Allégations: L’organisation plaignante allègue le harcèlement puis le
licenciement du secrétaire général d’un syndicat de travailleurs d’une brasserie à la suite
de déclarations publiées sur les réseaux sociaux pendant la pandémie de COVID
19
- 383. La plainte figure dans une communication de la Confédération
générale des travailleurs du Pérou (CGTP) en date du 18 août 2020. La CGTP a fait
parvenir des informations complémentaires dans des communications datées du 9 décembre
2020 et du 13 août 2021.
- 384. Le gouvernement a fait part de ses observations dans des
communications en date du 16 novembre et des 4 et 16 décembre 2020; du 7 mai, des 11 et
25 juin, et du 28 septembre 2021; du 9 août 2022; et du 15 avril 2024.
- 385. Le Pérou a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et
la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit
d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations de l’organisation plaignante
A. Allégations de l’organisation plaignante- 386. Dans ses communications, la CGTP allègue qu’en 2020, l’entreprise
Unión de Cervecerías Peruanas Backus y Johnston S.A.A. (ci après, «l’entreprise») a
harcelé puis licencié le secrétaire général du Syndicat national des travailleurs de
l’Unión de Cervecerías Peruanas Backus y Johnston S.A.A., M. Luis Rolando Samán Cuenca,
à la suite de déclarations publiées sur les réseaux sociaux concernant des manquements
de l’entreprise en matière de sécurité et de santé au travail pendant la pandémie de
COVID 19. Selon l’organisation plaignante, ces affirmations ont été formulées dans
l’exercice des fonctions inhérentes au poste de secrétaire général et, par conséquent,
les mesures adoptées par l’entreprise supposaient une restriction de ses libertés
d’expression, d’opinion et de dénonciation qui sont constitutives de la liberté
syndicale.
- 387. L’organisation plaignante allègue que: i) principalement entre mars
et juillet 2020, des publications ont été faites sur les réseaux sociaux (Facebook et
Twitter) du syndicat et de son secrétaire général, affirmant que pendant la pandémie,
l’entreprise avait mené des activités de production sans disposer de l’autorisation
nécessaire et en violation des mesures relatives à la sécurité et la santé au travail
émises par le gouvernement; ces publications faisaient aussi état d’une hausse du nombre
de travailleurs contaminés et du décès de certains d’entre eux, et dénonçaient les
pressions, les intimidations et les menaces auxquelles l’entreprise avait recouru pour
que les travailleurs syndiqués signent des accords individuels spéciaux portant
notamment sur l’octroi de congés payés et compensables; ii) ce sont ces publications qui
ont poussé l’entreprise dans un premier temps à harceler le syndicat et son secrétaire
général, par l’envoi successif de trois courriers (un courrier en date du 22 juillet
2020 adressé au syndicat et deux courriers en date des 1er et 3 août 2020 adressés au
secrétaire général) dans lesquels elle accusait les publications de contenir de fausses
affirmations et priait instamment le syndicat de prouver la véracité de ces informations
et le secrétaire général de rectifier les fausses affirmations dans un délai donné; et
iii) ces mêmes publications ont ensuite été à l’origine du licenciement arbitraire du
secrétaire général, notifié par un courrier daté du 4 décembre 2020, alors qu’il avait
déjà fait l’objet de plaintes et de sanctions en 2018 pour un autre exercice
prétendument illégitime de sa liberté d’expression. En outre, l’organisation plaignante
indique que dans le cadre de la plainte déposée par l’entreprise en 2020 pour le délit
présumé de diffamation aggravée dans les publications susmentionnées, le tribunal pénal
compétent, dans son jugement no 13 du 21 juillet 2021, a décidé d’acquitter le
secrétaire général.
- 388. L’organisation plaignante allègue que les mesures prises par
l’entreprise constituent des représailles pour des déclarations formulées dans
l’exercice légitime de la liberté syndicale du secrétaire général et dans le cadre de sa
fonction de défense des droits et des intérêts des travailleurs, dont leur vie et leur
santé.
