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- 286. Dans ses communications du 31 octobre et du 6 décembre 1991, le Congrès du travail du Canada (CTC) a présenté une plainte en violation de la liberté syndicale contre le gouvernement du Canada (Manitoba) au nom du Syndicat national de la fonction publique provinciale (SNFPP) et de l'Association de la fonction publique du Manitoba (MGEA). La Confédération internationale des syndicats libres (CISL) et l'Internationale des services publics (ISP) ont appuyé cette plainte dans des communications datant respectivement des 8 et 12 novembre 1991.
- 287. Dans une communication du 11 juin 1992, le gouvernement fédéral a adressé les observations et les informations communiquées par le gouvernement du Nouveau-Brunswick le 6 avril 1992.
- 288. Le Canada a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948. Il n'a ratifié ni la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, ni la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978, ni la convention (no 154) sur la négociation collective, 1981.
A. Allégations de l'organisation plaignante
A. Allégations de l'organisation plaignante
- 289. Dans sa communication du 31 octobre 1991, l'organisation plaignante allègue que le gouvernement du Manitoba a violé les conventions nos 87, 98, 151 et 154 en promulguant, le 26 juillet 1991, la loi sur la gestion des salaires du secteur public ci-après appelée "la loi". On trouvera en annexe au présent document les principales dispositions de la loi, notamment celles que citent l'organisation plaignante et le gouvernement à l'appui de leurs dires.
- 290. La loi impose un blocage des salaires d'un an pour tous les salariés de la fonction publique et met un terme à la négociation collective dans ce secteur. Le gouvernement prétend que l'objectif de cette loi est de défendre les contribuables en maintenant les salaires du secteur public à leur niveau actuel pendant un an; en réalité, il fait de ses salariés les boucs émissaires des difficultés économiques que connaît la province. Il a adopté ladite loi pour éviter son propre système indépendant d'arbitrage. En outre, cette adoption présente un caractère autoritaire, puisqu'elle n'a fait l'objet d'aucune véritable consultation avec les agents négociateurs.
- 291. En décembre 1990, le gouvernement du Manitoba avait entamé avec ses salariés une négociation prévoyant une augmentation des salaires du secteur public de 0 à 3 pour cent. Après plusieurs mois de négociation au cours desquels l'offre salariale du gouvernement s'est réduite à un blocage des salaires, la MGEA, l'unité de négociation des salariés du gouvernement du Manitoba, a décidé que ses membres se prononceraient par vote sur une recommandation de régler le différend par voie d'arbitrage obligatoire. Quatre-vingt-dix-sept pour cent des membres de la MGEA ont voté en faveur de cette recommandation. Conscient du fait que son "offre" de blocage de salaires ne serait pas approuvée par une instance arbitrale indépendante, le gouvernement a adopté le projet de loi no 70 qui a pour effet d'interdire l'arbitrage et la négociation collective dans le secteur public. Ne pouvant arriver à ses fins par le processus normal de la négociation collective, l'employeur en a donc modifié les règles en abusant de ses pouvoirs législatifs.
- 292. La loi bloque tous les salaires et prestations pendant un an en prolongeant pour cette période la durée de validité des conventions collectives des travailleurs intéressés. Ce blocage s'étend également aux contrats signés aux termes d'une sentence arbitrale ou en vertu de la législation de la province en matière de processus d'arbitrage des propositions finales depuis septembre 1990. La loi prive les travailleurs visés et leurs syndicats du droit de négocier collectivement tant qu'elle demeure en vigueur. La négociation, l'arbitrage et, bien sûr, le droit de grève seront privés de leur sens ou seront interdits. Cette législation, qui vise les travailleurs les moins bien rémunérés et exclut ceux qui le sont le mieux, tels les juges et les médecins rémunérés par le gouvernement, est injuste car elle bloque la rémunération des travailleurs du secteur public sans mettre fin pour autant aux pratiques inéquitables en matière de prix et de fiscalité.
- 293. La loi est toute puissante puisqu'elle "l'emporte sur les autres lois, les règlements, les décisions ou les sentences, y compris les sentences arbitrales, ainsi que les obligations, les droits, les réclamations, les ententes ou les arrangements de tout genre" (art. 4). En outre, la définition du taux de rémunération inclut le taux de salaire auquel a droit un salarié en vertu d'une convention collective ainsi que les primes, les allocations et les prestations de tout genre, de sorte que tous les éléments de la rémunération des travailleurs du secteur public sont touchés.
