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Rapport définitif - Rapport No. 338, Novembre 2005

Cas no 2375 (Pérou) - Date de la plainte: 30-JUIL.-04 - Clos

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  1. 1211. La plainte figure dans une communication de l’Organisation internationale des employeurs (OIE) datée du 30 juillet 2004; l’OIE a présenté ladite plainte au nom de Confédération nationale des institutions d’employeurs du secteur privé (CONFIEP) et de la Chambre péruvienne de la construction (CAPECO).
  2. 1212. En dépit du temps écoulé, le gouvernement n’avait fourni aucune réponse relative aux allégations restées en instance. Le comité a par conséquent adressé lors de sa session de mai-juin 2005 [voir 337e rapport, paragr. 10, approuvé par le Conseil d’administration à sa 293e réunion (juin 2005)] un appel urgent au gouvernement pour attirer son attention sur le fait que, conformément à la règle de procédure en vigueur, il pourrait présenter un rapport sur le fond de ces affaires, si ses informations et observations n’étaient pas envoyées à temps. Depuis, le comité n’a reçu aucune réponse du gouvernement.
  3. 1213. Le Pérou a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations des organisations plaignantes

A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 1214. Dans leur communication du 30 juillet 2004, l’Organisation internationale des employeurs (OIE), la Confédération nationale des institutions d’employeurs du secteur privé (CONFIEP) et la Chambre péruvienne de la construction (CAPECO) présentent une plainte pour violation des principes de la liberté syndicale et du droit de négociation collective énoncés dans la convention no 98 de l’OIT, que le Pérou a ratifiée le 13 mars 1964. En effet, les organisations plaignantes signalent que le gouvernement a édicté des dispositions juridiques qui imposent au secteur de la construction civile l’obligation de négocier par branche d’activité. Cette obligation porte atteinte au droit fondamental de déterminer, librement et volontairement, le niveau de négociation entre employeurs et travailleurs, et est contraire aux recommandations du Comité de la liberté syndicale et de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations.
  2. 1215. En raison de ce qui précède, les organisations plaignantes demandent au Comité de la liberté syndicale de prier le gouvernement de modifier la législation afin qu’elle soit conforme aux dispositions de la convention no 98 de l’OIT et permette aux parties concernées par un processus de négociation collective – tant les employeurs que les travailleurs – d’être totalement libres de choisir le niveau auquel elles souhaitent négocier.
  3. 1216. Les organisations plaignantes relèvent que l’article 4 de la convention no 98 comprend deux éléments essentiels, qui sont les mesures que les autorités publiques doivent prendre pour promouvoir la négociation collective, et le caractère volontaire du recours à la négociation, qui garantit l’autonomie des parties dans la négociation. En résumé, les droits de pouvoir fixer librement et en toute autonomie le niveau de la négociation sont des libertés fondamentales dont l’OIT a constamment défendu la validité dans ses avis et déclarations.
  4. 1217. La législation actuelle du Pérou a toutefois décrété spécifiquement par l’article 46 de la loi no 27912, qui est entrée en vigueur le 9 janvier 2003, que «si un niveau de négociation existe dans une branche d’activité déterminée, ce niveau sera maintenu», norme qui est en contradiction totale avec le sens et la portée de l’article 4 de la convention no 98. En effet, c’est l’autorité judiciaire qui a fixé impérativement la préexistence du niveau de négociation dans le secteur de la construction et non pas les parties qui ont décidé du niveau auquel devait avoir lieu des négociations libres et volontaires. Les organisations plaignantes signalent que, le 12 décembre 2001, le ministère du Travail, violant les normes alors en vigueur, a pris le décret no 037-2001 par lequel il déclarait, contrairement à ce qui s’était passé en 1997, 1998, 1999 et 2000, que la présentation par la Chambre péruvienne de la construction (CAPECO) du cahier des revendications syndicales en vue de la négociation était sans effet (au niveau de l’industrie) et ordonnait aux parties de négocier par branche d’activité.
