérieusement menacé. L’intervention de la force publique devrait rester
proportionnée à la menace pour l’ordre public qu’il convient de contrôler, et les
gouvernements devraient prendre des dispositions pour que les autorités compétentes
reçoivent des instructions appropriées en vue d’éliminer le danger qu’impliquent les
excès de violence lorsqu’il s’agit de contrôler des manifestations qui pourraient
troubler l’ordre public. [Voir Compilation, paragr. 217.] Le comité souhaite également
rappeler qu’un mouvement syndical libre et indépendant ne peut se développer que dans un
climat exempt de violences, de menaces et de pression et qu’il incombe au gouvernement
de garantir que les droits syndicaux puissent se développer normalement. [Voir
Compilation, paragr. 87.]
- 181. Enfin, en ce qui concerne les allégations de «chasse à l’homme» des
journalistes et photographes, le comité observe que le plaignant n’apporte pas
d’éléments à l’appui de telles allégations. Dans ces conditions, le comité ne poursuivra
pas l’examen de cette question.
- 182. À la lumière de ce qui précède, le comité invite le gouvernement à
prendre les mesures nécessaires pour que, à l’avenir, les organisations de travailleurs
puissent organiser librement les réunions qu’elles souhaitent pour célébrer le 1er mai
tout en respectant les dispositions prises pour assurer l’ordre public.
Recommandations du comité
Recommandations du comité- 183. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil
d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité invite
le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour que, à l’avenir, les
organisations de travailleurs puissent organiser librement les réunions qu’elles
souhaitent pour célébrer le 1er mai tout en respectant les dispositions prises pour
assurer l’ordre public.
- b) Le comité considère que le présent cas est clos
et ne nécessite pas un examen plus approfondi.