- 294. L'article 2, paragraphe 3), qui traite des conventions non signées avant le 3 juin 1991 est particulièrement choquant puisqu'il fait fi du rôle d'un tiers indépendant, la juridiction arbitrale. Il s'agit en fait d'une disposition pénalisant les parties qui, pour quelque raison que ce soit, n'ont pas conclu leurs négociations avant la date d'entrée en vigueur de la loi.
- 295. L'article 6, paragraphe 2), supprime les augmentations négociées au préalable en rendant sans effet les dispositions des conventions collectives qui les prévoient. Le paragraphe 3) déclare nulles et sans effet les négociations conclues par arbitrage ou arbitrage des propositions finales. Les exemptions au blocage des salaires fixées par l'article 7 ne concernent que les promotions et les reclassifications, l'application de la loi sur l'égalité des salaires et l'application d'un règlement que peut prendre le lieutenant gouverneur en conseil.
- 296. L'article 8, paragraphe 1), autorise le lieutenant gouverneur en conseil à limiter par règlement les versements à toute personne qui n'est pas visée ailleurs dans la présente loi. Le pouvoir ainsi accordé au lieutenant gouverneur en conseil est extrêmement large (art. 9), et tout règlement peut entrer en vigueur rétroactivement au 1er septembre 1990. L'article 8, paragraphe 4), dispose que les règlements visés au présent article l'emportent sur les autres règlements, les décisions ou les sentences, y compris les décisions arbitrales, ainsi que les obligations, les droits, les réclamations, les conventions ou les arrangements de tout genre.
- 297. L'organisation plaignante allègue que cette loi viole la convention no 87, car elle bloque l'application des conventions collectives, y compris leurs éléments non monétaires, et empêche les agents négociateurs d'exercer leurs fonctions. La négociation collective, la médiation, l'arbitrage et, le cas échéant, le droit de grève ont tous été restreints. La loi viole également la convention no 98, du fait qu'elle s'immisce dans le fonctionnement et la gestion des syndicats, et la convention no 151, du fait qu'elle ne tient aucunement compte de la négociation collective.
- 298. Le comité a souligné l'importance qu'il attache aux efforts visant à faire collaborer l'ensemble des parties à la recherche d'un compromis acceptable lors de la préparation de la législation touchant aux intérêts des travailleurs. (Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, troisième édition, paragr. 651.) Le processus unilatéral suivi lors de l'introduction de cette loi va directement à l'encontre de ces principes. Aucun effort n'a été fait par le gouvernement pour permettre aux travailleurs de la fonction publics ou à leur agent négociateur de participer à la recherche d'un accord. Une commission législative chargée d'étudier le projet de loi no 70 a affirmé de manière fallacieuse que le public serait invité à faire des propositions. Quelque 600 personnes ont souhaité se faire entendre, mais il était minuit largement passé lorsqu'on leur a accordé la parole. Naturellement, la plupart d'entre elles, découragées, étaient déjà parties. Une centaine de personnes seulement ont pu s'exprimer et l'audience a duré jusqu'à cinq heures du matin.
- 299. Un problème particulier se pose lorsque l'organe législatif est également l'employeur; l'équilibre entre les parties est alors profondément altéré puisque l'une des parties a le pouvoir d'annuler par voie législative les accords préalablement conclus. Le gouvernement n'a pas agi de bonne foi lorsqu'il a négocié les conventions collectives antérieures à l'adoption de la loi no 70, car la situation économique de la province n'a pas évolué de manière si radicale entre ces deux événements. L'employeur aurait pourtant dû connaître la situation économique de la province lorsqu'il se trouvait à la table des négociations. Comme l'a déclaré le comité, l'exercice des prérogatives de puissance publique en matière financière d'une manière qui a pour effet d'empêcher le respect de conventions collectives préalablement négociées par des organismes publics n'est pas compatible avec le principe de la liberté de négociation collective. (Recueil, ibid., paragr. 640.)
- 300. Le comité a également examiné des situations où une législation visant à limiter les augmentations de salaires avait été adoptée pour lutter contre l'inflation. (Ontario, cas no 1172, 241e rapport, paragr. 115.) Il a conclu que les mesures de stabilisation visant à limiter le droit de négociation collective sont acceptables à la condition de ne constituer qu'une mesure d'exception, limitée à l'indispensable. Le plaignant est d'avis que l'adoption de la loi no 70 n'était pas nécessaire pour faire face à une urgence économique et qu'elle ne constituait pas non plus la meilleure solution au problème.
