207. Le Syndicat des cheminots de Croatie (RTUC), alléguant des violations des droits syndicaux, a présenté une plainte contre le gouvernement de la Croatie dans une communication en date du 7 février 1997. La Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF) a exprimé son soutien à la plainte dans une communication en date du 11 mars 1997. D'autres informations ont été reçues du RTUC dans une communication en date du 2 avril 1997. En réponse à ces allégations, le gouvernement a fait parvenir des observations et des informations dans une communication en date du 12 mai 1997.
- 207. Le Syndicat des cheminots de Croatie (RTUC), alléguant des violations des droits syndicaux, a présenté une plainte contre le gouvernement de la Croatie dans une communication en date du 7 février 1997. La Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF) a exprimé son soutien à la plainte dans une communication en date du 11 mars 1997. D'autres informations ont été reçues du RTUC dans une communication en date du 2 avril 1997. En réponse à ces allégations, le gouvernement a fait parvenir des observations et des informations dans une communication en date du 12 mai 1997.
- 208. La Croatie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations de l'organisation plaignante
A. Allégations de l'organisation plaignante
- 209. Dans sa communication du 7 février 1997, le RTUC allègue que les décisions des tribunaux déclarant illégale une grève lancée par le RTUC violent le droit des organisations de travailleurs d'organiser leur activité en pleine liberté. L'organisation allègue en outre que les pouvoirs publics sont intervenus illégalement dans la grève. Enfin, le RTUC déclare que la loi sur les chemins de fer de Croatie de 1994 viole les principes de liberté syndicale en restreignant le droit de grève des cheminots.
- 210. L'organisation plaignante déclare qu'elle participait à une négociation collective avec les Chemins de fer de Croatie, entreprise publique, avec sept autres syndicats, le RTUC représentant la plus forte proportion de cheminots. Les négociations ayant échoué, le RTUC a alors lancé un préavis de grève de dix jours, comme prévu par la loi. En application de la loi sur les chemins de fer de Croatie, le ministre des Affaires maritimes, des Transports et des Communications ("le ministre") a établi une liste de trains devant continuer à circuler pendant la grève pour maintenir un service minimum. Cette liste portait sur 20 pour cent des trains. Avant le début de la grève, l'organisation plaignante affirme qu'elle n'a pas été consultée sur les trains à inscrire sur la liste et n'a pas reçu officiellement cette liste; elle a établi sa propre liste comprenant 21 pour cent des trains, qu'elle a fait parvenir au ministre en même temps que le préavis de grève et qu'elle a mise en application pendant les premiers jours de la grève (du 28 novembre au 1er décembre 1996). Une fois informée de la décision du ministre, l'organisation plaignante a respecté cette liste jusqu'au 3 décembre, date à laquelle le RTUC a fait cesser tout trafic ferroviaire. L'organisation plaignante déclare que cette mesure a été prise pour répondre à la pression illégale et aux menaces exercées sur les travailleurs en grève. La direction a demandé à chaque travailleur de confirmer dans une déclaration sa participation à la grève, et le vice-président de la Croatie a publiquement déclaré: "Il n'y a absolument rien à négocier car nous avons déjà satisfait à toutes vos demandes. Vous pouvez faire grève jusqu'à Pâques - mais à vos dépens ...". Autre motif de la grève, la direction des Chemins de fer de Croatie avait contrevenu à la décision du ministre en mettant en exploitation des trains ne figurant pas sur la liste, au risque de mettre ainsi en danger la vie des passagers et des travailleurs.
- 211. Le RTUC a repris tout le trafic voyageurs le 4 décembre 1996 et le trafic marchandises minimal le 8 décembre. A la suite de l'arrêt de travail du 3 décembre, les Chemins de fer de Croatie ont engagé une procédure devant la Cour de première instance, déclarant que la grève était illégale et demandant qu'une autre action de grève soit interdite. Un exemplaire de la décision de la Cour du 9 décembre 1996 a été annexé à la communication du 7 février. La Cour a considéré que la grève avait été organisée et menée de manière illégale; l'organisation plaignante a été mise en demeure de mettre un terme à la grève et condamnée aux dépens. Selon la Cour, l'organisation plaignante avait reçu la décision du ministre dans laquelle figurait la liste des trains devant rester opérationnels et des voies à surveiller durant la grève, et la manière dont elle l'avait traitée était condamnable. Aux termes de la loi, les Chemins de fer de Croatie assurent un service public d'intérêt vital pour l'Etat; la Cour a donc noté qu'un certain nombre de conditions préalables devaient être réunies pour que la grève soit légale. De l'avis de la Cour, toutes les conditions préalables étaient réunies, sauf l'exigence que la décision du ministre définissant le service minimum à assurer pendant la grève soit observée. Faute de respecter cette condition préalable, la grève a été rendue illégale dans sa totalité.
