Allégations: L’organisation plaignante allègue que l’adoption d’une loi portant
retrait du droit à une augmentation de salaire indexée sur les années de service permet au
gouvernement de suspendre de manière unilatérale des droits garantis par les conventions
collectives en vigueur dans la fonction publique
- 373. La plainte figure dans une communication de l’Association des
syndicats croates (MATICA) en date du 17 mars 2015.
- 374. Le gouvernement a fourni sa réponse aux allégations dans une
communication reçue le 19 octobre 2016.
- 375. La Croatie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale
et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit
d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations de l’organisation plaignante
A. Allégations de l’organisation plaignante- 376. Dans sa communication en date du 17 mars 2015, l’organisation
plaignante, l’un des syndicats représentatifs de Croatie regroupant 11 syndicats de la
fonction publique, allègue que la loi portant retrait du droit à une augmentation de
salaire indexée sur les années de service (OG 41/2014, ci-après dénommée «la loi») viole
le droit à la liberté d’association et le droit de négociation collective garantis par
les conventions nos 87 et 98.
- 377. L’organisation plaignante indique qu’en matière d’emploi le statut
des salariés de la fonction publique, si l’on excepte la Constitution croate et les
sources internationales du droit du travail – y compris les conventions ratifiées de
l’OIT –, la loi sur le travail et la loi sur les salaires dans la fonction publique, est
essentiellement déterminé par la convention collective de base des fonctionnaires et
salariés de la fonction publique du 12 décembre 2012 (ci-après la «BCA de 2012») ainsi
que par un ensemble de conventions collectives de branche qui constituent une source
autonome de droit dans ce domaine. En Croatie, la négociation collective est une
pratique largement répandue dans le secteur des services publics, puisque l’effectif des
fonctionnaires est tel qu’il permet d’utiliser efficacement cet instrument pour assurer
un équilibre des intérêts au niveau de l’organisation du travail. La BCA de 2012 a été
conclue par six syndicats représentatifs de la fonction publique et par le gouvernement
et doit rester en vigueur jusqu’en décembre 2016. D’autres conventions collectives
(ci-après les «conventions collectives de branche») ont déjà été établies pour certaines
branches des services publics, comme la convention collective pour la recherche et les
établissements d’enseignement supérieur du 22 octobre 2010 (OG no 142/2010), applicable
jusqu’au 23 octobre 2014; la convention collective des salariés de l’enseignement
secondaire du 21 décembre 2010 (OG no 7/2011), valide jusqu’au 31 décembre 2014; la
convention collective pour les salariés de l’enseignement primaire du 29 avril 2011 (OG
no 66/2011), dont la date d’expiration a été fixée au 30 avril 2015; la convention
collective pour les soins de santé et l’assurance-maladie du 1er décembre 2013 (OG
no 143/2013), qui doit rester en vigueur jusqu’au 1er décembre 2017, etc. L’organisation
plaignante allègue que le gouvernement a brusquement dénoncé la majorité des conventions
collectives susmentionnées dans un court laps de temps (soit entre décembre 2013 et
février 2014), en justifiant cette dénonciation par une modification radicale du
contexte économique.
- 378. L’organisation plaignante souligne l’importance du droit à une
augmentation de salaire indexée sur les années de service, un droit qui n’a été octroyé
aux salariés de la fonction publique que par la voie de conventions collectives. La BCA
de 2012, ainsi que la convention collective de 2013 pour les fonctionnaires de l’Etat
établissent que la rémunération des salariés de la fonction publique comporte un
traitement de base, assorti de divers compléments de salaire. Le traitement de base des
salariés de la fonction publique est le produit du taux de base des salaires et du
coefficient de complexité des tâches en vigueur sur le lieu de travail, produit majoré
de 0,5 pour cent pour chaque année de service complète. Lorsque le nombre d’années de
service requis est atteint, le taux de base des salaires et le coefficient de complexité
des tâches – et, par voie de conséquence, le traitement de base des fonctionnaires –
augmentent d’un certain pourcentage. L’organisation plaignante estime que le véritable
effet de l’adoption de la loi pour les fonctionnaires de la fonction publique n’est pas
le non-paiement des compléments de salaire, mais une réduction de leur traitement de
base.