- 301. En outre, l'adoption d'une loi qui fait des travailleurs du secteur public des boucs émissaires et la cible de l'action gouvernementale est de toute évidence un acte de discrimination antisyndicale au sens de l'article 4, paragraphe 1), de la convention no 151. Les travailleurs du secteur public du Manitoba n'ont pas bénéficié d'une protection suffisante parce que le gouvernement, qui est en même temps employeur, a adopté une loi supprimant pendant sa durée de validité leur droit de négocier librement et de faire appel à un tiers indépendant en vue du règlement des différends.
- 302. L'organisation plaignante conclut que la loi n'est pas conforme aux principes du droit international du travail définis par l'OIT et il souligne que son adoption a déjà eu des effets néfastes car elle nie les droits fondamentaux des agents publics du Manitoba. Le comité devrait prier le gouvernement de l'abroger, de façon à permettre aux travailleurs et aux syndicats visés de bénéficier de nouveau d'un système équitable de libre négociation collective et de soumettre les différends à un tiers indépendant.
- 303. Dans sa communication du 31 octobre 1991, le CTC a signalé que des plaintes semblables, touchant cinq provinces différentes, avaient été présentées et il a demandé que celles-ci soient examinées séparément. Par ailleurs, il a souligné que le mouvement syndical et la plupart des spécialistes indépendants des relations professionnelles estiment que ces relations se détériorent rapidement dans le secteur public du Canada, les gouvernements des provinces n'hésitant pas à faire voter des lois qui suppriment ou restreignent fortement le droit à la négociation collective dans ce secteur. Le CTC estime que, pour connaître avec précision la gravité de la détérioration des relations professionnelles au Canada, le Comité de la liberté syndicale du BIT devrait envoyer une mission indépendante dans ce pays au cours des prochains mois. Le CTC suggère donc au comité d'envisager sérieusement cette possibilité, la seule à lui permettre d'apprécier pleinement les préoccupations que suscitent les relations professionnelles dans le secteur public canadien. Le CTC a réitéré sa demande dans sa communication du 6 décembre 1991, et il a signalé qu'une nouvelle plainte contre une loi fédérale obligeant les fonctionnaires à retourner au travail serait bientôt déposée auprès du comité. Selon le CTC, plus de 500.000 travailleurs canadiens voient ainsi leurs droits bafoués par la législation fédérale ou provinciale.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 304. Le gouvernement allègue que son action a été parfaitement conforme aux principes de l'OIT, puisque la loi adoptée se justifiait par une situation économique et budgétaire exceptionnelle et que le comité avait jugé acceptable une telle solution dans le cas no 1147, qui portait sur la décision du gouvernement fédéral de limiter par voie législative l'augmentation des salaires à 6 et 5 pour cent pour faire face à une inflation élevée. Si l'on compare les salaires, les avantages sociaux et les conditions de travail dont jouissent les agents publics du Manitoba avec ceux des travailleurs du reste du Canada et d'autres secteurs (les salaires du secteur public étant supérieurs de 40 pour cent au salaire moyen des habitants du Manitoba), on voit mal comment le fond de la plainte de la MGEA mérite d'être pris en considération.
- 305. Au cours du printemps 1991, la province du Manitoba a été confrontée à des difficultés économiques et budgétaires résultant de la récession, d'une stagnation des recettes et d'une augmentation des dettes. Lors de l'élaboration de son budget en avril 1991, le gouvernement a pris des mesures pour tenter de surmonter ces difficultés. Le budget n'a pas entraîné 1.000 licenciements, contrairement à ce qu'affirme la MGEA dans sa plainte: il a entraîné la suppression de 951 postes, dont 430 étaient occupés. Les 430 salariés touchés ont reçu un avis de licenciement conforme à la procédure prévue par la convention collective. Les différends portant sur l'application des dispositions relatives au licenciement sont réglés selon la procédure d'examen des plaintes figurant dans la convention collective. Grâce à des mesures visant à améliorer les dispositions relatives au licenciement par rapport à celles prévues dans la convention collective et à un programme d'incitation au départ volontaire (mesures et programme recommandés par la MGEA), il a été possible de limiter à moins de 100 le nombre des licenciements non suivis d'une réaffection à un poste permanent. Un grand nombre des personnes concernées occupent actuellement un poste temporaire dans le secteur public. Au lieu de réduire les dépenses de santé et d'éducation, comme l'a prétendu la MGEA, le budget les a accrues dans ces domaines prioritaires et dans celui, également prioritaire, des services sociaux.
