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- 158. La plainte de l'Union des travailleurs congolais (U.T.C.) est contenue dans trois télégrammes en date des 19 et 20 février 1963, adressés directement à l'O.I.T. Cette plainte originale a été complétée par deux communications de l'U.T.C datées respectivement des 7 et 26 mars 1963.
- 159. Toutes ces communications ont été transmises au gouvernement pour observations au fur et à mesure de leur réception. Ce faisant, certaines des allégations formulées par les plaignants ayant trait à l'arrestation de syndicalistes, le Directeur général a fait savoir au gouvernement que le cas entrait dans la catégorie de ceux que le Comité et le Conseil d'administration sont tenus d'examiner en priorité.
- 160. Par un télégramme en date du 5 avril 1963, le gouvernement indiquait que les personnes mentionnées dans la plainte comme ayant été arrêtées avaient toutes été remises en liberté et annonçait l'envoi d'informations complètes.
- 161. Saisi du cas à sa trente-quatrième session (mai 1963), le Comité en a ajourné l'examen en attendant d'être en possession des informations annoncées par le gouvernement. Ces informations ont été adressées au B.I.T par une communication du gouvernement en date du 1er juin 1963.
A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes
- 162. Par quatre communications en date des 14 mai, 12 juin et 24 juin 1963 (deux communications), l'U.T.C a formulé de nouvelles allégations concernant des atteintes qui auraient été portées à l'exercice des droits syndicaux au Congo (Léopoldville). Des allégations de la même nature ont d'autre part été formulées par la Fédération générale des travailleurs congolais dans une communication en date du 29 août 1963.
- 163. Le texte de toutes ces communications a été transmis au gouvernement, lequel, mise à part une communication du 24 septembre 1963 indiquant que les personnes dont la Fédération générale des travailleurs congolais déclarait qu'elles avaient été arrêtées avaient toutes été libérées et annonçant l'envoi de renseignements complets, n'a pas encore présenté sur elles ses observations.
- 164. Le Congo (Léopoldville) n'a ratifié ni la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ni la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
- 165. Les plaignants déclarent que, depuis plusieurs années, un conflit oppose à leur employeur les travailleurs de l'OTRACO, organisme placé sous la tutelle du ministère des Transports et Communications. Ce conflit, qui porte sur des questions telles que le statut des agents et agents auxiliaires, les augmentations annuelles, les gratifications de fin d'année, les primes de scolarité et les indemnités de logement, a été marqué par de nombreuses péripéties - négociations entamées, rompues, reprises, rompues de nouveau, accords interprétés différemment selon les parties, préavis de grève donné, retiré, puis redonné - et a finalement abouti au déclenchement, le 18 février 1963, d'une grève de cinq jours intéressant plusieurs provinces.
- 166. Le Comité a toujours considéré que les allégations relatives à l'exercice du droit de grève n'échappent pas à sa compétence dans la mesure, mais seulement dans la mesure, où elles mettent en cause l'exercice des droits syndicaux. Or, d'après les plaignants, les autorités se seraient, à l'occasion de la grève en question, rendues coupables de nombreuses violations des droits syndicaux. L'U.T.C donne à cet égard les précisions suivantes. A Léopoldville, Thysville, Matadi et Bona, de nombreux militants et fonctionnaires de l'organisation plaignante auraient été arrêtés et maltraités (les plaignants donnent les noms de MM. Mutombo, Mbwangi, Luyeye, Barrai, Mbenza, Ndala, Sakibanza, Toto-Zita et Bunga). A Coquilhatville, les autorités de la Cuvette centrale auraient pris un arrêté interdisant le mouvement de grève. A Stanleyville, l'ordre aurait été donné de fermer le bureau de l'U.T.C et d'interdire toute activité à cette organisation; de même, à Lukula, Matadi et Thysville, les autorités du Congo central auraient fermé les bureaux de l'U.T.C. Enfin, dans l'ensemble du pays, la direction de l'OTRACO aurait procédé à des licenciements massifs parmi les travailleurs ayant participé au mouvement de grève. Les plaignants fournissent une volumineuse documentation à l'appui de leurs allégations.