- 379. L’organisation plaignante indique que le Parlement a adopté la loi
susmentionnée le 25 mars 2014, privant ainsi les salariés de la fonction publique de
Croatie de l’augmentation de salaire indexée sur les années de service, alors que le
droit à cette augmentation est établi dans des conventions collectives ou d’autres
accords conclus par le gouvernement. L’organisation plaignante estime que cette loi
constitue une atteinte directe au droit de négociation collective, droit garanti par les
conventions fondamentales de l’OIT nos 87 et 98. Aux termes de l’article 140 de la
Constitution de la République de Croatie, ces conventions, qui ont été ratifiées par la
Croatie, font partie intégrante du système juridique national et priment sur la
loi.
- 380. L’organisation plaignante cite les raisons invoquées par le
gouvernement, promoteur de la loi controversée, dans une première mouture de cette loi
datée de mars 2014 (document joint):
- Alors que la situation
économique se dégrade de manière dramatique, le fait de maintenir des droits
découlant de dispositions légales en vigueur ne peut que contribuer à accroître le
déficit budgétaire et la dette publique. L’aggravation du déséquilibre budgétaire
risque d’entraîner une nouvelle baisse de la cote de crédit ainsi qu’un
renchérissement du coût des emprunts du gouvernement et pourrait dès lors se révéler
préjudiciable à l’ensemble de l’économie. La compétitivité du pays et la viabilité
de la dette en pâtiraient. Sachant que les indicateurs des tendances économiques
susmentionnés montrent que les mesures proposées sont précisément de nature à
assurer le progrès économique, le gouvernement de la République de Croatie estime
que les mesures en question sont pleinement justifiées et nécessitent l’adoption de
la loi proposée. Dans les périodes de pénurie et de crise économique, le rôle de
l’Etat est clairement défini: il lui incombe, d’une part, d’agir sur le niveau des
droits économiques et sociaux à l’aide de diverses mesures de politique économique
adaptées au potentiel économique du pays, afin de relancer l’économie et, d’autre
part, d’appliquer de nouvelles mesures d’austérité budgétaire, afin de réduire la
dette publique. C’est la raison pour laquelle il faut impérativement réexaminer la
question du coût du travail dans la fonction publique. Pour que les pouvoirs
publics, compte tenu de l’évolution du contexte économique et social, soient en
mesure de préserver la qualité de vie des particuliers et celle de la collectivité,
tout en garantissant le respect effectif des valeurs fondamentales mentionnées
ci-dessus, il leur incombe – et les compétences requises leur sont conférées par la
Constitution – d’adapter le cadre législatif à ces nouvelles circonstances, et
notamment de redéfinir certains droits. Diverses conventions collectives ou autres
types d’accords sont actuellement en vigueur dans la fonction publique: ces accords
et conventions ont été conclus à une époque où l’économie était en meilleure santé
et s’accompagnait d’une croissance des salaires et d’autres droits importants; dans
une période de récession exigeant l’adoption de mesures d’austérité, il n’est plus
possible de les appliquer strictement. Si l’objectif est de stabiliser les dépenses
de personnel dans la fonction publique, on peut tenter de résoudre le problème que
pose l’insuffisance des fonds nécessaires pour le maintien des droits convenus soit
en restreignant temporairement certains de ces droits, soit en réduisant les
effectifs, ce qui permet de réduire le montant total des dépenses de personnel. Si
le but est d’assurer la stabilité financière des services publics, ce qui
permettrait également de maintenir le niveau d’emploi existant, il est indispensable
de réduire le volume total des ressources affectées au financement des dépenses de
personnel. Etant donné que certains droits et augmentations de salaires ont été
établis dans le cadre de diverses conventions collectives, dont certaines ont été
dénoncées, mais restent applicables pendant une période de trois mois suivant cette
dénonciation, et compte tenu du fait que les droits matériels des salariés de la
fonction publique sont généralement financés à l’aide des mêmes recettes publiques
et budgétaires, il importe de veiller avec un soin tout particulier à ce que le
périmètre et le niveau de ces droits restent unifiés. Sachant par ailleurs qu’aucune
croissance du produit intérieur brut n’est prévue jusqu’à la fin de l’année, il y a
lieu de supprimer le droit à une augmentation de salaire indexée sur les années de
service dans l’ensemble de la fonction publique. Cette suppression du droit à une
augmentation du coefficient de complexité des tâches pour les rémunérations des
salariés de la fonction publique en 2014 – un droit qui découle uniquement des
accords et conventions susmentionnés, mais n’a nullement été institué par une loi ou
un règlement – permettra de réaliser les économies nécessaires dans le budget de
l’Etat.