- 306. En juin 1991, la province a estimé que les divers agents négociateurs participant aux négociations du secteur public n'étaient pas conscients de la gravité des problèmes financiers auxquels était confrontée la province. Ils préféraient sacrifier des emplois et des services prioritaires plutôt que d'accepter des compromis tenant compte des circonstances. Comme les coûts de main-d'oeuvre représentent en moyenne 80 pour cent du coût total des programmes financés par le gouvernement provincial, la solution des difficultés économiques et budgétaires de la province passait inévitablement par des restrictions salariales.
- 307. Contrairement à ce que prétend la MGEA, la loi sur la gestion des salaires du secteur public n'a pas mis un terme à la négociation collective dans ce secteur. Elle reconduit les conventions collectives et tous les droits et privilèges y afférents pour une période de douze mois à partir de leur date d'expiration. La loi dispose également qu'"aucune convention collective ne peut être reconduite en vertu de la présente loi pour plus d'une période de douze mois" (art. 5, paragr. 2)). Elle garantit en outre les autres sommes auxquelles le salarié a droit en vertu d'une convention collective par suite d'une promotion, d'une reclassification ou d'un avancement périodique à l'intérieur d'une échelle de salaire ou de versements aux termes de l'égalité des salaires. La loi n'apporte aucune limitation ou restriction aux prestations et conditions de travail négociées; de plus, toutes les dispositions de la convention concernant le règlement des différends relatifs aux droits définis par elle restent pleinement en vigueur.
- 308. Au printemps 1991, il est apparu évident au gouvernement que les arbitres ne tenaient aucun compte des éléments qui affectaient gravement la capacité de payer de la province. Ils se fondaient essentiellement sur des décisions prises plusieurs années auparavant selon lesquelles, du fait de son pouvoir législatif, un gouvernement en tant qu'employeur ne peut demander à une commission d'arbitrage d'examiner sa capacité de payer mais peut imposer une solution par voie législative si les circonstances exigent des mesures de restriction. Les négociations n'ayant donné aucun résultat satisfaisant et les arbitres ne souhaitant pas examiner la capacité de payer du gouvernement (et en dernière analyse celle des contribuables) ou tout au moins estimant qu'ils en étaient incapables, la province a jugé nécessaire de légiférer. A cet égard, elle entend bien tenir compte de la capacité de payer des contribuables.
- 309. Contrairement aux allégations de la MGEA, la loi ne frappe pas les travailleurs les moins bien rémunérés: 84 pour cent des membres de la MGEA gagnent davantage que le salaire moyen du Manitoba qui est d'environ 24.000 dollars par an (ce sont surtout les travailleurs débutants et les saisonniers qui gagnent moins que ce montant). Les membres de la MGEA gagnent jusqu'à 68.000 dollars par an. En outre, la rémunération des salariés exclus de la convention collective et celle des membres de l'Assemblée législative et des ministres ont été bloqués pou un an. De même, les juges provinciaux n'ont pas bénéficié d'augmentations de traitement pendant un an. Les médecins publics avaient signé une convention collective avant la promulgation de la loi et n'étaient donc pas touchés par la reconduction des contrats pour une année. Néanmoins, après l'expiration de leur convention d'un an, ils ont signé une autre convention de trois ans qui prévoyait un blocage des salaires au cours de la première année. Contrairement à ce que prétend la MGEA, aucune augmentation négociée au préalable n'a été annulée.
- 310. Le plaignant affirme à tort que la loi creuserait un fossé regrettable entre les parties, tout au moins pour l'avenir prévisible; en fait, le gouvernement et la MGEA ont conclu une nouvelle convention collective de trois ans en décembre 1991 après l'une des négociations les plus courtes de leur passé trentenaire en ce domaine.
