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Allégations: L’organisation plaignante dénonce le licenciement antisyndical de travailleurs d’une compagnie aérienne à la suite de leur participation à un mouvement de grève
- 585. La plainte figure dans une communication du 3 janvier 2018 envoyée par la Confédération nationale de l’unité syndicale indépendante (CONUSI).
- 586. Le gouvernement du Panama a fait part de ses observations concernant les allégations dans des communications en date du 25 octobre 2018 et du 30 août 2021.
- 587. Le Panama a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations de l’organisation plaignante
A. Allégations de l’organisation plaignante- 588. Dans sa communication en date du 3 janvier 2018, la CONUSI dénonce le licenciement antisyndical de 79 travailleurs de la compagnie aérienne Copa Airlines (ci-après «la compagnie aérienne») et membres du Syndicat national des travailleurs de l’industrie aérienne et des industries logistiques similaires et connexes (SIELAS) à la suite de leur participation à une grève. L’organisation plaignante indique spécifiquement que: i) le SIELAS a déposé le 30 août 2017 devant l’administration du travail un projet de renouvellement de la convention collective pour qu’il soit transmis à la compagnie aérienne; ii) la négociation du projet de convention collective s’est déroulée du 21 septembre au 17 octobre 2017, sans que la compagnie n’ait manifesté un quelconque intérêt à poursuivre les discussions au-delà de cette date; iii) en l’absence de résultats et dans le respect des prescriptions établies à l’article 490 du Code du travail, le SIELAS a déposé le 14 novembre 2017 un préavis de grève pour le 23 novembre; iv) le préavis a eu pour effet de relancer les négociations qui ont permis d’aboutir à des accords sur divers points le 21 novembre, mais il n’a toutefois pas été possible de parvenir à un consensus sur les principales dispositions économiques de la convention; v) le mouvement de grève a débuté comme prévu le 23 novembre à 7 heures mais, peu après, des inspecteurs du travail sont arrivés sur les lieux et ont indiqué sans aucune preuve à l’appui que le conflit collectif avait été soumis à un arbitrage obligatoire; vi) le secrétaire général du syndicat n’ayant pas été notifié par la voie officielle de la décision ministérielle d’ordonner un arbitrage obligatoire, les travailleurs n’ont pas mis fin à la grève; vii) toujours le même jour, le président de la compagnie aérienne a proposé de reprendre sans attendre les discussions avec le syndicat, discussions qui ont conduit à un accord sur les points restés en suspens; le président a indiqué qu’il n’y avait pas lieu d’y faire figurer une clause garantissant que la compagnie aérienne n’exercerait pas de représailles; viii) conformément aux termes de l’accord, le mouvement de grève a été levé le même jour (23 novembre) à 20 h 30, et le ministère du Travail et du Développement de l’emploi (MITRADEL) a adopté la résolution no 511 DGT 17 révoquant la décision d’arbitrage obligatoire qui en réalité n’était jamais entrée en vigueur pour les raisons exposées ci avant; ix) n’ayant pas confiance dans les déclarations du président de la compagnie aérienne selon lesquelles il n’y aurait pas de représailles, le syndicat a présenté le 26 novembre un cahier de revendications dénonçant des violations du Code du travail par la compagnie pour obtenir que les travailleurs soient protégés contre un licenciement, comme le prévoit la loi en pareilles circonstances; x) le 28 novembre 2017, le président de la compagnie aérienne a licencié 79 travailleurs en raison de leur participation à la grève du 23 novembre, qualifiée d’illégale par la compagnie malgré l’absence de décision judiciaire en la matière; et xi) après le mouvement de grève et les licenciements, la compagnie aérienne a saisi la justice pour demander à ce que la grève soit déclarée illégale, mais sa demande a été rejetée en première instance (jugement du 15 décembre 2017 de la deuxième juridiction du travail). Compte tenu de ce qui précède, l’organisation plaignante dénonce le licenciement antisyndical des 79 travailleurs concernés et demande leur réintégration.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 589. Dans une première communication en date du 25 octobre 2018, le gouvernement fait référence au conflit collectif entre le SIELAS et la compagnie aérienne. Le gouvernement indique à cet égard que: i) les parties ont soumis leur demande au MITRADEL, conformément à la procédure de conciliation prévue aux articles 432 et suivants du Code du travail; ii) il est exact que les parties se sont conformées aux prescriptions et aux termes de la loi tout au long de la procédure; iii) faute d’accord sur le renouvellement de la convention collective, un préavis de grève a été présenté pour le 23 novembre 2017 à partir de 7 heures; et iv) par la suite, le MITRADEL a décrété un arbitrage obligatoire. Le gouvernement ajoute à cet égard que, lorsqu’il s’agit d’entreprises mettant en œuvre des services publics, il est possible de procéder à un arbitrage obligatoire, en application des articles 452, 486 et 490 du Code du travail, situation qui s’est déjà présentée par le passé et qui avait été entérinée par les syndicats eux mêmes.
