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- 196. Le comité a déjà examiné, en novembre 1977, les plaintes déposées par le Congrès permanent d'unité syndicale des travailleurs d'Amérique latine (CPUSTAL) et par la Fédération syndicale mondiale (FSM) ainsi que les observations du gouvernement en réponse à celles-ci. Le Secrétariat professionnel international de l'enseignement (SPIE) avait aussi présenté une plainte par une lettre du 12 octobre 1977. Le comité a présenté à cette session des conclusions intérimaires qui figurent aux paragraphes 371 à 388 de son 172e rapport. Le Conseil d'administration a approuvé le rapport en novembre 1977 également (204e session). Une autre plainte a été reçue de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL; communication du 4 novembre 1977). Le gouvernement a envoyé de nouvelles observations par des lettres du 8 mars et du 4 avril 1978.
- 197. L'Equateur a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes
- 198. Cette affaire porte essentiellement sur la grève générale de vingt-quatre heures déclenchée le 18 mai 1977 par les trois centrales syndicales équatoriennes, la CTE, la CEDOC et la CEOSL, ainsi que celle organisée le même jour par l'Union nationale des éducateurs (UNE). Cet arrêt de travail avait abouti à la condamnation, selon une procédure d'exception, à des peines d'amende et de prison de dirigeants syndicaux dont Juan Vasquez Bastidas, président de la CTE, et Manuel Anton, président de l'UNE. La Fédération syndicale mondiale signalait aussi l'arrestation de Julio Ayala Serra, président des éducateurs de la province de Guyás et la mise hors la loi de l'UNE. Le gouvernement n'avait toutefois pas communiqué ses observations sur ces deux derniers points.
- 199. Le comité avait relevé que plusieurs des revendications formulées lors de la grève du 18 mai 1977 étaient manifestement professionnelles alors que d'autres ne l'étaient pas. Pour ce qui était des revendications d'ordre économique, il avait signalé que le droit de grève ne devrait pas être restreint aux seuls différends de travail susceptibles de déboucher sur une convention collective particulière; les travailleurs et leurs organisations devaient pouvoir manifester, le cas échéant, dans un cadre plus large leur mécontentement éventuel sur des questions économiques et sociales touchant aux intérêts de leurs membres si une telle action se limitait à l'expression d'une protestation et ne visait pas à troubler la tranquillité publique.
- 200. MM. Juan Vasquez Bastidas et Manuel Anton avaient été condamnés à de lourdes peines - deux ans de prison et 8.000 à 10.000 sucres d'amende selon les plaignants - à la suite de la grève du 18 mai 1977, sur la base du décret-loi no 105 du 7 juin 1967 et du décret suprême no 1475 du 25 mai 1977. Le premier de ces textes punit sévèrement et en termes très généraux les arrêts collectifs de travail. Le comité avait estimé que celui-ci devrait être réexaminé. Le second, adopté quelques jours seulement après la grève en question, confie à de hauts responsables de la police le soin de juger les contrevenants; les articles du Code de procédure pénale auxquels il fait référence s'appliquent en principe aux simples contraventions; ils prévoient une procédure rapide et refusent toute possibilité de recours. Le comité avait considéré que cette procédure sommaire risquait de donner lieu à des abus et que tout syndicaliste détenu devait bénéficier d'une procédure judiciaire régulière garantissant pleinement les droits de la défense et conforme aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
- 201. Dans ces conditions, le Conseil d'administration avait, notamment sur recommandation du comité, prié le gouvernement de réexaminer le décret-loi no 105 et d'envisager l'abrogation du décret suprême no 1475; il avait demandé à la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations de suivre les développements de cette question. Le Conseil avait également suggéré au gouvernement la possibilité de reconsidérer la situation de MM. Juan Vasquez Bastidas et Manuel Anton. Il avait prié le gouvernement d'indiquer la situation actuelle de Julio Ayala Serra et de communiquer ses observations sur la mise hors la loi de l'UNE.
- 202. Le Secrétariat professionnel international de l'enseignement (SPIE) s'est aussi référé dans sa lettre du 12 octobre 1977 à l'action syndicale des enseignants visant à obtenir une augmentation de salaires. Il allègue que le gouvernement a immédiatement réagi par la mise en oeuvre des décrets nos 1475 et 1476 qui ont eu pour effet la dissolution de l'UNE et l'incarcération de ses dirigeants nationaux et régionaux. Ceux-ci ont été condamnés à des amendes de 2.000 à 8.000 sucres (80 à 350 dollars des Etats-Unis) et radiés sur le champ, avec 500 de leurs collègues, du cadre enseignant. Dans une lettre du 4 novembre 1977 - qui concernait spécialement un autre aspect de la situation syndicale en Equateur -, la Confédération internationale des syndicats libres fait état de ces deux décrets qui ont, entre autres, abouti à la mise hors la loi de l'UNE (décret no 1476), ont rendu plus faciles les licenciements individuels et collectifs, les menaces contre les syndicalistes, leur arrestation voire leur assassinat.
- 203. Le gouvernement explique, dans ses deux communications, que l'UNE regroupe une bonne partie des professeurs de l'enseignement public du pays. Ceux-ci contrairement aux principes les plus élémentaires qui régissent les relations entre l'Etat et ses serviteurs, ont décidé de déclencher un arrêt national de travail pour obtenir certains avantages de caractère économique que le gouvernement n'était pas en mesure d'accorder. Néanmoins, poursuit-il, les autorités étudiaient les revendications avec le désir de les satisfaire le mieux possible. Malgré cela, l'UNE s'est lancée, par l'action de quelques dirigeants, dans une grève nationale qui a paralysé pendant trente jours les écoles et collèges publics de tout le pays dans le seul but de créer le chaos, de perturber l'ordre public et de chercher à briser la paix et la tranquillité du peuple équatorien.
