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- 64. La plainte de l'Action syndicale de Cundinamarca (ASICUN) se trouve contenue dans deux communications du 20 janvier et du 2 mars 1968, adressées directement à l'OIT. Les deux textes ont été transmis au gouvernement, lequel a fait part de ses observations en date du 13 novembre 1968.
- 65. La Colombie n'a ratifié ni la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ni la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes
- Allégations relatives aux mesures de discrimination antisyndicale contre les travailleurs de l'entreprise Mercados y Almacenes Caravana et à l'intervention de la police dans une grève de ces travailleurs
- 66 Dans sa communication en date du 20 janvier 1968, l'ASICUN indique qu'à la suite de la présentation d'un cahier de revendications par le syndicat de l'entreprise Mercados y Almacenes Caravana, la direction de celle-ci aurait commencé une campagne de pressions contre les travailleurs sous la forme de rappels à l'ordre, de mutations, de sanctions et de renvois. Placé devant cette situation, le syndicat a dénoncé ces faits au ministère du Travail le 27 juillet 1967, lequel a chargé l'Office régional du travail du département de Cundinamarca d'ouvrir une enquête. Les plaignants indiquent que l'enquête n'a pas été menée à bonne fin, bien que six mois se soient écoulés et que sa demande de mise en route ait été réitérée.
- 67 Les plaignants déclarent que l'entreprise a rejeté le cahier de revendications présenté et a commencé à recruter du personnel à court terme, afin que le syndicat paraisse être minoritaire. Puisqu'ils ne pouvaient pas parvenir à un accord avec l'entreprise, les travailleurs ont voté la grève. C'est seulement alors que le ministère du Travail est intervenu, à la demande des employeurs, au moment où les représentants de ces derniers prenaient part à plusieurs réunions avec le comité de grève. Cependant, les plaignants allèguent que de telles réunions n'avaient pour but que de faire traîner en longueur la négociation, et c'est pourquoi les travailleurs ont décidé, le 24 décembre 1967, de cesser effectivement le travail. Cet arrêt du travail a débuté de façon pacifique; malgré cela, la police est intervenue et a exigé que les drapeaux et les pancartes ayant trait à la grève soient enlevés, et que le personnel puisse entrer librement dans l'établissement. Comme le président de l'ASICUN a refusé d'obtempérer, il a été arrêté par la police; cette dernière a dégagé l'entrée de l'établissement, a arraché les drapeaux et les pancartes, et en est même venue à frapper plusieurs travailleurs, ainsi que des passants qui protestaient contre cette façon d'agir. Dans un autre magasin de l'entreprise, où la grève avait été également déclenchée, un fonctionnaire du ministère du Travail a déclaré que si les grévistes ne cessaient pas la grève ils resteraient entre les mains de la police. En conséquence, l'ouverture de l'établissement a été ordonnée et quelques travailleurs sont entrés. Les plaignants soutiennent que ces actions démontrent l'attitude défavorable des fonctionnaires envers les travailleurs, et qu'en définitive la grève a été empêchée par la police.
- 68 Les plaignants poursuivent en déclarant que l'entreprise a demandé au ministère du Travail de déclarer la grève illicite, et, de son côté, le syndicat a sollicité la nomination d'un enquêteur puisque l'entreprise avait violé les droits syndicaux. La direction de celle-ci a imposé aux travailleurs un accord défavorable et a exercé des pressions sur eux et sur les dirigeants syndicaux pour qu'ils renoncent à l'existence de leur organisation. En résumé, selon les plaignants, le syndicat a cessé d'exister par suite de la campagne déclenchée et des pressions exercées par l'entreprise, sans que le ministère du Travail ait pris des mesures effectives pour faire obstacle à ces actions. Les plaignants joignent à leur communication une documentation abondante qui mentionne les cas concrets où l'employeur aurait pris des mesures de discrimination antisyndicale.
- 69 Dans sa communication du 2 mars 1968, l'ASICUN mentionne non seulement des questions n'ayant pas trait à l'exercice des droits syndicaux, mais elle développe encore les informations fournies dans sa première communication. Elle indique que le ministère du Travail avait demandé la confirmation de la plainte du syndicat, formalité qui a été accomplie par le secrétaire de celui-ci et par le président de l'ASICUN. Elle joignait un rapport du procureur général de la nation, en date du 24 janvier 1968, écrit à la suite d'une plainte qui lui avait été transmise en raison du manque d'efficacité de l'Office régional du travail de Cundinamarca. On apprend dans ce rapport qu'une inspection a permis de vérifier que la plainte du 27 juillet 1967 n'a été remise à l'inspecteur qui devait procéder à l'enquête que le 22 septembre de la même année. Cet inspecteur demanda à en être déchargé le 13 octobre, alléguant qu'il était occupé à d'autres enquêtes et demandant qu'un autre fonctionnaire soit désigné. Cela fut fait le 28 novembre 1967 et, depuis lors, l'affaire est restée stationnaire.
