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Rapport intérimaire - Rapport No. 325, Juin 2001

Cas no 2082 (Maroc) - Date de la plainte: 31-MARS -00 - Clos

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  1. 433. La plainte faisant l’objet du présent cas figure dans des communications de la Confédération démocratique du travail (CDT) en date des 31 mars, 10 mai et 8 décembre 2000.
  2. 434. Le gouvernement a fait parvenir ses observations dans des communications datées des 20 juillet 2000 et 8 janvier 2001.
  3. 435. Le Maroc a ratifié la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949; en revanche, il n’a pas ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948.

A. Allégations de l’organisation plaignante

A. Allégations de l’organisation plaignante
  1. 436. Dans sa communication du 31 mars 2000, la Confédération démocratique du travail (CDT) explique le contexte des événements qui se sont déroulés au sein de la société Oulmès Sidi Ali, entreprise d’embouteillage d’eau minérale installée à Tarmilet, petit village situé dans une région isolée du pays. Cette entreprise privée, exploitée depuis plus de trente ans par la même famille depuis la fin du protectorat, emploie 340 ouvriers dont 240 sont considérés comme temporaires, même s’ils sont employés de façon permanente depuis plusieurs années. Selon la CDT, le problème essentiel vient du fait que les ouvriers demeurent temporaires malgré une ancienneté atteignant pour beaucoup d’entre eux plus de vingt ans, avec les conséquences suivantes: ils étaient privés d’indemnité d’ancienneté, n’avaient pas de carte de travail ni de bulletin de paie, et ce jusqu’en 1998, année où des luttes ouvrières ont été menées à cet égard par le syndicat affilié à la CDT. Les ouvriers sont suspendus systématiquement tous les trois, quatre ou six mois, sans aucun fondement légal et sans indemnité, dans le seul but de maintenir leur statut temporaire. De plus, la direction refuse d’organiser les élections des représentants du personnel et utilise tous les moyens pour prévenir l’organisation syndicale: tentatives de corruption, renvois, mises à pied, procédures judiciaires non fondées, etc.
  2. 437. Face à ces violations continues des droits syndicaux fondamentaux et aux transgressions des quelques accords existants, les dirigeants syndicaux ont saisi toutes les instances de l’Etat, des autorités locales jusqu’au gouvernement, mais sans aucun résultat. La direction de l’entreprise a réagi négativement aux revendications des travailleurs, concernant essentiellement la titularisation des ouvriers temporaires, et s’est engagée dans un processus de provocation, licenciant six ouvriers et menaçant 150 autres de renvoi. Les ouvriers ont déclenché une grève de 48 heures le 11 décembre 1999, la direction ripostant par la fermeture de l’usine, les ouvriers organisant alors un sit-in afin d’obtenir la réouverture de l’usine et la reprise du travail. Plutôt que de tenter une conciliation, le gouvernement a envoyé des forces de police qui sont intervenues en force lors de l’interruption du jeûne du Ramadan le 16 décembre 1999, semant la terreur dans le village. Le 2 février 2000, 1 200 agents de la gendarmerie et des forces auxiliaires, accompagnés de quatre hélicoptères et de dizaines de véhicules, ont investi Tarmilet. Selon la CDT, les forces de l’ordre ont tiré sur la population avec des balles de caoutchouc, lancé des gaz lacrymogènes, défoncé des portes de maisons, torturé des habitants et arrêté les hommes du village; cette intervention musclée a en outre causé l’avortement d’une femme et la paralysie d’une fillette. Huit ouvriers ont été arrêtés et détenus à la prison de Salé: Abdeslam Driouich, Belhand Ghazi Belarbi, Lahoucine Tazi, Marah Bouazza, El Hachimi Saoudi, Jebbari Assou, Saksaou M’Hamed et Ouziane Amar. Le bureau exécutif de la CDT a tenté de calmer la situation mais en vain, les forces armées empêchant de s’approcher de l’usine. Par la suite, la direction a fait appel à une main-d’œuvre étrangère à l’entreprise pour faire sortir les stocks existant sous la protection des forces publiques. Dans sa communication du 10 mai 2000, la CDT indique que les huit syndicalistes emprisonnés ont été libérés le 5 mai 2000, suite à un accord intervenu le 23 avril entre le gouvernement, le patronat et les centrales CDT et UGTM.
