Allégations: L’organisation plaignante dénonce le harcèlement de ses dirigeants,
en particulier la mutation de responsables syndicaux, l’arrestation et la condamnation en
justice de son président, son vice-président et son secrétaire général comme sanction d’un
mouvement de grève dans les services publics
3. Décision du 18 juin 2010 de l’Inspection générale du travail et son suivi
- 535. La plainte figure dans une communication en date du 16 novembre 2012
de l’Union des syndicats du Tchad (UST). L’organisation plaignante a fourni des
informations additionnelles dans une communication du 29 décembre 2012.
- 536. Le gouvernement a fourni ses observations dans une communication en
date du 18 mars 2013.
- 537. Le Tchad a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et
la protection du droit syndical, 1948, la convention (nº 98) sur le droit d’organisation
et de négociation collective, 1949, ainsi que la convention (nº 135) concernant les
représentants des travailleurs, 1971.
A. Allégations de l’organisation plaignante
A. Allégations de l’organisation plaignante- 538. Dans une communication en date du 16 novembre 2012, l’Union des
syndicats du Tchad (UST) indique qu’en 2011 le gouvernement a décidé de relever le
salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) de 25 000 à 60 000 francs CFA (de 38 à
90 euros). Sur l’insistance de l’UST, le gouvernement a accepté d’appliquer ce nouveau
SMIG tant dans le secteur privé que dans la fonction publique. Par arrêtés ministériels,
des commissions paritaires ont été mises en place pour réviser les grilles salariales
dans les deux secteurs respectivement. Selon l’organisation plaignante, si dans le
secteur privé l’application d’une nouvelle grille salariale n’a pas posé de problème
particulier, malgré une grève de courte durée, la mise en œuvre dans le secteur public a
rencontré de multiples difficultés.
- 539. L’organisation plaignante précise que la grille salariale révisée
dans le secteur public comprenait les trois éléments suivants: l’avancement par échelon,
les indices catégoriels et la valeur du point d’indice servant de base de calcul des
salaires bruts. Cette grille élaborée au sein de la commission mixte paritaire a ensuite
été soumise à l’avis du comité consultatif de la fonction publique qui l’a entérinée.
Cependant, avant son approbation par décret, le gouvernement a demandé son application
sur trois ans au motif que l’Etat n’avait pas les moyens pour faire face à la masse
salariale qu’induirait son application en une seule fois. Selon l’UST, pour ne pas
apparaître «jusqu’au-boutiste» dans le contexte d’une grève déjà en cours pour réclamer
l’application de la grille, cette dernière a accepté de faire des concessions et a
accepté la proposition du gouvernement. Un protocole d’accord a ainsi été conclu.
- 540. L’organisation plaignante indique que l’application de la grille
s’est révélée défavorable aux travailleurs. Les nouveaux indices n’ont pas été utilisés
dans le traitement des salaires des agents, ce qui a conduit à une stagnation des
salaires au lieu de leur augmentation. Au contraire, un grand nombre d’agents ont même
vu leurs salaires réduits par rapport à ce qu’ils percevaient avant la révision de la
grille. Interpellé, le gouvernement a expliqué que la situation préjudiciable relevait
d’une simple erreur de paramétrage dans le traitement des salaires. Cette erreur n’a
pourtant pas été corrigée pendant de nombreux mois car, saisi dès février 2012 de la
situation, le gouvernement n’avait toujours pas pris de mesures correctives en mai.
- 541. Face à cette situation, l’UST a déposé un préavis de grève d’un mois
courant du 13 mai au 13 juin 2012. L’organisation réclamait l’application de la valeur
du point d’indice convenu dans le protocole d’accord signé avec le gouvernement, la
régularisation des salaires qui ont diminué et l’adoption d’une convention révisée des
contractuels de l’Etat. L’organisation plaignante précise que, à l’issue du préavis,
celui-ci a été prorogé d’un mois, c’est-à-dire du 13 juin au 13 juillet 2012. Ces deux
mois se sont achevés sans qu’aucun contact n’ait été établi avec le gouvernement.