- 311. Quant à l'allégation concernant l'absence de consultations, le gouvernement indique qu'au cours des négociations la MGEA a reçu des informations très complètes sur les difficultés auxquelles était confrontée la province. Selon la procédure en vigueur au Manitoba, la présentation d'un projet de loi au pouvoir législatif n'entraîne nullement la fin des consultations. Une commission législative examine chaque élément du texte soumis et les parties intéressées sont invitées à lui faire part de leur avis et à proposer des amendements. La commission soumet ensuite le projet éventuellement amendé au pouvoir législatif qui procède alors à un examen et à un débat approfondis avant d'adopter le texte définitif. Dans le cas présent, l'opinion des travailleurs syndiqués s'est exprimée à maintes reprises avant l'adoption de la loi no 70. De notables efforts ont été faits pour consulter les parties intéressées avant l'adoption de la loi, tant par des négociations directes que par la voie normale des consultations législatives. C'est à tort que la MGEA prétend qu'"aucun effort n'a été fait par le gouvernement pour permettre aux agents publics ou à leur agent négociateur de participer à la recherche d'un accord", puisque le gouvernement a cherché pendant plus d'un an à obtenir cette participation, organisant notamment plus de 30 réunions de négociation au cours desquelles la MGEA a refusé d'aborder les graves difficultés auxquelles était confrontée la province.
- 312. En ce qui concerne plus particulièrement les violations alléguées de la convention no 87, la loi ne limite l'activité syndicale que dans la mesure explicitement prévue par la législation. Toutes les dispositions des conventions collectives en vigueur lors de la reconduction conservent pleinement leurs effets. Aucun taux de rémunération n'a été réduit, tous les avantages sociaux sont maintenus, les conditions de travail n'ont pas été modifiées et les procédures de règlement des différends continuent à s'appliquer. Aucune restriction n'a été apportée à la liberté syndicale des salariés et à leur droit de créer de nouveaux syndicats. Si la négociation des questions non monétaires dans le cadre des conventions collectives a été soumise à des restrictions, c'est justement pour défendre le processus de négociation; en effet, dans les négociations habituelles, des compromis ont souvent lieu entre les questions monétaires et non monétaires. Les discussions pourraient se poursuivre sur des questions extérieures à la convention ou sur des décisions à appliquer une fois la période de reconduction terminée.
- 313. En ce qui concerne la violation alléguée de la convention no 98, le gouvernement rappelle l'avis du comité selon lequel les limitations au droit de négociation collective visant à résoudre des difficultés économiques sont acceptables "à la condition toutefois qu'elles ne constituent qu'une mesure d'exception, limitée à l'indispensable" (cas no 1172, 241e rapport, Ontario). Le gouvernement du Manitoba a estimé que des mesures exceptionnelles étaient indispensables pour faire face aux graves difficultés économiques et budgétaires que connaissait la province. Ce gouvernement, démocratiquement élu par la population du Manitoba, est chargé par les électeurs de gérer les finances de la province de manière à assurer sa stabilité et sa solidité budgétaire et économique, ainsi que la fourniture de services sanitaires, éducatifs et sociaux essentiels. Au cours de leurs trente années de négociation collective, les deux parties n'ont dû recourir qu'une fois à l'arbitrage d'un tiers. La loi no 70 n'a pas été adoptée à la légère par le gouvernement qui ne s'est résolu à prendre cette mesure que lorsque tous ses efforts eurent échoué. Cette loi répondait manifestement à des circonstances exceptionnelles.
- 314. La législation n'a pas eu pour effet de réduire les salaires ou les prestations accordés par une convention en vigueur, et le gouvernement n'a annulé par voie législative aucune convention antérieure à l'adoption de la loi no 70. La reconduction des conventions collectives était valable pour douze mois et était explicitement limitée à cette période par la loi. L'article 9, paragraphe 1), prévoit la cessation ou la suspension "en tout ou en partie (de) l'application de la présente loi à l'égard d'un salarié ou d'un groupe de salariés". La porte est donc ouverte à des exceptions.
- 315. En ce qui concerne la violation alléguée de la convention no 151, le gouvernement déclare que la loi n'entrave pas la "protection adéquate contre tous actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d'emploi" accordée aux fonctionnaires du Manitoba. Les salariés exclus des unités de négociation, dont les cadres supérieurs, les membres de l'Assemblée législative, les ministres et les magistrats ont tous subi un blocage des salaires pendant un an. Les mesures prévues par la loi sont appliquées de manière large et ne visent pas uniquement les travailleurs syndiqués. Cette loi ne s'applique qu'aux agents publics qui sont rémunérés sur fonds publics; leurs salaires constituent en effet l'essentiel des dépenses provinciales et dépendent donc de la capacité de payer de la province.
