Allégations: L’organisation plaignante allègue que le renvoi au Conseil national des salaires, par le ministère du Travail, des Relations professionnelles et de l’Emploi, de 21 questions n’ayant pas fait l’objet d’un accord au cours de la négociation collective, pour une révision partielle, constitue une violation patente de l’article 4 de la convention no 98
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676. La plainte figure dans des communications de la Fédération des employeurs de Maurice (MEF) du 15 juillet et du 1er septembre 2011. Dans une communication datée du 26 juillet 2011, l’Organisation internationale des employeurs (OIE) s’associe à cette plainte.
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677. Le gouvernement a envoyé ses observations dans une communication du 10 février 2012.
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678. Maurice a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, et la convention (nº 154) sur la négociation collective, 1981.
A. Allégations de l’organisation plaignante
A. Allégations de l’organisation plaignante
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679. Dans ses communications du 15 juillet et du 1er septembre 2011, l’organisation plaignante indique que la MEF est l’organisation nationale des employeurs de Maurice et qu’elle représente tous les secteurs de l’économie mauricienne. L’Association des producteurs de sucre de Maurice (MSPA) est un nombre clé de la MEF et l’un des principaux syndicats représentant les intérêts des employeurs du secteur sucrier. L’organisation plaignante indique par ailleurs que la plainte est présentée au nom de la MSPA.
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680. La MSPA, au nom de ses membres, à savoir des planteurs de canne à sucre, a entamé des négociations en vue de conclure un nouvel accord collectif avec les syndicats représentant les travailleurs agricoles et non agricoles (le Syndicat des travailleurs agricoles du secteur sucrier, le Syndicat des artisans du secteur sucrier, le Syndicat général des artisans et des travailleurs, et l’Organisation de l’unité des artisans, que nous appellerons ci-après «les syndicats»). Cependant, comme les deux parties n’ont pu se mettre d’accord sur le montant de l’augmentation salariale qu’il convenait d’accorder aux travailleurs, quatre organisations de travailleurs du secteur sucrier ont fait rapport en mars 2010 sur un conflit du travail les opposant à la MSPA à la Commission de conciliation et de médiation (CCM), institution chargée de résoudre les différends. Comme le prévoit la législation, la CCM a offert ses services de conciliation et de médiation, mais elle n’a pas été en mesure de mettre les parties d’accord sur une nouvelle entente portant sur les modalités et conditions d’emploi, non plus que sur le montant d’une augmentation salariale. En fait, dans son rapport, la CCM a recommandé aux deux parties de porter l’affaire devant le Tribunal des relations d’emploi en vue d’un arbitrage volontaire conjoint, ou devant un arbitre indépendant comme le prévoit la loi sur les relations de travail, 2008. Les syndicats ont refusé de demander conjointement un arbitrage volontaire et ont menacé d’organiser une grève générale du secteur. Compte tenu de la situation qui prévaut actuellement dans le secteur sucrier, le ministère du Travail, des Relations professionnelles et de l’Emploi a alors invité la MSPA et les syndicats à poursuivre leurs négociations sous son égide où un accord a été conclu. Une convention collective en bonne et due forme a donc été signée le 23 juin 2010 pour une durée de quatre ans.