- 542. La grève a débuté le 17 juillet 2012, quatre jours après
l’expiration du préavis. Celle-ci a duré deux mois au cours desquels un semblant de
négociation a été entamé par le gouvernement entaché de menaces et d’actes
antisyndicaux. Devant le refus du gouvernement d’accéder aux revendications sous
prétexte que l’Etat n’en avait pas les moyens, l’UST, réunie en assemblée générale le
1er septembre 2012, a adopté une pétition où elle dénonce la mauvaise gouvernance
concernant la gestion des ressources financières du pays. L’organisation a ainsi dénoncé
l’accaparement des richesses du pays par le seul chef de l’Etat, sa famille et ses
proches. Or le gouvernement s’est alors saisi de cette occasion pour dénoncer le fait
que l’UST a mis de côté ses revendications sociales pour se porter sur le terrain
politique. Et, selon les autorités, il n’appartenait pas au syndicat de tenir de tels
propos envers le chef de l’Etat et ses proches.
- 543. Selon l’organisation plaignante, la situation était devenue
explosive. Et c’est dans ce contexte que le secrétaire général de l’UST, M. Djondang
François, a fait l’objet de harcèlements de la part des autorités pendant trois jours.
Des chefs religieux, à savoir l’archevêque de N’Djamena, le secrétaire général de
l’Entente des églises et missions évangéliques du Tchad et le président du Conseil
supérieur des affaires islamiques sont également intervenus pour proposer leur médiation
et permettre un retour à plus de sérénité. Afin de ne pas discuter sous la pression de
la grève, l’UST a concédé la suspension de celle-ci pendant un mois, du 17 septembre au
17 octobre 2012.
- 544. Or, le 10 septembre 2012, les trois premiers dirigeants de l’UST, à
savoir son président, M. Barka Michel, son vice-président, M. Younouss Mahadjir, et son
secrétaire général, M. Djondang François, ont échappé de peu à une tentative
d’enlèvement. Ces faits ont fait l’objet d’une déposition auprès de la police suite à la
demande du Procureur général de la République sous la pression des avocats des victimes.
Cependant, l’organisation plaignante indique que, lorsqu’ils se sont rendus au parquet
accompagnés de plusieurs dizaines de militantes et militants, après leur audition, le
procureur de la République leur a signifié leur inculpation pour délit de diffamation et
d’incitation à la haine raciale.
- 545. Ainsi, un jour après la suspension de la grève, à savoir le
18 septembre 2012, le secrétaire général, le président et le vice-président de l’UST ont
été condamnés à dix-huit mois de prison avec sursis et à 1 000 000 de francs CFA
d’amende chacun (équivalent à 1 550 euros) pour diffamation et incitation à la haine
raciale, cela à l’issue d’un pseudo-procès qui n’a même pas duré une demi-heure.
- 546. De plus, l’UST dénonce le fait que, lors du prononcé des peines, un
militant syndical, M. MBaïlou Betar Gustave, dont la lourdeur de la sentence a fait
sourire, a aussi été condamné séance tenante pour outrage aux magistrats et a écopé de
trois mois de prison ferme et de 300 000 francs CFA d’amende. Ce dernier a purgé sa
peine de prison dans des conditions qui ont mené à son décès le 9 décembre 2012 à
l’Hôpital général de Référence nationale.
- 547. L’organisation plaignante dénonce aussi des représailles de la part
des autorités à l’encontre de dirigeants syndicaux qui ont mené la grève dans le secteur
de la santé, notamment les mutations administratives arbitraires de plusieurs
responsables de l’UST (M. Younouss Mahadjir, M. Djondang François, M. Montanan
N’Dinaromtan, Mme N’Doukolngone Naty Rachel, Mme Laoumaye Djerane et M. Abdoulaye
Richard) dans plusieurs villes du pays.
