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- 155. Dans une communication datée du 6 octobre 1994, le Congrès du travail du Canada (CTC) a présenté, au nom de l'Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC), une plainte en violation des droits syndicaux contre le gouvernement du Canada. L'Internationale des services publics (ISP) a exprimé son appui à la plainte dans une communication datée du 19 octobre 1994.
- 156. Le gouvernement fédéral a transmis ses observations dans une communication datée du 2 mars 1995.
- 157. Le Canada a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948. Il n'a pas ratifié la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978, et la convention (no 154) sur la négociation collective, 1981.
A. Allégations des plaignants
A. Allégations des plaignants
- 158. Dans sa communication en date du 6 octobre 1994, le CTC explique qu'au nom des 155 000 membres de son organisation affiliée, l'AFPC, il désire porter plainte contre le projet de loi C-17, devenu le 15 juin 1994 la loi d'exécution du budget fédéral 1994 (ci-après désignée "la Loi"). Les principales dispositions de la Loi, auxquelles l'organisation plaignante et le gouvernement font référence, sont annexées au présent document. Le CTC a joint à sa communication un document préparé par l'AFPC qui détaille les allégations de la plainte. Sommairement, les organisations plaignantes allèguent que la Loi déroge aux principes fondamentaux sur lesquels est fondée la liberté syndicale et contrevient aux conventions nos 87, 98, 151 et 154 de l'OIT.
- 159. Les organisations plaignantes expliquent que la Loi est la deuxième prorogation de la loi de 1991 sur la rémunération du secteur public. Elle rappelle que cette loi de 1991 avait prolongé la durée de toutes les conventions collectives du secteur public fédéral pour une durée de deux ans, à compter de différentes dates en 1991 et 1992, imposant un gel des salaires pendant les douze premiers mois et une hausse de 3 pour cent pendant les douze derniers. Cette loi de 1991 a d'ailleurs fait l'objet d'un examen par le comité. (Cas no 1616, 284e rapport, paragr. 595 à 641.)
- 160. Les organisations plaignantes ajoutent que les effets de la loi de 1991 sur la rémunération du secteur public ont été prolongés par la loi no 2 du 2 avril 1993 sur la compression des dépenses publiques, cette dernière ayant également été examinée par le comité dans le cadre d'une plainte antérieure. (Cas no 1758, 297e rapport, paragr. 190 à 230.) La loi de 1993 avait pour conséquence de déplacer à nouveau, par voie législative, les dates d'expiration des conventions collectives dans la fonction publique fédérale qui seraient alors venues à échéance à différents moments, en 1995 et en 1996.
- 161. Les organisations plaignantes précisent que la Loi prolonge de deux années additionnelles les restrictions salariales initialement imposées en 1991. De surcroît, elle suspend les dispositions des conventions collectives qui sont relatives au paiement des augmentations d'échelons de rémunération, affectant environ 40 pour cent des travailleurs du secteur fédéral. Les organisations plaignantes expliquent que les travailleurs de la fonction publique canadienne, qui sont embauchés ou qui obtiennent de l'avancement, sont payés selon une grille salariale dont les paramètres d'évaluation sont fondés sur l'ancienneté, le rendement étant exclu. En vertu de cette échelle, les salaires augmentent au cours des années de service jusqu'à ce qu'un maximum préétabli soit atteint.
- 162. Les organisations plaignantes allèguent que la Loi porte atteinte à la liberté syndicale et réitère, dans un premier temps, la position qu'elles ont défendue dans la plainte contre la loi no 2 de 1993 sur la compression des dépenses publiques. Entre autres, elles rappellent que la Loi ainsi que celles qui l'ont précédée excluent toute négociation collective en ce qui concerne les conditions de travail à incidence pécuniaire.
- 163. Les organisations plaignantes soutiennent également que les six années de restrictions salariales, incluant cinq années de gel des salaires, imposées aux termes de ces trois législations, constituent la plus longue période de contrôle législatif des salaires dans l'histoire du Canada. Les organisations plaignantes rapportent que trois universitaires se demandaient, en août 1994, à l'occasion d'une enquête sur la valeur des services publics, si la négociation collective ne serait jamais rétablie dans le secteur public et estimaient que le programme de restriction au niveau fédéral avait tous les signes d'un système permanent.
