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- 1284. La plainte est contenue dans une communication de la Confédération des syndicats des agents publics (KESK) datée du 9 juillet 2004. Dans une communication datée du 1er septembre 2005, l’Internationale de l’éducation (IE) s’est associée à ce cas et a fourni des informations supplémentaires.
- 1285. Le gouvernement a répondu dans des communications datées du 30 septembre 2004 et des 6 janvier, 29 mars, 15 avril et 25 juillet 2005.
- 1286. La Turquie a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, et la convention (nº 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978.
A. Allégations des plaignants
A. Allégations des plaignants- 1287. Dans une communication datée du 9 juillet 2004, la KESK indique que le 10 juin 2004 le Procureur général d’Ankara a engagé une action en justice visant le Syndicat des travailleurs de la fonction publique, section de l’enseignement (Egitim Sen), qui est affilié à la KESK, en vue de dissoudre le syndicat conformément aux articles 3 et 42 de la Constitution nationale et aux articles 20 et 37 de la loi no 4688 sur les syndicats des agents publics. Cette action en justice était motivée par le fait que l’un des articles des statuts d’Egitim Sen (l’article 2 b)) disposait qu’«Egitim Sen [avait] pour objet de défendre l’enseignement démocratique, séculier, scientifique et libre et le droit de tous les citoyens de recevoir un enseignement dans leur langue maternelle et de bénéficier du développement de leur culture, conformément à leurs droits de l’homme et libertés fondamentaux».
- 1288. Selon la KESK, l’article 3 de la Constitution nationale dispose ce qui suit: «L’Etat turc constitue, de même que le territoire et la nation, une entité indivisible.» L’article 42 de la Constitution nationale dispose ce qui suit: «Aucune autre langue que le turc ne sera enseignée aux citoyens turcs en tant que langue maternelle ni ne servira pour donner des cours dans un établissement de formation ou d’enseignement. Les langues étrangères qui seront enseignées dans les établissements de formation ou d’enseignement et les règles qui seront suivies par les écoles offrant une formation et un enseignement dans une langue étrangère seront déterminées par la loi. Les dispositions des traités internationaux sont réservées.» Par ailleurs, l’article 20 de la loi no 4688 dispose que «l’administration et les organes des syndicats et de leurs confédérations établis conformément à la présente loi n’agiront pas en contradiction avec les caractéristiques des principes de la République et des principes démocratiques». Aux termes de l’article 37 de la même loi, «les syndicats et leurs confédérations qui agissent en contradiction avec les caractéristiques des principes de la République et des principes démocratiques consacrés dans la Constitution seront fermés à la demande du Procureur général de la ville où ils ont leur bureau central». Enfin, l’article 6 de la loi no 4688 dispose que, s’il est déterminé que la loi est violée ou que les conditions prescrites dans la loi n’ont pas été respectées, le gouverneur responsable exigera du syndicat concerné qu’il rectifie les omissions dans un délai d’un mois, faute de quoi il saisira le tribunal du travail compétent pour faire interdire les activités du syndicat. En pareil cas, le tribunal octroiera au syndicat un délai de 60 jours pour rectifier les omissions. Si les statuts et les documents ne sont pas modifiés conformément à la loi à l’expiration de ce délai, le tribunal prendra la décision de dissoudre le syndicat.
- 1289. Selon la KESK, il était évident au vu des considérations qui précèdent qu’il n’était possible d’engager une action en justice visant un syndicat ou une confédération en vue de dissoudre un syndicat que lorsque le syndicat avait agi en contradiction avec les principes de la République et principes démocratiques énoncés dans la Constitution. Or le motif indiqué par le Procureur général pour demander la dissolution était simplement qu’Egitim Sen n’avait pas modifié un article de ses statuts. C’est pourquoi l’action en justice n’était pas conforme à l’article 37 de la loi no 4688. Au lieu de cela, c’est la procédure énoncée à l’article 6 de la loi no 4688 qui devrait s’appliquer.
