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- 119. Par une communication en date du 2 mai 1984, le Syndicat des travailleurs des établissements manufacturiers des Forces armées a présenté une plainte en violation des droits syndicaux au Portugal. Le 8 juin 1984, l'organisation plaignante a transmis certaines informations complémentaires. Le gouvernement a fourni ses observations dans une communication du 19 octobre 1984.
- 120. Le Portugal a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des plaignants
A. Allégations des plaignants
- 121. Le Syndicat des travailleurs des établissements manufacturiers des Forces armées explique dans sa plainte que, conformément à la législation syndicale établie par le décret-loi no 215-B/75 du 30 avril 1975, une assemblée des travailleurs des établissements manufacturiers des Forces armées a été convoquée aux fins de constituer une association syndicale, d'approuver les statuts et le règlement du syndicat et d'élire un comité directeur provisoire. Toute cette procédure a été suivie, selon l'organisation plaignante, dans le strict respect des dispositions pertinentes de la législation.
- 122. Au terme de la procédure, l'assemblée a pris soin de présenter au ministère du Travail le 23 juin 1983 les noms des membres élus au comité directeur provisoire et les statuts du syndicat en vue de son enregistrement. Or, ajoute le plaignant, jusqu'à la date de la plainte, les statuts du syndicat, régulièrement constitué, n'ont toujours pas été publiés, ce qui l'empêche, précise-t-il, de commencer à mener ses activités normales.
- 123. Le plaignant ajoute que, le 4 novembre 1983, le Cabinet du secrétaire d'Etat au Travail a fait savoir que les statuts du syndicat n'avaient pas été publiés car il n'était pas certain qu'un syndicat de travailleurs puisse être constitué au sein des établissements manufacturiers des Forces armées.
- 124. Pour le plaignant, cette attitude constitue une violation de la convention no 87 ratifiée par le Portugal ainsi que du droit interne portugais dont, à son avis, aucune disposition ne permet d'exclure les travailleurs en cause du droit de constituer des associations syndicales.
- 125. Le plaignant joint à sa communication du 8 juin 1984 divers documents à l'appui de sa plainte. Il transmet notamment une note du Conseil des directeurs des établissements manufacturiers des Forces armées qui reconnaît expressément le droit légitime des travailleurs de se syndiquer ainsi qu'un avis du Procureur général de la République daté du 9 février 1984 selon lequel l'examen des statuts par le ministère du Travail doit se limiter à la vérification de la régularité formelle de la procédure et de la mention dans les statuts des thèmes qui, en vertu de l'article 14 du décret-loi no 215/75, doivent y être traités. En outre, le plaignant fournit copie d'un arrêt du Tribunal constitutionnel du 17 avril 1984 qui reconnaît que, conformément à la Constitution, les travailleurs des établissements manufacturiers des Forces armées ont le droit de constituer des associations syndicales et que toute disposition qui irait à l'encontre de ce droit ou le limiterait serait inconstitutionnnelle.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 126. Dans sa réponse, le gouvernement confirme qu'une procédure d'enregistrement du Syndicat des travailleurs des établissements manufacturiers des Forces armées a été entamée auprès du ministère du Travail et de la Sécurité sociale le 24 juin 1983. Après vérification de la légalité formelle des statuts, ceux-ci ont été enregistrés et envoyés pour publication.
- 127. Par la suite, le 8 novembre 1983, le vice-Premier ministre et le ministre de la Défense nationale ont notifié au ministre du Travail, après une analyse plus détaillée de la procédure, que la création de ce syndicat devait être considérée comme illégale.
- 128. Le 4 novembre 1983, le Secrétaire d'Etat au Travail avait demandé un avis au Procureur général de la République sur la légalité d'une telle association syndicale et sur la procédure suivie par le ministère du Travail. Cet avis, transmis le 14 juin 1984 au Secrétariat d'Etat pour homologation, conclut que "ni la Constitution, ni la législation ne posent d'obstacles à la possibilité de créer des associations syndicales qui représentent exclusivement les travailleurs civils des établissements manufacturiers des Forces armées".
- 129. Par arrêté pris en date du 7 juillet 1984, le Secrétariat d'Etat au Travail a décidé qu'il convenait d'attendre l'analyse de l'avis du Procureur général par le ministère de la Défense nationale avant de se prononcer. Finalement, le vice-premier ministre et le ministre de la Défense nationale ont refusé, dans l'arrêté no 62/MDN/84, d'homologuer l'avis du Procureur général de la République et ont confirmé l'illégalité de la constitution du Syndicat des travailleurs des établissements manufacturiers des Forces armées. En conséquence, l'acte d'enregistrement a été annulé.