  5. 1218. Confrontée à cette situation, poursuivent les organisations plaignantes, la Chambre péruvienne de la construction (CAPECO) a interjeté un recours en amparo auprès du tribunal constitutionnel; ce dernier, dans les considérants de la sentence rendue le 26 mars 2003 (envoyée en annexe), déclarait que «afin que la négociation collective ne soit pas stérile, il est raisonnable et justifié que l’Etat intervienne en prenant des mesures qui favorisent une négociation efficace. C’est pourquoi il faudra éliminer des dispositions législatives celles qui sont incompatibles avec une promotion efficace de la négociation collective dans le secteur de la construction civile. Si cela est nécessaire, il faudra adopter des normes qui, sans ignorer que le niveau de négociation doit être fixé par accord réciproque, établiront comme niveau de négociation collective celui de la branche d’activité quand il n’aura pas été possible d’arriver à un tel accord.» Les organisations plaignantes sont d’avis que de telles normes sont contraires au principe de négociation collective libre et volontaire consacré par l’article 4 de la convention no 98.
  6. 1219. Selon les organisations plaignantes, la nouvelle situation juridique ainsi créée résulte d’une politique ambiguë de prétendue restitution des droits syndicaux violés par des gouvernements antérieurs. Hors, la réalité a démontré que les divers mécanismes établis pour imposer un niveau de négociation n’ont jamais abouti, les tentatives étant restées sans résultat. En effet, il ressort des conventions collectives réglées en majorité par l’autorité administrative du travail que la négociation collective dans le secteur de l’industrie de la construction n’a jamais été reçue favorablement par les parties concernées par ces processus. Il convient de préciser que les droits et les libertés – dans leur conception fondamentale – ne peuvent pas être supprimés ni conditionnés de manière à rendre impossible leur plein exercice, car il s’agit de droits et de libertés de caractère universel et inhérent à la personne humaine, indépendamment de sa condition socioéconomique. De plus, la situation actuelle porte à penser qu’il y a discrimination à l’encontre du secteur de la construction par rapport à d’autres branches économiques.

B. Conclusions du comité

B. Conclusions du comité
  1. 1220. Le comité déplore que le gouvernement n’ait pas envoyé les informations qu’il lui avait demandées, d’autant plus qu’après deux ajournements du cas il avait, lors de sa session de mai-juin 2005, prié le gouvernement de lui transmettre de toute urgence ses observations et l’avait averti que conformément à la règle de procédure en vigueur il pourrait présenter un rapport sur le fond du cas à sa prochaine session si leurs informations et observations n’étaient pas envoyées à temps. N’ayant pas reçu de réponse du gouvernement, le comité se voit dans l’obligation de présenter un rapport au Conseil d’administration.
  2. 1221. Le comité rappelle au gouvernement, en premier lieu, que le but de l’ensemble de la procédure instituée à l’Organisation internationale du Travail pour l’examen des allégations en violation de la liberté syndicale est d’assurer le respect des droits des organisations d’employeurs et de travailleurs, en droit comme en fait. Si la procédure protège les gouvernements contre des accusations déraisonnables, ceux-ci doivent reconnaître à leur tour l’importance qu’il y a à ce qu’ils présentent, en vue d’un examen objectif, des réponses détaillées et précises aux allégations formulées à leur encontre. [Voir le premier rapport du comité, paragr. 31.]
  3. 1222. Le comité observe que dans le présent cas les organisations plaignantes allèguent que l’article 46 de la loi no 27912, qui est entrée en vigueur le 9 janvier 2003, est contraire au principe de la négociation collective libre et volontaire consacré par l’article 4 de la convention no 98. Ledit article 46 a pour objet d’imposer le niveau de la branche d’activité pour la négociation collective dans le secteur de la construction, situation qui est également une discrimination envers le secteur de la construction par rapport aux autres branches économiques. Le comité observe que dans le contexte de ce qui précède les organisations plaignantes s’opposent à une sentence du tribunal constitutionnel datée du 26 mars 2003 (qui est annexée à la plainte) dans laquelle ledit tribunal déclare que la décision prise par l’autorité administrative du travail (acte de la sous-direction no 037-2001 du 12 décembre 2001), selon laquelle la Chambre péruvienne de la construction et la Fédération des travailleurs de la construction civile «doivent entreprendre des démarches de négociation collective au niveau de la branche d’activité», ne porte pas atteinte aux droits de ladite Chambre.