- 1290. La KESK a ajouté que l’article 2 b) des statuts d’Egitim Sen défendait le droit de recevoir un enseignement dans sa langue maternelle et de bénéficier du développement de sa propre culture dans un esprit très démocratique qui était conforme aux lois de la République. Le Gouverneur d’Ankara avait déjà demandé au Procureur général, le 29 mars 2002, de prendre les mesures nécessaires pour dissoudre le syndicat, mais le Procureur général n’avait trouvé aucun motif justifiant une action en justice. Le ministère du Travail et de la Sécurité sociale avait indiqué que les statuts étaient compatibles avec la loi et la Constitution. En outre, depuis cette date, beaucoup de lois et de règlements avaient été modifiés en Turquie et, en vertu de l’article 11 de la loi no 4771, publiée au Journal officiel le 9 août 2002, les citoyens turcs avaient désormais légalement la possibilité d’apprendre différentes langues et différents dialectes parlés. Le Pacte international des Nations Unies relatif aux droits économiques, sociaux et culturels avait été ratifié par l’Assemblée nationale, et l’article 90 de la Constitution nationale avait été modifié de sorte qu’en cas de contradiction entre des conventions internationales ratifiées et la législation nationale les conventions internationales prévaudraient. Enfin, en vertu de règlements publiés le 15 décembre 2003 concernant les possibilités pour les citoyens turcs d’apprendre différentes langues et différents dialectes qui étaient parlés dans la vie quotidienne, il était devenu possible d’apprendre et de développer différentes langues. Les statuts d’Egitim Sen étaient donc clairement compatibles avec la législation.
- 1291. La KESK a conclu que, même s’il n’y avait plus d’obstacle légal à la défense du droit de recevoir un enseignement dans sa langue maternelle en Turquie, le fait d’engager une action en justice infondée contre Egitim Sen et sa direction constituait une violation des principes de la liberté syndicale, de l’article 3 de la convention no 87 et de l’article 5, paragraphe 2, de la convention no 151.
- 1292. Dans une communication en date du 1er septembre 2005, l’Internationale de l’éducation a indiqué que le 25 mai la Cour suprême de Turquie a ordonné la dissolution d’Egitim Sen. Le 3 juillet, lors d’une assemblée générale extraordinaire d’Egitim Sen, il a été décidé de supprimer des statuts du syndicat l’article qui a motivé la décision de la Cour suprême. Par conséquent, selon Egitim Sen, il n’y avait plus de raison juridique pour la fermeture du syndicat et le cas devrait être clos. Néanmoins, la menace de la dissolution d’Egitim Sen persistait dans la mesure où le tribunal du travail devait rendre une décision sur la base de la décision finale de la Cour suprême avant la fin août 2005.
- B. Réponse du gouvernement
- 1293. Dans une communication datée du 30 septembre 2004, le gouvernement a indiqué qu’en Turquie les droits des agents publics de s’organiser et de négocier collectivement étaient régis par les dispositions de la loi no 4688 du 25 juin 2001 sur les syndicats des agents publics, qui reprenait les principes énoncés dans les conventions nos 87, 98 et 151. Les allégations de la KESK au nom de son institution affiliée, le Syndicat des travailleurs de la fonction publique, section de l’enseignement (Egitim Sen), concernaient les procédures légales établies par la loi no 4688 visant les violations des dispositions de la loi. Ces violations devaient être déterminées au moment de l’établissement des syndicats par le gouverneur compétent conformément à l’article 6 de la loi.
- 1294. Le gouvernement a par ailleurs indiqué que l’action en justice engagée le 10 juin 2004 en vue de la dissolution d’Egitim Sen (dossier no 2004/833) avait été rejetée à la suite d’une audience datée du 15 septembre 2004 par le deuxième tribunal du travail d’Ankara (décision no 2004/752).
- 1295. Dans une communication datée du 6 janvier 2005, le gouvernement a ajouté que la décision du deuxième tribunal du travail d’Ankara rejetant l’action en justice avait fait l’objet d’un appel devant la 9e chambre de la Cour suprême, qui avait annulé la décision initiale dans une décision du 3 novembre 2004 (no 2004/24792).
- 1296. Dans ses communications datées du 29 mars et du 15 avril 2005, le gouvernement a transmis les décisions susmentionnées du deuxième tribunal du travail d’Ankara et de la 9e chambre de la Cour suprême. Le gouvernement a ajouté que, durant le réexamen de l’affaire le 21 février 2005, le deuxième tribunal du travail d’Ankara avait confirmé sa décision initiale de rejeter la demande de dissolution. Lorsque cette décision confirmant le jugement initial a été rendue, le dossier a été renvoyé devant l’assemblée générale de la chambre juridictionnelle de la Cour suprême en vue d’un verdict final.