- 164. Bien que le gouvernement affirme que ces mesures ont pour objectif premier de réduire le déficit ainsi que la dette publique, les organisations plaignantes sont convaincues que la Loi n'est pas une mesure appropriée pour arriver à ces fins. Au contraire, à la lumière de l'analyse effectuée par un économiste, les organisations plaignantes sont convaincues que la Loi aura un effet dévastateur sur l'emploi et n'aura pas d'incidence sur la situation financière de l'Etat. De plus, elle entraîne, pour les employés affectés, une perte de salaire d'environ 3 pour cent qui doit être ajoutée aux réductions imposées aux termes des deux lois précédentes. A la lumière des calculs effectués par les organisations plaignantes, le salaire d'un membre de l'AFPC, qui travaille directement pour le gouvernement canadien, sera 6,7 pour cent inférieur à ce qu'il aurait été s'il avait suivi l'inflation. En ne prévoyant pas de modeste augmentation salariale pour les personnes à faible revenu, comme le faisait la loi de 1991, les organisations plaignantes soutiennent que la Loi n'inclut aucune mesure de protection pour les travailleurs les plus touchés et qu'elle entraînera des effets disproportionnés sur les employés à court terme, les employés qui ont récemment obtenu de l'avancement, les employés qui approchent l'âge de la retraite ainsi que sur les femmes. D'ailleurs, à cet égard, les organisations plaignantes allèguent que la Loi est discriminatoire en ce qu'elle affecte principalement les femmes et empêche de mettre en pratique le principe selon lequel un salaire égal devrait être versé pour des fonctions équivalentes (équité salariale).
- 165. Pour les organisations plaignantes, l'adoption de trois lois successives qui visent à fixer toutes les conditions pécuniaires des employés de la fonction publique fédérale sur une période de six ans, et ce sans que ces derniers n'aient pu négocier librement, soulève des questions légitimes quant à la syndicalisation. En effet, toute action gouvernementale, qui prive les travailleurs du droit de déterminer collectivement leurs conditions de travail, remet en question le rôle et la légitimité de l'association même.
- 166. Les organisations plaignantes allèguent également que le comité mis sur pied par le gouvernement, dont le mandat était de permettre l'examen conjoint de l'efficience de la fonction publique canadienne ainsi que le raccourcissement des gels si les objectifs étaient prématurément atteints, n'a pas répondu aux attentes. La réunion concernant l'examen de l'efficience, qui a eu lieu entre le gouvernement et les agents négociateurs du secteur public fédéral, s'est déroulée un mois après le dépôt du budget. Depuis ce temps, la frustration face au processus s'est dégradée au point où l'AFPC suspendait sa participation en mai 1994. Malgré le temps qui passait, et en dépit de nombreuses demandes faites par écrit au président du Conseil du Trésor canadien, les agents négociateurs ne savaient toujours pas, au moment de leur retrait, où les économies identifiées à la suite de l'examen de l'efficience et des initiatives ministérielles allaient être attribuées.
- 167. Les organisations plaignantes sont convaincues que la situation est rapidement en voie de se transformer en un régime permanent de détermination de la rémunération par voie législative dans le secteur public fédéral. Compte tenu du caractère grave des incursions législatives, de la durée des mesures de restriction, de l'injustice manifeste du gel des salaires et des augmentations d'échelons, les organisations plaignantes demandent qu'une mission d'étude soit envoyée au Canada afin d'enquêter sur la situation générale de la négociation collective dans la fonction publique canadienne.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 168. Le gouvernement explique que la Loi vise la réalisation des objectifs établis dans le budget de 1994, lequel prévoit des mesures considérables de compression budgétaire. Elles ont été rendues nécessaires compte tenu des difficultés financières du Canada qui découlent d'un important déficit et d'une lourde dette nationale. Le gouvernement désire rétablir le sens des responsabilités dans la gestion des finances publiques et réduire ses frais de fonctionnement. A la lumière des projections gouvernementales, les mesures de rationalisation annoncées dans le budget de 1994 devraient entraîner une réduction du déficit national de plus de 13 milliards de dollars pour la période couvrant les années financières 1993-94 à 1995-96. C'est donc dans ce contexte que s'inscrivent le gel des salaires et la suspension des augmentations d'échelons sur deux ans.