- 389. L’organisation plaignante affirme également que les éléments décrits
dans les publications étaient véridiques et présentaient un intérêt public dans le
contexte de la pandémie, et indique que le bureau du procureur pénal d’urgence de Lima a
été saisi d’une plainte contre l’entreprise pour manquement aux normes de sécurité et de
santé au travail.
- 390. Enfin, l’organisation plaignante allègue que le comportement
antisyndical de l’entreprise se dénotait également dans sa tentative d’accuser le
syndicat et son secrétaire général d’exercer illégitimement leur liberté d’expression
alors que la négociation collective pour 2020 21 était en cours.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 391. Dans ses communications, le gouvernement transmet les observations
de l’entreprise et de la Surintendance nationale de l’inspection du travail (SUNAFIL),
et communique des informations sur les procédures judiciaires en instance.
- 392. D’une part, l’entreprise: i) indique que les déclarations publiées
sur les réseaux sociaux contiennent de fausses affirmations et sont donc offensantes,
injurieuses et nuisent à l’honneur de l’entreprise, à son image et à sa réputation
interne et externe, et constituent par conséquent un exercice illégitime de la liberté
d’expression; ii) explique qu’elle a envoyé des courriers au syndicat et à son
secrétaire général pour que, dans un délai donné, ils prouvent la véracité de leurs
déclarations et rectifient les fausses affirmations; iii) signale qu’elle a décidé de
licencier le secrétaire général parce que la publication des déclarations constituait
une faute grave au regard de la législation nationale (injure et propos injurieux sous
forme écrite visant l’employeur); en outre, elle estimait que dans sa réponse, le
secrétaire général n’entendait nullement modifier les déclarations ni ne réfutait la
faute, et enfin il existait déjà des antécédents disciplinaires pour des comportements
de nature similaire datant de 2017 et 2018, pour lesquels il avait notamment intenté,
sans succès, des procédures judiciaires pour remettre en cause les sanctions
précédentes; iv) réfute tout acte présumé de persécution systématique visant secrétaire
général; v) indique qu’en ce qui concerne la plainte pour diffamation aggravée, dans un
premier temps, des jugements prononcés en 2021 en première et seconde instances ont
acquitté le secrétaire général, mais ensuite, le 28 février 2024, la chambre pénale
permanente de la Cour suprême de justice a rendu un arrêt en cassation, rendant sans
effet les jugements pour vice de procédure et ordonnant qu’une nouvelle décision soit
prononcée; vi) informe qu’en 2020, le secrétaire général a entamé une action pour
annuler son licenciement et des décisions de première et seconde instances, rendues
respectivement en 2022 et 2023, ont estimé que sa demande était fondée et ont ordonné sa
réintégration, mais la chambre du travail permanente de la Cour suprême de justice a
accepté un pourvoi en cassation (décision no 20 du 31 janvier 2024) toujours en
instance; et vii) fait savoir qu’elle a temporairement réintégré le secrétaire général
dans l’attente du prononcé en dernière instance sur la nullité de son licenciement.
- 393. L’entreprise précise que tant l’envoi des courriers au syndicat et
au secrétaire général que le licenciement de ce dernier ont été faits conformément à
l’ordonnancement juridique (le secrétaire général a même été invité à une réunion
d’enquête et de dialogue avec l’entreprise à laquelle il n’a pas participé pour des
raisons de santé) et qu’ils ne s’apparentaient aucunement à des actes antisyndicaux ni
n’avaient pour intention d’intimider, de harceler ou de contraindre le secrétaire
général, de porter atteinte au droit d’exercer sa liberté syndicale ou de le priver de
sa liberté d’expression ou de défense.
- 394. L’entreprise communique également des informations détaillées sur
une série de mesures adoptées pendant la pandémie pour protéger la sécurité et la santé
de son personnel, et se conformer à ses obligations légales.
- 395. Du reste, l’entreprise nie tout lien entre les mesures adoptées à la
suite des déclarations publiques et la négociation collective alors en cours.