- 548. L’organisation plaignante déclare que, malgré ces sanctions et
nonobstant l’insistance de sa base à reprendre la grève pour répondre aux agissements
des autorités, elle a démontré sa bonne foi en respectant la trêve jusqu’à son terme, du
19 décembre 2012 au 31 mars 2013. Malgré cela, le gouvernement a récusé la médiation
religieuse, ce qui a eu pour résultat que, durant tout le temps de la suspension de la
grève par l’UST, aucun contact n’a été établi entre les parties. Ce comportement de
mépris et d’irresponsabilité de la part du gouvernement a conduit les travailleurs à
reprendre la grève.
- 549. L’UST pose certains préalables à la reprise du dialogue avec le
gouvernement et à la levée de la grève: 1) l’annulation de la condamnation des trois
premiers dirigeants de la centrale syndicale; 2) l’annulation des sanctions arbitraires
pour fait de grève des dirigeants syndicaux dans le domaine de la santé; et
3) l’adoption et l’approbation de conventions unifiées des agents contractuels et
décisionnaires de l’Etat.
- 550. L’organisation plaignante dénonce le fait que le gouvernement, à
court d’argument, se soit référé à la loi no 008/PR/2007 portant réglementation de
l’exercice du droit de grève dans les services publics pour menacer de déclarer
l’illégalité des grèves, cela alors même que ce dernier reconnaît la légitimité de
l’action des travailleurs. L’UST rappelle que ladite loi, que le gouvernement souhaite
utiliser pour restreindre l’activité syndicale, a fait l’objet de critiques de la part
du Comité de la liberté syndicale dans un précédent cas (cas no 2581) mais n’a toujours
pas été modifiée comme demandé.
- 551. Observant que l’attitude ouvertement antisyndicale du gouvernement
viole les conventions ratifiées par le Tchad, l’organisation plaignante l’exhorte à
cesser les actes de harcèlement des syndicalistes et d’entrave aux activités syndicales.
Elle souhaite des recommandations du Comité de la liberté syndicale dans ce sens.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 552. Dans une communication en date du 18 mars 2013, le gouvernement
déclare son attachement à la négociation collective et au dialogue social, outil
incontournable face aux défis sociaux. C’est dans cet esprit que le gouvernement a
souhaité adhérer au Projet d’appui à la mise en œuvre de la Déclaration (PAMODEC) de
l’OIT, qu’il considère comme une opportunité de renforcer les capacités de
l’administration et des partenaires sociaux à cet égard.
- 553. Le gouvernement indique avoir décidé de relever le salaire minimum
interprofessionnel garanti (SMIG) de 25 480 à 60 000 francs CFA, tant dans le secteur
public que privé, cela sans avoir subi aucune pression. Il a ainsi mis sur pied, par
arrêté du ministre de la Fonction publique et du Travail, deux commissions, l’une
paritaire et l’autre mixte paritaire, afin de réviser les grilles salariales du secteur
privé et du secteur public. S’agissant de la commission mixte paritaire, cette dernière
ne fait que des propositions au gouvernement et aux partenaires sociaux. Il appartient à
ceux-ci de les accepter ou non. C’est dans ce sens que le protocole d’accord mentionné
par l’organisation plaignante a été signé. Par ailleurs, le gouvernement tient à
préciser que le Comité consultatif de la fonction publique, qui n’émet qu’un avis sur
les actes qui lui sont soumis, a adopté la grille salariale mais n’a pu parvenir à un
consensus sur la question de l’augmentation de la valeur du point d’indice proposée par
la commission mixte paritaire. Ainsi, le gouvernement n’a pris aucun acte entérinant le
relèvement de la nouvelle valeur du point d’indice proposée par la commission mixte
paritaire et souhaitée par les organisations représentatives du personnel, membres du
Comité consultatif de la fonction publique. Les trois éléments constitutifs de la
révision de la grille salariale énoncés par l’organisation plaignante demeurent
valables, mais la valeur du point d’indice devrait être celle en cours de validité (115)
issue du protocole d’accord entre le gouvernement et les organisations syndicales du
20 juin 2007 entérinée par la loi no 013/PR/2007 du 3 octobre 2007, modifiant la loi
no 001/PR/2007 du 5 janvier 2007, portant budget général de l’Etat pour 2007.