- 169. Le gouvernement estime que la Loi ne contrevient pas aux critères établis par le comité en ce qu'elle représente une mesure exceptionnelle, rendue nécessaire par ses difficultés financières, qui ne va pas au-delà d'une période raisonnable et qui est assortie de clauses de garantie visant à protéger le niveau de vie des employés. Le gouvernement reconnaît cependant que la Loi restreint, de fait, la négociation collective en ce qui concerne les conditions d'emploi et celles ayant trait à la rémunération, mais soutient que les parties peuvent négocier et s'entendre sur toutes les autres questions qui ne sont pas de nature pécuniaire (effet de l'article 8 de la loi de 1991, tel que modifié par l'article 6 de la loi de 1993). D'ailleurs, dans ce contexte, le gouvernement rappelle les négociations qui ont eu lieu avec les différents syndicats de la fonction publique et qui ont ultimement abouti à la conclusion de conventions collectives avec l'Association des économistes, des sociologues et des statisticiens, l'Association canadienne des professionnels de l'exploitation de la radio, l'Association canadienne des professeurs d'université et l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada.
- 170. En ce qui concerne les allégations de discrimination entre les sexes et de non-respect du principe de l'équité salariale, le gouvernement soutient qu'il est très attaché au principe du salaire égal pour un travail de valeur équivalente, et rappelle que le Tribunal des droits de la personne doit statuer sur ces questions, notamment sur le droit des travailleurs à un réajustement paritaire.
- 171. En ce qui concerne l'absence de mesures de protection pour les travailleurs susceptibles d'être les plus touchés, le gouvernement soutient que, au contraire, la Loi contient des clauses de garantie visant à maintenir certaines modalités des conventions collectives pour protéger le niveau de vie des employés. A titre d'exemple, le gouvernement relève l'article 2 1) c) (rémunération) de la loi de 1991 qui prévoit le versement d'une somme forfaitaire de 500 dollars aux employés à faible revenu et l'article 7 1) qui maintient les dispositions ayant trait à l'équité salariale de la loi canadienne sur les droits de la personne.
- 172. En ce qui concerne le comité sur l'examen de l'efficience dans la fonction publique, le gouvernement explique que cette analyse est menée à l'échelle de l'administration fédérale et repose sur beaucoup plus que les seuls travaux de ce comité. Le gouvernement est déterminé à rendre la fonction publique plus efficace et, aux dernières nouvelles, environ 22 études de grande envergure étaient en cours. L'examen vise, entre autres, à déterminer les services que les ministères et les organismes publics doivent continuer d'offrir, ceux qui doivent être modifiés, éliminés ou cédés aux provinces ou au secteur privé.
- 173. Pour toutes ces raisons, le gouvernement soutient que le corpus législatif, composé de la loi sur la rémunération du secteur public de 1991, modifiée par la loi sur la compression des dépenses publiques de 1993 et par la Loi de 1994, s'impose dans les circonstances actuelles. Le gouvernement réitère que la Loi ne s'applique pas au-delà d'un délai raisonnable et qu'elle est assortie de garanties pour maintenir le niveau de vie des travailleurs. Elle représente un compromis juste et raisonnable entre laisser, autant que possible, une certaine liberté d'action aux parties dans le cadre des négociations et prendre les mesures qui s'imposent pour surmonter les difficultés financières. Par conséquent, le gouvernement conclut que la Loi n'enfreint aucunement ni les principes de la liberté syndicale ni les normes internationales du travail posés par les conventions nos 87, 98, 151 et 154.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 174. Le comité note que ce cas est lié à deux cas qui ont fait l'objet d'examens antérieurs. (Cas no 1616, 284e rapport, paragr. 595 à 641; cas no 1758, 297e rapport, paragr. 190 à 230.) Il concerne certaines restrictions à la négociation collective imposées aux salariés de la fonction publique fédérale aux termes de la Loi d'exécution du budget de 1994 (ci-après "la Loi") qui gèle leurs salaires pour deux années et qui bloque toute augmentation d'échelons pour la même période.