- 381. L’organisation plaignante estime que, dans une perspective
économique, le gouvernement n’a aucune raison valable d’adopter la loi. Elle juge
absurde de prétendre que les mesures d’austérité garantissent le progrès économique,
étant donné qu’aucune théorie économique n’a pu prouver l’existence d’un lien de
causalité entre austérité budgétaire et reprise économique. Certains économistes vont
même jusqu’à affirmer que ce lien de causalité existe bel et bien, mais qu’il emprunte
la direction inverse: les mesures d’austérité, loin de résoudre les crises, les
amplifieraient, comme l’atteste l’échec manifeste des plans d’austérité dans toute
l’Europe au cours des sept dernières années. Ce point de vue est corroboré par le fait
que, malgré de nombreuses suppressions et réductions des droits matériels opérées ces
dernières années dans la fonction publique, ni la situation budgétaire ni la situation
économique globale de la Croatie ne se sont améliorées, en dépit du fait que la baisse
du coût du travail par tête dans la fonction publique pendant la crise a été souvent
plus forte que la baisse du produit intérieur brut (PIB).
- 382. L’organisation plaignante ajoute que l’un des principaux arguments
avancés pour justifier la réduction des droits matériels des salariés de la fonction
publique est la nécessité d’équilibrer les finances publiques et d’enrayer la croissance
de la dette publique. Il ressort toutefois des données de la Commission européenne que
cette dette publique, loin de diminuer en 2012, a augmenté de l’équivalent de 3,9 pour
cent du PIB, cette augmentation atteignant même un niveau record en 2013 (l’équivalent
de 9,4 pour cent du PIB). Il n’est de ce fait pas possible d’affirmer que seule
l’austérité budgétaire permettra de redresser la situation économique ou budgétaire de
la Croatie. Bien au contraire, les baisses de salaires et les réductions des droits
matériels des travailleurs réduisent encore davantage le pouvoir d’achat global des
citoyens, ce qui entraîne un affaiblissement de la demande, un ralentissement de la
production et de l’emploi et, par voie de conséquence, une baisse du PIB. La baisse du
PIB provoque à son tour le creusement du déficit et le gonflement de la dette publique,
exprimés en pourcentage du PIB. Par conséquent, en opérant de nouvelles réductions
salariales, non seulement au sein de la fonction publique, mais dans l’ensemble des
secteurs économiques, le gouvernement alimente la spirale négative qui vient d’être
décrite et aggrave encore le déséquilibre budgétaire. Il est possible de réaliser des
économies, mais il n’y pas lieu de prétendre que les mesures d’austérité, le retrait des
droits et les réductions salariales servent la reprise économique, car aucun élément
théorique ou concret ne peut confirmer une telle assertion.
- 383. L’organisation plaignante confirme que le gouvernement possède la
légitimité démocratique requise pour choisir le modèle de développement économique; il
n’a toutefois pas le droit de se prévaloir d’une interprétation de la réalité économique
qui reste discutable pour dénoncer des accords et, partant, violer les principes sur
lesquels repose le fonctionnement de l’ordre juridique. L’organisation plaignante estime
que la thèse du gouvernement – à savoir qu’un certain nombre de conventions collectives
en vigueur dans le secteur de la fonction publique ont été conclues à une époque où la
situation économique était plus favorable et permettait les augmentations de salaires et
d’autres droits matériels, mais qu’il n’est plus possible d’appliquer pleinement
lesdites conventions dans une période de récession exigeant l’adoption de mesures
d’austérité – est indéfendable et incorrecte. L’organisation plaignante affirme que la
situation économique actuelle est quasiment identique à celle de la fin de l’année 2010,
date à laquelle ont été signées la plupart des conventions collectives de branche, et
qu’elle est plutôt marquée par une stagnation imputable à l’absence de mesures
économiques aptes à véritablement relancer la croissance. Si l’on tient par ailleurs
compte du fait que la dernière convention collective de branche – celle qui couvre les
soins de santé et l’assurance-maladie, et qui définit le droit à une augmentation de
salaire indexée sur les années de service – a été conclue en 2013, soit trois mois
seulement avant le dépôt du projet de loi, la thèse du gouvernement devient totalement
indéfendable.