- 554. Le gouvernement indique que, alors qu’il examinait avec le patronat
les erreurs contenues dans les grilles et les effets liés à leur application, l’UST et
la Confédération libre des travailleurs du Tchad (CLTT) ont appelé leurs adhérents à
observer une grève de trois jours renouvelables. Le gouvernement a alors été amené à
engager des négociations avec les deux centrales syndicales, ce qui a abouti à la
signature d’un protocole d’accord le 11 novembre 2011 sur une nouvelle grille indiciaire
mise en place par le décret no 1249 du 12 novembre 2011. Selon le gouvernement, le
protocole d’accord est clair et ne souffre d’aucune ambiguïté en ce qu’il conserve une
valeur du point d’indice inchangée.
- 555. L’évaluation de l’incidence financière annuelle de la grille était
de 12,5 milliards de francs CFA. Et compte tenu des possibilités de l’Etat à prendre en
compte cette incidence en 2012, une application graduelle a été convenue: 20 pour cent
en 2012; 40 pour cent en 2013 et 40 pour cent en 2014. Ainsi, une grille intermédiaire
prenant en compte les 20 pour cent et un tableau de reversement dans ladite grille ont
été élaborés pour l’année 2012. Le gouvernement déclare avoir pris toutes les
dispositions pour que le protocole d’accord soit appliqué, cependant l’UST a soutenu que
les indices salariaux auraient dû être multipliés par la valeur 150 au lieu de 115. Par
ailleurs, l’UST a dénoncé le fait que les salaires de certains agents de l’Etat ont
stagné et même diminué dans certains cas.
- 556. Le gouvernement reconnaît que le système informatique a connu
quelques problèmes de paramétrage à l’origine des diminutions de salaires constatées.
Ces erreurs ont cependant été immédiatement réparées. Il regrette que, en dépit de
nombreuses réunions avec les partenaires sociaux au cours desquelles il a tenté
d’expliquer que les problèmes techniques ont été automatiquement corrigés et qu’à la
signature du protocole d’accord de novembre 2011 il n’était pas question de
l’augmentation de la valeur du point d’indice, l’UST a campé dans sa position et a durci
le ton. Ainsi, l’UST a déclenché une grève le 17 juillet 2012 sans tenir compte de
l’avis de la CLTT, elle-même signataire du même protocole d’accord.
- 557. Selon le gouvernement, la grève déclenchée par l’UST a également été
suivie par le Syndicat des travailleurs des affaires sociales et de la santé (SYNTASST)
qui avait pourtant signé avec les autorités un protocole d’accord assorti d’une trêve
sociale de trois ans qui expirait en 2014. Le gouvernement regrette que l’UST soit
passée d’une grève perlée à une grève sèche, et cela même dans les services essentiels
mettant en danger la vie et la sécurité de la population tout entière. Selon le
gouvernement, l’UST, en empêchant des agents de l’Etat réquisitionnés de travailler dans
certains services essentiels, est responsable de la mort de plusieurs personnes. Cette
grève viole en outre la loi no 008/PR/007 du 9 mai 2007 portant réglementation du droit
de grève dans les services publics.
- 558. L’UST a ensuite dérivé sur le champ politique en s’attaquant à la
personne du chef de l’Etat et à sa famille dans une pétition rendue publique. La justice
s’en est saisie et a engagé des poursuites contre les auteurs de la pétition.
- 559. Par ailleurs, le gouvernement nie avoir refusé la médiation de
dirigeants religieux et du Réseau des associations des droits de l’homme et déclare
avoir toujours voulu privilégier le dialogue à travers le Comité national du dialogue
social (CNDS), institution tripartite mise en place par le décret no 1437/PR/PM/MFPT/09
du 5 novembre 2009 et chargée, entre autres, de faciliter la résolution des conflits
sociaux. C’est ainsi que le 18 janvier 2013 une ouverture officielle des négociations a
eu lieu dans les locaux du CNDS en vue d’aboutir à un pacte social.