  3. 438. Dans sa communication du 8 décembre 2000, la CDT déclare que la situation n’a pas changé à l’usine Oulmès, que 200 ouvriers sont expulsés de façon abusive, et que la direction de l’usine refuse toujours tout dialogue avec le syndicat, malgré les démarches effectuées auprès des autorités.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 439. Dans sa communication du 20 juillet 2000, le gouvernement indique que la mise à pied de six travailleurs temporaires le 10 décembre 1999 résultait d’un ralentissement des activités durant l’hiver. Les employés de l’entreprise ont déclenché le lendemain une grève de solidarité avec les six travailleurs, et 50 employés ont occupé les locaux. La CDT ayant appelé à une grève de 48 heures, l’entreprise a continué de produire à 50 pour cent de sa capacité pour la saison d’hiver. Les camions ne pouvant entrer dans l’entreprise ni en sortir, la direction a porté plainte auprès des autorités pour entrave à la liberté du travail. Les autorités sont alors intervenues pour assurer la liberté de travailler, expulser les occupants de l’usine et permettre la circulation des camions. Cela a provoqué des heurts avec les travailleurs, qui ont lancé des pierres sur les forces de l’ordre dont plusieurs membres ont été blessés lors de ces incidents, suite auxquels trois travailleurs ont été arrêtés, poursuivis et condamnés à trois mois de prison ferme. Le 17 décembre, la CDT a déclenché une grève illimitée et soumis un cahier de revendications comportant les éléments suivants: augmentation salariale de 30 pour cent; bonus pour la Fête du sacrifice; fourniture d’une ambulance; ouverture d’une cafétéria; établissement d’une coopérative; délivrance des livrets de travail; installation d’un tableau d’affichage syndical; fixation des heures de travail pour les gardes de sécurité.
  2. 440. En vue de trouver une solution au conflit, l’inspection du travail et les autorités locales ont organisé des réunions avec toutes les parties concernées pour atténuer la tension dans l’entreprise et assurer les droits des travailleurs. Lors d’une réunion tenue le 28 décembre, la direction a consenti à installer le tableau d’affichage mais a refusé d’accorder l’augmentation salariale, estimant que les salaires avaient déjà été révisés en septembre 1999. Insatisfait des résultats de la rencontre, le syndicat a décidé de poursuivre la grève et d’organiser un sit-in afin d’empêcher l’entrée et la sortie des camions de la société Oulmès et de ceux d’autres entreprises traitant avec elle. Une cinquantaine de cadres et de techniciens de la société ont néanmoins continué à assurer la production. La Commission nationale d’examen et de conciliation a tenu deux réunions les 20 et 21 janvier 2000, et soumis des propositions de règlement que les parties ont refusées. Le directeur des services de l’emploi a convoqué deux autres réunions les 21 et 24 janvier, durant lesquelles la direction de l’entreprise a promis de verser six mois de salaire aux employés suspendus à condition qu’ils ne reprennent pas le travail avant que soit trouvée une solution concernant leur réintégration. Malgré ces efforts, les grévistes ont refusé de reprendre le travail, arguant que la direction avait refusé certaines de leurs revendications. Le préfet et le directeur des services de l’emploi ont poursuivi leurs efforts pour trouver une solution au conflit, mais sans succès. Devant ce blocage, la direction de la société a déposé une nouvelle plainte pour assurer la liberté du travail et la libre circulation des camions.
  3. 441. Les forces de l’ordre sont intervenues le 2 février 2000 afin d’exécuter la décision judiciaire ordonnant la levée des piquets de grève et la libre circulation des camions et des marchandises. Les forces de l’ordre ont tenté de convaincre les grévistes de se retirer dans le calme et de reprendre le travail; elles ont été alors violemment attaquées par les grévistes et leurs familles à l’aide de pierres, de gourdins et d’armes blanches, et 40 d’entre eux ont été blessés. Suite à ces heurts violents, huit grévistes ont été arrêtés et traduits en justice. Ils ont ensuite bénéficié d’une grâce royale et ont été relaxés.