- 212. L'organisation plaignante a fait appel de la décision de la Cour de première instance. Dans sa décision du 17 décembre 1996, dont copie est annexée à la communication de l'organisation plaignante, la Cour d'appel a confirmé la décision de l'instance précédente, estimant que l'organisation plaignante était tenue d'observer la décision du ministre pendant toute la durée de la grève. La Cour a estimé que la décision d'interrompre l'ensemble des services de chemins de fer était contraire à la loi "même en cas de comportement indiscipliné de la part du requérant, car une conduite illégale ne justifie personne de protéger illégalement ses droits et intérêts". L'organisation plaignante affirme que des pressions politiques ont été exercées auprès du tribunal en vue d'interdire la grève pour servir d'avertissement à quiconque souhaiterait organiser des grèves ou des manifestations.
- 213. Se fondant sur la décision du tribunal déclarant la grève illégale, l'organisation plaignante déclare que les Chemins de fer de Croatie ont licencié sommairement 24 travailleurs ayant participé à l'organisation de la grève, dont quatre dirigeants syndicaux. Les Chemins de fer de Croatie ont également poursuivi le RTUC en lui demandant des indemnités compensatoires. En ce qui concerne les travailleurs licenciés, dans le cadre d'un accord conclu entre le RTUC et les Chemins de fer de Croatie pour régler une deuxième grève en janvier 1997, la direction a accepté de retirer les 24 préavis de licenciement.
- 214. L'organisation plaignante appelle aussi l'attention sur les dispositions spécifiques de la loi sur les chemins de fer de Croatie qui déclare que "En vue de protéger les intérêts vitaux de l'Etat, d'autres personnalités juridiques ou citoyens d'une certaine catégorie et, dans le cas d'une grève dans l'entreprise des chemins de fer, il appartient au ministère de déterminer quels sont les trains qui doivent rouler et les voies de chemins de fer qui doivent être entretenues pour assurer les services essentiels du trafic ferroviaire. Les travailleurs remplissant des fonctions et des tâches liées au trafic ferroviaire définies comme essentielles, en application de la décision figurant au paragraphe 1 du présent article, ont l'obligation d'exécuter les ordres donnés par la direction durant une grève". Le RTUC estime qu'en accordant à un ministre le droit sans limite de déterminer quels sont les services essentiels devant rester opérationnels pendant une grève la loi est contraire aux principes de la liberté syndicale. Le RTUC note qu'en réponse au préavis de grève présenté au sujet d'une autre grève prévue pour le 28 décembre 1996, le ministre a redéfini les services minima à assurer, portant sur 70 à 80 pour cent du service ferroviaire régulier.
- 215. Dans sa communication en date du 2 avril 1997, le RTUC a appelé l'attention du comité sur le fait qu'il avait porté plainte devant la Cour constitutionnelle en faisant valoir que les dispositions susmentionnées de la loi sur les chemins de fer de Croatie violent le droit de grève garanti constitutionnellement.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 216. En réponse aux allégations, le gouvernement, dans sa communication en date du 12 mai 1997, fait remarquer que le droit de grève est garanti par la Constitution et affirme que la loi est conforme à la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949. Le gouvernement fait ressortir que, selon la loi, la question de la légalité d'une grève est transmise au tribunal compétent et seul un tribunal est habilité à déterminer les faits et à interdire une grève, si elle est jugée illégale. Dans le cas en question, les faits ont été dûment examinés à la fois par la Cour de première instance et la Cour d'appel. Le gouvernement affirme que, étant donné le principe de la séparation des pouvoirs entre le législatif, l'exécutif et le judiciaire, le pouvoir judiciaire est autonome et indépendant, et qu'il serait déplacé que le pouvoir exécutif explique ou contrôle les décisions des tribunaux.
- 217. Le gouvernement a refusé d'entrer en matière sur le fond du litige concernant les questions qui ont déjà été déterminées par la Cour. En réponse à la plainte selon laquelle 24 travailleurs ont été licenciés en raison de leur participation à l'organisation de la grève, le gouvernement déclare qu'à sa connaissance aucun travailleur n'a été licencié pour cette raison. A cet égard, le gouvernement appelle également l'attention du comité sur l'article 182 de la loi sur le travail qui prévoit que les dirigeants syndicaux ne pourront être licenciés sans le consentement préalable de l'organisation syndicale.
- 218. Le gouvernement fait remarquer qu'il n'existe pas de loi générale réglementant les grèves dans le secteur public. Des lois spéciales précisent quels sont les services à maintenir et qui doit déterminer les travaux à poursuivre pendant la grève. La loi sur les chemins de fer de Croatie précise que la fonction de base des Chemins de fer de Croatie est d'assurer un transport ferroviaire continu et sans obstacle des personnes et des biens. Selon cette loi, le ministre est habilité à régir les droits du pays sur la base de la propriété de ses biens en vue de protéger les intérêts vitaux de l'Etat et des autres entités juridiques ou des citoyens. Sur cette base, le ministre est habilité à déterminer quels sont les trains qui devront continuer à circuler et quelles sont les sections ferroviaires qui doivent être entretenues durant une grève afin de garantir le fonctionnement minimal du trafic ferroviaire. Etant donné que l'entreprise appartient au gouvernement et que le ministre a de ce fait le droit de la gérer, le gouvernement soutient que les déclarations du ministre concernant les chemins de fer sont faites au titre d'une personne représentant le propriétaire et non pas en tant que membre de l'exécutif du gouvernement.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 219. Le comité note que les allégations de violation de la liberté syndicale dans le présent cas découlent d'une grève lancée par le RTUC qui a été déclarée illégale par les tribunaux au motif que les services minima définis par le ministre en vertu de la loi sur les chemins de fer de Croatie n'avaient pas été assurés pendant toute la durée de la grève. Suite à la déclaration d'illégalité de la grève, l'organisation plaignante allègue qu'un certain nombre des personnes impliquées dans l'organisation de la grève ont été licenciées.