- 560. Le gouvernement considère que le protocole d’accord du 11 novembre
2011 a non seulement été dénoncé unilatéralement, mais le protocole d’accord liant le
gouvernement au SYNTASST également. Cette situation aurait pu dégénérer et l’ordre
public aurait pu être menacé. En l’espèce, le gouvernement aurait pu prendre les
dispositions qui s’imposent afin d’assurer le maintien de l’ordre.
- 561. Seulement, le gouvernement déclare avoir été convaincu que seul le
dialogue pouvait régler la crise et a ainsi pu manifester, une fois de plus, sa bonne
foi en revenant sur toutes les mesures prises considérées par l’UST comme des préalables
à toute négociation afin de décrisper l’atmosphère. Ces mesures incluaient:
1) l’annulation pure et simple des affectations des responsables syndicaux; 2) la
non-retenue des salaires des agents ayant fait grève; 3) le maintien des effets
financiers des protocoles d’accord dénoncés unilatéralement par les centrales
syndicales; et 4) l’adoption de conventions unifiées des agents contractuels de l’Etat.
Sur ce dernier point, un projet de convention collective des contractuels du secteur
public a été élaboré, adopté et examiné en conseil de cabinet. Le projet doit être
adopté prochainement par le gouvernement.
- 562. En ce qui concerne la requête de l’UST de l’annulation de la
condamnation des responsables de la centrale syndicale, le gouvernement déclare qu’il
appartient aux instances judiciaires d’en décider, compte tenu de l’indépendance de la
justice.
- 563. Le gouvernement affirme son souci de préserver la paix sociale et
son engagement à trouver une issue heureuse dans le présent cas.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 564. Le comité observe que le présent cas porte sur des allégations de
harcèlement et de discrimination à l’encontre de syndicalistes de l’Union des syndicats
du Tchad (UST), notamment la mutation, l’arrestation et la condamnation de ses
dirigeants pour fait de grève.
- 565. Le comité note que les difficultés alléguées dans le présent cas
découlent de la mise en œuvre du relèvement du salaire minimum interprofessionnel
garanti (SMIG) dans le secteur public, et notamment d’un différend entre le gouvernement
et l’organisation plaignante sur les modalités de cette mise en œuvre suite à la
signature d’un protocole d’accord en novembre 2011. Le comité observe par ailleurs que
des problèmes techniques liés au traitement informatique ont également rendu cette mise
en œuvre difficile dans un premier temps, mais que, selon le gouvernement, ces derniers
ont été rapidement corrigés. Cependant, l’organisation plaignante a dénoncé les
répercussions défavorables de la nouvelle grille salariale sur le traitement de certains
agents de l’Etat. Selon l’UST, toutes ces difficultés et le défaut de mesures
correctives de la part des autorités ont motivé le dépôt d’un préavis de grève en mai
2012, que la centrale syndicale a prorogé à deux reprises pour permettre des
négociations éventuelles. Cependant, en l’absence de contact avec le gouvernement, la
grève a été déclenchée le 17 juillet 2012 dans les services publics et a duré deux
mois.
- 566. Le comité note l’indication du gouvernement selon laquelle la grève
déclenchée par l’UST a également été suivie par le Syndicat des travailleurs des
affaires sociales et de la santé (SYNTASST) qui avait pourtant signé avec les autorités
un protocole d’accord assorti d’une trêve sociale de trois ans qui expirait en 2014. Le
gouvernement considère que le déclenchement de la grève a signifié une dénonciation
unilatérale du protocole d’accord du 11 novembre 2011 mais également de celle qui liait
le gouvernement au SYNTASST. A cet égard, de l’avis du gouvernement, la situation aurait
pu dégénérer et l’ordre public aurait pu être menacé. Le gouvernement dénonce surtout le
fait que la grève a touché les services essentiels mettant ainsi en danger la vie et la
sécurité de la population. Selon le gouvernement, l’UST, en empêchant des agents de
l’Etat réquisitionnés de travailler dans certains services essentiels, est responsable
de la mort de plusieurs personnes. Cette grève viole en outre la loi no 008/PR/2007 du
9 mai 2007 portant réglementation du droit de grève dans les services publics.