- 175. Avant d'examiner la plainte quant au fond, le comité doit présenter le contexte général dans lequel elle se situe. Depuis octobre 1991, le comité a été saisi de 20 plaintes contre le gouvernement fédéral, et contre ceux de différentes provinces, dont 12 présentées par la présente organisation plaignante (Canada fédéral, cas nos 1616, 1758, 1800; Colombie-Britannique, cas no 1603; Manitoba, cas nos 1604 et 1715; Nouveau-Brunswick, cas no 1605; Nouvelle-Ecosse, cas nos 1606, 1624 et 1802; Terre-Neuve, cas no 1607; Ontario, cas no 1722; Québec, cas nos 1733, 1747, 1748, 1749, 1750; île du Prince-Edouard, cas nos 1779, 1801; Yukon, cas no 1806). Toutes ces plaintes ont pour caractéristique commune d'avoir trait à des reports d'augmentation, des réductions ou des gels de salaire dans la fonction publique et à des restrictions du droit des fonctionnaires de négocier collectivement dans ces diverses juridictions, mesures parfois accompagnées d'une interdiction de grève.
- 176. Le comité estime que le nombre élevé de plaintes déposées au cours de ces dernières années révèle des difficultés profondes et sérieuses pour aboutir à des accords sur la détermination des conditions d'emploi dans le secteur public au Canada, tant au niveau fédéral que dans différentes provinces. Dans ces conditions, afin de faciliter la recherche de solutions aux problèmes posés, le comité suggère au gouvernement de recourir à la coopération du Bureau international du Travail, en particulier sous forme de mission consultative.
- 177. La Loi est la deuxième prorogation d'une loi de 1991 qui avait pour objet initial de geler les salaires des employés de la fonction publique pour une période de deux ans. Les effets de cette loi de 1991 ont été, une première fois, prolongés par une loi de 1993, et ce pour une période de deux ans. Tel que mentionné ci-avant, tant la loi de 1991 que celle de 1993 ont fait l'objet d'un examen par le comité (cas nos 1616 et 1758). Le comité renvoie, de façon générale, aux commentaires qu'il avait formulés à propos de ces cas. Il estime cependant opportun de rappeler les recommandations qu'il avait formulées lors de son dernier examen (cas no 1758), à savoir que:
- a) Le comité regrette profondément que le gouvernement n'ait pas mis en oeuvre les recommandations qu'il avait formulées antérieurement mais qu'il a, encore une fois, imposé de sérieuses restrictions à la négociation collective dans la fonction publique en gelant, de nouveau, unilatéralement les salaires.
- b) Le comité doit exprimer sa profonde préoccupation de ce que le gouvernement a fréquemment recours à des limitations législatives à la négociation collective et considère que ces limitations vont bien au-delà de ce que le comité a considéré comme restrictions acceptables à la négociation collective.
- c) Le comité prie le gouvernement de prendre les mesures appropriées en consultation avec les organisations syndicales intéressées pour approfondir le dialogue et les échanges dans le but d'identifier un mécanisme satisfaisant de règlement des différends qui permettrait d'éviter l'imposition unilatérale, par voie législative, des conditions de travail, et restaurerait un système de négociation bénéficiant de la plus grande confiance des parties.
- d) Le comité prie instamment le gouvernement de prendre ces observations en considération à l'avenir et exprime le ferme espoir que le gouvernement va permettre un retour intégral à la négociation collective normale dans la fonction publique et le prie de le tenir informé à cet égard.
- 178. Le comité doit, à nouveau, profondément déplorer que le gouvernement n'ait pas mis en oeuvre les recommandations qu'il avait formulées lors de ses examens antérieurs mais qu'il a, une fois de plus et de manière consécutive, imposé de sérieuses restrictions à la négociation collective dans la fonction publique en gelant les salaires et en bloquant toute augmentation d'échelons pour deux années additionnelles.