- 167. Dans les observations qu'il a présentées le 1er juin 1963, le gouvernement ne paraît contester le bien-fondé d'aucune des allégations énumérées au paragraphe précédent. Il les reprend en effet et déclare que les décisions prises l'ont été « par des autorités provinciales et communales agissant de leur propre initiative, sans instruction aucune d'autorités supérieures, ou consultation préalable avec celles-ci et notamment avec le gouvernement central de Léopoldville ».
- 168. Le gouvernement donne à cet égard les explications suivantes:
- Les autorités régionales nouvellement mises en place et les fonctionnaires servant à l'intérieur du pays n'ont pas toujours les lumières désirables en matière de législation: il s'agit le plus souvent, en effet, de cadres récemment mis en place à la suite de la récente multiplication des provinces; ils peuvent ignorer une partie de la législation et notamment la législation congolaise sur le droit d'association: formes et procédure de la détention préventive, de l'arrestation immédiate en cas de flagrant délit, en cas d'atteintes à l'ordre et à la tranquillité publics, la législation sur le droit syndical et la détermination des autorités compétentes en la matière, notamment en ce qui concerne l'agréation des associations professionnelles et la portée de l'agréation; leur manque de connaissance dans ces matières peuvent amener des fonctionnaires à commettre certains actes sans qu'ils aient conscience de leur illégalité.
- Le gouvernement poursuit en indiquant que:
- ... la loi fondamentale du 19 mai 1960 sur les structures du Congo établit le principe de la compétence concurrente du pouvoir central et du pouvoir provincial en ce qui concerne la législation sociale en général (art. 221 de ladite loi); cette loi fondamentale, qui constitue la constitution provisoire du Congo, organise le pays en régime unitaire, mais avec une large autonomie provinciale; en ce qui concerne le régime des associations professionnelles, certaines provinces ont interprété le principe de la compétence concurrente en matière de législation sociale comme leur ouvrant le droit d'imposer à des associations agréées par le pouvoir central l'accomplissement de formalités supplémentaires pour être autorisées à fonctionner dans leur ressort; ces interprétations de règles constitutionnelles ont conduit à des frictions et des incidents.
- 169. Le gouvernement affirme déployer le maximum d'efforts pour que la légalité soit respectée dans les provinces en matière de liberté syndicale. Ainsi, l'action des autorités régionales étant parfois caractérisée par un manque d'information ou des erreurs d'interprétation, le Département du travail a récemment adressé à toutes les autorités provinciales une circulaire exposant la compétence de ces autorités en matière d'associations professionnelles.
- 170. D'autre part, le Département du travail a récemment réuni les ministres provinciaux du Travail en une conférence, qui a débuté le 13 mai 1963 à Léopoldville et dont la deuxième question inscrite à l'ordre du jour concernait le droit d'association et la liberté syndicale. Au cours de cette réunion, qui visait à établir une prise de contact en vue d'échanger des informations et d'exposer les points de vue sur les questions d'actualité en matière de travail, les représentants du gouvernement central se sont efforcés de donner aux représentants provinciaux toutes les informations et éclaircissements nécessaires pour que la légalité en matière syndicale soit respectée à l'intérieur du pays.
- 171. Du compte rendu des travaux de cette conférence - dont le gouvernement fournit le texte - il ressort assez clairement qu'entre le pouvoir central et les pouvoirs provinciaux les conceptions varient largement quant aux compétences respectives qui sont les leurs en matière syndicale.
- 172. Tout en appréciant pleinement les difficultés que le gouvernement central peut rencontrer en l'occurrence, le Comité croit devoir clairement établir ici - comme il l'avait fait dans un cas intéressant le Canada, qui présentait d'ailleurs des caractéristiques différentes - que c'est le gouvernement central qui est le Membre de l'Organisation internationale du Travail mis en cause et que c'est donc avec lui seul que le Comité et le Conseil d'administration peuvent engager et poursuivre le dialogue. Il convient de relever, du reste, que rien dans la réponse du gouvernement ne donne à penser que celui-ci conteste cette position.