- 70 Dans sa réponse du 13 novembre 1968, le gouvernement se réfère aux allégations relatives à la demande d'enquête déposée le 27 juillet 1967 et aux actions indues des autorités lors de la grève décrétée par le syndicat. En ce qui concerne la première question, le gouvernement signale qu'à la suite de la déposition de la plainte les démarches nécessaires ont été entreprises, mais que l'enquête n'a pas pu être effectuée pendant le deuxième semestre de 1967 parce que les plaignants ne s'étaient pas présentés pour confirmer leur plainte. Pour cette raison, le ministère du Travail a dû insister auprès du président de l'ASICUN pour que les membres du dernier comité directeur du syndicat accomplissent cette formalité. Malgré cela, le président du syndicat n'est jamais venu confirmer la plainte. Pour sa part, le président de l'ASICUN s'est engagé à déterminer quels étaient les membres du personnel qui avaient été congédiés, frappés de sanctions ou soumis à une contrainte. L'enquête terminée, le ministère a tranché le cas le 24 juillet 1968 en libérant l'entreprise des charges dont elle faisait l'objet pour de prétendues violations du droit d'association syndicale, celles-ci n'étant pas pleinement démontrées.
- 71 Pour ce qui est de l'intervention des autorités dans la grève décidée par le syndicat, le gouvernement fait remarquer que, si le droit de grève est garanti par la Constitution du pays, d'autres droits le sont également, par exemple celui de circuler librement. Selon le Code du travail, une grève doit se limiter à la suspension collective, temporaire et pacifique du travail. Si un arrêt du travail porte atteinte aux droits des personnes qui ne font pas partie des grévistes, les autorités doivent intervenir, en particulier les autorités de police, que le décret no 2351 de 1965 a chargées d'exercer l'action préventive et répressive qui leur incombe « afin d'éviter que les grévistes ou des tiers agissant de concert avec eux ne dépassent, dans une mesure quelconque, les fins juridiques de la grève ou ne tentent de mettre celle-ci à profit pour provoquer des désordres ou commettre des infractions ». Le gouvernement explique que cette action a été motivée par la grève, puisque les travailleurs impliqués ne se sont pas bornés à abandonner pacifiquement le lieu de travail, mais ont essayé d'empêcher l'entrée du personnel, entravant de ce fait la libre circulation des passants. Le gouvernement fait remarquer que cette violation des droits d'autrui est reconnue implicitement par les plaignants dans leur plainte. Quant aux allégations accusant un fonctionnaire du ministère du Travail d'avoir menacé les grévistes de l'intervention de la police s'ils ne cessaient pas la grève, il s'agit là d'une affirmation inexacte, étant donné que le fonctionnaire en question s'est borné, comme il était de son devoir, à faire un constat de grève, ce dont il a fait rapport à ses supérieurs.
- 72 Le comité constate que le présent cas comporte deux types principaux d'allégations relatives, d'une part, aux mesures de discrimination qui auraient été prises par l'employeur contre les syndicalistes et des sympathisants de l'organisation syndicale et, d'autre part, à une intervention des autorités, qui, d'après les plaignants, serait contraire à l'exercice du droit de grève.
- 73 En ce qui concerne le premier aspect, le comité rappelle l'importance qu'il a toujours attachée aux principes contenus dans l'article 1 de la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, d'après lesquels les travailleurs doivent bénéficier d'une protection adéquate contre tous actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d'emploi, et en particulier contre les actes ayant pour but de congédier un travailleur ou de lui porter préjudice par tous autres moyens, en raison de son affiliation syndicale ou de sa participation à des activités syndicales.
- 74 Le comité note que le Code du travail de Colombie contient diverses dispositions visant à protéger le droit d'association des travailleurs. A cet égard, l'article 59 (4) interdit aux employeurs d'utiliser un moyen de pression quelconque sur les travailleurs en relation avec l'exercice de ce droit; l'article 354 stipule, conformément aux dispositions de l'article 309 du Code pénal, qu'il est interdit à toute personne de porter atteinte au droit d'association syndicale, et prévoit le paiement d'une amende en cas d'infraction à cette norme; les articles 405 et suivants, relatifs au privilège syndical, accordent une protection spéciale aux fondateurs d'un syndicat, aux dirigeants syndicaux et aux travailleurs impliqués dans un conflit collectif; le décret no 3378 de 1962 contient des dispositions détaillées définissant les divers actes considérés comme des atteintes, de la part des employeurs, au droit d'association syndicale.
