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Rapport définitif - Rapport No. 214, Mars 1982

Cas no 1067 (Argentine) - Date de la plainte: 24-JUIL.-81 - Clos

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  1. 190. Par des télégrammes respectivement datés des 24 et 27 juillet 1981, la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) et la Confédération mondiale du travail (CMT) ont présenté des plaintes en violation des droits syndicaux en Argentine. La CISL a envoyé des informations complémentaires dans une lettre du 13 août 1981. Pour sa part, le gouvernement a fourni ses observations dans une lettre du 5 août 1981 ainsi que dans une autre communication reçue au BIT le 9 novembre 1981.
  2. 191. L'Argentine a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations des plaignants

A. Allégations des plaignants
  1. 192. Dans leurs télégrammes, la CISL et la CMT se réfèrent à l'arrestation de syndicalistes survenue à la suite de la grève générale organisée par la Confédération générale du travail de l'Argentine le 22 juillet 1981 pour appuyer des revendications sociales et économiques. Les organisations plaignantes citent le nom de plusieurs dirigeants syndicaux ainsi arrêtés: Saúl Ubaldini, secrétaire général de la CGT; José Rodriguez, secrétaire général du Syndicat SMATA; Lesio Pomerol secrétaire général du Syndicat du caoutchouc; Ricardo Pérez, secrétaire général du Syndicat des camionneurs; Manuel Diaz Fey, secrétaire général du Syndicat des voyageurs de commerce; Antonio Cladera, Syndicat des dockers; Oswaldo Borda, Syndicat du caoutchouc et Donaires, membre de l'exécutif de la CGT. Selon la CISL, les syndicalistes risqueraient une peine de dix ans de prison.
  2. 193. Dans sa lettre du 13 août 1981, la CISL explique que la Confédération générale du travail d'Argentine avait lancé au mois de juin 1981 un mot d'ordre de grève afin d'appuyer les revendications essentiellement économiques des travailleurs jusque-là ignorées par les employeurs et par le gouvernement de ce pays. L'action des syndicats devait avoir lieu le 22 juillet 1981. En date du 20 juillet, le gouvernement annonçait qu'il réprimerait sévèrement "les mesures de force menaçant la paix et la sécurité intérieure".
  3. 194. La journée de protestation du 22 juillet par laquelle, selon la CISL, les travailleurs argentins voulaient marquer leur inquiétude face à la baisse continuelle du pouvoir d'achat et la montée constante du chômage s'est finalement soldée par une dure répression de la part des autorités. Toujours selon la CISL, 33 dirigeants de la CGT ont été arrêtés et plusieurs d'entre eux étaient, au moment de l'envoi de la plainte, toujours en prison. Selon une déclaration officielle, tous ces dirigeants risquaient d'être poursuivis pour infraction à la loi interdisant le recours à la force ou pour infraction à l'état de siège sanctionné par de lourdes peines de prison.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 195. Dans sa lettre du 5 août 1981, le gouvernement indique que MM. José Rodriguez, Lesio Romero, Ricardo Manuel Pérez, Manuel Diaz Rey et Alberto Alfonso Cladera ont été arrêtés le 22 juillet 1981 à titre de mesures policières préventives pour instigation à une grève. Toutes ces personnes ont recouvré la liberté le 24 juillet, conformément à la décision du juge national de première instance. Le gouvernement ajoute qu'il en a été de même pour M. Saúl Ubaldini, qui a été arrêté le 23 juillet 1981.
  2. 196. Toujours selon le gouvernement, MM. Fernando Donaires et Oswaldo Borda n'ont pas été détenus, le juge les ayant exemptés de prison.
  3. 197. Pour le gouvernement, la "journée de protestation" était destinée à exercer une pression sur le gouvernement en matière politique. Les moyens d'action directe auxquels les personnes en cause décidèrent d'avoir recours n'avaient pas pour objet des conflits de travail ni la défense des intérêts professionnels.
  4. 198. Dans sa communication de novembre 1981, le gouvernement explique que l'organisation qui s'attribue le nom de CGT a décidé de convoquer une "journée de protestation" pour le 22 juillet 1981. Cette décision était contenue dans un document portant la date du 19, dans lequel la CGT proposait une action conjointe de la communauté nationale qui se manifesterait par un arrêt total des activités pour une durée de 24 heures.
  5. 199. Quelques jours auparavant, le ministre du Travail avait eu l'occasion de déclarer que ce recours à des actions directes n'était pas approprié. Le ministre avait affirmé que, dans les circonstances prévalant dans le pays, le dialogue et la participation des secteurs concernés constituaient la méthode adéquate pour résoudre les problèmes auxquels sont confrontés le capital et le travail. Il précisa également que les deux secteurs en question défendaient très clairement leurs intérêts et que chacun était conscient qu'au-dessus de son propre intérêt existe quelque chose de supérieur, l'intérêt général, c'est-à-dire l'intérêt de toute une société.
  6. 200. Pour le gouvernement, le motif de la convocation à la journée de protestation et les résultats qui en étaient attendus étaient de nature nettement politique. Pour ce qui est de la portée de cette protestation, le gouvernement indique que l'aile majoritaire du syndicalisme, à savoir la commission nationale du travail et le Groupe des vingt, manifesta son désaccord avec l'arrêt des activités proposé par la CGT. En outre, ces organisations rendirent publique leur volonté de persévérer dans le dialogue proposé et mené à bien par le gouvernement.