- 173. On a vu plus haut (paragr. 167) que le gouvernement ne niait pas les faits invoqués par les plaignants. Il apparaît même que le gouvernement rejoint ces derniers lorsque ceux-ci considèrent ces faits comme constituant autant d'atteintes à la liberté syndicale. C'est du moins ce qui se dégage des diverses notes envoyées, au nom du ministre compétent, par le gouvernement central aux autorités provinciales à la suite des événements relatés dans la plainte de l'U.T.C. On en citera ci-après d'assez larges extraits.
- 174.
- ... je me permets d'attirer votre attention sur le principe que des décisions restreignant momentanément l'exercice du droit syndical ne peuvent être prises que dans la mesure strictement nécessaire au maintien de l'ordre et à la prévention des troubles. De telles mesures, à défaut d'être justifiées, seraient fatalement interprétées comme des atteintes à la liberté syndicale, dont le principe est consacré par divers textes de la législation congolaise, notamment la loi fondamentale du 17 juin 1960, relative aux libertés publiques, ... et les décrets du 25 janvier 1957 réglant l'exercice du droit d'association des habitants du Congo et des agents de l'administration. ... il y a atteinte à la liberté syndicale - et aux droits de l'homme - lorsque des mesures (arrestation et expulsion de militants syndicaux, fermeture des permanences syndicales, perquisitions, saisies de documents, etc.), ont pour objectif d'entraver le fonctionnement d'un syndicat ou d'empêcher les travailleurs de s'y affilier. ... En conséquence, au nom du principe de la liberté syndicale, je souhaite que la mesure prise contre les permanents de l'U.T.C soit levée si elle ne l'a pas déjà été ou qu'elle soit prise en respectant cette fois les formes légales s'il est certain que l'activité de l'U.T.C constitue momentanément un danger pour l'ordre public dans votre ressort territorial.
- 175.
- Je vous rappelle que la cessation collective du travail (grève, lock-out) est autorisée pour autant qu'elle se fasse en respectant la procédure prévue par le décret du 18 mai 1959 sur la procédure de conciliation et d'arbitrage des conflits collectifs du travail; dans ces limites, l'exercice du droit de grève est autorisé. Cet exercice est régi entièrement par le décret du 18 mai 1959 précité et aucune réglementation provinciale ne peut aller à l'encontre de ses prescriptions, conformément au mécanisme prévu par les articles 209 et 221 de la loi fondamentale sur les structures. ... J'espère que cette mise au point permettra à vos autorités d'agir en la matière d'une façon conforme à la stricte légalité; cette ligne de conduite peut seule favoriser l'éclosion et le maintien d'un climat social satisfaisant et éviter au pays tout reproche d'entrave à la liberté syndicale et au droit de grève.
- 176. Il ressort des citations figurant aux deux paragraphes précédents que le gouvernement, non seulement reconnaît que des atteintes ont été portées à la liberté syndicale, mais encore a donné des instructions pour que les mesures incriminées soient rapportées. Toutefois, dans ses observations en date du 1er juin 1963, le gouvernement s'abstient de donner aucune indication quant au résultat éventuel des instructions ainsi données par lui aux autorités provinciales. La seule précision, d'ailleurs relative, à la disposition du Comité est celle qui est contenue dans le télégramme du 5 avril 1963 du gouvernement, où il est dit que tous les syndicalistes et les travailleurs mentionnés dans la plainte de l'U.T.C comme ayant été arrêtés ont été libérés.