  4. 1223. Le comité observe que les dispositions légales applicables au présent cas sont les suivantes: le décret-loi no 25593 du 26 juin 1992 sur les relations collectives de travail, qui prévoit à l’article 45: «S’il n’existe pas préalablement une convention collective à l’un quelconque des niveaux mentionnés à l’article précédent, les parties décideront, d’un commun accord, le niveau auquel elles négocieront la première convention. Si un accord ne peut pas être conclu, la négociation aura lieu au niveau de l’entreprise». «Si une convention existe à un niveau quelconque, l’accord des parties est indispensable pour engager des négociations sur des dispositions de remplacement ou des dispositions complémentaires, étant donné que de telles dispositions ne pourraient pas être édictées par un acte administratif ni par une sentence arbitrale. […]» Par ailleurs, l’article 46 de la loi no 27912, qui est entrée en vigueur le 9 janvier 2003, stipule: «Si un niveau de négociation existe dans une branche d’activité déterminée, ce niveau sera maintenu.»
  5. 1224. Le comité prend note du fait que dans les considérants de la sentence du 26 mars 2003 l’accent est mis sur l’obligation de l’Etat de promouvoir la négociation collective et que ces considérants invoquent l’article 28 de la Constitution, ainsi que l’article 4 de la convention no 98 de l’OIT, en ces termes:
  6. (…) le régime de travail des travailleurs du secteur de la construction civile présente des caractéristiques très singulières qui le différencie de celui d’autres secteurs, notamment: a) le caractère occasionnel, puisque la relation de travail n’est pas permanente; la relation de travail dure tant que s’effectue le travail pour lequel les travailleurs ont été engagés ou tant que l’ouvrage est en exécution; b) l’emplacement occasionnel, puisqu’il n’y a pas d’endroit fixe et permanent où les travaux de construction sont réalisés.
  7. Il s’ensuit que tant que le travailleur de construction civile prête ses services à une multiplicité d’employeurs, la possibilité qu’il puisse compter sur une organisation syndicale au niveau de l’entreprise devient diffuse; il s’ensuit qu’il est pratiquement impossible de négocier plusieurs fois par année. Etant donné cette situation particulière qui prévaut dans le secteur de la construction civile, il est juste et raisonnable que l’Etat intervienne pour que la négociation collective ne devienne pas inopérante et qu’il prenne des mesures visant à promouvoir une négociation effective. C’est pourquoi il faudra supprimer de notre système juridique les normes qui sont incompatibles avec une promotion réelle de la négociation dans le secteur de la construction civile; si tel est le cas, il conviendra d’adopter des normes qui, sans perdre de vue que le niveau de négociation doit être fixé par accord mutuel, disposent que le niveau de négociation sera celui de la branche d’activité quand il n’est pas possible d’arriver à un tel accord mutuel.
  8. C’est la raison pour laquelle le traitement différencié adopté par l’Etat dans ce cas ne constitue pas en tant que tel une violation du droit à l’égalité ou de la négociation collective puisqu’il se fonde sur des critères objectifs et raisonnables. (…)
  9. 1225. Le comité rappelle que des mesures devraient être prises pour encourager et promouvoir le développement et l’utilisation les plus larges de procédures de négociation volontaire de conventions collectives entre les employeurs et les organisations d’employeurs, d’une part, et les organisations de travailleurs, d’autre part, en vue de régler par ce moyen les conditions d’emploi. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 781.]