- 179. Dans le cas présent, le gouvernement soutient substantiellement la même argumentation que dans les cas nos 1616 et 1758, soutenant, entre autres, que la Loi répond aux critères établis par le comité en ce qu'elle représente une mesure exceptionnelle rendue nécessaire par les importantes difficultés financières auxquelles il doit faire face. Pour leur part, les organisations plaignantes mettent en doute la justesse de l'argumentation économique du gouvernement et prétendent que les mesures auront un effet désastreux sur l'emploi, sans avoir de répercussions positives sur la situation financière de l'Etat.
- 180. Il ne fait pas de doute pour le comité que le gouvernement est convaincu qu'il faut remédier à la situation financière du pays et que la double prorogation de la loi de 1991 est, par le fait même, justifiée. Les plaignants sont, quant à eux, convaincus que la méthode utilisée par le gouvernement est loin d'être appropriée pour régler les problèmes économiques du Canada. Comme cela a été mentionné dans des cas précédents concernant diverses législations restrictives au Canada (cas nos 1172, 1234, 1247 et 1260, 241e rapport, paragr. 113; cas no 1616, 284e rapport, paragr. 633; et cas no 1758, 297e rapport, paragr. 224), il n'appartient pas au comité de se prononcer sur le bien-fondé des arguments économiques qui sous-tendent le point de vue du gouvernement ou les mesures qu'il a prises (voir aussi les remarques générales figurant dans le rapport de la mission d'étude et d'information concernant ces cas: 241e rapport, paragr. 9 à 13 de l'annexe). Il lui incombe, en revanche, de donner son avis sur le point de savoir si, en prenant ces mesures, le gouvernement a dépassé ce que lui-même a estimé être les limites qui peuvent être acceptées provisoirement à la libre négociation collective. (Cas no 1172, 241e rapport, paragr. 114, et cas no 1758, 297e rapport, paragr. 224.)
- 181. Dans les cas de même nature qui traitent des limitations du droit à la négociation collective liées à des mesures de stabilisation économique, le comité a reconnu que lorsque, pour des raisons impérieuses relevant de l'intérêt économique national et dans le cadre de sa politique de stabilisation, le gouvernement considère que le taux des salaires ne peut pas être fixé librement par voie de négociation collective, une telle restriction devrait être appliquée comme une mesure d'exception et limitée à l'indispensable, elle ne devrait pas excéder une période raisonnable et elle devrait être accompagnée de garanties appropriées en vue de protéger le niveau de vie des travailleurs, notamment ceux qui risquent d'être les plus touchés. (Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, troisième édition, 1985, paragr. 641; cas no 1147, 222e rapport, paragr. 117; cas nos 1171 et 1173, 230e rapport, paragr. 162 et 573; cas nos 1603, 1604, 1605, 1606, 1607 et 1616, 284e rapport, paragr. 78, 321, 500, 542, 587 et 635; cas no 1624, 286e rapport, paragr. 223; cas nos 1715 et 1722, 292e rapport, paragr. 187 et 547; et cas no 1758, 297e rapport, paragr. 225.) La Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations a adopté la même approche à cet égard (Etude d'ensemble de 1994 sur la liberté syndicale et la négociation collective, paragr. 260).
- 182. En l'espèce, cette deuxième prorogation de la loi de 1991 n'est clairement pas une mesure d'exception, les critères établis par le comité n'étant pas satisfaits. Le comité ne peut qu'exprimer sa préoccupation devant le danger d'institutionnaliser de façon permanente le recours à la législation en vue de fixer unilatéralement les salaires dans la fonction publique. Le comité note que l'effet combiné des trois lois fera en sorte que les travailleurs du secteur public fédéral auront subi les effets d'un programme de contrôle des salaires de six ans, en vertu duquel les salaires auront été bloqués pendant cinq ans et les augmentations d'échelons pendant deux ans. Le comité déplore que la Loi aura des conséquences négatives sur le niveau de vie des travailleurs affectés et qu'elle n'est accompagnée d'aucune garantie appropriée à cet égard. S'agissant du plus long programme de restrictions salariales jamais adopté au Canada, la Loi va bien au-delà de ce que le comité a considéré comme restrictions acceptables à la négociation collective, notamment en ce qui concerne le délai raisonnable.