- 1297. Dans une communication datée du 25 juillet 2005, le gouvernement a indiqué que, le 25 mai 2005, l’assemblée générale de la chambre juridictionnelle de la Cour suprême avait à nouveau annulé la seconde décision du deuxième tribunal du travail d’Ankara pour les raisons énoncées auparavant par la 9e chambre de la Cour suprême. Cette décision finale avait été rendue à l’unanimité, mais pour des motifs différents qui n’avaient pas encore été publiés. Le gouvernement a ajouté qu’Egitim Sen avait adressé une communication au ministère du Travail et de la Sécurité sociale le 6 juillet 2005 présentant ses statuts, dont l’article 2, paragraphe b), avait été modifié de façon à supprimer l’expression «enseignement dans la langue maternelle». Le gouvernement a joint en annexe la version modifiée des statuts.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 1298. Le comité observe que le présent cas concerne des allégations selon lesquelles le Procureur général d’Ankara a engagé une action en justice le 10 juin 2004 au titre de l’article 37 de la loi no 4688 sur les syndicats des agents publics (qui dispose que «tout syndicat ou confédération menant des activités contre les attributs de l’Etat, tels qu’énoncés dans la Constitution, ou contre les principes démocratiques, sera dissous par le tribunal du travail local, à la demande du procureur public»), demandant aux tribunaux d’ordonner la dissolution du Syndicat des travailleurs de la fonction publique, section de l’enseignement (Egitim Sen), parce que ses statuts disposaient que l’un des objets du syndicat était la défense du «droit de tous les citoyens de recevoir un enseignement dans leur langue maternelle et de bénéficier du développement de leur culture», ce qui était contraire, selon le Procureur général, aux dispositions constitutionnelles et législatives prohibant l’enseignement de toute langue autre que le turc en tant que langue maternelle, et à l’article 3 de la Constitution qui dispose que l’Etat turc, de même que la nation et le territoire, constitue une entité indivisible.
- 1299. Le comité note, au vu du texte des décisions judiciaires transmises par le gouvernement, que le tribunal de première instance (deuxième tribunal du travail d’Ankara) a rejeté la demande en vue d’obtenir un ordre de dissolution d’Egitim Sen au motif que la disposition contestée de ses statuts ne constituait pas un risque pour l’unité de la nation et du territoire de la République et que cette disposition n’était pas contraire aux articles 10 et 11 de la Convention européenne des droits de l’homme concernant, respectivement, le droit à la liberté d’expression, à savoir le droit d’avoir des opinions et de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir d’ingérence des autorités publiques; et le droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder des syndicats et de s’y affilier pour la défense de ses intérêts.
- 1300. Le comité note d’autre part que la 9e chambre de la Cour suprême a décidé d’annuler la décision du tribunal de première instance, statuant que l’expression en cause n’était pas conforme aux précautions nécessaires pour assurer l’unité de l’Etat et était contraire aux articles 3 et 42 6) de la Constitution, ainsi qu’à l’article 20 de la loi no 4688. La Cour suprême a donc décidé qu’Egitim Sen devrait être dissous conformément à l’article 37 de la loi no 4688. La Cour suprême a fondé sa décision sur les motifs suivants: i) aux termes de l’article 3 f) de la loi no 4688, un syndicat était une institution dotée de la personnalité morale et ayant pour objet la défense et le développement des droits et intérêts sociaux, économiques et professionnels des agents publics; les objectifs d’Egitim Sen allaient au-delà de ceux mentionnés à l’article 3 f) de la loi no 4688 dans la mesure où ils incluaient «le droit de tous les citoyens de recevoir un enseignement dans leur langue maternelle et de bénéficier du développement de leur culture»; un syndicat devrait avoir pour unique objet la défense des intérêts sociaux et économiques communs de ses membres, et l’insistance avec laquelle Egitim Sen avait refusé de modifier ses statuts était un motif de suspicion et prouvait que ce syndicat exerçait des activités ne relevant pas des objectifs normaux d’un syndicat; ii) cette disposition figurant dans les statuts d’Egitim Sen était contraire à l’article 42 de la Constitution nationale et à l’article 2 des lois nos 2925 et 4771 (telle que modifiée), qui disposaient tous qu’aucune autre langue que le turc ne pouvait être enseignée aux citoyens turcs en tant que langue maternelle ni servir pour donner des cours dans des établissements de formation et d’enseignement, ainsi qu’à l’article 3 de la Constitution nationale qui disposait que «l’Etat turc, de même que la nation et le territoire, constitue une entité indivisible»; ces dispositions constitutionnelles et législatives constituaient, selon la Cour suprême, des garde-fous nécessaires dans une société démocratique pour la défense de la sécurité nationale, de la sécurité et de l’ordre publics; elles visaient à éviter toute expression contraire à l’unité de l’Etat. Le 21 février 2005, la décision du deuxième tribunal du travail d’Ankara, adoptée suite au renvoi du cas, a confirmé sa décision antérieure rejetant la demande de dissolution. Enfin, le 25 mai 2005, en deuxième appel, l’assemblée générale de la chambre juridictionnelle de la Cour suprême a confirmé sa décision antérieure et annulé, une nouvelle fois, la décision du tribunal de première instance, pour les motifs auparavant énoncés par la 9e chambre de la Cour suprême.