- 384. L’organisation plaignante affirme également que, du point de vue
légal, les raisons avancées par le gouvernement pour justifier l’adoption d’une loi qui
déroge directement à certaines dispositions des conventions collectives ne sont pas
pertinentes. Les conventions collectives, malgré leur spécificité juridique, sont
d’abord et avant tout des accords. Lorsque le gouvernement, en sa qualité de partie
contractante, conclut des conventions collectives pour la fonction publique, il agit au
titre d’employeur, et non d’autorité publique. Les conventions collectives sont donc
contraignantes pour le gouvernement tant qu’elles restent en vigueur (y compris pendant
la période suivant la dénonciation). Les conventions collectives lient l’ensemble des
signataires tant que les conditions requises pour pouvoir les abroger ou les dénoncer en
toute légalité ne sont pas remplies. Conformément aux dispositions des conventions
collectives et aux règles générales du droit impératif, il n’est possible d’annuler un
accord qu’en cas de bouleversement majeur de la situation économique, ce qui implique
donc la survenue de circonstances extraordinaires auxquelles il est impossible de se
soustraire et qui, au moment de la signature des conventions collectives, ne pouvaient
pas être prévues. L’organisation plaignante souligne que, contrairement à ce qui s’était
passé lorsque qu’il avait supprimé illégalement certains droits énoncés dans les
conventions collectives (après l’annulation illégale des conventions collectives de base
dans la fonction publique en 2012, l’adoption d’une première loi portant retrait des
droits établis dans le cadre de conventions collectives et suspendant le versement de la
prime de Noël et de l’indemnité de vacances en 2012 et 2013, et la prolongation par
décret gouvernemental de la durée de validité de ladite loi jusqu’en 2014), le
gouvernement, lorsqu’il s’emploie aujourd’hui à justifier la loi portant suspension des
droits définis dans les conventions collectives, ne tente même pas d’invoquer un
bouleversement de la situation économique. Prenant prétexte des économies à réaliser, se
déliant de ses obligations contractuelles et tirant parti de ce qu’il est la partie
contractante en position de force, le gouvernement se prévaut de son autorité pour
suspendre purement et simplement les droits énoncés dans les conventions collectives.
L’organisation plaignante estime qu’une telle attitude montre que le gouvernement se
considère comme étant au-dessus des lois, ce qui constitue une grave menace pour le
principe de l’état de droit et la sécurité juridique en Croatie.
- 385. Se référant à l’article 8, paragraphe 3, de la convention no 87 et à
l’article 4 de la convention no 98, l’organisation plaignante estime que la loi est en
totale contradiction avec ces deux conventions, avec les valeurs universelles du droit
international consacrées par ces textes ainsi qu’avec les principes et les valeurs
constitutifs de l’ordre juridique croate. Elle estime que cette loi ôte toute
signification au droit d’organisation et de négociation collective, car elle fait passer
le message que le gouvernement, lorsqu’il participe à des négociations en vue de la
conclusion de conventions collectives, ne se considère pas comme étant lié par ces
négociations et par les accords signés, ce qui implique que les résultats des
négociations peuvent être annulés de manière arbitraire et que les salariés peuvent se
voir dépossédés de leurs droits sans que les conditions et procédures prescrites aient
été respectées. Dans de telles circonstances, toute action syndicale devient inutile et
le droit d’organisation et de négociation collective n’est plus qu’une formule vide.
L’organisation plaignante estime que les éléments susmentionnés sont confirmés par la
Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations (CEACR) dans
son observation de 2010 sur l’application par la Croatie de la convention no 98, qui
pose comme principe que, d’une manière générale, la loi ne peut pas déroger à une
convention collective et que l’ingérence unilatérale de l’Etat dans des domaines régis
par la convention collective constitue une violation de la convention.
- 386. L’organisation plaignante estime de ce fait que, pour que la loi
puisse déroger aux conventions collectives, il faudrait que les conditions suivantes
soient remplies: i) le gouvernement, en tant que partie à la convention collective, a
préalablement organisé des consultations à propos d’une éventuelle modification de la
convention collective; et ii) la suspension des droits est aussi limitée que possible,
n’est mise en œuvre que pendant une période bien déterminée, s’applique à tous et se
fonde sur un motif raisonnable, à savoir un bouleversement économique majeur.
L’organisation plaignante estime que plusieurs de ces conditions importantes n’étaient
pas remplies lorsque le gouvernement a promulgué la loi portant retrait du droit des
salariés de la fonction publique à une augmentation de salaire, droit qui avait été
établi par voie de convention collective.