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681. L’accord sur la reprise des négociations (annexé à la plainte) a été signé le 15 juin 2010; il portait sur une augmentation de salaire de 20 pour cent et contenait la disposition suivante: «nonobstant le présent accord, les parties décident également par la présente qu’elles incluront dans la nouvelle convention collective les questions portées devant la CCM, telles qu’elles figurent dans le rapport. Les négociations débuteront le 16 juin 2010 sous l’égide du ministère du Travail, des Relations professionnelles et de l’Emploi.» Selon l’organisation plaignante, cette disposition établit clairement que les questions portées devant la CCM devaient être débattues pendant de nouvelles négociations qui seraient menées à bien sous l’égide du ministère du Travail, des Relations professionnelles et de l’Emploi. A la suite de cette nouvelle ronde de négociations, une convention collective a été signée le 23 juin 2010, dont le préambule dit notamment ceci: «Au-delà de: i) l’accord conclu entre les parties le 15 juin 2010 concernant l’augmentation de salaire de 20 pour cent en présence du ministre du Travail, des Relations professionnelles et de l’Emploi; et ii) la discussion qui s’est tenue sous l’égide du ministère du Travail, des Relations professionnelles et de l’Emploi pour négocier les questions portées devant la Commission de conciliation et de médiation, les parties ont conclu l’accord suivant.» Selon l’organisation plaignante, ce qui précède démontre que, à la suite des négociations, une convention collective a été signée par les parties après que les questions portées devant la CCM aient été examinées. Pendant ces négociations, les questions qui ont fait l’objet d’un accord ont été retenues et consignées dans une convention collective, tandis que d’autres, qui n’avaient pas fait l’objet d’un accord, ont été, de volonté commune, mises de côté. En outre, toutes les conventions collectives signées par les parties contiennent la disposition suivante: «3. Mise en œuvre de la convention collective. 3.1. Les termes et conditions d’emploi en vigueur: i) prescrites dans la réglementation de 1985 sur les ordonnances salariales des travailleurs (non agricoles) du secteur sucrier; ii) ayant fait l’objet d’un accord des parties en vertu du Protocole d’accord signé le 1er juin 1994; iii) stipulées dans les diverses décisions, interprétations et ordonnances de modification du Tribunal permanent d’arbitrage (PAT); et qui ne sont pas couvertes par la présente convention collective, restent contraignantes pour les parties.» Selon l’organisation plaignante, cette disposition met en lumière les véritables intentions des parties au moment de la signature des conventions collectives concernant leur application. Dans les faits, une interprétation correcte de l’intention des parties en signant la convention collective était de mettre un terme aux négociations en cours et de s’assurer que certaines modalités et conditions d’emploi existant dans trois sources juridiques, mentionnées plus haut, demeureraient contraignantes pour les parties ainsi que celles visées dans la convention collective.
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682. En août 2010, le Conseil national des salaires (NRB), mécanisme chargé de fixer le montant des salaires et d’assumer les obligations du gouvernement en vertu des conventions nos 26 et 99, a publié un avis informant que le ministre du Travail, des Relations professionnelles et de l’Emploi leur avait référé la révision partielle des ordonnances salariales applicables aux travailleurs du secteur sucrier et avait ainsi invité les parties intéressées à faire connaître leur opinion concernant les 21 questions n’ayant pas fait l’objet d’un accord pendant la négociation collective.
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683. Selon l’organisation plaignante, ce renvoi au Conseil national des salaires pour révision partielle constitue une dérogation grave aux principes promouvant des relations industrielles saines et harmonieuses et viole clairement l’article 4 de la convention no 98. Un tel renvoi est également incompatible avec l’esprit de la négociation collective tel qu’il est défini par la législation nationale. En outre, cette mesure envoie un mauvais signal à l’intention des employeurs qui s’engagent dans une négociation collective, compte tenu du fait que, après la conclusion de conventions collectives en bonne et due forme, les mécanismes de fixation du salaire minimum sont utilisés unilatéralement pour revoir les conditions d’emploi dans des secteurs organisés. Les recommandations que le NRB a été prié de faire ne concernent pas uniquement le taux du salaire minimum mais aussi les conditions d’emploi. Selon l’organisation plaignante, la portée de la révision partielle concernant le secteur sucrier telle qu’elle a été demandée par le ministre du Travail, des Relations professionnelles et de l’Emploi modifiera nécessairement la convention collective dûment conclue, car elle aura des incidences qui n’y étaient pas prévues. Selon l’organisation plaignante, la décision administrative de renvoyer les questions n’ayant pas fait l’objet d’un accord au NRB en lui demandant de faire des recommandations met en péril la convention collective récemment conclue et va à l’encontre du principe de négociation collective. L’organisation plaignante affirme que le NRB ne peut se prévaloir de ce renvoi par le ministre pour faire des recommandations sur les conditions d’emploi et ainsi modifier la convention collective conclue entre la MSPA et les syndicats.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
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684. Dans sa communication du 10 février 2012, le gouvernement indique que le différend ne concernait pas tous les travailleurs du secteur sucrier. En fait, il concernait uniquement les travailleurs employés par les membres de la MSPA, mais non pas les travailleurs employés par les membres de l’Association des cultivateurs de canne et des petits planteurs.