- 220. Le RTUC allègue que la loi sur les chemins de fer de Croatie de 1994 habilite le ministre à déterminer unilatéralement quels sont les trains qui doivent fonctionner et quelles sont les voies qui doivent être entretenues durant une grève "pour garantir les services essentiels du trafic ferroviaire" et viole donc les principes de la liberté syndicale. Selon l'organisation plaignante, dans un cas, les services minima désignés incluent 20 pour cent des trains tandis que, dans un autre cas similaire, 70 à 80 pour cent des trains sont impliqués. Il ne semble pas que la décision du ministre puisse faire l'objet d'un recours.
- 221. S'agissant du droit de grève, le comité rappelle qu'il s'agit d'un des moyens essentiels par lequel les travailleurs et leurs organisations peuvent promouvoir et défendre leurs intérêts économiques. (Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 474.) Le droit de grève peut être restreint ou interdit dans les services essentiels, mais ces services essentiels doivent être strictement définis pour préciser qu'il s'agit des services dont l'interruption mettrait en danger en totalité ou en partie la vie, la sécurité ou la santé de la population. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 542.) Dans des cas antérieurs, le comité n'a pas considéré les transports en général et les services ferroviaires en particulier comme des services essentiels. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 545; 273e rapport, cas no 1521, paragr. 39 (Turquie); 297e rapport, cas no 1788, paragr. 358 (Roumanie).) Le comité a reconnu néanmoins que, compte tenu de la situation particulière des transports ferroviaires dans un pays, une grève totale et prolongée pourrait provoquer une situation de crise nationale aiguë compromettant le bien-être de la population, ce qui peut justifier dans certaines conditions une intervention du gouvernement qui établirait, par exemple, un service minimum. (Voir 265e rapport, cas no 1438, paragr. 401 (Canada).)
- 222. Le comité rappelle, en ce qui concerne la définition des services minima, qu'ils doivent se limiter aux opérations strictement nécessaires pour ne pas compromettre la vie ou les conditions normales d'existence de tout ou partie de la population. En outre, il est important que les organisations de travailleurs puissent participer à sa définition comme les employeurs et les autorités publiques. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 557-558.) Dans le cas présent, le ministre semble avoir un droit sans limite concernant la définition du service minimum à maintenir en cas de grève; du fait de cette situation, 20 pour cent peuvent être déclarés comme un niveau minimal dans un cas et 80 pour cent dans un cas semblable, montrant ainsi que la détermination n'est pas limitée aux opérations strictement nécessaires pour ne pas compromettre la vie ou les conditions normales d'existence. De même, le RTUC, le syndicat représentant la plus grande proportion de cheminots, n'a pas été consulté sur la définition des services minima. Le comité rappelle que la participation des organisations syndicales et d'employeurs intéressées permet non seulement un échange de vues réfléchi sur ce que doivent être, en situation réelle, les services minima strictement nécessaires, mais contribue aussi à garantir que les services minima ne soient pas étendus au point de rendre la grève inopérante en raison de son peu d'impact et à éviter de donner aux organisations syndicales l'impression que l'échec de la grève tient à ce que le service minimum a été prévu d'une manière trop large et fixé unilatéralement. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 560.) Le comité estime aussi qu'en cas de désaccord quant à la détermination des services minima la législation devrait prévoir que le règlement de pareille divergence devrait être fait par un organe indépendant et non pas par le ministère ou l'entreprise publique concernés. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 561.) Le comité demande au gouvernement de modifier la législation en conséquence. Le comité appelle aussi l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations sur les aspects législatifs de ce cas.
- 223. Le comité note avec préoccupation que 24 travailleurs impliqués dans l'organisation de la grève ont été licenciés. Cependant, le comité note que les travailleurs en question ont été réintégrés. Dans ces conditions, le comité estime que cet aspect du cas n'appelle pas un examen plus approfondi.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 224. Au vu de ses conclusions, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité demande au gouvernement d'amender la loi de 1994 sur les chemins de fer de Croatie afin de garantir que les services minima à maintenir durant une grève soient limités aux opérations strictement nécessaires pour ne pas compromettre la vie ou les conditions normales d'existence de tout ou partie de la population et de faire en sorte que les organisations de travailleurs participent à sa définition, tout comme les employeurs et les autorités publiques. En cas de désaccord sur les services minima à maintenir, la législation devrait prévoir le règlement par un organe indépendant. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l'évolution de la situation dans ce domaine.
- b) Le comité attire l'attention de la commission d'experts sur les aspects législatifs de ce cas.