  10. 1226. Le comité rappelle qu’en ce qui concerne le niveau de la négociation collective la recommandation (nº 163) sur la négociation collective, 1981, dispose dans son paragraphe 4 (1) que «Des mesures adaptées aux circonstances nationales devraient, si nécessaire, être prises pour que la négociation collective soit possible à quelque niveau que ce soit, notamment ceux de l’établissement, de l’entreprise, de la branche d’activité, de l’industrie, ou aux niveaux régional ou national.» Le comité rappelle également qu’en des occasions antérieures il a été d’avis qu’en vertu du principe de la négociation collective libre ou volontaire énoncé à l’article 4 de la convention no 98, la détermination du niveau de négociation collective devrait dépendre essentiellement de la volonté des parties et, par conséquent, ce niveau ne devrait pas être imposé en vertu de la législation, d’une décision de l’autorité administrative ou de la jurisprudence de l’autorité administrative du travail. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 851.] Le comité a considéré que, pour sauvegarder l’indépendance des parties en cause dans une négociation collective, le mieux serait de leur permettre de décider d’un commun accord du niveau auquel celle-ci devrait se poursuivre; néanmoins, il semble que, dans beaucoup de pays, cette question soit du ressort d’un organisme indépendant des parties elles-mêmes. Le comité a estimé que cet organisme devrait alors être réellement indépendant. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 855.] Pour sa part, la commission d’experts a relevé ce qui suit:
  11. Le principe de la négociation volontaire, et partant de l’autonomie des partenaires, constitue le deuxième élément essentiel de l’article 4 de la convention no 98. Les organismes et procédures existants doivent être destinés à faciliter la négociation entre les partenaires sociaux, ces derniers restant libres de leur négociation. Plusieurs difficultés se posent toutefois à cet égard, un nombre croissant de pays restreignant cette liberté à des degrés divers. Les problèmes les plus fréquents concernent: la fixation unilatérale du niveau de négociation; l’exclusion de certaines matières du champ de la négociation; la soumission des accords collectifs à l’agrément préalable des autorités administratives ou budgétaires; le respect de critères préétablis par la loi, notamment en matière salariale; l’imposition unilatérale des conditions de travail.
  12. Comme il a été indiqué au chapitre VII, le droit de négocier collectivement devrait également être accordé aux fédérations et aux confédérations; toute restriction ou interdiction à cet égard entrave le développement des relations professionnelles et, en particulier, empêche les organisations possédant des moyens insuffisants de recevoir l’aide des organisations faîtières en principe mieux pourvues en personnel, en ressources et en expérience pour mener à bien les négociations. A l’inverse, une législation qui fixerait impérativement le niveau de la négociation collective à un échelon supérieur (secteur, branche d’activité, etc.) pose également des problèmes de compatibilité avec la convention. Le choix devrait normalement être du ressort des partenaires eux-mêmes puisqu’ils sont les mieux placés pour décider du niveau de négociation le plus approprié, y compris, s’ils le souhaitent, en adoptant un système mixte d’accords-cadres complétés par des conventions locales ou des accords d’entreprise [étude d’ensemble de la commission d’experts sur la liberté syndicale et la négociation collective, 1993, paragr. 248 et 249].
  13. 1227. Dans ces conditions, le comité demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour modifier l’article 45 du décret-loi no 22593 et l’article 46 de la loi no 27912 afin de les rendre conformes aux normes de l’OIT et aux principes cités, en permettant aux parties concernées de déterminer librement le niveau de la négociation collective. Quant au problème du niveau de la négociation collective dans les cas où les parties ne parviennent pas à se mettre d’accord, le comité a pris note des arguments de la sentence du tribunal constitutionnel prise en date du 26 mars 2003 en faveur de tels cas de négociation collective au niveau de la branche d’activité dans le secteur de la construction. Le comité prend note de l’intérêt que le gouvernement porte à la promotion de la négociation collective conformément à la Constitution nationale et à l’article 4 de la convention no 98. Le comité estime toutefois que lorsque les parties ne peuvent pas se mettre d’accord sur le niveau de négociation il est plus conforme à la lettre et à l’esprit de la convention no 98 et la recommandation no 163 qu’une décision générale de justice en faveur de la négociation au niveau de la branche d’activité, de prévoir un système établie d’un commun accord entre les parties et permettant de faire valoir de manière concrète les intérêts et les points de vue de tous pour chaque nouvelle convention collective. Le comité demande au gouvernement d’inviter les organisations de travailleurs et d’employeurs les plus représentatives à créer un mécanisme de règlement des différends relatifs au niveau auquel la négociation collective doit avoir lieu.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 1228. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour modifier l’article 45 du décret-loi no 22593 et l’article 46 de la loi no 27912 afin de les rendre conformes aux normes et principes de l’OIT en ce qui concerne le niveau de négociation collective.
    • b) Le comité demande au gouvernement d’inviter les organisations de travailleurs et d’employeurs les plus représentatives à créer un mécanisme de règlement des différends relatifs au niveau auquel la négociation collective doit avoir lieu.
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