- 396. D’autre part, la SUNAFIL communique des informations relatives à
quatre inspections du travail effectuées en 2020 sur différents sites de l’entreprise
dans le pays pour vérifier le respect de la réglementation en matière de sécurité et de
santé au travail pendant la pandémie. Dans tous les cas, les inspecteurs du travail ont
constaté que l’entreprise n’avait pas respecté certaines normes de sécurité et de santé
au travail. Par conséquent, deux inspections ont donné lieu à des constats d’infraction,
tandis que pour les deux autres, l’entreprise a été priée de remédier aux manquements
constatés, ce qu’elle a fait en temps voulu.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 397. Le comité observe que le présent cas fait référence à des
allégations de violation de la liberté syndicale dans une entreprise brassicole, liées
au harcèlement puis au licenciement du secrétaire général d’un syndicat de travailleurs
à la suite de déclarations publiées sur les réseaux sociaux pendant la pandémie de COVID
19.
- 398. Le comité note que l’organisation plaignante allègue que: i) en
2020, l’entreprise a harcelé le syndicat et son secrétaire général par l’envoi de
courriers successifs et le licenciement ultérieur du secrétaire général à la suite de
déclarations publiées principalement sur les réseaux sociaux à propos de manquements de
l’entreprise en matière de sécurité et de santé au travail pendant la pandémie; et ii)
ces mesures constituent des actes de représailles de la part de l’entreprise pour des
déclarations formulées par le secrétaire général dans l’exercice de légitime de sa
liberté d’expression et dans le cadre de sa fonction de défense des droits et des
intérêts des travailleurs, dont leur vie et leur santé, qui sont constitutives de la
liberté syndicale.
- 399. À cet égard, le comité prend note des communications transmises par
le gouvernement dont il ressort que selon l’entreprise: i) les déclarations publiées sur
les réseaux sociaux contiennent de fausses affirmations et nuisent à l’honneur de
l’entreprise, à son image et à sa réputation interne et externe, et constituent par
conséquent un exercice illégitime de la liberté d’expression; ii) l’objectif des
courriers adressés au syndicat et à son secrétaire général était de leur demander de
prouver la véracité du contenu des publications et de corriger les fausses affirmations;
iii) l’entreprise a finalement décidé de procéder au licenciement du secrétaire général
parce qu’elle estimait que la publication des déclarations constituait une faute grave
au regard de la législation nationale, la réponse du secrétaire général n’entendait
nullement modifier les déclarations ni ne réfutait la faute et enfin, parce qu’il
existait déjà des antécédents disciplinaires pour des comportements de nature similaire
datant de 2017 et 2018 (pour lesquels des procédures judiciaires avaient notamment été
intentées, sans succès, pour remettre en cause les sanctions précédentes); et iv) tant
l’envoi des courriers au syndicat et au secrétaire général que le licenciement de ce
dernier ont été faits conformément à l’ordonnancement juridique et ne constituaient pas
une persécution systématique du secrétaire général ni ne s’apparentaient à des actes
antisyndicaux ou n’avaient pour intention de harceler le secrétaire général, de le
priver de sa liberté d’expression ou de porter atteinte à son droit d’exercer sa liberté
syndicale.
- 400. Le comité prend note que tandis que l’organisation plaignante
allègue que les affirmations publiées sur les réseaux sociaux concernant l’entreprise
étaient véridiques et présentaient un intérêt public dans le contexte de la pandémie,
l’entreprise communique des informations détaillées sur une série de mesures adoptées
pour protéger la sécurité et la santé de son personnel, et se conformer à ses
obligations légales pendant la pandémie. À cet égard, le comité note que la
Surintendance nationale de l’inspection du travail (SUNAFIL) indique qu’en 2020, quatre
inspections du travail portant sur la sécurité et la santé au travail ont été effectuées
sur différents sites de l’entreprise dans le pays et dans tous les cas, les inspecteurs
du travail ont constaté des manquements de la part de l’entreprise à l’égard de
certaines normes de sécurité et la santé au travail. Par conséquent, deux inspections
ont donné lieu à des constats d’infraction tandis que pour les deux autres, l’entreprise
a été priée de remédier aux manquements constatés, ce qu’elle a fait en temps voulu. Le
comité prend également note que selon l’organisation plaignante, le bureau du procureur
pénal d’urgence de Lima a été saisi d’une plainte contre l’entreprise pour manquement
aux normes de sécurité et de santé au travail.
