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- 301. La plainte de la Fédération nationale des syndicats de la fonction publique, fédération adhérant à la Confédération générale des travailleurs portugais (CGTP-IN), est parvenue au BIT dans un télégramme du 28 mai 1981. Dans des communications des 2 et 17 juin 1981, la fédération plaignante a fourni des informations complémentaires à l'appui de sa plainte. Le gouvernement, pour sa part, a fait parvenir ses observations dans une communication du 6 novembre 1981.
- 302. Le Portugal a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, ainsi que la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978.
A. Allégations des plaignants
A. Allégations des plaignants- 303. La Fédération nationale des syndicats de la fonction publique, qui regroupe 28 organisations syndicales représentatives d'environ 300.000 personnes sur un total de 370.000 travailleurs de la fonction publique, faisait état, dans son télégramme initial, de l'arrestation de trois de ses dirigeants syndicaux.
- 304. Dans des communications complémentaires, la fédération plaignante explique que les poursuites judiciaires exercées contre ses dirigeants s'inscrivent dans le cadre d'un conflit du travail entre elle et le gouvernement, ce dernier refusant, selon la fédération plaignante, de négocier les salaires des fonctionnaires. La plainte allègue donc une violation de la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique (art. 7 et 8), ratifiée par le Portugal (loi no 17/80 du 15 juillet 1980), et de la Constitution portugaise (art. 58, al. 3 et 4, et 270, al. 2). Elle allègue également une violation de la convention no 98 en précisant que, même si une interprétation littérale est donnée à l'article 6 de cette convention, le droit de négociation collective dans l'ordre juridique interne portugais appartient aux travailleurs de la fonction publique aux termes de la Constitution portugaise. En conséquence, ce droit ne peut leur être dénié en vertu des garanties prévues par l'article 19, alinéa 8, de la Constitution de l'OIT.
- 305. Il ressort de la documentation annexée à la plainte que, dès le mois de novembre 1980, les travailleurs de la fonction publique avaient demandé à être reçus par le gouvernement pour négocier des augmentations de salaires qu'ils auraient voulu voir entrer en vigueur le 1er janvier 1981.
- 306. Malgré plusieurs démarches syndicales, la première réunion n'aurait eu lieu que le 20 février 1981. Au cours de cette réunion, au dire de la fédération plaignante, le ministre de la Réforme administrative aurait annoncé aux syndicats qu'une somme de 13,62 millions de contes allait être allouée aux fonctionnaires et qu'elle consisterait en augmentation de salaire, augmentation de prestation d'ancienneté dès janvier et augmentation de subside. Ces propositions auraient été confirmées par le ministre le 27 février, surtout en ce qui concerne la rétroactivité des augmentations dès janvier.
- 307. Cependant, toujours selon la fédération plaignante, le 13 mars, le ministre serait revenu sur ses dires et n'aurait plus envisagé que des augmentations de salaires à accorder au 1er mai selon une des trois hypothèses suivantes: augmentation de 16,6 à 19 pour cent ou de 17 à 20 pour cent ou de 18 à 21 pour cent, selon la catégorie professionnelle. En outre, il aurait refusé toute augmentation au titre de l'ancienneté.
- 308. Le 20 mars, les propositions gouvernementales auraient encore diminué par rapport aux précédentes pour n'être plus que d'un coût global de 10,83 millions. Enfin, le 6 avril 1981, elles n'auraient plus été que de 10,61 millions et le gouvernement, après en avoir informé les syndicats, aurait fait approuver ses propositions par décision unilatérale, en faisant adopter la loi no 110-A-81 du 14 mai 1981 fixant les nouveaux salaires de la fonction publique.
- 309. La fédération plaignante déclare que, dès le 20 mars 1981, les négociations ont été rompues. Or, le 13 mai 1981, trois des dirigeants d'une délégation syndicale qui espérait être reçue par le ministre de la Réforme administrative puisque les syndicats lui demandaient audience depuis 54 jours ont été arrêtés par la force publique. Ils ont été poursuivis pour désobéissance, alors que, selon la fédération plaignante, ils souhaitaient simplement, conformément aux droits que leur reconnaît la constitution, défendre et promouvoir les intérêts de leurs membres et exercer leur droit de négocier collectivement.
