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- 228. Les plaintes faisant l’objet du présent cas figurent dans des communications de l’Association syndicale des employés de justice de la province de Córdoba (AGEPJ) et de la Fédération judiciaire argentine (FJA) des 30 juillet et septembre 2002. Le gouvernement a envoyé ses observations dans des communications des 9 avril et 11 juillet 2003.
- 229. L’Argentine a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, et la convention (nº 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes - 230. Dans leurs communications des 30 juillet et septembre 2002, l’Association syndicale des employés de justice de la province de Córdoba (AGEPJ) et la Fédération judiciaire argentine (FJA) expliquent que, dans le cadre d’un conflit collectif qui s’est déroulé en 2002, pour des motifs salariaux et qui a donné lieu à des recours d’amparo et à des mesures conservatoires favorables aux membres de l’AGEPJ, elles ont convoqué les travailleurs à des réunions pendant la journée de travail en vue d’une mobilisation, comme cela se fait habituellement dans le domaine de l’action syndicale. Les plaignants indiquent que les réunions étaient convoquées pendant la journée de travail mais qu’elles avaient toujours lieu en dehors des espaces ou édifices de l’administration judiciaire; or, en décembre 1996, le tribunal supérieur de justice de la province, dans le cadre d’un autre conflit salarial, a décidé ce qui suit (arrêt no 300, série A): point III – «à compter de ce jour, il est interdit d’organiser dans les dépendances de l’administration judiciaire des assemblées, réunions ou manifestations collectives de quelque type que ce soit. La participation ou la présence à des réunions, assemblées ou manifestations de ce type ou la convocation de telles réunions, assemblées ou manifestations sera considérée comme une faute grave, susceptible de licenciement.» Par ailleurs, au point IV de l’arrêt, le tribunal suprême de la province de Córdoba disposait ce qui suit: «est interdite, aux mêmes fins et avec les mêmes conséquences, toute manifestation bruyante susceptible de nuire au déroulement normal de l’activité dans les différents tribunaux ou dépendances de cette administration».
- 231. Dans ce contexte, et bien que l’organisation syndicale, pour protéger ses membres, les ait convoqués en dehors des dépendances de l’administration judiciaire pour ne pas enfreindre l’arrêt no 300, le tribunal supérieur de justice, témoignant nouvellement d’un comportement manifestement antisyndical, a ordonné à tous les participants aux réunions des 13 et 14 mars 2002 de justifier leur absence du lieu de travail, absence qui contrevient au règlement interne régissant la présence et les congés du personnel. Les participants s’étant exécutés en confirmant leur participation aux réunions convoquées par l’organisation syndicale à l’occasion du conflit en question, le tribunal supérieur de justice a rendu la décision suivante (arrêt no 119, série A, du 26 mars 2002): «… 1) Recommander aux agents de cette administration judiciaire qu’ils s’abstiennent désormais de s’absenter de leur lieu de travail pour assister à des réunions syndicales convoquées pendant les heures de travail, sous peine de se voir appliquer les sanctions pertinentes…». Autrement dit, il ne s’agissait plus d’interdire l’organisation de réunions dans les locaux dépendant de l’administration judiciaire uniquement (arrêt no 300, série A, susmentionné) mais également en dehors de ces locaux pendant la journée de travail; était ainsi démontrée la volonté de l’employeur de broyer toute possibilité de revendication syndicale, y compris de détruire la viabilité de la protestation ou de la défense des droits enfreints, attitude susceptible de déboucher à plus ou moins brève échéance sur l’interdiction de recourir à des actions revendicatives ou à la grève pendant les heures de travail ou les jours ouvrables, le droit des travailleurs à se défendre, à se réunir, à s’organiser librement ou à revendiquer étant de ce fait circonscrit aux samedis et aux dimanches.
- 232. L’arrêt no 300 du 6 décembre 1996 ainsi que l’arrêt no 119, série A, du 26 mars 2002, portent atteinte aux droits et obligations établis par la loi sur les associations syndicales et son décret réglementaire. Les plaignants ajoutent que les décisions de l’autorité judiciaire sont antijuridiques parce qu’elles visent à réglementer de façon unilatérale et arbitraire l’exercice des droits syndicaux en la matière, ce qui n’a jamais été fait par le législateur. Les déviations que nous mettons en lumière portent atteinte aux travailleurs de l’administration judiciaire en particulier mais risquent de nuire à l’ensemble des travailleurs et de leurs syndicats, lesquels, désormais, doivent tenir compte de cet antécédent qui limite l’action syndicale dans les entreprises et organismes de l’Etat.