- 401. En outre, le comité note que d’après les informations communiquées
par l’organisation plaignante, l’entreprise et le gouvernement, la publication des
déclarations susmentionnées et le licenciement ultérieur du secrétaire général ont
conduit en 2020 au dépôt d’une plainte par l’entreprise visant le secrétaire général
pour diffamation aggravée et à l’ouverture d’une procédure judiciaire visant
l’entreprise pour obtenir la nullité du licenciement du secrétaire général et sa
réintégration à son poste de travail. À cet égard, le comité prend note que, selon les
informations transmises: i) en ce qui concerne la plainte pour diffamation aggravée, des
jugements prononcés en 2021 en première et seconde instances ont acquitté le secrétaire
général, mais ensuite la chambre pénale permanente de la Cour suprême de justice a rendu
les jugements sans effet pour vice de procédure et a ordonné qu’une nouvelle décision
soit prononcée; ii) des jugements de première et seconde instances, prononcés
respectivement en 2022 et 2023, ont estimé que l’action en nullité du licenciement du
secrétaire général était fondée et ont ordonné sa réintégration au sein de l’entreprise,
mais un pourvoi en cassation introduit contre cette action est toujours en instance; et
iii) l’entreprise a réintégré temporairement le secrétaire général à son poste de
travail en attendant que la Cour statue sur ledit pourvoi en cassation.
- 402. Tout en observant que les autorités judiciaires ont activement mené
les procédures judiciaires entamées par les parties concernées par la plainte, le comité
rappelle également que les affaires soulevant des questions de discrimination
antisyndicale devraient être examinées promptement afin que les mesures correctives
nécessaires puissent être réellement efficaces et qu’une lenteur excessive dans le
traitement de tels cas constitue une violation grave des droits syndicaux des
intéressés. [Voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, sixième
édition, 2018, paragr. 1139.] Il rappelle aussi que le droit des organisations de
travailleurs et d’employeurs d’exprimer des opinions par la voie de la presse ou
autrement est l’un des éléments essentiels des droits syndicaux; néanmoins, dans
l’expression de leurs opinions, lesdites organisations ne devraient pas dépasser les
limites convenables de la polémique et devraient s’abstenir d’excès de langage. [Voir
Compilation, paragr. 239 et 236.] Le comité s’attend à ce que les procédures en attente
de décision définitive (sur la diffamation aggravée et sur la nullité du licenciement)
soient réglées sans délai, en tenant compte des principes susmentionnés relatifs à la
liberté d’expression des organisations syndicales et à ses limites, et prie le
gouvernement de le tenir informé à cet égard.
- 403. Enfin, le comité prend note des allégations de l’organisation
plaignante selon lesquelles le comportement antisyndical de l’entreprise se dénotait
également dans sa tentative d’accuser le syndicat et son secrétaire général d’exercer
illégitimement leur liberté d’expression alors que la négociation collective pour 2020
21 était en cours. Il note à cet égard que l’entreprise nie tout lien entre les mesures
adoptées à la suite des déclarations publiques sur les réseaux sociaux et la négociation
collective en question. D’après les informations disponibles sur les comptes publics du
syndicat sur les réseaux sociaux, le comité observe que l’entreprise aurait décidé de
contester en justice la sentence arbitrale qui a réglé la négociation collective de 2020
21 et que les parties ont néanmoins conclu en 2021 une nouvelle convention collective
pour une durée de trois ans. Dans ces conditions, le comité ne poursuivra pas l’examen
de ces allégations.
Recommandations du comité
Recommandations du comité- 404. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil
d’administration à approuver la recommandation suivante:
- Le comité s’attend à ce
que les procédures en attente de décision définitive (sur la diffamation aggravée et
sur la nullité du licenciement) soient réglées sans délai, en tenant compte des
principes exposés dans les conclusions du présent cas, relatifs à la liberté
d’expression des organisations syndicales et à ses limites, et prie le gouvernement
de le tenir informé à cet égard.