- 310. En conclusion, selon la fédération plaignante, le gouvernement n'a pas recherché la participation des syndicats dans la fixation des salaires de la fonction publique pour 1981. Il a procédé par voie autoritaire, provoquant la rupture des négociations, le conflit avec les travailleurs et empêchant une solution par une voie impartiale qui inspire la confiance des différentes parties intéressées.
- 311. Dans une communication ultérieure, la fédération plaignante annonce l'acquittement, par le Tribunal de police criminel de Lisbonne, le 4 juin 1981, des trois dirigeants syndicaux emprisonnés, mais elle ajoute que le ministère public a fait appel de cette décision. Une partie du texte du jugement est annexée à la communication.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 312. Au sujet du jugement des trois dirigeants syndicaux, le gouvernement souhaite préciser les faits. Il indique que, dès le 11 mars 1981, plusieurs dirigeants syndicaux appartenant à la Commission de négociation se sont mis à attendre près de la porte du ministre de la Réforme administrative afin d'être reçus comme ils en avaient fait la demande antérieurement.
- 313. Cependant, le 13 mai 1981, vers 15 heures, explique le gouvernement, la police de la sécurité publique de Lisbonne, ayant constaté un rassemblement sur la voie publique, près du ministère, constitué d'une vingtaine de personnes et de deux automobiles légères munies de haut-parleurs, alors que les organisateurs n'avaient pas informé, comme l'exige la loi, le gouverneur civil de Lisbonne, intima l'ordre aux intéressés de se disperser. Les syndicalistes, poursuit le gouvernement, manifestaient bruyamment devant l'édifice du ministère de la Réforme sociale, émettant des slogans et de la musique avec les haut-parleurs, ce qui a causé un préjudice au bon fonctionnement des services du ministère. Face au refus d'obtempérer de trois personnes et indépendamment de leur qualité de syndicalistes, la police a procédé à leur arrestation en flagrant délit pour refus d'obéissance qualifié conformément au décret-loi no 406/74 et à l'article 287 du code de procédure pénale.
- 314. Ces trois personnes, explique le gouvernement, ont été conduites au poste de police et citées à comparaître devant le Tribunal de police le 14 mai 1981. Elles ont été maintenues en liberté jusqu'au jugement, déclare-t-il. Le 14 mai, l'affaire a été ajournée par le tribunal à la demande des avocats des inculpés jusqu'au 18, les intéressés étant maintenus en liberté. Le procès a débuté le 18 mai et s'est terminé le 4 juin 1981 après dix audiences qui ont permis d'éclairer les faits, ajoute le gouvernement. Il confirme que les inculpés ont été acquittés et que le ministère public a fait appel de cette décision. Sur ce dernier point, il affirme que le recours ne vise pas les activités ou les qualités syndicales des intéressés, il communique l'intégralité du jugement prononcé à l'égard des syndicalistes et assure, par ailleurs, qu'il tiendra le comité informé de l'issue du recours.
- 315. Au sujet de l'allégation de violation de la convention no 151 et de la Constitution portugaise, le gouvernement déclare, dans sa communication du 6 novembre 1981, en ce qui concerne l'article 7 de la convention no 151, que cette convention n'est pas encore entrée en vigueur puisque sa ratification n'a été enregistrée que le 9 janvier 1981. Elle ne deviendra obligatoire pour le Portugal que douze mois plus tard, soit le 9 janvier 1982, comme la fédération plaignante le reconnaît elle-même expressément.
- 316. Néanmoins, le gouvernement souhaite répondre au grief selon lequel cette convention complète l'ordre juridico-constitutionnel portugais qui reconnaît le droit de négociation collective à tous les travailleurs sans exclusion, y compris les travailleurs de la fonction publique, aux termes des articles 58, alinéas 3 et 4, et 270, alinéa 2, de la constitution.
