Afficher en : Anglais - Espagnol
- 576. La plainte qui fait l'objet du présent cas figure dans des communications de la Confédération nationale des éducateurs d'Haïti (CNEH) datées du 17 décembre 1999 et du 22 juin 2000. Par une communication du 4 février 2000, l'Internationale de l'éducation (IE) s'est jointe à la plainte de la CNEH.
- 577. En l'absence de réponse de la part du gouvernement, le comité a dû reporter à deux reprises l'examen du présent cas. A sa réunion de novembre 2000 [voir 323e rapport, paragr. 9], le comité a lancé un appel pressant au gouvernement en attirant son attention sur le fait que, conformément à la règle de procédure établie au paragraphe 17 de son 127e rapport approuvé par le Conseil d'administration, il pourrait présenter à sa réunion suivante un rapport sur le fond de l'affaire en instance, même si les informations et observations du gouvernement n'étaient pas reçues à temps.
- 578. Haïti a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (nº 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations de l'organisation plaignante
A. Allégations de l'organisation plaignante- 579. Dans ses communications du 17 décembre 1999 et du 22 juin 2000, l'organisation plaignante explique que, en date du 17 février 1997, la CNEH et d'autres organisations syndicales ont signé avec l'Etat haïtien un protocole d'accord relatif aux conditions de travail du personnel enseignant concernant notamment un ajustement salarial de 82 pour cent, la mise sur pied d'un plan de formation professionnelle, d'un plan d'assurances pour les enseignants et d'une commission des affaires syndicales. Selon l'organisation plaignante, le gouvernement n'a versé que 50 pour cent de l'ajustement salarial et n'a respecté aucun des autres points de l'accord. La CNEH, devant le refus du gouvernement de reprendre les négociations, a menacé d'avoir recours à des mouvements de grève sporadiques. Suite à une grève générale en janvier 1999, un accord entre le ministre de l'Education nationale et la CNEH a été signé le 4 février 1999 prévoyant la pleine application du protocole d'accord de février 1997.
- 580. L'organisation plaignante explique qu'aucun des éléments de l'accord du 4 février n'ayant été respecté, elle a poursuivi ses efforts afin de convaincre le gouvernement de tenir ses engagements dans le but d'éviter des mouvements de grève. Finalement, un accord entre la CNEH et le ministère de l'Education nationale a été trouvé en mai 1999. Toutefois, une fois de plus, l'organisation plaignante indique qu'à la rentrée des classes, en septembre 1999, le gouvernement n'avait toujours pas donné suite aux termes de l'accord. Ainsi, le 23 septembre 1999, dans une lettre de préavis, la CNEH a informé le gouvernement que, si les accords n'étaient pas respectés, elle ferait grève à partir du 4 octobre 1999. La grève a effectivement débuté à cette date.
- 581. Le 20 octobre 1999, suite à une rencontre entre le ministre de l'Education nationale et les représentants de la CNEH, les parties sont tombées d'accord pour faire appel au Protecteur du citoyen comme médiateur. Toutefois, le 23 octobre, le Premier ministre, sans faire mention de la médiation, a déclaré à la radio que des sanctions seraient prises contre les enseignants en grève. En effet, le 28 octobre, 11 enseignants, dont trois dirigeants régionaux et nationaux de la CNEH, ont reçu une mise en disponibilité sans solde pour motifs graves. La CNEH précise que, le 16 octobre, un représentant du ministère avait invité les enseignants, dans une réunion publique, à reprendre le travail sans conditions. Les trois membres de la CNEH sanctionnés, MM. Roussan Coffy et Hervé Alix et Mme Andréanne Roy, avaient alors invité ce représentant à négocier avec les syndicats et non avec les enseignants. L'organisation plaignante affirme que diverses tentatives ont été faites par le ministère de l'Education nationale pour négocier directement avec les enseignants afin de marginaliser les syndicats.