- 183. Le comité note que la Loi exclut des négociations collectives entre le gouvernement et ses employés toute discussion sur les questions qui ont trait à la rémunération. La Loi empêche donc quelque rapprochement que ce soit entre les parties en vue d'identifier un mécanisme satisfaisant de règlement des différends à cet égard, et ne peut qu'entraîner un effet néfaste et déstabilisant sur le climat des relations professionnelles. Le comité regrette profondément que le gouvernement n'ait pas encore privilégié la négociation collective pour fixer les conditions salariales de ces employés dans le cadre de laquelle les objectifs devant être reconnus comme étant dans l'intérêt général du pays auraient pu être largement discutés et compris par toutes les parties mais plutôt qu'il ait opté pour une mesure qui prive les travailleurs d'un droit fondamental et d'un moyen de défendre et promouvoir leurs intérêts économiques et sociaux.
- 184. Dans ce contexte, le comité conclut que les mesures prises par le gouvernement ne correspondent en aucune façon au compromis équitable et raisonnable qui doit être recherché entre, d'une part, la nécessité de préserver autant que faire se peut l'autonomie des parties à la négociation et, d'autre part, les mesures que doivent prendre les gouvernements pour surmonter leurs difficultés budgétaires. (Cas no 1758, 297e rapport, paragr. 229; voir Etude d'ensemble de 1994, op. cit., paragr. 263 et 264.) Il prie instamment le gouvernement de prendre les observations en considération et de s'abstenir d'avoir recours à de telles mesures à l'avenir et exprime le ferme espoir que le gouvernement va permettre un retour intégral à la négociation collective normale dans la fonction publique. Il prie le gouvernement de le tenir informé à cet égard.
- 185. Finalement, le comité prie instamment le gouvernement de prendre en considération la possibilité d'établir une procédure de négociation inspirant la confiance des parties intéressées et leur permettant de régler leurs différends, notamment en ayant recours à la conciliation ou la médiation, puis en faisant volontairement appel à un arbitre indépendant pour résoudre leurs différends, les décisions arbitrales devant être obligatoires pour les deux parties et être exécutées complètement et rapidement.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 186. Vu les conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité doit à nouveau profondément déplorer que le gouvernement n'ait pas mis en oeuvre les recommandations qu'il avait formulées mais qu'il a, une fois de plus et de manière consécutive, imposé de sérieuses restrictions à la négociation collective dans la fonction publique en gelant les salaires et en bloquant toute augmentation d'échelons pour deux années additionnelles.
- b) Concluant que la Loi va bien au-delà de ce qu'il a considéré comme restrictions acceptables à la négociation collective, le comité prie instamment le gouvernement de prendre ces observations en considération et de s'abstenir d'avoir recours à de telles mesures à l'avenir. Il prie le gouvernement de le tenir informé à cet égard.
- c) Finalement, le comité prie instamment le gouvernement de prendre en considération la possibilité d'établir une procédure de négociation inspirant la confiance des parties intéressées et leur permettant de régler leurs différends, notamment en ayant recours à la conciliation ou la médiation, puis en faisant volontairement appel à un arbitre indépendant pour résoudre leurs différends, les décisions arbitrales devant être obligatoires pour les deux parties et être exécutées complètement et rapidement.
- d) Afin de faciliter la recherche de solutions aux problèmes posés dans la recherche d'accords dans le secteur public, le comité suggère au gouvernement de recourir à la coopération du Bureau international du Travail, en particulier sous forme de mission consultative.
Annexe
Annexe- Extraits de la loi de 1991 sur la rémunération du secteur public
- telle que
- modifiée par la loi de 1993 sur la compression des dépenses
- publiques et la
- loi d'exécution du budget 1994
- Définitions et interprétation
- 2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.
- ...