- 130. Pour expliquer cette décision, le gouvernement déclare que l'exercice du droit d'association dans le cadre des Forces armées est nécessairement sujet à des règles spéciales qui découlent de l'organisation et du fonctionnement d'une institution dont la mission est la défense militaire de la République. Il indique que le personnel civil, bien que différent du personnel militaire, est, de toute évidence, impliqué dans l'accomplissement de missions spécifiques des Forces armées et en fait partie intégrante. Ce personnel civil est donc soumis à l'organisation militaire et notamment à la hiérarchie, à la cohésion et à la discipline.
- 131. La constitution d'un syndicat regroupant ce personnel nécessite donc une base légale, tant du point de vue de la législation ordinaire que de celui de l'application directe des dispositions constitutionnelles. Celles-ci ne doivent pas être considérées séparément mais, au contraire, doivent être associées avec les dispositions concernant la Défense nationale et les Forces armées. En particulier, la constitution d'une telle organisation ne peut être réglementée par les principes généraux en matière syndicale. Elle ne devrait donc pas faire l'objet d'un enregistrement, et ses statuts ne devraient pas être publiés puisque le décret-loi no 215 B/75 ne lui est pas applicable. Même si un tel décret-loi pouvait être appliqué, l'enregistrement et la publication ne pourraient être accordés puisque l'Administration ne peut commettre d'actes illégaux.
- 132. En fait, poursuit le gouvernement, toute structure syndicale verticale du personnel civil des Forces armées est inadmissible car elle irait à l'encontre de l'unité de commandement et de l'impossibilité de structures parallèles qui dérivent des fonctions des Forces armées, dont la tâche est d'assurer la défense militaire de la République (art. 275 de la Constitution). La constitution d'un syndicat de ce type serait donc illégale et même très grave dans ses conséquences.
- 133. En outre, précise le gouvernement, aux termes des "Règles sur l'organisation et le fonctionnement des Comités de travailleurs des établissements manufacturiers des Forces armées", ne sont pas autorisées au sein des Forces armées des activités syndicales qui pourraient concurrencer les fonctions des comités de travailleurs ainsi que celles qui pourraient porter préjudice à l'organisation militaire ou à la préservation des valeurs que cette dernière incarne.
- 134. En conclusion, le gouvernement estime que son attitude dans cette affaire n'a violé ni la convention no 87, ni la Constitution, ni la législation portugaises.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 135. Le comité note que la présente affaire concerne le refus d'enregistrement, par le gouvernement portugais, d'un syndicat regroupant les travailleurs civils des établissements manufacturiers des Forces armées. Pour le plaignant, cette mesure constitue une violation de la convention no 87 alors que, pour le gouvernement, le personnel concerné est impliqué dans l'accomplissement des missions spécifiques des Forces armées, et l'enregistrement d'un tel syndicat serait illégal et entraînerait de graves conséquences.
- 136. Le comité doit se prononcer sur les allégations formulées dans le cas d'espèce à la lumière des dispositions de la convention no 87, ratifiée par le Portugal, et plus particulièrement de l'article 2 aux termes duquel les travailleurs, sans distinction d'aucune sorte, ont le droit de constituer, sans autorisation préalable, des organisations de leur choix, et de l'article 9 qui permet aux Etats de déterminer dans quelle mesure les garanties prévues par la convention s'appliqueront aux Forces armées et à la police.
- 137. La question qui se pose est donc de déterminer si le personnel que voulait regrouper le Syndicat des travailleurs des établissements manufacturiers des Forces armées est assimilable aux membres des Forces armées visés par l'article 9 de la convention no 87. De l'avis du comité, les membres des Forces armées qui pourraient être exclus de l'application de la convention no 87 devraient être définis de façon restrictive.
- 138. La documentation fournie par le plaignant montre que les travailleurs en question exercent des fonctions de nature civile, ce que le gouvernement n'a pas démenti.
- 139. Le comité estime, dans ces circonstances, que les travailleurs civils des établissements maufacturiers des Forces armées sont couverts par les dispositions de la convention no 87 et qu'en conséquence ils doivent avoir le droit de constituer, sans autorisation préalable, les organisations de leur choix. Le comité prie donc le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour que le Syndicat des travailleurs civils des établissements manufacturiers des Forces armées soit régulièrement enregistré, conformément à la législation portugaise, et qu'il puisse ainsi exercer normalement et légalement ses activités de défense et de promotion des intérêts de ses membres.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 140. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration d'approuver le présent rapport et notamment les conclusions suivantes:
- a) Le comité estime que les travailleurs civils des établissements manufacturiers des Forces armées doivent avoir le droit de constituer, sans autorisation préalable, les organisations de leur choix, conformément à la convention no 87 ratifiée par le Portugal.
- b) Le comité prie en conséquence le gouvernement de prendre les mesures nécessaires le plus rapidement possible pour que le syndicat plaignant soit régulièrement enregistré et qu'il puisse ainsi exercer normalement et légalement ses activités de défense et de promotion des intérêts de ses membres.