- 582. L'organisation plaignante explique qu'elle conditionne la fin de la grève à la levée des sanctions et à la reprise des négociations. En outre, elle affirme que d'autres mesures de représailles sont appliquées par le gouvernement, en particulier l'embauche de manière contractuelle de non-enseignants pour combler les places des enseignants en grève. Enfin, la CNEH indique que le gouvernement a favorisé la création d'un syndicat d'enseignants le 10 novembre 1999.
- 583. Dans une communication ultérieure du 22 juin 2000, l'organisation plaignante affirme que, suite à la grève des enseignants, 77 membres de la CNEH, dont les dossiers ont été transmis au ministère de l'Education nationale, ont été sanctionnés de manière discriminatoire puisque leurs salaires d'octobre 1999 ont été amputés sans préavis, en violation des lois en vigueur. L'organisation plaignante indique également que, suite à des négociations avec le ministère de l'Education en janvier 2000, MM. Coffy et Alix ont été réintégrés dans leurs fonctions respectives. Toutefois, Mme Roy n'a toujours pas été réintégrée et M. Alix a depuis fait l'objet d'un transfert, sans justification et en violation de la loi.
B. Conclusions du comité
B. Conclusions du comité- 584. Le comité déplore que, malgré le temps écoulé depuis la présentation de la plainte et compte tenu de la gravité des faits allégués, le gouvernement n'ait répondu à aucune des allégations formulées par l'organisation plaignante, alors qu'il a été à plusieurs reprises invité à présenter ses commentaires et observations sur le cas, notamment par un appel pressant. Dans ces conditions, et conformément à la règle de procédure applicable dans ce cas [voir 127e rapport du comité, paragr. 17, approuvé par le Conseil d'administration à sa 184e session], le comité se voit contraint de présenter un rapport sur le fond de l'affaire, même en l'absence des informations qu'il avait espéré recevoir du gouvernement.
- 585. Le comité rappelle de nouveau au gouvernement que le but de l'ensemble de la procédure instituée par l'Organisation internationale du Travail en vue d'examiner des allégations relatives à des violations de la liberté syndicale est d'assurer le respect des libertés syndicales en droit comme en fait. Si cette procédure protège les gouvernements contre des accusations déraisonnables, ceux-ci voudront bien reconnaître à leur tour l'importance qu'il y a à ce qu'ils présentent, en vue d'un examen objectif, des réponses détaillées aux accusations qui pourraient être dirigées contre eux. [Voir 1er rapport du comité, paragr. 31.]
- 586. Enfin, le comité exprime sa profonde préoccupation devant le fait qu'il s'agit de la troisième plainte déposée contre le gouvernement d'Haïti dans les derniers dix-huit mois sans que ce dernier ne fasse parvenir quelque information que ce soit au comité. Il exprime l'espoir que le nouveau gouvernement fera preuve de toute la collaboration nécessaire dans l'avenir concernant les plaintes déposées contre lui devant le comité.
- 587. Le comité note que la présente plainte concerne des allégations de sanctions pour faits de grève et d'actes de discrimination antisyndicale. S'agissant des allégations de sanctions prises à l'encontre des enseignants suite à la grève d'octobre 1999, le comité observe que, selon l'organisation plaignante, 11 enseignants, dont trois dirigeants de la CNEH, ont reçu une mise en disponibilité sans solde pour motifs graves, et ce un mois après le déclenchement de la grève. Le comité prend note de la déclaration de la CNEH selon laquelle, depuis janvier 2000, un seul de ces dirigeants a été réintégré dans ses fonctions alors qu'un second aurait été victime d'un transfert injustifié et que le troisième, Mme Roy, n'a toujours pas été réintégré. Aucune indication n'est toutefois donnée concernant le sort des huit autres enseignants. A cet égard, le comité rappelle qu'il a toujours reconnu aux travailleurs et à leurs organisations le droit de grève comme moyen légitime de défense de leurs intérêts économiques et sociaux. De plus, nul ne devrait faire l'objet de sanctions pour avoir déclenché ou tenté de déclencher une grève légitime. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 474 et 590.] Dans le cas d'espèce et selon les informations disponibles au dossier, rien ne permet de déclarer que la grève déclenchée par les enseignants suite à de longues et infructueuses négociations avec le gouvernement était illégale puisque la législation haïtienne octroie le droit de grève aux enseignants et qu'un préavis avait été déposé. Le comité insiste sur le fait que le respect des principes de la liberté syndicale exige que l'on ne puisse ni licencier des travailleurs ni refuser de les réengager, en raison de leur participation à une grève légitime ou à toute autre action de revendication. En conséquence, le comité demande au gouvernement de prendre sans délai les mesures nécessaires pour que tous les enseignants, y compris les dirigeants de la CNEH, qui ont fait l'objet de sanctions suite à leur participation à la grève d'octobre 1999 soient immédiatement réintégrés dans leurs fonctions respectives. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé à cet égard.