- 387. En ce qui concerne les négociations qui auraient dû être engagées
avant la suspension des droits garantis par les conventions collectives, l’organisation
plaignante note que le droit à une augmentation de salaire a été fixé dans le cadre de
conventions collectives de branche pour les divers services publics, et que le
gouvernement n’a même pas engagé de négociations en vue de modifier ou de suspendre ces
accords, mais qu’il les a brusquement dénoncés de manière unilatérale au motif que le
contexte économique s’était profondément modifié. Qui plus est, la loi a été adoptée
alors que les conventions collectives étaient encore en vigueur – y compris pendant la
période suivant la dénonciation –, ce qui a restreint la possibilité d’engager des
négociations à propos des droits susmentionnés: outre que le gouvernement était
fermement résolu à supprimer le droit à une augmentation de salaire, la loi rendait
impossible le versement correspondant pendant la période qui a suivi. Selon
l’organisation plaignante, le gouvernement a de cette manière forcé la plupart des
syndicats à conclure une convention collective dépourvue de la disposition relative au
droit à une augmentation de salaire indexée sur les années de service. Par exemple,
sachant que cette augmentation de salaire a été fixée dans le cadre de la convention
collective couvrant le secteur de la santé conclue quelques mois avant l’adoption de la
loi, les négociateurs de la convention collective pour les secteurs de la science et de
l’enseignement supérieur, convention qui a cessé d’être valide il y presque un an, n’ont
pas accepté de supprimer cette disposition, ce qui fait que les négociations se
poursuivent encore à l’heure actuelle.
- 388. L’organisation plaignante dénonce également le fait que le
gouvernement n’a pas respecté l’impératif d’une approche identique pour tous. Elle
estime que, en adoptant cette loi, le gouvernement a retiré certains droits fondamentaux
aux salariés de la fonction publique, mais non à ceux des autres pans du secteur public
appartenant à l’Etat – à savoir les entreprises et autres entités majoritairement
détenues par l’Etat. Les dépenses et les pertes de ces personnes morales sont
fréquemment couvertes par le budget de l’Etat; pour cette raison, elles représentent un
coût budgétaire au même titre que les services publics, ce qui signifie que le retrait
de certains droits au sein de ces entités devrait entraîner une augmentation des
recettes budgétaires. Or, selon l’organisation plaignante, le gouvernement a opéré une
réduction sélective qui vise exclusivement les droits des salariés de la fonction
publique.
- 389. L’organisation plaignante estime que la loi supprime certains droits
fondamentaux des salariés de la fonction publique établis par voie de convention
collective et enfreint le principe «pacta sunt servanda». L’organisation plaignante
considère de ce fait que le gouvernement, en sa qualité d’employeur du service public, a
renforcé sa position dans la négociation au moyen d’une législation qu’il a lui-même
proposée, dont l’adoption a été assurée par la majorité parlementaire, ce qui lui a
permis d’imposer de facto sa volonté dans la négociation collective. L’organisation
plaignante estime qu’une telle attitude est contraire aux conventions nos 87 et 98, qui
protègent le droit d’organisation et de négociation collective contre toute ingérence
abusive des autorités et interdisent que la loi déroge aux droits garantis par les
conventions collectives.
- 390. Dans une communication reçue le 19 octobre 2016, le gouvernement
indique que la crise financière et économique mondiale a eu un impact tardif et
important sur l’économie croate, qui se traduit par une baisse continue de l’activité
économique ainsi que par une baisse significative et continue du PIB, et a directement
causé la fermeture de lieux de travail et l’augmentation soudaine du taux de chômage et,
ainsi, la diminution du niveau de vie de la population. A la fin de 2011, la part de la
dette publique dans le PIB s’élevait à 46,7 pour cent, contre 55,5 pour cent en 2012, et
86,7 pour cent en 2014. Etant donné que le déficit budgétaire général avait dépassé la
limite des 3 pour cent et que la dette publique était de 60 pour cent du PIB, une
procédure de correction de déficit excessif (EDP) a été déclenchée au niveau de l’Union
européenne. Le taux de chômage moyen est passé de 15,9 pour cent en 2012 à 17,2 pour
cent en 2013. L’activité économique est demeurée à un faible niveau en 2014 et les
tendances du marché du travail étaient caractérisées par la stabilité du faible nombre
de personnes employées.
- 391. S’agissant des motifs de l’adoption de la loi sur la suspension du
droit à l’augmentation de salaire en fonction des années de service, le gouvernement
réitère ceux qu’il a invoqués par écrit lorsqu’il a proposé la loi en mars 2014 et que
l’organisation plaignante a déjà cités. En outre, le gouvernement indique que
l’augmentation des salaires afférents payés uniquement sur la base du nombre d’années
révolues de service constitue une double augmentation (payée sur la même base que
l’augmentation de salaire à hauteur de 0,5 pour cent par année de service) qui pourrait
être contraire au principe de «travail égal, salaire égal» et constituer dans la
pratique une discrimination fondée sur l’âge. Par ailleurs, l’adoption de la loi faisait
partie de l’ensemble des mesures de politique publique prises par le gouvernement pour
répondre aux critères fixés par la Commission européenne en ce qui concerne l’atteinte
de l’équilibre budgétaire et sa pérennité. Bien que cette mesure porte atteinte de
manière partielle à des droits sociaux, le gouvernement estime que l’objectif poursuivi
par le législateur était légitime et que l’adoption de la loi répond pleinement au
critère de proportionnalité, en ce qu’elle est une mesure raisonnable et limitée dans le
temps qui ne constitue pas une charge excessive pour ses bénéficiaires et n’est pas plus
restrictive que nécessaire pour atteindre l’objectif légitime de réduction de la dette
publique et de maintien du niveau actuel de l’emploi dans le secteur public et de
l’Etat.