- 1301. Le comité note d’autre part, sur la base des informations fournies par le gouvernement, que dans une communication datée du 6 juillet 2005 Egitim Sen a informé le ministère du Travail et de la Sécurité sociale que ses statuts avaient été modifiés de façon à supprimer l’expression «enseignement dans la langue maternelle».
- 1302. Observant qu’Egitim Sen s’était conformé à la décision finale de la Cour suprême, le comité note aussi l’allégation du plaignant selon laquelle les statuts d’Egitim Sen, y compris la référence à l’enseignement dans la langue maternelle, étaient clairement compatibles avec la législation, et la demande en vue d’obtenir un ordre de dissolution était infondée et contraire à l’article 37 de la loi no 4688 pour les motifs suivants: i) Egitim Sen n’avait pas réellement agi en contradiction avec les principes de la République mais avait simplement refusé de modifier un article de ses statuts (ainsi, toute procédure visant ce syndicat devrait être fondée sur l’article 6 et non pas l’article 37 de la loi no 4688); ii) en mentionnant l’intention de défendre le droit des citoyens de recevoir un enseignement dans leur langue maternelle et de bénéficier du développement de leur culture, l’article 2 b) des statuts d’Egitim Sen ne violait aucune loi mais, au contraire, dénotait un esprit purement démocratique qui était conforme aux lois de la République – raison pour laquelle une demande antérieure présentée par le Gouverneur d’Ankara en vue d’obtenir un ordre de dissolution de ce syndicat avait été rejetée par le Procureur général en 2002; iii) en outre, depuis cette date, beaucoup de lois et règlements avaient été modifiés en Turquie et, en vertu de l’article 11 de la loi no 4771 de 2002, les citoyens turcs avaient désormais la possibilité d’apprendre légalement différentes langues et différents dialectes parlés. En particulier, en vertu des règlements publiés le 15 décembre 2003 concernant les possibilités pour les citoyens turcs d’apprendre différentes langues et différents dialectes qui étaient parlés dans la vie quotidienne, il était devenu possible d’apprendre et de développer différentes langues.
- 1303. Le comité souligne que des mesures de dissolution d’un syndicat, compte tenu en particulier des graves conséquences en jeu en ce qui concerne la représentation professionnelle des travailleurs, devraient être appliquées avec la plus grande prudence et seulement lorsque des actes graves ont été dûment prouvés. Le comité prend note de la préoccupation exprimée par Egitim Sen concernant le fait qu’il puisse toujours être dissous malgré les mesures qu’il avait adoptées en vue de supprimer de ses statuts l’article en cause, et veut croire que cela ne sera pas le cas. Il demande au gouvernement de l’informer de la situation actuelle d’Egitim Sen.
- 1304. Le comité demande également au gouvernement de fournir des renseignements supplémentaires concernant la question de la contradiction entre les statuts d’Egitim Sen et la Constitution nationale, et les conséquences que la décision finale du tribunal pourrait avoir sur la liberté syndicale.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 1305. Compte tenu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité prend note de la préoccupation exprimée par Egitim Sen concernant le fait qu’il puisse toujours être dissous malgré les mesures qu’il avait adoptées en vue de supprimer de ses statuts l’article en cause, et veut croire que cela ne sera pas le cas. Il demande au gouvernement de l’informer de la situation actuelle d’Egitim Sen.
- b) Le comité demande au gouvernement de fournir des informations supplémentaires concernant les contradictions entre les statuts d’Egitim Sen et la Constitution nationale, et les conséquences que le jugement final du tribunal pourrait avoir sur la liberté syndicale.