- 204. Cette grève fut qualifiée d'illégale, ajoute le gouvernement, par des dizaines de leurs compagnons car ils n'étaient pas d'accord avec la majorité des professeurs. Par ailleurs, les autorités conclurent de plusieurs réunions avec les dirigeants qu'il s'agissait seulement d'une campagne de prosélytisme en faveur de quelques professeurs, mauvais serviteurs de l'Etat. Le gouvernement déclara donc ces événements illégaux et tendancieux, conformément à la loi. En effet, le corps enseignant est régi par la loi sur l'avancement et les salaires qui énumère les devoirs et les droits qui le lient à l'Etat et qui interdit les grèves, les arrêts de travail et les autres manifestations de caractère politique. Les professeurs sont des agents de l'Etat et ne peuvent enfreindre les dispositions légales. Ils sont protégés par des lois qui divergent de la législation nationale du travail. Par conséquent, estime le gouvernement, celui-ci n'a pas violé les conventions nos 87 et 98 qui s'appliquent aux travailleurs couverts par le code du travail et non pas aux agents publics, tels les professeurs, qui ont une fonction publique et sociale à remplir, en l'espèce, éduquer les enfants et les adolescents du pays. Le gouvernement ajoute que, sur la base du décret-loi no 105 précité, il a puni les responsables en les révoquant ou en les transférant dans d'autres provinces. Il a cependant levé immédiatement ces sanctions et réintégré au corps enseignant 95 pour cent des professeurs, parfois dans la même fonction. En outre, les autorités compétentes examinent les autres cas en vue d'une réintégration.
B. B. Conclusions du comité
B. B. Conclusions du comité
- 205. Le comité note ces informations, et notamment les renseignements fournis sur la réintégration des professeurs au corps enseignant. Il désire en premier lieu rappeler que les normes sur la liberté syndicale contenues dans la convention no 87 s'appliquent à tous les travailleurs "sans distinction d'aucune sorte" et couvrent donc le personnel de l'Etat. Il a semblé en effet inéquitable d'établir une discrimination dans le domaine syndical entre les travailleurs du secteur privé et les agents publics qui doivent, les uns comme les autres, être en mesure de s'organiser pour la défense de leurs intérêts.
- 206. Néanmoins, comme il est clairement dit dans les travaux préparatoires de la convention no 871, la reconnaissance aux agents publics du droit de se syndiquer ne préjuge en rien la question du droit de grève pour les fonctionnaires. Le comité a admis que ce droit puisse faire l'objet de restrictions, voire d'interdictions dans la fonction publique. De telles mesures devraient cependant, comme le comité l'a notamment précisé dans plusieurs affaires concernant le corps enseignant du secteur public, s'accompagner de procédures adéquates pour le règlement pacifique des différends et, en dernier ressort, de procédures d'arbitrage dont les sentences lieraient dans tous les cas les deux parties et seraient exécutées promptement et complètement.
- 207. A la suite de cette grève, le gouvernement a mis l'UNE hors la loi en vertu d'un décret, ce qui revenait à dissoudre cette organisation. A cet égard, la convention no 87 dispose, en son article 4, que les organisations de travailleurs et d'employeurs ne sont pas sujettes à dissolution (ou à suspension) par voie administrative. Le comité a souvent signalée qu'une dissolution prononcée par le pouvoir exécutif, en vertu d'une loi de pleins pouvoirs ou dans l'exercice de fonctions législatives, tout comme une dissolution par la voie administrative ne permet pas d'assurer les droits de la défense et n'offre pas les garanties nécessaires. En d'autres termes, les organisations syndicales devraient bénéficier de la protection d'une procédure judiciaire régulière lorsque la législation nationale prévoit la dissolution (ou la suspension) d'un syndicat à titre de sanction pour une infraction grave à la loi.
- 208. Le comité rappelle que dans une affaire précédente à propos de l'Equateur, le Conseil d'administration, sur recommandation du comité, avait notamment attiré l'attention du gouvernement sur le principe précité contenu à l'article 4 de la convention no 87, ratifiée par l'Equateur, et insisté pour son application intégrale. Dans le cas présent, la mise hors la loi de l'UNE risque en outre de priver les professeurs de l'enseignement public de toute organisation représentative, puisque l'UNE regroupe, au dire même du gouvernement, une bonne partie des enseignants concernés.
- 209. Par ailleurs, le gouvernement n'a fourni aucun élément nouveau d'information sur MM. Juan Vasquez Bastidas, Manuel Anton et Julio Ayala Serra.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 210. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration:
- a) de noter les informations communiquées par le gouvernement sur la réintégration des professeurs licenciés pour fait de grève;
- b) de suggérer à nouveau au gouvernement de reconsidérer la situation de MM. Juan Vasquez Bastidas et Manuel Anton et de le prier une fois encore d'indiquer la situation actuelle de M. Julio Ayala Serra;
- c) d'attirer l'attention sur les considérations et principes exposés aux paragraphes 206 à 208 à propos de la grève dans l'enseignement et de la dissolution de l'Union nationale des éducateurs (UNE), de demander au gouvernement de reconsidérer la mesure prise à l'encontre de l'UNE, qui n'est pas conforme à l'article 4 de la convention no 87 (ratifiée par l'Equateur), et de communiquer des informations sur tout développement à cet égard;
- d) de noter ce rapport intérimaire.