- 392. Le gouvernement assure qu’il est conscient et continue de
reconnaître le principe général selon lequel les accords doivent être obligatoires pour
les parties et que ce principe doit être respecté en tant que règle de base. Toutefois,
il considère que, dans des cas exceptionnels, les mesures prises par les gouvernements,
dans le cadre d’une politique de stabilisation, qui déterminent les limites de la
négociation collective de certains des droits matériels et même les salaires, mais qui
sont limitées dans une période raisonnable, sont en conformité avec les conventions
nos 87 et 98.
- 393. En ce qui concerne l’allégation selon laquelle la suspension d’un
droit matériel seulement pour les employés de la fonction publique, mais pas pour le
reste du secteur public de l’Etat, est contraire au principe d’égalité, le gouvernement
souligne que les salaires et autres droits matériels des employés dans des sociétés et
autres personnes morales appartenant à l’Etat ne sont pas payés par le budget de l’Etat,
et que le gouvernement n’est donc pas partie aux conventions collectives les concernant.
Enfin, le gouvernement tient à indiquer que la loi sur la suspension du droit à
l’augmentation des salaires en fonction des années de service n’est plus en vigueur
depuis le 1er janvier 2016.
B. Conclusions du comité
B. Conclusions du comité- 394. Le comité note que, dans le présent cas, l’organisation plaignante
allègue l’adoption d’une loi portant retrait du droit à une augmentation de salaire
indexée sur les années de service qui permet au gouvernement de déroger de manière
unilatérale aux conventions collectives en vigueur dans la fonction publique. Le comité
note en particulier les allégations suivantes de l’organisation plaignante: i) en
matière d’emploi, le statut des salariés de la fonction publique est essentiellement
déterminé en Croatie par la convention collective de base des fonctionnaires et salariés
de la fonction publique (BCA) du 12 décembre 2012, ainsi que par des conventions
collectives de branche couvrant certains secteurs du service public; ii) le gouvernement
a brusquement dénoncé la majorité de ces conventions collectives dans un court laps de
temps (soit entre décembre 2013 et février 2014), justifiant cette initiative par une
profonde modification du contexte économique; iii) la loi, qui prive les salariés de la
fonction publique de Croatie d’une augmentation de salaire indexée sur les années de
service, droit qui avait été obtenu dans le cadre de conventions collectives conclues
antérieurement, a été adoptée le 25 mars 2014; iv) les raisons avancées par le
gouvernement lorsqu’il a présenté le projet de loi (le document est joint à la plainte)
portent notamment sur les point suivants: compte tenu de la dégradation de la situation
économique, il est indispensable d’adopter de nouvelles mesures d’austérité pour réduire
la dette publique et, à cet effet, de réexaminer la question du coût du travail dans la
fonction publique; un certain nombre de conventions collectives qui avaient été conclues
dans un contexte économique plus favorable ne peuvent plus être appliquées strictement;
l’indispensable réduction des coûts du travail dans la fonction publique ne peut se
réaliser qu’au moyen d’une réduction des effectifs ou la restriction temporaire de
certains droits établis par diverses conventions collectives, dont certaines ont été
dénoncées, mais restent valides pendant une période de trois mois suivant cette
dénonciation; sachant que le périmètre et le niveau de ces droits doivent rester unifiés
et que le produit intérieur brut (PIB) ne devait pas augmenter dans le courant de
l’année 2014, il est nécessaire de retirer le droit à une augmentation de salaire
indexée sur les années de service dans l’ensemble de la fonction publique;
v) l’organisation plaignante estime que les raisons avancées plus haut pour dénoncer les
conventions collectives et adopter la loi sont dénuées de fondement (les mesures
d’austérité ne garantissent nullement une reprise économique et ont même entraîné une
baisse du PIB en Croatie; la situation économique n’a pas changé, mais stagné) et
injustes (la dernière convention collective faisant état du droit à une augmentation de
salaire a été conclue trois mois seulement avant l’adoption de la loi; violation du
principe pacta sunt servanda); vi) l’une des conditions requises pour être en mesure de
déroger en toute légalité à des conventions collectives – à savoir l’organisation
préalable de consultations à propos d’une éventuelle modification desdites conventions –
n’a pas été remplie, puisque le gouvernement n’a même pas tenté d’engager des
négociations et a dénoncé brusquement et de manière unilatérale les conventions
collectives en justifiant cette initiative par une profonde transformation du contexte
économique; vii) le gouvernement n’a infligé cette suppression de droits fondamentaux
qu’aux seuls salariés de la fonction publique et a épargné les autres entreprises
publiques appartenant à l’Etat, ce qui, selon l’organisation plaignante, est contraire
au principe de l’égalité de traitement; viii) la loi a été adoptée alors que les
conventions collectives étaient encore en vigueur – elles restent applicables pendant
une certaine période suivant leur dénonciation –, ce qui a restreint les possibilités
d’engager des négociations au sujet des augmentations de salaires; ix) la loi porte
directement atteinte au droit de négociation collective en Croatie et viole ainsi le
droit à la liberté syndicale garanti par les conventions nos 87 et 98.