- - régime de rémunération. Ensemble de dispositions, quel que
- soit leur mode
- d'établissement, régissant la détermination et la gestion des
- rémunérations;
- ...
- - rémunération. Toute forme de salaire, de gratification ou
- d'avantage assuré,
- directement ou indirectement, par l'employeur ou en son nom à
- un salarié ou à
- son profit, à l'exception de ceux assurés en conformité avec:
- ...
- c) soit l'éventuel versement, à compter de la date d'entrée en
- vigueur de la
- présente loi, à un salarié dont le taux de salaire ne dépasse
- pas 27 500
- dollars ou à son profit d'un montant forfaitaire égal:
- i) dans le cas du salarié dont le taux de salaire ne dépasse pas
- 27 000
- dollars, à 500 dollars;
- ii) dans le cas du salarié dont le taux de salaire, tout en
- dépassant 27 000
- dollars, ne dépasse pas 27 500 dollars, à la fraction de 500
- dollars qui
- correspond à l'excédent de son taux de salaire sur 27 000
- dollars.
- 3. (1) La présente loi s'applique aux salariés employés:
- a) dans les ministères et administrations mentionnés à l'annexe
- I;
- b) dans les conseils, commissions, sociétés et autres
- organismes mentionnés à
- l'annexe II;
- c) par le Sénat, la Chambre des communes et la Bibliothèque
- du Parlement.
- (2) La présente loi s'applique également:
- a) au personnel des ministres, des sénateurs et des députés;
- b) aux administrateurs des sociétés mentionnées à l'annexe II;
- c) aux militaires et officiers des Forces canadiennes;
- d) aux membres et officiers de la Gendarmerie royale du
- Canada.
- ...
- 5. (1) Sous réserve de l'article 11, le régime de rémunération
- en vigueur le
- 26 février 1991 pour les salariés visés par la présente loi,
- notamment tout
- régime de rémunération prorogé en vertu de l'article 6, est
- prorogé de six ans
- à compter de la date prévue, en l'absence du présent article,
- pour son
- expiration (tel que modifié par les lois de 1993 et 1994).
- ...
- 7. (1) Par dérogation à toute autre loi fédérale, à l'exception de
- la loi
- canadienne sur les droits de la personne, mais sous réserve
- des autres
- dispositions de la présente loi, les dispositions d'un régime de
- rémunération
- prorogé en vertu des articles 5 ou 6 ou d'une convention
- collective ou
- décision arbitrale qui comporte un pareil régime demeurent en
- vigueur sans
- modification pendant la période de prorogation.
- (2) Le Conseil du Trésor peut modifier les dispositions d'un
- régime de
- rémunération prorogé en vertu des articles 5 ou 6 ou visé par
- l'article 11 ou
- d'une convention collective ou décision arbitrale qui comporte
- un pareil
- régime si la modification a trait, de l'avis du Conseil du Trésor,
- à une
- reconversion ou reclassification nécessaire à la mise en
- vigueur d'une norme
- de classification nouvelle ou révisée.
- (2.1) Dans le cas où le Conseil du Trésor a modifié les
- dispositions d'un
- régime de rémunération conformément au paragraphe (2)
- avant le 10 décembre
- 1992, le nouveau régime ou le régime révisé qui découle de la
- mise en vigueur
- de la norme de classification nouvelle ou révisée mentionnée
- au paragraphe
- (2):
- a) est prorogé de quatre ans à compter de la date prévue, en
- l'absence du
- présent paragraphe, pour son expiration;
- b) est réputé comporter une disposition prévoyant que les taux
- de salaire en
- vigueur à la date où, en l'absence du présent paragraphe, il
- aurait expiré ne
- peuvent être augmentés pendant les quatre années qui
- suivent cette date (tel
- que modifié par les lois de 1993 et 1994).
- ...
- 8. Les parties à une convention collective ou les personnes
- liées par une
- décision arbitrale, qui comporte un régime de rémunération
- prorogé en vertu
- des articles 5 ou 6 ou visé par l'article 11, peuvent convenir
- par écrit de
- modifier les dispositions de la convention ou de la décision, à
- l'exception
- des taux de salaire et des autres dispositions du régime.