  7. 201. Le gouvernement remarque également que la CNT et le Groupe des vingt furent désignés pour représenter les travailleurs au sein de la délégation tripartite argentine à la Conférence internationale du Travail et que leurs pouvoirs ne purent être légitimement mis en cause. Pour le gouvernement, la connotation politique de la convocation à la journée de protestation n'était pas étrangère à cette question. Toujours selon le gouvernement, la journée de protestation de la CGT a été suivie partiellement dans la banlieue industrielle de Buenos Aíres, elle a eu un succès moindre que ses dirigeants l'espéraient dans l'intérieur du pays et est passée pratiquement inaperçue dans la capitale fédérale.
  8. 202. Aucune des nombreuses actions directes qui ont eu lieu au cours de ces derniers temps n'a entraîné, selon le gouvernement, une répression de la part des autorités. Dans ce cas, cependant, et en raison de l'urgence de la situation, la connotation politique du mouvement proposé a motivé, comme mesure exceptionnelle, l'application de la législation en matière de sécurité nationale afin d'empêcher que le recours à la grève soit utilisé pour des motifs étrangers à la défense des intérêts professionnels.
  9. 203. A la suite de la journée de protestation, plusieurs personnes furent déférées devant le juge national de première instance. Il s'agissait de: Saùl Ubaldini, Alberto Cladera, Ricardo Pérez, Oswaldo Borda, Fernando Donaires, José Rodríguez, Manuel Diaz Rey et Lesio Romero. Parmi ces personnes, MM. Donaires et Borda, qui se trouvaient en fuite, obtinrent une dispense de prison avec "accusation provisoire". Les autres inculpés furent libérés après être restés en prison préventive. Le procureur interjeta appel contre les décisions prises, mais ce recours fut rejeté et les libérations et dispenses de prison confirmées.
  10. 204. Pour ce qui est des autres syndicalistes arrêtés, dont les noms n'avaient pas été cités dans les plaintes, le gouvernement indique qu'ils ont tous recouvré la liberté, leur détention n'ayant duré au maximum que 48 heures ou 72 heures.
  11. 205. En conclusion, le gouvernement, se fondant sur certains principes du Comité de la liberté syndicale en matière de grève politique, demande que la plainte soit rejetée.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 206. La présente affaire porte essentiellement sur la journée de protestation avec arrêt de travail déclenchée par la Confédération générale du travail de l'Argentine le 22 juillet 1981. Le mouvement s'est soldé par l'arrestation des principaux dirigeants de la CGT et de plusieurs syndicalistes. Toutes ces personnes ont fait l'objet d'un procès à la suite duquel elles ont été libérées.
  2. 207. Les plaignants allèguent que l'action a été déclenchée pour appuyer des revendications d'ordre essentiellement économique et social. Pour le gouvernement, en revanche, le mouvement présentait une "connotation politique" et avait un objet étranger à la défense des intérêts professionnels des travailleurs.
  3. 208. Le comité a toujours considéré le droit de grève comme un moyen légitime et même essentiel dont disposent les travailleurs pour promouvoir et défendre leurs intérêts professionnels. Cependant, si le droit de grève est un droit fondamental des travailleurs et de leurs syndicats, c'est dans la mesure où il constitue un moyen de défense de leurs intérêts. Ainsi, l'interdiction des grèves visant à exercer une pression sur le gouvernement, lorsqu'elles sont dépourvues de caractère professionnel, ne porte pas atteinte à la liberté syndicale. Il importe toutefois que le droit de grève ne soit pas limité aux seuls différends du travail susceptibles de déboucher sur une convention collective particulière. Les organisations de travailleurs doivent en effet pouvoir manifester dans un cadre plus large leur désaccord sur les questions économiques et sociales touchant aux intérêts de leurs membres.
  4. 209. Dans le cas présent, les déclarations contradictoires des plaignants et du gouvernement ne permettent pas de déterminer en toute connaissance de cause quelle était la nature de la grève déclenchée par la CGT. Quoi qu'il en soit, le comité doit constater, comme il l'a déjà fait dans le cadre du cas no 842 relatif à l'Argentine, que l'exercice du droit de grève est suspendu dans ce pays depuis maintenant plus de cinq ans. Dans ces conditions, le comité croit utile à nouveau de rappeler qu'une suspension générale du droit de grève constitue une entrave importante au droit des syndicats d'organiser leurs activités qui n'est pas en conformité avec les principes généralement reconnus en matière de liberté syndicale.
  5. 210. Pour ce qui est des mesures d'arrestation opérées dans le cadre de cette journée de protestation, le comité note que les personnes détenues ont été libérées. Il tient cependant à souligner que la détention préventive de syndicalistes peut entraîner une sérieuse ingérence dans les affaires syndicales et qu'en conséquence, les autorités de police devraient recevoir des instructions précises pour éviter que, dans les cas où l'ordre public n'est pas sérieusement menacé, il soit procédé à l'arrestation de personnes pour le simple fait d'avoir organisé une manifestation ou d'y avoir participé.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 211. Dans ces conditions, le comité recommande au conseil d'administration d'approuver les conclusions suivantes:
    • a) Au sujet de la suspension générale du droit de grève qui dure depuis plus de cinq ans, le comité rappelle qu'une mesure de ce type constitue une entrave importante au droit des syndicats d'organiser leurs activités qui n'est pas en conformité avec les principes généralement reconnus en matière de liberté syndicale.
    • b) Pour ce qui est des mesures d'arrestation, le comité note que les personnes arrêtées ont été libérées. Il souligne cependant que les autorités de police devraient recevoir des instructions précises pour éviter que, dans les cas où l'ordre public n'est pas sérieusement menacé, il soit procédé à l'arrestation de personnes pour le simple fait d'avoir organisé des manifestations ou d'y avoir participé.
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