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685. Le gouvernement ajoute que rien dans la convention collective ne prévoit que les questions n’ayant pas fait l’objet d’un accord devaient être mises de côté ou que la conclusion de la convention visait à mettre un terme aux négociations. En outre, la décision de renvoyer au NRB les questions n’ayant pas fait l’objet d’un d’accord ne met pas en péril la convention collective récemment conclue, car les parties adhèrent encore à ses dispositions. Le renvoi au NRB des questions n’ayant pas fait l’objet d’un accord ne porte aucunement atteinte à la négociation collective; il ne constitue pas non plus un écart significatif et déraisonnable au principe de relations professionnelles saines et harmonieuses. Le renvoi au NRB pour réglementation ou amélioration des salaires et des conditions d’emploi en vertu de la sous-section C de la partie VIII de la loi sur les relations d’emploi, 2008, dans un secteur particulier de l’emploi, ne signifie pas nécessairement que toutes les demandes des travailleurs vont être approuvées. La section 93 de la loi prévoit que, si le ministre reçoit une recommandation du NRB, il peut soit réglementer en vue de l’application de la recommandation, soit rejeter la recommandation sans émettre de réglementation, soit émettre les recommandations qu’il juge appropriées. Selon le gouvernement, il est prématuré pour la MSPA de préjuger à ce stade de ce que seront les recommandations du NRB et, même si la recommandation est favorable aux travailleurs, de préjuger que le ministre la mettra en œuvre. Le NRB n’a pas encore soumis sa recommandation au ministre.
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686. Le gouvernement ajoute que la MSPA a demandé l’autorisation de la Cour suprême pour une requête en révision judiciaire visant à annuler purement et simplement la décision du ministre de renvoyer les 21 questions faisant l’objet d’un différend au NRB, et que la Cour suprême ne s’est pas encore prononcée.
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687. Le gouvernement indique également que les syndicats concernés ont fait part de leurs observations concernant la plainte dans une communication conjointe du 7 décembre 2011 (annexée à la réponse du gouvernement). Les syndicats dénoncent fermement les positions exprimées par l’organisation plaignante et estiment que les faits ont été rapportés de manière inexacte. Concrètement, ils estiment que le renvoi des questions n’ayant pas fait l’objet d’un accord au NRB par le ministère du Travail, des Relations professionnelles et de l’Emploi est raisonnable, juste et loyal étant donné que:
- i) ces questions n’altèrent ni ne modifient en aucune manière les questions ayant fait l’objet d’un accord et de conclusion de la convention collective existante; les 21 questions renvoyées pour examen au NRB sont précisément celles qui ne figurent pas dans la convention collective;
- ii) les questions non couvertes par une convention collective peuvent être modifiées, changées ou altérées par le mécanisme prévu par la loi sur les relations d’emploi, 2008 – cette loi empêchant uniquement la présentation de rapports concernant un conflit du travail entre les mêmes parties durant une période de six mois, ou empêchant la présentation d’un rapport sur un conflit du travail sur les mêmes questions pendant une période de vingt-quatre mois;
- iii) ce renvoi a été le résultat d’un accord négocié qui visait à ramener la paix sociale, la justice économique, et à mettre un terme au recours à la grève légale par les syndicats;
- iv) le renvoi avait été porté à la connaissance de la MSPA. La CCM a fait une recommandation à cet effet, et la décision du ministre a été largement diffusée par les médias. Cependant, à aucun moment pendant les négociations avec le ministre, la MSPA n’a soulevé d’objection formelle à l’égard de ce renvoi. De plus, les entreprises sucrières membres de la MSPA ont dûment participé à la soumission de mémorandums et à l’audience du NRB après que ces questions lui ont été renvoyées par le ministre.
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688. Les syndicats ajoutent que le cadre juridique qui régit tous les salaires et conditions d’emploi de l’ensemble des salariés du secteur sucrier, qui compte actuellement quelque 13 000 travailleurs agricoles et artisans, ne repose pas uniquement sur une série de conventions collectives. Ce cadre juridique consiste en fait en 14 éléments de législation ou instruments juridiques. Les conventions collectives récentes réglementent à peine 23 pour cent des questions couvertes par ces 14 instruments juridiques qui réglementent les conditions d’emploi minimums de quelque 5 500 travailleurs agricoles et artisans employés par les membres de la MSPA.