- 316. En ce qui concerne la violation alléguée de la convention no 154 sur la négociation collective, le gouvernement fait valoir que la loi ne méconnaît nullement l'importance de la négociation collective. Tout témoigne d'ailleurs de l'attachement du gouvernement à ce type de négociation: les trente et quelques années de négociation, la garantie des salaires, des prestations et des conditions de travail assurées par la loi no 70 et la conclusion heureuse d'une convention collective de trois ans faisant suite à la reconduction des conventions pour douze mois. Tous les points de l'article 5 de la loi que la MGEA a rappelés dans sa plainte ont été respectés au Manitoba. Il y a libre négociation collective lorsqu'une convention naît de négociations ou de l'intervention d'un tiers et que le résultat est celui auquel les parties auraient abouti après examen de tous les facteurs en jeu, parmi lesquels la capacité de payer. L'arbitrage des propositions finales ne permet pas d'atteindre un tel résultat.
- 317. La décision prise par le gouvernement d'abroger le système d'arbitrage des propositions finales illustre bien les efforts entrepris pour promouvoir la libre négociation collective. La loi abrogée était un texte partial qui favorisait les syndicats puisque la décision de procéder à l'arbitrage des propositions finales exigeait un vote des travailleurs syndiqués. Or l'autre partie ne jouissait pas de droits semblables. Ce système dans lequel l'arbitre devait choisir en bloc l'une des deux positions revenait en pratique à désigner un vainqueur et un vaincu. A bien des reprises, les positions des parties se sont éloignées l'une de l'autre et, un peu comme dans une loterie, chacune d'elles a pris le risque du tout ou rien. Or le gouvernement estime que des négociations sérieuses tenant pleinement compte de tous les facteurs en jeu, parmi lesquels la capacité de payer, constituent la meilleure manière d'aborder les problèmes des secteurs public et privé.
- 318. Le gouvernement conclut que la loi constitue une réponse nécessaire et raisonnable à des circonstances exceptionnelles, et qu'à ce titre elle est parfaitement conforme aux conventions et principes de l'OIT. Tous les efforts ont été faits pour garantir les droits des agents publics du Manitoba ainsi que pour restreindre ces droits le moins longtemps possible. Le fait qu'une convention collective de trois ans a été librement négociée entre les parties peu après l'expiration de la reconduction de douze mois prouve que la loi ne porte pas atteinte à la négociation collective au Manitoba.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 319. Le comité note que le présent cas porte sur certaines limitations du droit de négociation collective des travailleurs du secteur public de la province du Manitoba (Canada). Le gouvernement allègue qu'une situation économique et budgétaire exceptionnelle justifie cette loi et que les mesures prises sont conformes aux principes de l'OIT.
- 320. Avant d'en venir au fond de la plainte, le comité rappelle les observations qu'il a faites dans le présent rapport au sujet du cas no 1616 (Canada) et du cadre général dans lequel s'inscrit cette plainte, ainsi que son opinion sur le fait de savoir si des arguments économiques peuvent justifier une limitation du droit de négociation collective, opinion qui s'applique au présent cas mutatis mutandis.
- 321. Le comité a reconnu que si, pour des raisons impérieuses touchant à l'intérêt économique national et à sa politique de stabilisation, un gouvernement considère que le taux des salaires ne peut pas être fixé librement par voie de négociations collectives, une telle restriction devrait être appliquée comme une mesure d'exception, limitée à l'indispensable, elle ne devrait pas excéder une période raisonnable et elle devrait être accompagnée de garanties appropriées en vue de protéger le niveau de vie des travailleurs. (Recueil de décisions et de principes, op.cit., paragr. 641.) La commission d'experts a adopté une position similaire sur la question. (Etude d'ensemble, 1983, Liberté syndicale et négociation collective, paragr. 315.)