- 177. Le Comité considère que, pour pouvoir formuler sur cet aspect du cas ses conclusions en connaissance de cause, il lui est nécessaire d'obtenir des informations complémentaires plus précises sur les divers éléments de l'affaire; c'est pourquoi il recommande au Conseil d'administration de demander au gouvernement:
- a) de confirmer que MM. Mutombo, Mbwangi, Luyeye, Bamu, Mbenza, Ndala, Sakibanza, Toto-Zita et Bunga ont été remis en liberté comme semble l'indiquer le télégramme du gouvernement en date du 5 avril 1963;
- b) d'indiquer si les bureaux de l'U.T.C à Stanleyville, Lukula, Matadi et Thysville ont été rouverts et si l'U.T.C a pu reprendre librement ses activités dans ces localités;
- c) d'indiquer si l'interdiction de la grève a été levée à Coquilhatville;
- d) d'indiquer si les travailleurs licenciés à la suite de la grève ont été réintégrés.
- En attendant d'être en possession de ces renseignements, le Comité recommande au Conseil d'administration d'ajourner l'examen de cet aspect du cas.
- 178. On a vu d'autre part (paragr. 162) que, par quatre communications des 14 mai, 12 juin et 24 juin 1963, l'U.T.C avait formulé de nouvelles allégations et que, de son côté, par une communication du 29 août 1963, la Fédération générale des travailleurs congolais avait allégué des atteintes à la liberté syndicale.
- 179. Selon les allégations de l'U.T.C, d'autres fonctionnaires de cette organisation auraient été arrêtés arbitrairement; il s'agirait de MM. Yengha, Kasekwa et Musemakweli ainsi que de Mlle Mupenda, ces deux dernières personnes étant de Bukavu. D'autre part, toujours à Bukavu, les plaignants allèguent que soixante-douze militants, dont ils ne donnent pas les noms, auraient été arrêtés et que les locaux du syndicat auraient été fermés. Les plaignants allèguent enfin que la direction de la Compagnie congolaise de l'hévéa interdirait aux travailleurs affiliés à l'U.T.C de tenir des réunions syndicales dans ses plantations. Par ailleurs, la Fédération générale des travailleurs congolais allègue que ses secrétaires auraient été arbitrairement arrêtés et que ses locaux auraient fait l'objet d'une perquisition injustifiée.
- 180. Le gouvernement n'ayant pas présenté d'observations sur l'ensemble de ces allégations, si ce n'est une indication que les personnes mentionnées par la Fédération générale des travailleurs congolais ont été libérées et l'annonce de l'envoi d'observations complètes, le Comité recommande au Conseil d'administration de demander au gouvernement de bien vouloir faire parvenir sa réponse et d'ajourner en attendant l'examen de cet aspect du cas.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 181. En ce qui concerne le cas dans son ensemble, le Comité recommande au Conseil d'administration:
- a) de prier le gouvernement de bien vouloir confirmer que MM. Mutombo, Mbwangi, Luyeye, Bamu, Mbenza, Ndala, Sakibanza, Toto-Zita et Bunga ont été remis en liberté comme semble l'indiquer le télégramme du gouvernement en date du 5 avril 1963;
- b) de prier le gouvernement de bien vouloir indiquer si les bureaux de l'U.T.C à Stanleyville, Lukula, Matadi et Thysville ont été rouverts et si l'U.T.C a pu reprendre librement ses activités dans ces localités;
- c) de prier le gouvernement de bien vouloir indiquer si l'interdiction de la grève a été levée à Coquilhatville;
- d) de prier le gouvernement de bien vouloir indiquer si les travailleurs licenciés à la suite de la grève ont été réintégrés;
- e) de prier le gouvernement de bien vouloir présenter ses observations au sujet des questions soulevées dans les communications des 14 mai, 12 juin et 24 juin 1963 de l'U.T.C et les informations complémentaires annoncées par lui sur les questions soulevées dans la communication du 29 août 1963 de la Fédération générale des travailleurs congolais;
- f) de décider, en attendant d'être en possession des informations mentionnées aux alinéas a), b), c), d), e), ci-dessus, d'ajourner l'examen du cas, étant entendu que le Comité fera de nouveau rapport lorsqu'il aura reçu lesdites informations.