- 567. Le comité note que, selon l’organisation plaignante, le refus
persistant du gouvernement d’accéder aux revendications sous prétexte que l’Etat n’avait
pas les moyens financiers l’a amené à adopter en septembre 2012 une pétition dénonçant
la mauvaise gouvernance dans la gestion des ressources financières du pays.
L’organisation plaignante entendait ainsi dénoncer l’accaparement des richesses du pays
par le chef de l’Etat et son entourage. Le comité observe que, de son côté, le
gouvernement qualifie la pétition d’attaque politique à l’encontre de la personne du
chef de l’Etat et de sa famille.
- 568. Le comité note l’indication de l’organisation plaignante selon
laquelle la situation est alors devenue tendue. Pour diminuer la pression, l’UST a
décidé d’une période de trêve et de suspendre le mouvement de grève. Mais ses dirigeants
ont fait l’objet de harcèlement constant jusqu’à leur inculpation, le 18 septembre 2012,
pour délit de diffamation et d’incitation à la haine raciale par le procureur de la
République alors même qu’ils s’étaient rendus au parquet pour dénoncer une tentative
d’enlèvement. Le secrétaire général, le président et le vice-président de l’UST ont
ainsi été condamnés à dix-huit mois de prison avec sursis et à 1 000 000 de francs CFA
d’amende chacun (équivalent à 1 550 euros) pour diffamation et incitation à la haine
raciale, à l’issue d’un procès d’une demi-heure. De plus, l’organisation plaignante
dénonce le fait que, lors du prononcé des peines, un militant syndical, M. MBaïlou Betar
Gustave, a aussi été condamné pour outrage aux magistrats et a écopé de trois mois de
prison ferme et de 300 000 francs CFA d’amende. Ce dernier a purgé sa peine de prison
dans des conditions qui ont mené à son décès le 9 décembre 2012 à l’Hôpital général de
Référence nationale. Le comité observe que l’organisation plaignante demande
l’annulation des jugements prononcés.
- 569. Le comité note la déclaration du gouvernement selon laquelle, suite
à la parution de la pétition, la justice s’est saisie de l’affaire et a engagé des
poursuites contre ceux considérés comme les auteurs. En ce qui concerne la requête de
l’UST de l’annulation de la condamnation de ses dirigeants, le gouvernement indique
qu’il appartient aux instances judiciaires d’en décider compte tenu de l’indépendance de
la justice.
- 570. Notant le contenu de ladite pétition, le comité considère qu’il lui
appartient de rappeler les principes suivants en relation avec la liberté d’expression
des organisations syndicales et patronales: le droit d’exprimer des opinions par voie de
presse ou autrement est l’un des éléments essentiels des droits syndicaux. La liberté
d’expression dont devraient jouir les organisations syndicales et leurs dirigeants
devrait également être garantie lorsque ceux-ci veulent formuler des critiques à l’égard
de la politique économique et sociale du gouvernement. [Voir Recueil de décisions et de
principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 155 et
157.] Le comité veut croire que le gouvernement veillera au respect de ces principes.
Par ailleurs, il prie le gouvernement de faire état de tout recours intenté contre les
condamnations des dirigeants de l’UST et d’indiquer toute décision définitive rendue à
cet égard.
- 571. Le comité note que, selon l’organisation plaignante, malgré sa
décision de respecter la trêve jusqu’à son terme (31 mars 2013), aucun contact n’a pu
être établi entre les parties durant tout le temps de la suspension de la grève par
l’UST. Ce comportement du gouvernement a conduit les travailleurs à reprendre la grève.
Or le gouvernement aurait menacé d’appliquer la loi no 008/PR/2007 portant
réglementation de l’exercice du droit de grève dans les services publics afin de
déclarer l’illégalité des grèves. Le comité note en effet que, via un point de presse,
le gouvernement a indiqué que la grève de l’UST est sans objet, qu’il décide de
l’annulation du protocole d’accord du 3 juin 2011 avec le SYNTASST et du protocole
d’accord du 11 novembre 2011 avec l’UST et la CLTT et qu’il se réserve le droit
d’appliquer les textes en vigueur aux travailleurs réquisitionnés qui ne reprendraient
pas le travail.