- 395. Le comité prend note des indications du gouvernement selon
lesquelles: i) la crise économique et financière mondiale a eu un effet tardif et
important sur l’économie croate, qui se traduit par une baisse continue de l’activité
économique, la baisse significative et continue du PIB, et a directement eu un impact
sur la fermeture des lieux de travail, l’augmentation soudaine du taux de chômage et la
diminution subséquente du niveau de vie de la population; ii) en plus des motifs que le
gouvernement a fournis lors de l’adoption en mars 2014 de la loi sur la suspension du
droit à l’augmentation des salaires en fonction des années de service, il convient de
noter que le salaire correspondant à l’augmentation versée uniquement sur la base du
nombre d’années révolues de service est une double augmentation qui pourrait, dans la
pratique, constituer une discrimination fondée sur l’âge; iii) l’adoption de la loi
faisait partie des mesures de politique publique globale prises par le gouvernement pour
répondre aux critères fixés par la Commission européenne en ce qui concerne la
réalisation de l’équilibre budgétaire et assurer sa pérennité; iv) l’objectif poursuivi
par le législateur était légitime et l’adoption de la loi a pleinement satisfait le
critère de proportionnalité, car elle constituait une mesure d’une durée raisonnable et
qui ne représentait pas une charge excessive pour ses bénéficiaires; v) contrairement
aux employés de la fonction publique, les salaires et autres droits matériels des
employés dans des entreprises appartenant à l’Etat ne sont pas payés par le budget de
l’Etat; et vi) la loi sur la suspension du droit à l’augmentation des salaires en
fonction des années de service n’est plus en vigueur depuis le 1er janvier 2016. Le
gouvernement assure qu’il continue de reconnaître le principe général selon lequel les
accords doivent être obligatoires pour les parties, mais considère que, dans des cas
exceptionnels, des mesures prises par les gouvernements dans le cadre d’une politique de
stabilisation, qui restreignent la négociation collective sur certains des droits
matériels ou même les salaires, mais limitées à une durée raisonnable, sont en
conformité avec les conventions nos 87 et 98.