- 233. Les plaignants indiquent que la loi sur les associations syndicales n’autorise pas l’employeur à décider à la place des travailleurs syndiqués du moment où ils doivent exercer leurs droits, ni de la façon de le faire. La formule ouverte employée par la loi (droit de réunion sans nécessité d’autorisation préalable) est compatible avec la nature des conflits du travail et protège dans chaque cas l’exercice effectif de la liberté syndicale. Et, s’il est vrai qu’elle ne précise pas le lieu où ce droit doit s’exercer, il n’en est pas moins vrai – comme elle l’établit elle-même – que la non-obligation d’obtenir l’autorisation préalable de l’employeur se réfère au lieu de travail, le droit de réunion en dehors du lieu de travail étant garanti par la Constitution nationale.
- 234. Les organisations plaignantes signalent qu’au vu de la situation décrite, le 30 avril 2002 elles ont sollicité l’intervention du ministère du Travail et de la Sécurité sociale de la nation pour qu’il soit mis fin à cette manifestation d’arbitraire et à cette grave violation de la liberté syndicale de la part du tribunal supérieur. Une enquête a été ouverte (dossier 1.056.692) qui présente dans le détail le conflit et fait état de la décision du ministère de convoquer les parties afin de trouver une issue.
- 235. En réponse à cette convocation, le tribunal supérieur en date du 28 mai 2002 a contesté de façon péremptoire la compétence du ministère du Travail, et il n’existe pas de recours administratifs ou judiciaires pouvant mettre un terme à ce conflit (arrêt no 247, série A).
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement - 236. Dans ses communications des 9 avril et 11 juillet 2003, le gouvernement déclare que le conflit relatif aux salaires, mentionné par l’organisation plaignante, s’est réglé en vertu de l’arrêt no 163, série C, du 20 décembre 2002 (rés. 171), et qu’il a été décidé d’allonger la journée de travail et d’augmenter la rémunération en conséquence à compter du 1er janvier 2003.
- 237. En ce qui concerne l’allégation relative à l’interdiction de tenir des réunions pendant les heures de travail dans les bâtiments de l’administration judiciaire de la province de Córdoba, le gouvernement déclare que cette interdiction est réglementée par l’arrêt no 300 «A» du 6 décembre 1996. Cet arrêt découle de la publication du rapport de la présidente du corps judiciaire, concernant les événements du 5 décembre 1996 au matin, date à laquelle, semble-t-il, à l’issue d’une réunion ou d’une assemblée convoquée par le personnel membre de l’Association syndicale des employés de justice de la province, un groupe de participants a effectué une marche bruyante à travers les locaux et jusqu’aux salles qu’occupe le tribunal supérieur de justice, endroit où s’est alors déroulée une manifestation tonitruante accompagnée d’agressions verbales et physiques contre des membres du tribunal et d’autres employés ou fonctionnaires ainsi que de coups frappés contre la porte de différents bureaux.
- 238. Le gouvernement signale que le service de la justice requiert sans aucune exception possible que le pouvoir judiciaire soit présent sur ses lieux de travail pendant les heures d’ouverture au public. Il y a lieu de souligner que ce service en charge de cette compétence – l’Etat provincial – correspond à une fonction propre, essentielle et qui ne peut être déléguée, dont le principal responsable est le tribunal supérieur de justice, garant de l’exécution efficiente, et que pour cette raison même doivent s’appliquer des mesures internes propres à prévenir les situations susceptibles de perturber ou détériorer la prestation de ce service. Les principes de l’efficacité, de l’efficience et de la prestation ininterrompus sont particulièrement importants dans l’organisation de la justice, en raison du monopole exercé par l’Etat, ce qui justifie l’impérieuse nécessité de les garantir. C’est la raison pour laquelle les réunions d’information ou d’une autre nature convoquées par l’entité syndicale à l’intention du personnel de l’administration judiciaire ne peuvent avoir lieu qu’en dehors des heures de service.
- 239. S’absenter de son lieu de travail pour assister à une réunion va à l’encontre du devoir de présence sur le lieu de travail et de prestation de service personnel et non susceptible d’être délégué que la relation d’emploi dans l’administration judiciaire suppose. Aussi, le droit de réunion à des fins syndicales peut s’exercer sans autorisation ni consentement de l’employeur uniquement dans les cas où la réunion se tient en dehors des heures de service et, en ce qui concerne l’administration judiciaire, en dehors des dépendances qui lui appartiennent.
- 240. Le gouvernement indique que le tribunal supérieur de justice reconnaît le droit des travailleurs de cette administration de se réunir; il n’admet pas pour autant que la législation du travail en vigueur octroie aux travailleurs en général (et à ceux de l’administration judiciaire en particulier) le droit de s’absenter de leur lieu de travail pendant les heures de service pour assister à des réunions convoquées par leur syndicat. Le droit reconnu aux travailleurs de se réunir et de mener des activités syndicales doit s’interpréter de façon raisonnable conformément à la nature même de l’activité judiciaire, sous peine de courir le risque que tout le personnel s’absente de son lieu de travail, à tout moment, aux fins mentionnées (assister à une réunion). Aucune de ces conclusions n’a été contestée par les plaignants.