- 317. Sur ce point, le gouvernement observe que la question de savoir si les travailleurs de la fonction publique ont le droit de négocier collectivement en application de la constitution se pose, selon lui, dans les termes suivants: l'article 58 de la constitution sur le droit syndical et de négociation collective confère aux syndicats le droit de négocier collectivement (al. 3) et renvoie à la loi la définition des règles relatives à l'adoption des conventions collectives (al. 4). Or, la loi en vigueur sur les conventions collectives (décret-loi no 519/01/79 du 29 décembre) exclut expressément les relations collectives de travail dans la fonction publique, l'article 1, alinéa 2, de ce texte prévoyant qu'une loi spéciale réglementera la matière. Enfin, observe le gouvernement, la fédération plaignante invoque l'article 270, alinéa 2, de la constitution relatif au régime de la fonction publique d'où il ressort qu'aucun fonctionnaire ou agent de l'Etat ne doit subir de préjudice ou d'avantage pour des raisons politiques. Mais la constitution exclut les droits syndicaux du champ de droits politiques. En revanche, ajoute le gouvernement, la fédération plaignante a omis d'invoquer l'article 270, alinéa l, qui affirme le principe selon lequel les fonctionnaires et agents de l'Etat sont exclusivement au service de l'intérêt public, de même que, dans cette ligne de pensée, l'article 167, alinéa m, qui définit le caractère statutaire du régime de la fonction publique en considérant que son champ d'application et son régime constituent des matières du domaine réservé à l'Assemblée de la république.
- 318. Par ailleurs, le gouvernement rappelle que l'article 6 de la convention no 98 dispose que cette convention ne traite pas de la situation des fonctionnaires publics et que c'est ce qui aurait motivé l'adoption de la convention no 151 sur les relations de travail dans la fonction publique. En conséquence, selon le gouvernement, c'est à tort que la fédération plaignante invoque la convention no 98 et l'article 19, alinéa 8, de la Constitution de l'OIT.
- 319. Enfin, le gouvernement rejette l'allégation selon laquelle il n'aurait pas l'intention d'appliquer de bonne foi la convention no 151 qu'il a ratifiée et l'allégation selon laquelle il se serait efforcé d'empêcher la négociation et la participation des intéressés à la fixation des conditions de travail dans la fonction publique et il aurait mis des obstacles au recours au mécanisme de résolution des conflits.
- 320. Pour le gouvernement, il s'agit là d'un procès d'intention qui lui est fait étant donné sa déclaration de présenter à l'Assemblée de la république, à brève échéance et de toute manière dans le calendrier que lui impose la ratification de la convention no 151, un projet de loi conforme aux exigences de cette convention.
- 321. Quant à l'allégation relative aux obstacles à la négociation, le gouvernement déclare ne pas avoir empêché la négociation, et il n'a pas entravé le mécanisme de résolution des conflits pour la simple raison qu'il n'existe encore ni négociation ni mécanisme tant que la loi en la matière n'a pas été adoptée. En pratique cependant, le gouvernement a appelé les représentants de plusieurs syndicats intéressés à participer à la réglementation des conditions de travail de la fonction publique et, en particulier, à la discussion relative à la nouvelle échelle des salaires. Des discussions ont eu lieu et, étant donné les difficultés budgétaires, les salaires ont été fixés à un niveau qui n'a pas recueilli l'accord des instances syndicales. Le dialogue avec les instances syndicales de la fonction publique continue normalement et, depuis le 8 juillet 1981, plusieurs questions concernant les salaires dans la fonction publique sont en discussion. Pour terminer, le gouvernement assure qu'en vue d'harmoniser la législation et la pratique nationales avec les dispositions de la convention no 151 qui entre en vigueur au Portugal le 9 janvier 1982, il va adopter les mesures normatives nécessaires.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 322. Le comité observe que cette affaire a trait à des difficultés rencontrées par la fédération plaignante, qui regroupe la plupart des organisations syndicales de la fonction publique, en matière de négociation collective. Ces difficultés ont entraîné une manifestation sur la voie publique qui a conduit à l'arrestation de trois dirigeants syndicaux.
- 323. Pour la fédération plaignante, le gouvernement aurait procédé par voie autoritaire et aurait rompu unilatéralement la négociation. En revanche, selon le gouvernement, celui-ci aurait reçu les organisations syndicales comme elles en avaient fait antérieurement la demande.
- 324. Quoi qu'il en soit, le comité ne peut que constater que la décision relative aux augmentations de salaires adoptées dans la fonction publique n'a pas recueilli la confiance de la fédération plaignante, qui constitue l'organisation la plus représentative de ce secteur d'activité.