- 572. L’UST rappelle que ladite loi a fait l’objet de critiques de la part
du Comité de la liberté syndicale dans un précédent cas (cas no 2581) mais n’a toujours
pas été modifiée comme demandé. A cet égard, le comité avait rappelé les principes de la
liberté syndicale relatifs à l’exercice du droit de grève dans les services publics et
pour la détermination d’un service minimum. Il avait prié le gouvernement de prendre les
mesures nécessaires pour revoir sa législation. [Voir 354e rapport, paragr. 1112 à
1115.] Le comité note avec regret que cet aspect législatif fait l’objet d’un suivi de
la part de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations
sans qu’aucun progrès n’ait été constaté (voir commentaires de 2013 sur l’application de
la convention no 87 par le Tchad). Il se voit obligé de réitérer sa recommandation, à
savoir qu’il demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour revoir, en
consultation avec les partenaires sociaux concernés, sa législation concernant
l’exercice du droit de grève dans les services publics (loi no 008/PR/2007 du 9 mai
2007) pour assurer la détermination d’un service minimum, conformément aux principes de
la liberté syndicale. Notant que le gouvernement a adopté un arrêté (no 624/PR/PM/2013)
portant création d’un Comité ad hoc de négociations (CAN) de composition tripartite
afin, en vertu de son article 1, de rechercher les moyens de garantir le fonctionnement
régulier des services publics et privés, le comité prie instamment le gouvernement de le
tenir informé des travaux du CAN à cet égard.
- 573. Enfin, le comité note que l’organisation plaignante dénonce des
représailles à l’encontre de dirigeants syndicaux qui ont mené la grève dans le secteur
de la santé, notamment les mutations administratives arbitraires de plusieurs
responsables de l’UST (M. Younouss Mahadjir, M. Djondang François, M. Montanan
N’Dinaromtan, Mme N’Doukolngone Naty Rachel, Mme Laoumaye Djerane et M. Abdoulaye
Richard) dans plusieurs villes du pays. A cet égard, le comité prend note avec intérêt
de la déclaration du gouvernement selon laquelle, afin de manifester sa bonne foi, ce
dernier a décidé d’accéder aux revendications considérées par l’UST comme des préalables
à toute négociation, y compris l’annulation pure et simple des affectations des
responsables syndicaux et la non-retenue des salaires des agents ayant fait grève. Tout
en accueillant favorablement cette décision d’apaisement du gouvernement, le comité
tient néanmoins à rappeler le principe selon lequel nul ne devrait faire l’objet de
sanctions pour avoir déclenché ou tenté de déclencher une grève légitime. [Voir Recueil,
op. cit., paragr. 660.]
Recommandations du comité
Recommandations du comité- 574. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite
le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le
comité prie le gouvernement de veiller au respect des principes qu’il rappelle sur
la liberté d’expression des organisations d’employeurs et de travailleurs et de
faire état de tout recours intenté contre les condamnations prononcées en septembre
2012 contre les dirigeants de l’Union des syndicats du Tchad et d’indiquer toute
décision définitive rendue à cet égard.
- b) Le comité note avec regret que,
depuis sa dernière recommandation sur la nécessité de modifier la loi no 008/PR/2007
portant réglementation de l’exercice du droit de grève dans les services publics,
aucun progrès n’a été constaté. Il se voit obligé de demander de nouveau au
gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour revoir, en consultation avec
les partenaires sociaux concernés, sa législation concernant l’exercice du droit de
grève dans les services publics (loi no 008/PR/2007 du 9 mai 2007) pour assurer la
détermination d’un service minimum, conformément aux principes de la liberté
syndicale. Le comité prie instamment le gouvernement de le tenir informé des travaux
du Comité ad hoc de négociations (CAN) à cet égard.