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689. Selon les syndicats, la position adoptée par l’organisation plaignante revient à prétendre que les 14 instruments juridiques, indépendants des conventions collectives, ne sont pas sujets à modification pendant la durée des conventions collectives et que toute modification de quelque instrument régulateur que ce soit «mettrait en péril», «modifierait» ou «altérerait» la convention collective existante. Cependant, une convention collective ne saurait et ne peut empêcher les amendements futurs des conditions minimales statutaires définies par les lois, qu’elles aient trait aux conditions d’emploi des travailleurs ou à la répartition de la richesse entre les actionnaires des entreprises. Le syndicat indique que le paragraphe cité par l’organisation plaignante a été inséré par les syndicats en tant que disposition conservatoire et favorisant la clarté, et pour assurer que toutes les autres conditions de travail, prévues par d’autres instruments juridiques, continuent d’être appliquées. Dans tous les cas, ce paragraphe n’a aucune pertinence juridique, car les lois sont faites pour être appliquées. Selon les syndicats, dire que leur «intention véritable» était de faire en sorte que les conditions minimales prévues par la législation ne puissent être modifiées pendant toute la durée de la convention collective relève d’une interprétation abusive et d’une extrapolation. La conclusion d’une convention collective, quelle qu’elle soit, n’empêche pas de nouveaux différends en matière de travail de surgir, qui conduiront éventuellement à la conclusion de nouveaux accords collectifs pendant la durée de la convention en vigueur. Le droit n’empêche la présentation d’un rapport sur un différend du travail entre les mêmes parties sur les mêmes questions que pendant une durée de deux ans. Des différends en matière de travail peuvent surgir n’importe quand sur n’importe quelles autres questions. Par conséquent, les questions qui ne sont pas couvertes par une convention collective peuvent être modifiées ou altérées par le mécanisme prévu par la législation. La conclusion d’une convention collective sur certaines questions ne saurait empêcher des changements concernant d’autres questions. Comme le dit l’organisation plaignante, conclure une convention collective ne revient pas à renoncer à toute autre modification potentielle d’autres conditions existantes dans d’autres instruments juridiques distincts de cette convention.
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690. Les syndicats indiquent également que le renvoi au NRB par le ministre était le résultat d’un accord négocié par l’Etat sous la supervision du Premier ministre, pour ramener la paix sociale et la justice économique, et pour mettre un terme au recours à la grève légale par les syndicats. Cette intervention du Premier ministre a eu lieu la veille du jour où la grève légale a été déclenchée par les syndicats. Le Premier ministre disposait de deux options: soit il demandait éventuellement une ordonnance de la Cour suprême pour mettre un terme à la poursuite de la grève légale, soit il proposait ses bons offices pour tenter de trouver une solution raisonnable à un conflit de travail majeur et de ramener la paix sociale. Il a choisi la deuxième option. Le fondement de l’accord relatif au règlement n’a pas été imposé, et il n’était pas non plus le fruit du hasard. Il ne s’agissait certainement pas d’un complot. Tout s’est fait publiquement, les médias en ont été informés ainsi que la MSPA. L’accord se fondait sur des recommandations faites par le mécanisme de conciliation, la CCM, au cours de ses travaux. Il s’agissait d’un engagement à deux volets: i) la MSPA et les syndicats concluraient une convention collective sur les questions ayant fait l’objet d’un accord et recommandées par la CCM; ii) l’Etat renverrait au NRB les 21 questions n’ayant pas abouti à un accord en dépit des bons offices de la CCM, pour qu’il fasse les recommandations appropriées. Par conséquent, les syndicats n’ont jamais «rejeté conjointement d’autres questions pour lesquelles aucun accord n’était possible», comme l’a indiqué l’organisation plaignante. Les syndicats ajoutent qu’à aucun moment, au cours des négociations dans le bureau du ministre du Travail, la MSPA n’a soulevé d’objection formelle concernant ce renvoi en leur présence. Si cela avait été le cas, les syndicats n’auraient signé aucune des conventions collectives.