- 588. S'agissant des allégations de discrimination antisyndicale à l'encontre de 77 enseignants membres de la CNEH qui ont vu leurs salaires d'octobre 1999 réduits suite à leur participation à la grève, le comité constate que, la grève ayant débuté le 4 octobre, les déductions de salaire pour les jours de grève en octobre semblent correspondre à la durée de la grève et que si c'est le cas, cette mesure ne peut être assimilée à une sanction pour faits de grève.
- 589. S'agissant des allégations d'embauche de non-enseignants pour combler les places d'enseignants en grève, le comité, en l'absence d'informations détaillées de la part de l'organisation plaignante et de réponse du gouvernement, ne peut que rappeler que l'embauche de travailleurs pour briser une grève dans un secteur qui ne saurait être considéré comme un secteur essentiel au sens strict du terme constitue une violation grave de la liberté syndicale. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 570.] Rappelant que le secteur de l'enseignement ne constitue pas un service essentiel au sens strict du terme, le comité demande au gouvernement de s'abstenir d'avoir recours à l'embauche de travailleurs non enseignants pour remplacer les enseignants grévistes.
- 590. Enfin, s'agissant des allégations relatives au fait que le gouvernement vient de favoriser la création d'un syndicat d'enseignants en novembre 2000, le comité rappelle que seul le développement d'organisations libres et indépendantes peut permettre à un gouvernement d'affronter les problèmes économiques et sociaux et de les résoudre au mieux des intérêts des travailleurs et de la nation. Le comité souligne à nouveau l'importance qu'il attache au respect de la Résolution de 1952, adoptée par la Conférence internationale du Travail à sa 35e session, concernant l'indépendance du mouvement syndical. Rappelant que les gouvernements ne devraient pas chercher à transformer le mouvement syndical en un instrument politique qu'ils utiliseraient pour atteindre leurs objectifs et ne devraient pas non plus essayer de s'immiscer dans les fonctions normales d'un syndicat, en prenant prétexte de ses rapports librement établis avec un parti politique [voir Recueil, op. cit., paragr. 451], le Comité demande instamment au gouvernement de s'abstenir de s'ingérer dans la création de syndicats ou de faire preuve de favoritisme ou de discrimination à l'égard d'un syndicat donné.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 591. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité exprime sa profonde préoccupation devant le fait qu'il s'agit en l'espèce de la troisième plainte déposée contre le gouvernement d'Haïti dans les 18 derniers mois, sans que ce dernier fasse parvenir quelque information que ce soit au comité.
- b) Le comité demande au gouvernement de prendre sans délai les mesures nécessaires pour que tous les enseignants, y compris les dirigeants de la CNEH, qui ont fait l'objet de sanctions suite à leur participation à la grève d'octobre 1999 soient immédiatement réintégrés dans leurs fonctions respectives. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé à cet égard.
- c) Rappelant que le secteur de l'enseignement ne constitue pas un service essentiel au sens strict du terme, le comité demande au gouvernement de s'abstenir d'avoir recours à l'embauche de travailleurs non enseignants pour remplacer les enseignants grévistes.
- d) Soulignant l'importance qu'il attache au respect de la Résolution de 1952 concernant l'indépendance du mouvement syndical (adoptée par la Conférence internationale du Travail à sa 35e session), le comité demande instamment au gouvernement de s'abstenir de s'ingérer dans la création de syndicats ou de faire preuve de favoritisme ou de discrimination à l'égard d'un syndicat donné.