- 9. (1) Par dérogation à toute autre loi fédérale mais sous
- réserve de
- l'article 11, le régime de rémunération de salariés visés par la
- présente loi
- est réputé comporter une disposition prévoyant que les taux de
- salaire en
- vigueur à la date où, en l'absence de l'article 5, il aurait expiré
- ne peuvent
- être augmentés pendant l'année qui suit cette date.
- (2) Les taux de salaire en vigueur conformément au
- paragraphe (1) sont, pour
- l'année qui suit celle visée à ce paragraphe, augmentés de 3
- pour cent.
- (3) Les taux de salaire en vigueur conformément au
- paragraphe (2) ne peuvent
- être augmentés pendant les quatre années qui suivent l'année
- visée à ce
- paragraphe (tel que modifié par les lois de 1993 et 1994).
- (4) Par dérogation à toute autre loi fédérale, le régime de
- rémunération des
- personnes visées au paragraphe 3(3.1) est réputé comporter
- une disposition
- prévoyant que les taux de salaire en vigueur à la date où, en
- l'absence du
- paragraphe 5(3), il aurait expiré ne peuvent être augmentés
- pendant les quatre
- années qui suivent cette date (tel que modifié par les lois de
- 1993 et 1994).
- ...
- 13. Indépendamment de sa date d'établissement, est nulle la
- disposition du
- régime de rémunération de salariés visés par la présente loi qui
- a pour effet
- de porter les taux de salaire au niveau qu'ils auraient atteint en
- l'absence
- de celle-ci.
- 14. (1) Pendant la durée du régime de rémunération prorogé
- en vertu des
- articles 5 ou 6 ou visé à l'article 11, il est interdit, à compter de
- l'entrée
- en vigueur de la présente loi:
- a) à tout agent négociateur de déclarer, d'autoriser ou
- d'ordonner une grève
- de salariés visés par ce régime ou de tolérer la continuation
- d'une telle
- grève ou d'y consentir;
- b) à tout dirigeant ou représentant d'un agent négociateur de
- recommander ou
- d'obtenir une déclaration, une autorisation ou un ordre de
- grève de ces
- salariés ou de tolérer la continuation d'une telle grève ou d'y
- consentir;
- c) à tout salarié visé par ce régime de participer à une grève.
- ...
- 15. L'agent négociateur qui contrevient à l'article 14 commet
- une infraction
- punissable par procédure sommaire et encourt une amende
- maximale de 100 000
- dollars pour chacun des jours au cours desquels se commet
- ou se continue
- l'infraction.
- 16. Le dirigeant ou représentant d'un agent négociateur qui
- contrevient à
- l'article 14 commet une infraction punissable par procédure
- sommaire et
- encourt une amende maximale de 50 000 dollars pour chacun
- des jours au cours
- desquels se commet ou se continue l'infraction.
- 17. Le salarié qui contrevient à l'article 14 commet une
- infraction punissable
- par procédure sommaire et encourt une amende maximale de
- 1 000 dollars pour
- chacun des jours au cours desquels se commet ou se
- continue l'infraction.
- ...
- 20. (1) L'amende imposée à un agent négociateur ou à un de
- ses dirigeants ou
- représentants en vertu des articles 15 ou 16 constitue une
- créance de Sa
- Majesté du chef du Canada que celle-ci peut recouvrer, sans
- qu'il soit par
- ailleurs porté atteinte aux autres moyens d'exécution à sa
- disposition, par
- déduction de tout ou partie de son montant des cotisations
- syndicales que
- l'employeur des employés représentés par l'agent négociateur
- est ou peut être
- tenu, aux termes de toute convention collective conclue, ou
- pouvant être
- conclue, entre lui-même et l'agent négociateur, de déduire du
- salaire des
- employés et de remettre à ce dernier.
- ...
- 22. Le gouverneur en conseil peut par décret, sur
- recommandation du Conseil du
- Trésor, mettre fin à l'application de la présente loi à l'égard des
- salariés
- ou groupes de salariés visés par celle-ci.