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Rapport intérimaire - Rapport No. 56, 1961

Cas no 143 (Espagne) - Date de la plainte: 15-AVR. -59 - Clos

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  1. 87. A sa vingt-septième session (février 1961), le Comité a poursuivi l'examen du présent cas et a présenté un rapport intérimaire, contenu aux paragraphes 43 à 54 de son cinquante-deuxième rapport, lequel a été approuvé par le Conseil d'administration à sa 148ème session (7-10 mars 1961). Il ne sera question dans les pages qui vont suivre que des allégations restées en suspens.

A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  • Allégations relatives au procès intenté en Catalogne à quatre-vingt-dix-neuf travailleurs accusés d'avoir essayé de reconstituer la Confédération nationale du travail, déclarée hors la loi au moment de l'accès au pouvoir du gouvernement actuel
    1. 88 Dans une communication du 13 septembre 1960, l'Union générale des travailleurs espagnols en exil formule plusieurs allégations relatives à la situation du syndicalisme en Espagne, à l'occasion d'un procès - qui n'est pas encore terminé - intenté à quatre-vingt-dix-neuf travailleurs accusés d'avoir tenté de reconstituer, en 1947, la Confédération nationale du travail, déclarée hors la loi au moment de l'accès au pouvoir du général Franco. Dans une annexe à ladite plainte, figure un rapport dans lequel sont examinés les faits qui sont reprochés aux prévenus, la procédure qui a été suivie à ce jour et la législation sur la base de laquelle les poursuites furent engagées. Parmi les faits retenus contre les intéressés figurent la reconstitution d'une association mise hors la loi, la propagande illicite, la distribution de tracts clandestins et la détention d'armes prohibées.
    2. 89 Lors de ses sessions de novembre 1960 et de février 1961, le Comité, en l'absence des observations du gouvernement sur ces allégations, a ajourné l'examen de cet aspect du cas et a sollicité du gouvernement une réponse à leur sujet. Cette réponse est contenue dans la communication du gouvernement du 23 février 1961.
    3. 90 Dans cette communication, le gouvernement déclare que les conclusions de l'instruction ouverte à Barcelone en 1947 ont mis en évidence que les personnes en cause avaient tenté de constituer un mouvement clandestin visant à renverser le régime par la force, mettant ainsi en péril l'ordre public et la sécurité des citoyens. La reconstitution d'une organisation syndicale dissoute ne figure pas parmi les chefs d'accusation mentionnés. La documentation saisie a montré que les conspirateurs avaient réussi à organiser des groupes de guérilleros, pourvus d'un commandement militaire et dirigés par un état-major. Ces documents ont permis d'établir également qu'une «Plénière nationale des comités régionaux » a eu lieu clandestinement du 25 au 27 février 1947; parmi les travaux de cette « Plénière » figurent la constitution d'un «gouvernement de coalition des partis politiques opposés au régime », la confection et l'utilisation de clés pour messages chiffrés et les instructions précises données aux délégués des zones frontières pour faciliter l'information sur les fortifications et établir l'organisation nécessaire au passage de matériel et d'officiers de France à Barcelone.
    4. 91 Le gouvernement poursuit en déclarant que les moyens de caractère purement terroriste que les conspirateurs comptaient employer ressortent des documents saisis dans les bureaux de l'organisation, et il cite parmi les preuves recueillies: le relevé des fonctionnaires de l'Etat exerçant des fonctions qu'ils qualifiaient de répressives, avec indication de leur domicile; sur ce document de vingt pages, figuraient les plus hautes autorités comme les fonctionnaires les plus modestes; la communication adressée au Sous-comité de l'étranger pour demander instamment du matériel de guerre et des moyens pour réorganiser la «défense», ainsi qu'une autre communication, adressée au même organisme, insistant sur le besoin de matériel déterminé, en particulier d'explosifs, de grenades à main et de mitraillettes; les instructions pour l'organisation et le fonctionnement des sections d'information et de contre-enquête dans tous les secrétariats ou sections de défense de Catalogne, ainsi qu'un projet indiquant les premiers objectifs de l'action violente; le relevé des noms de tous les chefs et officiers qui servaient dans les différents tribunaux militaires de Barcelone et de la province, avec indication de leur domicile; les renseignements fournis par la fédération régionale de Ripoll sur l'état des forces et des frontières et sur les unités de police armée qui se trouvaient à Barcelone, un relevé des centres de police installés dans les différents quartiers, ainsi qu'une étude budgétaire pour l'acquisition d'un émetteur.
