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- 341. Plusieurs plaintes ont été déposées devant l'O.I.T dans le courant de l'été 1968 qui contiennent des allégations selon lesquelles M. Mohammed Abdelkader Awab, membre du bureau national de l'Union marocaine du travail et délégué des travailleurs du Maroc à la 52ème session de la Conférence internationale du Travail (1968), aurait été arrêté pour avoir diffusé, dans l'organe de l'Union marocaine du travail L'Avant-Garde, le texte de l'intervention qu'il avait prononcée en séance plénière de la Conférence. Ultérieurement, les plaignants ont fait savoir que M. Awab avait été condamné le 29 octobre 1968 à un an de prison ferme.
A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes
- 342. Les plaintes déposées sont les suivantes; une plainte de l'Union marocaine du travail contenue dans une communication en date du 19 juillet 1968, complétée par une communication datée du 25 du même mois; une plainte de la Fédération internationale des syndicats des travailleurs de la chimie et des industries diverses contenue dans une communication en date du 23 juillet 1968; une plainte de la Fédération syndicale mondiale contenue dans une communication en date du 26 juillet 1968, et une plainte de l'Union syndicale panafricaine contenue dans une communication de la même date. Toutes ces plaintes, qui portent sur les mêmes faits allégués, ont été transmises au gouvernement pour observations.
- 343. La Fédération internationale des syndicats des travailleurs de la chimie et des industries diverses a présenté des informations complémentaires par une communication du 27 août 1968. De son côté, l'Union marocaine du travail a présenté des informations complémentaires par une communication datée du 11 septembre 1968. Ces informations complémentaires ont été, à leur tour, communiquées au gouvernement pour observations.
- 344. Le Directeur général a également reçu soixante-quatorze communications émanant de syndicats affiliés à l'Union marocaine du travail et contenant les mêmes allégations que celles formulées par leur centrale.
- 345. Lorsqu'il a communiqué le texte des communications des plaignants au gouvernement pour observations, le Directeur général a attiré l'attention de ce dernier sur le fait que, les allégations formulées mettant en cause la liberté d'un individu, l'affaire entrait dans la catégorie des cas que le Conseil d'administration, en vertu de la procédure en vigueur, est tenu de considérer comme urgents. Aucune réponse n'ayant été reçue à la date du 25 octobre 1968, un télégramme de rappel a été adressé ce même jour au gouvernement marocain.
- 346. Au reçu de l'information selon laquelle M. Awab avait été condamné à un an de prison, contenue dans un télégramme de l'Union marocaine du travail du 30 octobre 1968, le Directeur général a adressé au gouvernement, le 31 octobre 1968, une dépêche citant le texte du télégramme de l'Union marocaine du travail et invitant le gouvernement à présenter d'urgence ses observations sur l'affaire. A la date du 2 novembre 1968, le Directeur général a reçu du gouvernement du Maroc, en réponse, un télégramme aux termes duquel M. Awab n'aurait pas « été condamné pour avoir prononcé un discours à la 52ème session de la Conférence, mais pour avoir diffusé au Maroc des publications contenant des propos diffamatoires à l'encontre des pouvoirs publics marocains et portant en outre atteinte à l'ordre public ». La condamnation aurait été prononcée en application du dahir du 29 juin 1935 et du dahir du 15 novembre 1958 formant Code de la presse tel qu'il a été modifié et complété.
B. B. Conclusions du comité
B. B. Conclusions du comité
- 347. Au vu des allégations formulées par les plaignants, il semblerait que l'importante question de la liberté de parole soit mise en cause. A cet égard, le comité tient tout d'abord à rappeler que la Déclaration de Philadelphie, qui fait partie intégrante de la Constitution de l'O.I.T, affirme que « la liberté d'expression... est une condition indispensable d'un progrès soutenu ».
- 348. Le comité tient à relever également qu'il est constant que les délégués des organisations d'employeurs et de travailleurs à la Conférence abordent dans leurs interventions des questions qui, directement ou indirectement, intéressent l'Organisation. Le fonctionnement de la Conférence risquerait d'être considérablement entravé et la liberté de parole des délégués des organisations d'employeurs et de travailleurs paralysée si ceux-ci devaient être sous la menace de poursuites pénales qui, directement ou indirectement, seraient fondées sur le contenu de leurs interventions à la Conférence.