- 75 D'après les informations communiquées, le syndicat de l'entreprise Mercados y Almacenes Caravana a déposé une plainte vers la fin de juillet 1967 auprès du ministère du Travail, demandant qu'un fonctionnaire soit désigné pour enquêter sur une série d'actes de discrimination antisyndicale, donnant de nombreux détails et citant les noms des personnes affectées. Il apparaît, d'après les informations reçues du gouvernement, que ce n'est qu'un an plus tard que le ministère a tranché l'affaire, en libérant l'entreprise des charges dont elle faisait l'objet, celles-ci n'étant pas pleinement démontrées. Entre-temps, selon les déclarations des plaignants, le syndicat avait cessé d'exister.
- 76 Le comité remarque qu'en réponse aux allégations précises de la plainte le gouvernement se borne à indiquer qu'il a décidé, l'enquête terminée, de libérer l'entreprise des charges dont elle faisait l'objet. A cet égard, le comité se doit de signaler que, conformément à l'un des principes établis de la procédure utilisée pour l'examen des allégations relatives à la violation des droits syndicaux, il ne peut, lorsque des allégations précises ont été formulées, considérer comme satisfaisantes les réponses de gouvernements qui ne s'en tiennent qu'à des généralités.
- 77 D'autre part, le comité estime que l'existence de normes législatives fondamentales interdisant les actes de discrimination antisyndicale est insuffisante si celles-ci ne s'accompagnent pas de procédures efficaces qui assurent leur application dans la pratique. C'est ainsi que, par exemple, comme il a été déjà signalé par la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations dans ses conclusions de 1959, « il peut être souvent difficile, sinon impossible, à un travailleur d'apporter la preuve » qu'il a été victime d'une mesure de discrimination antisyndicale. C'est dans ce sens que prend toute son importance l'article 3 de la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, qui prévoit que les organismes appropriés aux conditions nationales doivent, si nécessaire, être institués pour assurer le respect du droit d'organisation.
- 78 Le comité note dans le cas présent que l'affaire soumise au ministère du Travail a subi un retard excessif, ainsi qu'il en ressort du rapport du procureur général de la nation, mentionné au paragraphe 69 ci-dessus. Le comité, même s'il n'est pas en mesure d'exprimer une opinion sur l'existence ou la non-existence d'actes de discrimination antisyndicale, les éléments d'appréciation étant insuffisants, juge que des retards de ce genre peuvent être particulièrement préjudiciables à l'exercice des droits syndicaux et au développement normal des relations professionnelles, lorsqu'il s'agit de l'intervention des autorités dans le but de protéger lesdits droits en matière d'emploi. A ce propos, le comité pense que la nécessité de certaines formalités, telles que la ratification par les dirigeants syndicaux d'une plainte déposée auprès du ministère du Travail, ne devrait pas constituer un motif empêchant le déroulement de la procédure qui dépend de ce ministère. C'est pourquoi le comité doit signaler, ainsi qu'il l'a fait pour un autre cas, l'importance qu'il convient d'accorder à l'application d'une procédure expéditive, en l'absence de laquelle le travailleur lésé éprouve un sentiment croissant d'injustice dont les conséquences sont néfastes pour les relations professionnelles, ainsi qu'au risque de violation des droits syndicaux inhérent à l'absence d'une telle procédure.
- 79 En ce qui concerne le deuxième point, c'est-à-dire l'intervention des autorités par suite de la grève déclenchée par le syndicat, le comité rappelle qu'il a toujours appliqué le principe selon lequel les allégations se rapportant au droit de grève ne sont de sa compétence que dans la mesure où elles affectent l'exercice des droits syndicaux, et qu'il a signalé à plusieurs reprises que le droit de grève doit être normalement reconnu comme moyen légitime des travailleurs et de leurs organisations de défendre leurs intérêts professionnels. D'autre part, se fondant sur des considérations exprimées par lui dans des cas antérieurs comparables s, le comité a estimé que l'intervention des forces de sécurité en cas de nécessité devrait se borner au maintien de l'ordre public et ne pas empêcher l'exercice légitime du droit de grève. En ce qui concerne spécialement les piquets de grève, le comité a souligné l'importance qu'il attache au principe selon lequel de tels piquets agissant légalement ne doivent pas faire l'objet d'intervention de la part des autorités. Le comité a jugé légitime une disposition légale interdisant aux piquets de troubler l'ordre public et de menacer les travailleurs qui poursuivraient leurs occupations.