    5. 92 Le gouvernement indique en terminant que l'autorité militaire s'est dessaisie de l'affaire en 1948 et l'a renvoyée devant la juridiction ordinaire, laquelle a décidé la mise en liberté provisoire de toutes les personnes impliquées, situation dans laquelle elles se trouvent actuellement.
    6. 93 Il ressort des informations détaillées fournies par le gouvernement dans sa réponse que les personnes impliquées dans l'affaire en question ont été poursuivies pour s'être livrées à des activités éminemment politiques, distinctes des activités syndicales. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration de décider que cet aspect du cas n'appelle pas de sa part un examen plus approfondi.
  • Allégations relatives à l'arrestation de militants syndicaux en février 1960
    1. 94 Après avoir examiné les allégations formulées et les observations présentées par le gouvernement à leur sujet, le Comité, tout en admettant que les mesures incriminées pourraient avoir été motivées par des activités de caractère politique et non pas syndical, avait estimé qu'avant de formuler de nouvelles recommandations au Conseil d'administration et étant donné l'importance qu'il a toujours attachée à ce que, lorsque des syndicalistes sont accusés de délits politiques ou de droit commun que le gouvernement considère comme étant étranger à leurs activités syndicales, ces personnes soient jugées promptement par une autorité judiciaire impartiale et indépendante, il serait opportun de demander au gouvernement de fournir des informations sur les procédures légales ou judiciaires suivies dans le cas des personnes auxquelles se réfèrent les plaignants, ainsi que sur les résultats desdites procédures.
    2. 95 Dans sa communication du 23 février 1961, le gouvernement renvoie sur ce point aux observations qu'il avait présentées par sa communication du 3 décembre 1960, qui est précisément celle sur la base de laquelle le Comité avait abouti à la conclusion qui vient d'être citée au paragraphe précédent. La communication gouvernementale du 3 décembre 1960, en effet, donnait des précisions sur les motifs qui étaient à l'origine des mesures prises à l'encontre des syndicalistes intéressés, mais elle ne contenait pas d'informations sur les procédures qui avaient été suivies en la matière. C'est pourquoi le Comité avait sollicité du gouvernement des informations complémentaires à ce sujet.
    3. 96 Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration de prier de nouveau le gouvernement de bien vouloir lui fournir des informations au sujet des procédures légales ou judiciaires suivies dans le cas des personnes mentionnées par les plaignants, ainsi que sur le résultat de ces procédures.
  • Allégations relatives à la loi définissant les nouveaux pouvoirs du ministre de l'Intérieur en ce qui concerne le maintien de l'ordre public et au décret définissant ce qu'il faut entendre par crime de rébellion militaire
    1. 97 Le Comité a examiné en détail ces allégations dans les paragraphes 103 à 117 de son quarante-neuvième rapport, qu'il a présenté au Conseil d'administration en novembre 1960. A cette époque, toutefois, il a décidé, avant de formuler ses recommandations définitives au Conseil d'administration, d'attendre de recevoir les observations du gouvernement sur deux nouvelles plaintes dont le sujet est intimement lié aux allégations étudiées dans son quarante-neuvième rapport.