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691. Les syndicats ajoutent que, après avoir analysé tous les faits objectifs et les propositions émanant d’un organe de conciliation, l’Etat a estimé que, outre les conventions collectives limitées, un conseil tripartite indépendant (le NRB) devait examiner les 21 questions portant sur les conditions de travail des travailleurs, et faire des recommandations appropriées. Les syndicats indiquent que les ordonnances salariales concernant les travailleurs agricoles et les artisans (que le ministre avait décidé de renvoyer en vue de modification) n’ont pas été examinées à fond depuis plus d’un quart de siècle; or, depuis lors, le secteur a connu des transformations et des mutations très importantes. Selon les syndicats, le renvoi au NRB n’équivaut pas à un abandon significatif par le ministre de ce qui est prévu par la section 91 de la loi sur les relations d’emploi, 2008, non plus qu’à un abandon du processus de négociation collective tel qu’il est prévu par l’article 4 de la convention no 98.
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692. Enfin, les syndicats indiquent que ces négociations ont été caractérisées par un manque de respect de la MSPA à l’endroit de la négociation collective. Selon les syndicats, l’association refusait d’entamer une négociation collective depuis plus d’un an, imposant des conditions préalables illégales, refusant l’accès à l’information et s’efforçant de porter atteinte à l’ensemble du processus au niveau du secteur; enfin, elle n’a pas hésité à mentir pour mettre à mal le principe même de la négociation collective.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
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693. Le comité rappelle que ce cas porte sur des allégations selon lesquelles le renvoi pour révision partielle au Conseil national des salaires (NRB) par le ministre du Travail, des Relations professionnelles et de l’Emploi de 21 questions n’ayant pas fait l’objet d’un accord pendant la négociation collective constitue un abandon significatif du principe de promotion de relations professionnelles saines et harmonieuses et une violation patente de l’article 4 de la convention no 98.
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694. Le comité note que, selon l’organisation plaignante, ce renvoi est également incompatible avec l’esprit de la négociation collective, tel qu’il est défini par la législation nationale, et que cette loi constitue un signal malheureux à l’endroit des employeurs qui souhaiteraient s’engager dans la négociation collective, du moment que, à la suite de la conclusion de conventions collectives en bonne et due forme, le mécanisme de fixation du salaire minimum est utilisé unilatéralement pour revoir les conditions d’emploi dans les secteurs organisés. Selon l’organisation plaignante, les recommandations que le NRB a été prié de faire ne concernent pas uniquement le taux du salaire minimum mais touchent aussi les conditions d’emploi. Sans aucun doute, la portée de la révision partielle du secteur sucrier telle qu’elle a été demandée par le ministre du Travail, des Relations professionnelles et de l’Emploi altèrera à cet égard la convention collective dûment conclue, étant donné l’incidence de ces circonstances qui n’étaient pas prévues dans la convention collective. Selon l’organisation plaignante, la décision administrative de renvoyer les questions n’ayant pas fait l’objet d’un accord au NRB en lui demandant de faire des recommandations a mis en péril les conventions collectives récemment conclues et va à l’encontre du principe de la liberté syndicale. L’organisation plaignante affirme que le NRB ne saurait se prévaloir du renvoi effectué par le ministre pour faire des recommandations portant sur les conditions d’emploi qui modifieraient la convention collective conclue entre la MSPA et les syndicats.
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695. Cependant, le comité note que le gouvernement et les syndicats se sont fermement opposés aux opinions exprimées par l’organisation plaignante et sont d’avis que les faits ont été rapportés de manière inexacte. Le comité note que gouvernement et syndicats font valoir que:
- i) rien dans la convention collective ne donne à penser que les questions n’ayant pas fait l’objet d’un accord doivent être rejetées, ou que la conclusion de cette convention doit signifier la fin des négociations;
- ii) la décision de renvoyer les questions n’ayant pas fait l’objet d’un accord au NRB n’a pas mis en péril la convention collective récemment conclue car les parties continuent d’adhérer à ses dispositions;
- iii) les questions précitées n’altèrent ni ne modifient en aucun cas les questions ayant fait l’objet d’un accord et d’une signature dans le cadre de la convention collective existante; les 21 questions renvoyées pour révision au NRB sont précisément celles qui ne se trouvent pas dans le champ d’application des conventions collectives;
- iv) le renvoi au NRB des questions n’ayant pas fait l’objet d’un accord ne sape nullement la négociation collective et ne constitue pas un abandon significatif et déraisonnable du principe des relations professionnelles saines et harmonieuses;
- v) la référence au NRB concernant la réglementation ou l’amélioration des salaires et des conditions d’emploi en vertu de la sous-section C de la partie VIII de la loi sur les relations d’emploi, 2008, dans un secteur particulier de l’emploi (section 91 de la loi), ne signifie pas nécessairement que toutes les demandes des travailleurs seront satisfaites. La section 93 de la loi prévoit que, lorsque le ministre reçoit une recommandation du NRB, il peut établir une réglementation en vue de l’appliquer, ou bien rejeter la recommandation, sans établir de réglementation, ou encore mettre en place la réglementation qu’il juge appropriée. Il est prématuré pour la MSPA, à ce stade, de préjuger de la recommandation du NRB, et même si cette recommandation est favorable aux travailleurs, de préjuger si le ministre la mettra ou non en œuvre. Le NRB n’a pas encore soumis sa recommandation au ministre.