  4. 442. S’agissant des violations du Code du travail imputées à l’entreprise, les visites effectuées par l’inspection du travail dans l’entreprise et la vérification de ses livres ont démontré que la prime d’ancienneté a été versée à tous les employés et cadres, au nombre de 100. La situation des employés temporaires a été régularisée et ils ont également bénéficié de la prime d’ancienneté à partir de la date à laquelle elle était due. En ce qui concerne les livrets de travail, l’enquête menée par l’inspection du travail révèle que tous les cadres, employés permanents et temporaires de l’entreprise sont liés par des contrats, à durée déterminée ou indéterminée. Les élections des représentants des travailleurs ont été tenues comme prévu: trois membres titulaires et trois suppléants ont été élus. Quant au respect de la liberté syndicale, la direction de l’entreprise tient régulièrement des rencontres avec le bureau exécutif du syndicat, en présence de l’inspection du travail ou des autorités locales, pour examiner divers problèmes. Ainsi, l’entreprise a toujours fourni aux employés et à leurs familles des moyens de transport scolaire, des jardins d’enfants, deux sections pour analphabètes et une cantine; de plus, la direction a pris à sa charge le pèlerinage de certains employés aux Lieux saints. Les salaires sont augmentés annuellement de 5 à 10 pour cent. S’agissant des personnes arrêtées et condamnées, elles ont toutes été relaxées par grâce royale et jouissent de toute leur liberté. Le travail a repris normalement dans l’entreprise, il n’y a plus de tensions sur le plan social et le calme règne dans le village.
  5. 443. Quant aux allégations concernant l’avortement et la paralysie que l’intervention des forces de l’ordre aurait causés, il ressort des informations données par l’inspection du travail que ces faits ne sont pas reliés aux événements, l’avortement ayant eu lieu trois jours avant les faits et la fillette étant paralysée depuis son plus jeune âge.
  6. 444. Dans sa communication du 8 janvier 2001, le gouvernement déclare qu’il poursuit ses efforts pour trouver une solution au différend et créer un climat social stable au sein de la société Oulmès, plusieurs réunions ayant été tenues pour rapprocher les points de vue des parties et trouver une solution au problème des travailleurs licenciés. Le Comité régional de conciliation a tenu une réunion le 22 septembre 2000 en présence de la direction de la société et du syndicat, qui sont toutefois restés sur leurs positions, ce qui a porté le différend au niveau national. Le Comité national pour l’investigation et la réconciliation a tenu une réunion avec les parties le 29 septembre 2000 sous la présidence du directeur du Département du travail, pour tenter de trouver des solutions garantissant le retour des travailleurs licenciés à leur travail. Le comité a soumis plusieurs propositions et le ministère poursuit ses efforts pour régler le différend.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 445. Le comité note que le présent cas concerne divers incidents, notamment une intervention des forces de l’ordre et des arrestations et condamnations de syndiqués durant un conflit du travail dans une société privée.
  2. 446. Le comité relève à cet égard plusieurs contradictions entre les versions de l’organisation plaignante et du gouvernement quant aux responsabilités respectives lors de ce conflit, notamment concernant l’intervention des forces de l’ordre et le recours par l’entreprise à une main-d’œuvre extérieure à l’entreprise au cours de cette grève. En outre, le comité constate que le gouvernement se réfère à une décision judiciaire pour justifier l’intervention des forces de l’ordre sans donner plus de précisions quant à la nature de cette décision. Dans ces conditions, le comité se voit dans l’obligation de demander tant au gouvernement – après consultation de l’entreprise concernée – qu’à l’organisation plaignante des informations complémentaires concernant les allégations et notamment les questions évoquées ci-dessus.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 447. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver la recommandation suivante:
    • Le comité demande au gouvernement de communiquer le texte de la décision judiciaire ayant justifié l’intervention des forces de l’ordre en février 2000 à la société Oulmès; il l’invite également à fournir, après consultation de l’entreprise concernée, des informations sur les allégations, notamment sur le recours à des travailleurs extérieurs à l’entreprise durant le conflit à la société Oulmès. Le comité demande à l’organisation plaignante de fournir tout complément d’information jugé utile.
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