    2. 98 En effet, une plainte de la C.I.S.L, du 21 octobre 1960, doublée d'une plainte de la F.S.M sur le même sujet, transmise par les Nations Unies, allègue qu'un décret du 21 septembre 1960 précise et étend ce qu'il faut entendre par crime de rébellion militaire. D'après ce décret - déclarent les plaignants - seront coupables de rébellion militaire et punissables des peines prévues par le Code de justice militaire, ceux qui répandent des nouvelles fausses ou tendancieuses afin de troubler l'ordre public intérieur, de provoquer des conflits internationaux ou de porter atteinte au prestige de l'Etat, de ses institutions, du gouvernement, de l'armée ou des autorités espagnols; ceux qui, de quelque façon que ce soit, se réunissent pour conspirer ou prennent part à des réunions, des conférences ou des manifestations tendant aux mêmes fins. Plus précisément, l'article 2 du décret prévoit expressément que les grèves, « grèves sur le tas », actes de sabotage ou autres actes similaires, lorsqu'ils poursuivent un but politique ou sont susceptibles de troubler l'ordre public, seront considérés comme crimes de rébellion militaire, passibles des peines prévues par le Code de justice militaire.
    3. 99 Dans sa réponse du 23 février 1961, le gouvernement conteste l'affirmation des plaignants, qui prétendent qu'en vertu du décret, les grèves et autres actes semblables seront traités comme des délits militaires non seulement quand ils revêtent un caractère politique, mais encore quand ils causent de graves troubles de l'ordre public. Cette affirmation - déclare le gouvernement - est tendancieuse et provient de ce que le contenu de l'article 2 n'a pas été lu ou interprété correctement. Il s'applique à des actes relevant du droit pénal, qui sont spécifiés aux paragraphes 1 et 2 de cet article. En effet, un paragraphe distinct précise non qu'ils «seront jugés comme délits de rébellion », mais qu'ils «pourront aussi avoir ce caractère », ce qui indique qu'il s'agit d'une possibilité et non d'une affirmation concrète, et seulement quand on peut dire que cette qualification potentielle convient, savoir quand les grèves ont une fin politique ou qu'elles causent des troubles graves de l'ordre public.
    4. 100 En élaborant le décret du 21 septembre 1960, l'Etat espagnol a pris pour critère le fait qu'une grève qui n'est pas purement professionnelle, sociale ou syndicale, mais dans laquelle intervient une action politique, peut causer des troubles graves à l'ordre public. «Dans ce cas - indique le gouvernement -, il est logique d'adopter tout moyen préventif capable d'éviter des désordres, qui, en fin de compte, se font au détriment des véritables intérêts de la collectivité. Cependant, il convient de souligner que ces moyens préventifs entreraient uniquement en jeu si la grève avait un caractère politique et non professionnel ou syndical. »
    5. 101 Il est donc inexact de prétendre - ajoute le gouvernement - que toute grève qui cause des troubles graves de l'ordre public soit de la compétence de la juridiction militaire et que toutes les grèves aient été qualifiées de rébellion militaire. L'article 8 du décret en question précise en effet que la juridiction militaire sera compétente « uniquement pour connaître des délits compris dans cette disposition », c'est-à-dire non de toutes les grèves, mais seulement de celles qui revêtent le caractère prévu par l'article 2, à savoir celles qui, par leur but politique ou parce qu'elles causent des troubles graves de l'ordre public ne visent pas les objectifs particuliers propres aux grèves sociales. L'article 8 dispose en outre que si les faits ne sont pas graves ou s'ils n'ont pas le caractère d'un délit de rébellion militaire, ils doivent être jugés selon la législation ordinaire; dans ce cas, la juridiction militaire les renverra devant la juridiction ordinaire.
    6. 102 Des diverses réponses fournies par le gouvernement en ce qui concerne cet aspect du cas, il ressort tout d'abord, on l'a vu, que seuls les arrêts du travail et les lock-out illicites sont, aux termes de la loi du 30 juillet 1959 sur l'ordre public, des actes contraires à l'ordre public et que, d'autre part, ces actes « contraires à l'ordre public » ne sont pas des délits punissables (les seules sanctions susceptibles d'être encourues étant les amendes minimes prévues par l'article 19 de la loi). Par ailleurs, il semble qu'il appartienne au juge de déterminer tout d'abord s'il s'agit ou non d'un «arrêt collectif du travail » au sens de la loi ; dans l'affirmative, il s'agit dans tous les cas d'un acte « contraire à l'ordre public »; le juge détermine alors s'il s'agit d'un simple acte « contraire à l'ordre public » de nature à entraîner uniquement les peines d'amende mentionnées plus haut, ou si, en plus d'être un acte « contraire à l'ordre public», les circonstances dont il s'entoure font de lui un crime alors, de peines plus sévères.