- 396. En ce qui concerne l’allégation de dénonciation abrupte et
unilatérale par le gouvernement des conventions collectives de branche en raison d’une
transformation profonde du contexte économique, sans que des négociations aient été au
préalable engagées avec les syndicats du secteur public, le comité note l’indication de
l’organisation plaignante selon laquelle les dispositions des conventions collectives et
les règles générales du droit impératif autorisent la dénonciation d’un accord par l’une
des parties signataires dans certaines conditions, et notamment en cas de bouleversement
économique majeur (ce qui implique la survenue de circonstances extraordinaires
auxquelles il est impossible de se soustraire et qui par ailleurs n’étaient nullement
prévisibles au moment de la signature des conventions collectives). Le comité note que,
selon l’organisation plaignante, la situation économique n’a pas évolué depuis la
conclusion, fin 2010, de la plupart des conventions collectives de branche et relève que
l’une de ces conventions de branche établissant le droit à une augmentation de salaire a
été conclue par le gouvernement au cours de la période pendant laquelle il a dénoncé
d’autres conventions. Tout en rappelant le principe général, selon lequel les accords
doivent être obligatoires pour les parties et que la négociation collective est un
processus de concessions mutuelles, basé sur la certitude raisonnable que les
engagements négociés seront tenus, au moins pendant la durée de validité de la
convention, ladite convention résultant de compromis auxquels les deux parties ont
abouti sur certains aspects ainsi que d’exigences qu’elles ont abandonnées pour obtenir
d’autres droits auxquels les syndicats et leurs membres accordaient une priorité plus
élevée; si les droits acquis en vertu de concessions accordées sur d’autres points
peuvent être annulés unilatéralement, on ne peut raisonnablement pas s’attendre à ce que
les relations professionnelles soient stables ni à ce que les accords négociés soient
suffisamment fiables [voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté
syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 939 et 941], le comité observe d’emblée que
les conventions collectives de branche elles-mêmes prévoient une procédure de
dénonciation unilatérale et, tenant compte des motifs invoqués par le gouvernement pour
l’adoption de la loi sur la suspension de l’augmentation des salaires en fonction des
années de service, considère qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur la
pertinence de l’argumentaire économique employé par le gouvernement pour abroger une
convention collective en vertu de la procédure figurant dans cette dernière, sachant
qu’une telle compétence relève de la jurisprudence nationale. Quant à l’allégation selon
laquelle les accords auraient été dénoncés sans que des consultations aient été au
préalable engagées avec les syndicats de la fonction publique en vue d’une modification
desdits accords, le comité considère que, ne pouvant se référer aux dispositions
pertinentes des conventions collectives en question, il n’est pas en mesure de se
prononcer sur la question de savoir si la procédure de dénonciation prévue dans les
accords a été dûment suivie.
- 397. Sur ce point, le comité croit toutefois comprendre que, avant la
dénonciation des conventions collectives de branche (survenue entre décembre 2013 et
février 2014) et l’adoption de la loi en mars 2014, le gouvernement et plusieurs
syndicats de la fonction publique ont négocié et signé le 4 juin 2013 des amendements à
l’annexe de l’accord sur la détermination des salaires de la fonction publique du 13 mai
2009, accord dont la validité et l’applicabilité (qui valent également pour l’ensemble
des amendements ultérieurs) sont réaffirmées dans l’accord de base de 2012, dans une
disposition énonçant que le traitement de base est le produit du taux de base des
salaires et du coefficient de complexité des tâches, produit majoré de 0,5 pour cent
pour chaque année de service (article 51). Dans l’article II de ces amendements de juin
2013, le gouvernement prévoit d’engager des négociations sur l’augmentation de salaire
indexée sur les années de services dans la fonction publique dès que le PIB aura
enregistré une croissance réelle pendant trois trimestres consécutifs et que le déficit
du budget de l’Etat aura été ramené sous la barre des 3 pour cent.
- 398. A la lumière de ce qui précède, et rappelant qu’il a déjà considéré
que, si au nom d’une politique de stabilisation un gouvernement considère que le taux
des salaires ne peut pas être fixé librement par voie de négociations collectives, une
telle restriction devrait être appliquée comme une mesure d’exception, limitée à
l’indispensable, ne pas excéder une période raisonnable et être accompagnée de garanties
appropriées en vue de protéger le niveau de vie des travailleurs [voir Recueil,
op. cit., paragr. 1024], le comité, notant l’indication du gouvernement selon laquelle
la loi n’est plus en vigueur depuis le 1er janvier 2016, croit comprendre que des
négociations concernant l’augmentation de salaire ont été engagées entre les
gouvernements et les syndicats de la fonction publique, et il accueille favorablement
ces faits nouveaux. Rappelant que, dans un contexte de stabilisation économique, il
convient de privilégier la négociation collective pour fixer les conditions de travail
des fonctionnaires au lieu de promulguer une loi sur la limitation des salaires dans le
secteur public [voir Recueil, op. cit., paragr. 1040], le comité veut croire que les
parties, soucieuses de continuer à assurer un développement harmonieux des relations
professionnelles, négocieront de bonne foi et déploieront tous leurs efforts pour
aboutir à un accord.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 399. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil
d’administration à approuver la recommandation suivante:
- Notant l’indication du
gouvernement selon laquelle la loi n’est plus en vigueur depuis le 1er janvier 2016
et observant que des négociations sont engagées à propos de l’augmentation de
salaire dans la fonction publique, le comité accueille favorablement ces faits
nouveaux et veut croire que les parties, soucieuses de continuer à assurer un
développement harmonieux des relations professionnelles, négocieront de bonne foi et
déploieront tous leurs efforts pour aboutir à un accord.