- 349. Le comité rappelle que l'article 40 de la Constitution de l'Organisation prévoit que les délégués à la Conférence devront jouir des « immunités qui leur sont nécessaires pour exercer, en toute indépendance, leurs fonctions en rapport avec l'Organisation ».
- 350. Il rappelle en outre que, de son côté, la convention sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées, à laquelle le Maroc est partie, prévoit qu'« en vue d'assurer aux représentants des membres des institutions spécialisées aux réunions convoquées par elles une complète liberté de parole et une complète indépendance dans l'accomplissement de leurs fonctions, l'immunité de juridiction en ce qui concerne les paroles ou les écrits ou les actes émanant d'eux dans l'accomplissement de leurs fonctions continuera à leur être accordée, même après que le mandat de ces personnes aura pris fin ».
- 351. La section 17 de l'article V, selon laquelle ces dispositions ne sont pas opposables aux autorités de l'Etat dont la personne est ressortissante ou dont elle est ou a été le représentant, ne semble pas tenir compte suffisamment du cas particulier des représentants employeurs et travailleurs aux réunions de l'Organisation internationale du Travail, et l'on peut se demander si, à la lumière du principe général posé par l'article 40 de la Constitution, des mesures ne devraient pas être envisagées pour assurer une protection complète en ce qui concerne ces personnes.
- 352. Certes, dans sa réponse, le gouvernement conteste que M. Awab ait été poursuivi pour avoir prononcé un discours à la 52ème session de la Conférence, mais déclare qu'il l'a été pour avoir diffusé au Maroc des publications contenant des propos diffamatoires à l'encontre des pouvoirs publics marocains et portant en outre atteinte à l'ordre public.
- 353. Cette réponse ne précise cependant pas si c'est à cause du contenu de ce discours, ou si c'est pour sa diffusion au Maroc que M. Awab a été poursuivi et condamné ou encore pour d'autres écrits, ni s'il s'agissait de publications de caractère syndical ou d'autre nature. Conformément à la pratique habituelle, il serait également nécessaire que le comité puisse prendre connaissance du texte du jugement de condamnation rendu contre M. Awab et de ses considérants. Le comité estime que de telles précisions seraient indispensables pour lui permettre d'apprécier les faits de la cause.
- 354. Il tient à cet égard à souligner que le droit pour les délégués à la Conférence d'exprimer librement leur point de vue sur les questions du ressort de l'Organisation implique le droit pour les délégués des organisations d'employeurs et de travailleurs de porter leurs interventions à la connaissance de leurs mandants dans leurs pays respectifs.
- 355. Etant donné que les questions évoquées dans l'affaire sont étroitement rattachées au fonctionnement de la Conférence, il pourrait paraître approprié que l'ensemble de ladite affaire soit porté à l'attention de la Conférence.
- 356. Avant toutefois de décider si une recommandation dans ce sens devrait être faite au Conseil d'administration, le comité estime souhaitable que des informations plus précises puissent être fournies par le gouvernement du Maroc.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 357. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration:
- a) d'exprimer sa sérieuse préoccupation devant l'arrestation et la condamnation de M. Awab qui, selon les allégations présentées, seraient la conséquence du discours qu'il avait prononcé en séance plénière de la 52ème session de la Conférence (1968), mesures qui paraissent mettre en cause la liberté de parole des délégués à la Conférence ainsi que les immunités dont ils devraient jouir à cet égard;
- b) de noter la réponse du gouvernement à ce sujet, mais, étant donné qu'elle ne contient pas toutes les informations nécessaires, de prier celui-ci de bien vouloir fournir le plus rapidement possible les précisions demandées au paragraphe 353 ci-dessus et de communiquer notamment le texte de la décision judiciaire de condamnation qui aurait été prononcée le 29 octobre 1968;
- c) de prendre note du présent rapport intérimaire, étant entendu que le comité fera de nouveau rapport lorsqu'il sera en possession des informations complémentaires sollicitées du gouvernement.
- Genève, 7 novembre 1968. Roberto AGO, président.