- 322. Quant aux particularités du présent cas, le comité note en premier lieu que, à sa connaissance, le gouvernement du Manitoba n'est jamais intervenu auparavant de cette manière dans la négociation collective. Deuxièmement, la loi en question bloque les salaires du secteur public pour une période d'un an, et l'article 5, paragraphe 2), dispose clairement qu'aucune convention collective ne peut être reconduite en vertu de cette loi pour plus d'une période de douze mois; cette loi présente donc incontestablement un caractère temporaire. Troisièmement, l'article 7, alinéa b), prévoit des exceptions à l'application de la loi sur l'égalité des salaires; les mesures prises pour supprimer les écarts de rémunération entre hommes et femmes pour un travail d'égale valeur ne seront donc pas touchées par cette loi. Quatrièmement, toutes les conditions de travail et les prestations autres que le salaire sont maintenues. Cinquièmement, cette loi ne contient aucune disposition empêchant la signature d'accords de "rattrapage" à la fin de la période de limitation. Enfin, le comité note que le gouvernement et la MGEA ont conclu une nouvelle convention collective pour une durée de trois ans en décembre 1991, ce qui semble indiquer que la négociation collective régulière a repris ses droits dans le secteur public du Manitoba.
- 323. Le comité regrette que, pour fixer les conditions d'emploi de ses fonctionnaires, le gouvernement n'ait pas privilégié la négociation collective de préférence à la loi sur la gestion des salaires du secteur public qu'il a cru devoir adopter. Le comité note cependant que les restrictions n'ont porté que sur une période de douze mois à l'issue de laquelle la négociation collective a repris ses droits. La commission veut croire que le gouvernement s'abstiendra de prendre des mesures semblables à l'avenir.
- 324. Le plaignant affirme également que la loi sur la restriction des salaires a été adoptée sans que les salariés ou les agents négociateurs du secteur public soient véritablement consultés, tandis que le gouvernement affirme de son côté que la MGEA et les travailleurs syndiqués ont reçu des informations très complètes sur les difficultés économiques que connaît la province et que la possibilité leur a été donnée d'exprimer leurs vues à de nombreuses reprises avant l'adoption de la loi. Devant cette contradiction, le comité se contente de rappeler les observations finales qu'il a faites à cet égard dans le rapport sur une mission d'étude et d'information effectuée au Canada en 1985: "... cette consultation est doublement importante lorsque le gouvernement cherche à modifier des structures de négociation dans lesquelles il agit effectivement ou indirectement en tant qu'employeur. On doit disposer de suffisamment de temps pour la consultation. Bien évidemment, celle-ci peut être limitée par l'urgence des mesures à prendre pour faire face à des problèmes économiques. Son efficacité peut être diminuée du fait de l'attitude qu'adoptent les syndicats concernés. Mais il va de soi que les propositions devraient être franchement discutées, éclaircies, et les doutes, craintes et malentendus réglés avant que le texte législatif ne prenne sa forme définitive". (241e rapport, paragr. 224.)
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 325. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité regrette que, pour fixer les conditions de travail de ses fonctionnaires, le gouvernement n'ait pas privilégié la négociation collective de préférence à la loi de 1991 sur la gestion des salaires du secteur public qu'il a cru devoir adopter.
- b) Le comité souligne qu'il importe de mener de véritables consultations préalablement à l'adoption d'une loi visant à modifier les structures de négociation dans lesquelles le gouvernement intervient, directement ou indirectement, en tant qu'employeur.
- c) Le comité veut croire que le gouvernement s'abstiendra de prendre de telles mesures à l'avenir.
ANNEXE
ANNEXE- EXTRAITS DE LA LOI SUR LA GESTION DES SALAIRES
- DU SECTEUR PUBLIC
- 1 Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.
- "convention collective" Convention collective, au sens de la
- Loi sur les
- relations du travail, visant les salariés. Est incluse dans la
- présente
- définition la convention collective autorisée en vertu de l'article
- 47 de la
- loi sur la fonction publique et visant les salariés ("collective
- agreement").
- "taux de rémunération" Le taux de salaire auquel a droit un
- salarié aux termes
- d'une convention collective ainsi que les primes, les
- allocations et les
- prestations de tout genre ("compensation rates").
- ...
- "employeur":
- a) Sa Majesté du chef du Manitoba;
- b) les corporations de la Couronne et autres organismes qui
- sont assujettis à
- l'ensemble ou à une partie de la Loi sur l'examen public des
- activités des
- corporations de la Couronne et l'obligation redditionnelle de
- celle-ci;
- c) les personnes et les entités qui possèdent ou administrent
- un hôpital au
- sens de la Loi sur les hôpitaux;
- ...
- g) les employeurs du secteur public désignés par le lieutenant
- gouverneur en
- conseil par règlement pris en application de l'alinéa 9 (1) b);
- ("employer").