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696. En outre, le comité note aussi que, selon les syndicats:
- i) le renvoi était le résultat d’un accord négocié visant à ramener la paix sociale, la justice économique et à faire cesser le recours à la grève légale par les syndicats; cet accord se fondait sur des recommandations faites par le mécanisme de conciliation, la CCM, pendant ses travaux, et il s’agissait d’un engagement à deux volets: a) la MSPA et les syndicats concluraient une convention collective sur les questions ayant fait l’objet d’un accord et recommandées par la CCM; b) l’Etat renverrait les 21 questions n’ayant pas fait l’objet d’un accord en dépit des bons offices de la CCM au NRB afin qu’il fasse les recommandations appropriées;
- ii) le renvoi a été porté à la connaissance de la MSPA. La CCM a fait une recommandation à cet égard, et la décision du ministre a été largement diffusée dans les médias. Cependant, à aucun moment pendant les négociations avec le ministre, la MSPA n’a soulevé d’objection formelle à ce renvoi. Si cela avait été le cas, le syndicat n’aurait signé aucune des conventions collectives. En outre, les entreprises sucrières, membres de la MSPA, ont dûment participé à la présentation de mémorandums et à une audience auprès du NRB, après que ces questions ont fait l’objet du renvoi par le ministre;
- iii) les questions qui ne sont pas couvertes par une convention collective peuvent varier, changer ou être modifiées par le mécanisme prévu par la loi sur les relations d’emploi, 2008 – cette loi n’empêchant la présentation d’un rapport sur un différend du travail entre les mêmes parties que pendant six mois au plus, ou n’empêchant la présentation d’un rapport sur un différend du travail sur les mêmes questions que pendant vingt-quatre mois au plus;
- iv) le cadre juridique régissant les salaires et les conditions d’emploi de tous les salariés du secteur sucrier, qui comprend actuellement 13 000 travailleurs agricoles et artisans, n’est pas réglementé par un simple ensemble de conventions collectives; il est réglementé par 14 éléments de législation ou instruments juridiques différents. Les conventions collectives récentes régissent à peine 23 pour cent des questions couvertes par les 14 instruments juridiques réglementant les conditions minimums d’emploi de quelque 5 500 travailleurs agricoles et artisans employés par les membres de la MSPA.