- 325. Dans ces circonstances, le comité, tout en regrettant que les augmentations de salaires pour 1981 aient été fixées par décision unilatérale sans que le gouvernement ait recueilli la confiance des syndicats, exprime l'espoir qu'à l'avenir une telle situation pourra être évitée. Il rappelle que, lorsqu'il existe un différend du travail dans le secteur public, il convient de rechercher une solution avant l'adoption d'une décision conformément aux principes de l'article 8 de la convention no 151. En effet, pour le comité, le règlement des différends survenant à propos de la détermination des conditions d'emploi doit être recherché par voie de négociation entre les parties ou par une procédure donnant des garanties d'indépendance et d'impartialité telles qu'elles inspirent la confiance des parties intéressées.
- 326. Dans le cas d'espèce, le comité constate que, selon les déclarations mêmes du gouvernement, la législation actuellement en vigueur ne prévoit encore aucune solution pour le règlement des différends dans la fonction publique. Néanmoins, le gouvernement assure qu'en vue d'harmoniser sa législation et sa politique avec les dispositions de la convention no 151, ratifiée par le Portugal et qui est entrée en vigueur le 9 janvier 1982, il va adopter les mesures normatives nécessaires.
- 327. Le comité prend acte de cette déclaration et il veut croire que les dispositions de la loi spéciale qui régira les relations collectives de travail dans la fonction publique accorderont aux fonctionnaires publics, en matière de procédures de détermination des conditions d'emploi et de règlement des différends, les garanties prévues par la convention no 151, de telle sorte qu'elles inspirent la confiance des parties intéressées. Le comité croit utile de signaler cet aspect du cas à l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations.
- 328. Pour ce qui est des dirigeants syndicaux arrêtés, le comité constate qu'ils ont été rapidement jugés et acquittés par le tribunal. Il observe également qu'ils n'ont pas été maintenus en détention préventive. Cependant, le procureur a fait appel de la décision d'acquittement.
- 329. Dans ces circonstances, le comité souhaite rappeler au gouvernement que le droit d'organiser des manifestations sans troubler l'ordre public est un droit essentiel du droit syndical. Il ne semble pas, dans le cas présent, que la manifestation en cause ait eu un quelconque caractère de violence, et il ressort du jugement rendu par le tribunal que l'ordre de dispersion de la manifestation ne semblait pas avoir été donné à bon droit.
- 330. Dans ces circonstances, le comité estime utile de rappeler que l'arrestation de dirigeants syndicaux peut entraîner de sérieux obstacles à l'exercice des droits syndicaux, notamment quand les intéressés n'avaient d'autre but que d'être entendus par les autorités publiques pour promouvoir et défendre les intérêts de leurs membres. Le comité prie donc le gouvernement de le tenir informé de l'issue du recours introduit par le ministère public.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 331. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration d'adopter les conclusions suivantes:
- a) Au sujet du refus du gouvernement de négocier les salaires dans la fonction publique pour 1981, le comité regrette que les augmentations de salaires aient été fixées par décision unilatérale sans que le gouvernement ait recueilli la confiance des syndicats concernés, et il exprime l'espoir qu'à l'avenir une telle situation pourra être évitée.
- b) Au sujet de la loi spéciale qui régira les relations collectives de travail dans la fonction publique, le comité, ayant pris note des assurances données par le gouvernement, veut croire que cette loi accordera aux fonctionnaires, en matière de procédures de détermination des conditions d'emploi et de règlement des différends, les garanties prévues par la convention no 151, de telle sorte qu'elles inspirent la confiance des parties intéressées. A cet égard, le comité croit utile de signaler cet aspect du cas à l'attention de la commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations.
- c) Au sujet des dirigeants syndicaux arrêtés, le comité note qu'ils ont été acquittés par le Tribunal de police de Lisbonne et qu'ils n'ont pas été maintenus en détention préventive. Cependant, le comité note également que le ministère public a fait appel de la décision d'acquittement. Le comité estime donc utile de rappeler au gouvernement que l'arrestation de dirigeants syndicaux peut entraîner de sérieux obstacles à l'exercice des droits syndicaux, notamment quand les intéressés agissent pour promouvoir et défendre les intérêts de leurs membres. Le comité prie en conséquence le gouvernement de le tenir informé de l'issue du recours introduit par le ministère public.