    7. 103 Quant à la définition du terme «crime» en cette matière, les explications fournies par le gouvernement au sujet des plaintes concernant le décret du 21 septembre 1960 font ressortir - de même, d'ailleurs, que le texte même du décret incriminé - que les grèves qui sont considérées comme des crimes de rébellion militaire, et, comme tels, relèvent de la justice militaire, sont celles qui ne revêtent pas un caractère social ou professionnel, mais celles qui impliquent une intention politique ou qui risquent de troubler gravement l'ordre public. Il est à noter, en particulier, que l'article 2 du décret donne une énumération - limitative, semble-t-il - des actes qui seront considérés comme crimes relevant de la justice militaire. De cette énumération, il paraît ressortir que les actes visés ont un caractère totalement étranger à celui que revêtent des activités syndicales normales, même prises au sens large.
    8. 104 Il subsiste cependant que les grèves « risquant de causer de graves troubles de l'ordre public » constituent, ou peuvent constituer, un crime relevant, d'après le décret, de la justice militaire. Il est vrai que l'article 8 du décret précise que les actes (et, parmi eux, les grèves) qui ne revêtent pas le caractère de gravité qu'entend leur donner le décret seront renvoyés devant les tribunaux ordinaires. En l'absence, toutefois, de critères précis en la matière, il n'en reste pas moins que la notion de danger pour l'ordre public, si elle n'est pas autrement qualifiée, est suffisamment vague pour permettre qu'elle soit invoquée de façon abusive et aboutisse, dans le cas extrême, à l'interdiction de toute grève.
    9. 105 Certes, à plusieurs reprises dans sa réponse, le gouvernement laisse entendre que les grèves de pure revendication ne sauraient être des grèves risquant de troubler l'ordre public et que, par suite, elles sont exclues du champ d'application du décret incriminé. Les explications du gouvernement n'étant cependant pas tout à fait claires sur ce point, le Comité juge qu'il serait important pour lui de savoir si l'on doit considérer que les grèves de pure revendication professionnelle sont automatiquement exclues du champ d'application du décret, et recommande au Conseil d'administration de solliciter à cet égard une réponse du gouvernement et d'ajourner en attendant l'examen de cet aspect du cas.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 106. Dans ces conditions, en ce qui concerne le cas dans son ensemble, le Comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) de décider que, pour les raisons indiquées aux paragraphes 91 à 96 ci-dessus, les allégations relatives au procès intenté à quatre-vingt-dix-neuf travailleurs accusés d'avoir essayé de reconstituer la Confédération nationale du travail n'appellent pas de sa part un examen plus approfondi;
    • b) de prier à nouveau le gouvernement, en ce qui concerne les allégations relatives à l'arrestation de militants syndicaux en février 1960, de bien vouloir lui fournir des informations au sujet des procédures légales ou judiciaires suivies dans le cas des personnes mentionnées par les plaignants ainsi que sur le résultat de ces procédures;
    • c) de prier le gouvernement, en ce qui concerne les allégations relatives à la loi définissant les nouveaux pouvoirs du ministre de l'Intérieur en ce qui concerne le maintien de l'ordre public et au décret définissant ce qu'il faut entendre par crime de rébellion militaire, de bien vouloir indiquer s'il est exact de considérer que les grèves de pure revendication professionnelle sont automatiquement exclues du champ d'application du décret qui vient d'être mentionné;
    • d) d'ajourner l'examen des allégations mentionnées aux alinéas b) et c) ci-dessus, en attendant d'être en possession des informations complémentaires qui y sont sollicitées du gouvernement.
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