- 80 Le comité note que dans le présent cas la police est intervenue en partie pour permettre l'entrée dans l'établissement des personnes qui désiraient travailler et pour assurer la libre circulation des passants, avec pour objectif de garantir, respectivement, la liberté de travail et l'ordre public.
- 81 Mais, d'autre part, la police a également ordonné l'enlèvement des pancartes et des drapeaux ayant trait à la grève, a arrêté le président de l'Action syndicale de Cundinamarca lorsqu'il s'y est opposé, et a ensuite procédé elle-même à l'enlèvement de ces objets. Par la même occasion, plusieurs travailleurs, et même certains passants, ont été frappés par les agents de police. Le gouvernement n'a pas nié la véracité de ces allégations. Le comité estime que même si le désir de la police était d'éviter que ne se produisent des désordres et autres excès, les actes cités semblent avoir eu le résultat contraire, et de toute façon ils constitueraient une violation des droits syndicaux lorsqu'il s'agit d'une grève légale. Cela s'appliquerait également à la déclaration supposée d'un fonctionnaire du ministère du Travail à l'occasion de la grève déclenchée dans un autre établissement de l'entreprise, fonctionnaire qui aurait dit que si les travailleurs ne cessaient pas la grève ils resteraient entre les mains de la police. Cependant, ce dernier fait a été nié par le gouvernement dans sa réponse.
- 82 Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration:
- a) d'attirer l'attention du gouvernement sur les principes énoncés dans les paragraphes précédents en ce qui concerne les mesures de discrimination antisyndicale et l'exercice du droit de grève;
- b) de suggérer au gouvernement d'examiner l'adoption de mesures qui se révèlent nécessaires pour assurer une procédure expéditive et efficace lorsqu'il s'agit d'enquêter sur les plaintes ayant trait aux actes de discrimination antisyndicale et d'accorder une protection adéquate à l'exercice des droits syndicaux en matière d'emploi;
- c) de signaler au gouvernement, eu égard aux considérations exposées au paragraphe 79, l'importance d'adopter les mesures appropriées afin que les autorités, et particulièrement les autorités de police, reçoivent des instructions visant à éviter le risque d'une intervention abusive dans l'exercice du droit de grève en conformité avec la législation nationale.
- Allégations relatives à des actes de discrimination antisyndicale à la clinique San Diego
- 83 Dans sa communication en date du 2 mars 1968, le plaignant allègue que l'organisation Analferaux, qui représente les infirmières, a remis un cahier de revendications à la direction de la clinique San Diego. A la suite de cet acte, la direction aurait congédié vingt-trois membres de l'organisation. Ces mesures de persécution syndicale ayant été dénoncées, le ministère du Travail a ordonné une enquête, qui n'aurait donné aucun résultat. De plus, la direction de la clinique aurait forcé les infirmières à renoncer à leur organisation et à signer un accord en marge de celle-ci.
- 84 Le comité note que le gouvernement n'a fait aucune référence, dans sa réponse, à cet aspect de la plainte. En conséquence, le comité recommande au Conseil d'administration de prier le gouvernement d'envoyer ses observations sur les faits allégués par le plaignant.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 85. Se référant à l'ensemble du cas, le comité recommande au Conseil d'administration:
- 1) en ce qui concerne les allégations relatives aux mesures de discrimination antisyndicale contre les travailleurs de l'entreprise Mercados y Almacenes Caravana et à l'intervention de la police dans une grève déclenchée dans cette entreprise:
- a) d'attirer l'attention du gouvernement sur les principes énoncés dans les paragraphes précédents en ce qui concerne les mesures de discrimination antisyndicale et l'exercice du droit de grève;
- b) de suggérer au gouvernement d'examiner l'adoption de mesures qui se révèlent nécessaires pour assurer une procédure expéditive et efficace lorsqu'il s'agit d'enquêter sur les plaintes ayant trait aux actes de discrimination antisyndicale et d'accorder une protection adéquate à l'exercice des droits syndicaux en matière d'emploi;
- c) de signaler au gouvernement, eu égard aux considérations qui figurent au paragraphe 79 ci-dessus, l'importance d'adopter les mesures appropriées afin que les autorités, et particulièrement les autorités de police, reçoivent des instructions visant à éviter le risque d'une intervention abusive dans l'exercice du droit de grève qui serait fait en conformité avec la législation nationale;
- 2) en ce qui concerne les allégations relatives à des actes de discrimination antisyndicale à la clinique San Diego, de prier le gouvernement d'envoyer ses observations sur les faits allégués par le plaignant, étant entendu que le comité soumettra un nouveau rapport lorsqu'il aura reçu ces observations.
- Genève, 26 février 1969. (Signé) Roberto AGO, président.