- 241. Le gouvernement affirme que l’interprétation de la loi no 23551 sur les associations syndicales et le critère de discernement qui s’impose montrent que l’activité judiciaire suppose un service permanent (aux horaires réglementaires), étant donné que la nature même de cette administration garantit à tous les citoyens le droit constitutionnel d’accès à la justice.
- 242. Le gouvernement ajoute qu’il ne s’agit ni d’ignorer ni de nier le droit des employés de l’administration judiciaire de se réunir ou de participer à des assemblées convoquées par l’association syndicale, sous réserve que cela se fasse en dehors du lieu et des heures de travail. Le gouvernement par ailleurs confirme que le tribunal supérieur de justice a l’obligation constitutionnelle de réglementer le mode de prestation de services de ses agents, en s’appuyant sur la doctrine émanant de la Cour suprême de justice de la nation, laquelle dispose que «les relations entre les employés des administrations provinciales et le gouvernement dont ils dépendent sont régies par les dispositions locales constitutives du droit administratif applicable».
- 243. Enfin, le gouvernement considère que la décision adoptée par le tribunal d’une certaine manière contrevient aux dispositions de la convention no 87 de l’OIT. La limitation du droit de réunion sur le lieu de travail et pendant les heures d’ouverture au public n’est pas motivée par la volonté d’empêcher l’action collective mais par celle de garantir la continuité et la prestation normale du service judiciaire, de réunir les conditions requises pour le fonctionnement d’un service essentiel qu’il est impossible de suspendre, et enfin de permettre la libre circulation des plaidants et du public en général.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité - 244. Le comité observe que les organisations plaignantes expriment des objections concernant deux décisions («ordonnances») du tribunal supérieur de justice de la province de Córdoba qui visent à interdire l’organisation dans les dépendances de l’administration judiciaire d’assemblées, de réunions ou de manifestations collectives et recommandent aux agents de cette administration de s’abstenir de s’absenter de leur lieu de travail pour assister à des réunions syndicales lorsqu’elles sont convoquées pendant les heures de service.
- 245. A cet égard, le comité note que, selon le gouvernement: 1) l’interdiction a été imposée et fixée dans le règlement en 1996 à l’issue d’une réunion syndicale au cours de laquelle un groupe de participants s’est livré à des abus et, en particulier, a organisé une marche bruyante à travers les locaux accompagnée d’agressions verbales et personnelles contre des membres du tribunal supérieur de justice et en frappant des coups contre les portes des bureaux; 2) le service de la justice suppose que le personnel judiciaire soit présent sur son lieu de travail pendant les heures d’ouverture au public; 3) le droit des travailleurs de l’administration judiciaire de se réunir en assemblée est certes reconnu, mais cela n’entraîne pas le droit de s’absenter de son lieu de travail pendant les heures de service; 4) la limitation du droit de réunion sur le lieu de travail et pendant les heures d’ouverture au public n’a pas été établie pour entraver l’action collective mais pour garantir la continuité et le fonctionnement du service judiciaire.
- 246. Le comité rappelle que le droit de réunion est un élément essentiel pour que les organisations syndicales puissent mener à bien leurs activités et qu’il appartient aux employeurs et aux organisations de travailleurs de fixer d’un commun accord les modalités d’exercice de ce droit. Le comité rappelle en outre que la convention (nº 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978 – ratifiée par l’Argentine –, prévoit à l’article 6 que des facilités doivent être accordées aux représentants des organisations d’agents publics reconnues, de manière à leur permettre de remplir rapidement et efficacement leurs fonctions aussi bien pendant leurs heures de travail qu’en dehors de celles-ci et que l’octroi de telles facilités ne doit pas entraver le fonctionnement efficace de l’administration ou du service intéressé. Dans ces conditions, le comité demande au gouvernement d’inviter les parties à négocier afin d’aboutir à un accord sur les modalités d’exercice du droit de réunion, y compris le lieu desdites réunions, ainsi que sur l’octroi des facilités prévues à l’article 6 de la convention no 151.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 247. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité rappelle que le droit de réunion est un élément essentiel pour que les organisations syndicales puissent mener à bien leurs activités et qu’il appartient aux employeurs et aux organisations de travailleurs de fixer d’un commun accord les modalités d’exercice de ce droit.
- b) Le comité rappelle en outre que la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978 – ratifiée par l’Argentine –, prévoit à l’article 6 que des facilités doivent être accordées aux représentants des organisations d’agents publics reconnues, de manière à leur permettre de remplir rapidement et efficacement leurs fonctions aussi bien pendant leurs heures de travail qu’en dehors de celles-ci et que l’octroi de telles facilités ne doit pas entraver le fonctionnement efficace de l’administration ou du service intéressé.
- c) Dans ces conditions, le comité demande au gouvernement d’inviter les parties à négocier afin d’aboutir à un accord sur les modalités d’exercice du droit de réunion, y compris le lieu desdites réunions, ainsi que sur l’octroi des facilités prévues à l’article 6 de la convention no 151.