- ...
- 2 (1) Sous réserve du paragraphe (2), la présente loi s'applique
- aux
- conventions collectives qui expirent au plus tôt le 1er
- septembre 1990, mais
- avant le 1er septembre 1991, ou à toute date ultérieure que
- peut fixer le
- lieutenant gouverneur en conseil.
- 2 (2) La présente loi ne change en rien l'application de la
- nouvelle
- convention collective que signent, après le 1er septembre
- 1990 mais avant le 3
- juin 1991, l'employeur et le syndicat qui sont parties à une
- convention
- collective visée au paragraphe (1).
- 2 (3) Si l'employeur et le syndicat n'ont pas signé une nouvelle
- convention
- collective au plus tard le 3 juin 1991, la présente loi s'applique
- à la
- convention collective à laquelle ils étaient parties et dont la
- date
- d'expiration tombe dans la période prévue au paragraphe (1),
- peu importe qu'un
- processus d'arbitrage des propositions finales ou qu'un
- processus d'arbitrage
- ait ou non été entamé ou ait ou non pris fin, et peu importe que
- la décision
- d'un arbitre ou d'un conseil d'arbitrage ait ou non été rendue.
- ...
- 4 La présente loi l'emporte sur les autres lois, les règlements,
- les décisions
- ou les sentences, y compris les sentences arbitrales ainsi que
- les
- obligations, les droits, les réclamations, les ententes ou les
- arrangements de
- tout genre.
- 5 (1) Malgré les dispositions d'une loi, d'un règlement, d'une
- convention
- collective, d'un contrat, d'une décision ou d'une sentence, y
- compris une
- sentence arbitrale, ou de tout autre arrangement aux termes
- duquel les taux de
- rémunération doivent ou peuvent être rajustés, chaque
- convention collective
- est reconduite pour une période de douze mois à partir de sa
- date
- d'expiration, et les exigences, conventions, arrangements,
- décisions ou
- sentences visant la révision des dispositions d'une telle
- convention
- collective pendant la période de reconduction sont invalides.
- 5 (2) Aucune convention collective ne peut être reconduite en
- vertu de la
- présente loi pour plus d'une période de douze mois.
- 6 (1) Sous réserve du paragraphe 2 (2), chaque convention
- collective, à
- l'exclusion des dispositions ou des protocoles d'entente qui
- cessent d'avoir
- effet à une date précisée, demeure en vigueur sans
- changement pendant la
- période de sa reconduction en vertu de la présente loi.
- 6 (2) Les dispositions d'une convention collective qui prévoient
- le
- rajustement des taux de rémunération n'ont aucun effet
- pendant la période de
- reconduction de la convention collective en vertu de la
- présente loi.
- 6 (3) Sous réserve du paragraphe 2 (2), sont nuls et sans effet
- les
- négociations, les ententes et les processus d'arbitrage ou
- d'arbitrage des
- propositions finales qui ont débuté avant le 3 juin 1991
- relativement au
- renouvellement, à la révision ou au remplacement de
- conventions collectives
- dont la date d'expiration tombe dans la période prévue au
- paragraphe 2 (1).
- 7 Malgré toute autre disposition de la présente loi, le salarié
- peut recevoir
- des paiements additionnels par suite:
- ...
- b) de l'application de la Loi sur l'égalité des salaires;
- c) de l'application d'un règlement pris en vertu de l'alinéa 9 (1)
- a).
- ...
- 8 (4) Les règlements visés au présent article l'emportent sur les
- autres
- règlements, les décisions ou les sentences, y compris les
- sentences
- arbitrales, ainsi que les obligations, les droits, les réclamations,
- les
- conventions ou les arrangements de tout genre.
- ...
- 9 (1) Le lieutenant gouverneur en conseil peut, par règlement:
- a) faire cesser ou suspendre, en tout ou en partie, l'application
- de la
- présente loi à l'égard d'un salarié ou d'un groupe de salariés
- aux conditions
- qu'il juge indiquées;
- b) étendre l'application de tout ou partie de la présente loi à
- des
- conventions collectives aux conditions qu'il juge indiquées;
- ...
- f) prendre toute autre mesure nécessaire à l'application de la
- présente loi.
- ...
- 11 La présente loi sera abrogée à la date fixée par
- proclamation.
- 12 La présente loi est réputée entrée en vigueur le 1er
- septembre 1990.