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697. Le comité souhaite souligner que le but principal de l’article 4 de la convention no 98 est la promotion de négociations collectives de bonne foi en vue de régler par ce moyen les conditions d’emploi. Les accords conclus de cette manière doivent être respectés et doivent être à même d’établir des conditions de travail plus favorables que celles qui sont prévues par la législation; en vérité, s’il n’en va pas ainsi, il n’y a aucune raison d’entamer une négociation collective. Les autorités publiques devraient s’abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l’exercice légal. Par ailleurs, la négociation collective doit, pour conserver son efficacité, revêtir un caractère volontaire et ne pas impliquer un recours à des mesures de contrainte qui auraient pour effet d’altérer ce caractère. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 881 et 926.] Dans un cas où il était allégué que l’article 4 de la convention no 98 avait été violé du fait que le gouvernement, devant l’impasse à laquelle avaient abouti de longues négociations, avait promulgué un texte donnant suite aux revendications du syndicat, le comité a signalé que, poussé à l’extrême, ce raisonnement signifierait que, dans presque tous les pays où, parce que les travailleurs ne sont pas organisés de manière suffisamment puissante pour obtenir un salaire minimum, une telle norme est fixée par la voie législative, il y aurait violation de l’article 4 de la convention no 98. Une telle argumentation ne saurait être retenue. Si le gouvernement adoptait une politique systématique consistant à accorder par voie législative ce que les syndicats n’auraient pas pu obtenir par la négociation, il conviendrait sans doute de revoir la situation. En outre, dans un cas où une loi établit des augmentations générales de salaires dans le secteur privé qui s’ajoutent à celles déjà conclues dans les conventions collectives, le comité a signalé à l’attention du gouvernement que le développement harmonieux des relations professionnelles serait favorisé si les pouvoirs publics, à défaut du consentement des deux parties, n’adoptaient pas, pour lutter contre la perte de pouvoir d’achat des travailleurs, des solutions qui modifient les accords passés entre les organisations de travailleurs et d’employeurs. Les pouvoirs publics favoriseraient le développement harmonieux des relations de travail en adoptant, face aux problèmes posés par la perte de pouvoir d’achat des travailleurs, des solutions qui n’entraînent pas de modification des accords conclus sans le consentement des deux parties. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 1044, 1045 et 1010.]
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698. Dans le présent cas, le comité note qu’un accord collectif a été signé entre l’organisation plaignante et les syndicats le 23 juin 2011, aux termes duquel les parties se sont mises d’accord sur une augmentation de salaire de 20 pour cent. Le comité comprend qu’il y a divergence de vues sur la question de savoir si cet accord a des conséquences sur les 21 questions qui avaient été précédemment discutées et que le ministre a décidé de renvoyer au NRB en vertu de l’article 91 de la loi sur les relations d’emploi, 2008, et en vertu de la recommandation de la CCM. Dans ces conditions, le comité estime qu’il n’est pas en mesure de déterminer si le renvoi fait par le ministre est effectivement en contradiction avec l’accord en vigueur ou même s’il concerne le même groupe de travailleurs, car le gouvernement affirme que ces questions vont au-delà de celles qui sont couvertes par la convention collective et qu’elles concernent tous les travailleurs du secteur sucrier. Le comité observe que le recours à des organismes appelés à résoudre des différends entre parties à une négociation collective devrait se faire sur une base volontaire. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 932.]
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699. Compte tenu des versions contradictoires de l’organisation plaignante, du gouvernement et des syndicats, y compris en ce qui concerne l’incidence sur les conventions collectives de la décision prise par le ministre de renvoyer au NRB les 21 questions n’ayant pas fait l’objet d’un accord pendant la négociation collective et en ce qui concerne la légalité de cette mesure, et notant que l’organisation plaignante a sollicité de la Cour suprême l’autorisation de demander une révision judiciaire en vue de l’annulation pure et simple de la décision du ministre (point sur lequel la Cour suprême ne s’est pas encore prononcée), le comité s’attend à ce que les principes susmentionnés soient portés à l’attention de la Cour suprême et demande au gouvernement de lui transmettre une copie du jugement dès qu’il sera prononcé.
Recommandations du comité
Recommandations du comité
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700. A la lumière des conclusions précédentes, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité attire l’attention du gouvernement sur les principes mentionnés dans les conclusions ci-dessus, y compris sur les restrictions applicables aux autorités publiques quand il s’agit d’intervenir dans le processus de négociation collective entre les partenaires sociaux.
- b) Au vu des versions contradictoires apportées par l’organisation plaignante, le gouvernement et les syndicats et concernant l’incidence sur les conventions collectives de la mesure prise par le ministre de renvoyer au NRB les 21 questions n’ayant pas fait l’objet d’un accord pendant la négociation collective en ce qui concerne la légalité de cette mesure, et notant que l’organisation plaignante a sollicité l’autorisation de la Cour suprême de demander une révision judiciaire visant l’annulation pure et simple de la décision du ministre (point sur lequel la Cour suprême ne s’est pas encore prononcée), le comité s’attend à ce que les principes susmentionnés soient portés à l’attention de la Cour suprême et demande au gouvernement de lui fournir une copie du jugement de la Cour dès qu’il sera prononcé.