- 590. Pour ce qui est des licenciements consécutifs au mouvement de grève, le gouvernement indique que: i) il n’est pas compétent pour examiner les réclamations relatives à ces licenciements, et que c’est aux conseils de conciliation et de décision et aux tribunaux de justice qu’il appartient de le faire; ii) il prend note de la préoccupation exprimée par l’organisation plaignante et se propose de l’accompagner pour la défense de ses droits; et iii) il demandera aux tribunaux du travail des informations sur les affaires de licenciement dont ils auront été saisis.
- 591. Dans une deuxième communication en date du 30 août 2021, le gouvernement indique que la direction générale des conseils de conciliation et de décision du MITRADEL n’a dans ses archives que trois dossiers relatifs aux licenciements en lien avec le mouvement de grève du 23 novembre 2017 et ne dispose donc d’aucune information concernant la situation des autres travailleurs ayant été licenciés. Plus spécifiquement, le gouvernement indique à cet égard que: i) dans le cadre de la procédure pour licenciement injustifié engagée le 25 janvier 2018 devant les instances du travail par M. Jesús Abdiel Villarreal del Cid, le conseil no 13 a donné suite dans sa décision finale à la demande d’indemnisation de celui-ci par la compagnie aérienne, pour un montant de 2 676 balboas (soit 2 676 dollars des États-Unis); les parties ayant accepté la décision, l’affaire a été classée; ii) pour ce qui est de la procédure pour licenciement injustifié engagée le 26 janvier 2018 devant les instances du travail par M. Abraham Isaac Solís Botacio, le conseil no 13 a rendu un jugement favorable au travailleur et a ordonné le versement de 6 326,51 balboas en sa faveur; la compagnie aérienne a fait appel de la décision devant le tribunal supérieur du travail, qui a annulé la décision du conseil et a décidé d’acquitter l’entreprise; et iii) dans la procédure engagée le 26 janvier 2018 devant les instances du travail par M. Eduardo Alberto Guardo Ortega, le conseil a acquitté la compagnie aérienne; le travailleur a fait appel de cette décision, qui a été annulée par le tribunal supérieur du travail, lequel a ordonné le versement au travailleur d’une somme de 16 669,28 balboas.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 592. Le comité observe que, en l’espèce, l’organisation plaignante dénonce le licenciement antisyndical de 79 travailleurs d’une compagnie aérienne en représailles pour avoir participé à une grève organisée par le SIELAS le 23 novembre 2017.
- 593. Le comité note que l’organisation plaignante allègue spécifiquement que: i) après avoir négocié sans succès avec la compagnie aérienne le renouvellement de la convention collective, le SIELAS, en se conformant aux prescriptions du Code du travail en matière de grève dans les services publics, a déposé un préavis de grève pour le 23 novembre 2017; ii) alors que la grève venait de commencer, des fonctionnaires de l’inspection du travail ont fait savoir aux grévistes que le MITRADEL avait soumis le conflit à un arbitrage obligatoire et ordonné la levée de la grève; iii) le secrétaire général du syndicat n’ayant pas été informé par la voie officielle de la décision ministérielle ordonnant l’arbitrage obligatoire, la grève s’est poursuivie; iv) le même jour, le président de la compagnie aérienne a proposé de reprendre les discussions sur la convention collective qui ont débouché sur un accord mettant un terme à la grève le 23 novembre à 20 h 30; v) le 28 novembre 2017, bien que s’étant engagée à ne pas exercer de représailles, la compagnie aérienne a licencié 79 travailleurs en raison de leur participation à une grève prétendument illégale; vi) après avoir procédé aux licenciements, la compagnie aérienne a saisi la justice pour que la grève soit déclarée illégale; et vii) en vertu d’une décision du 15 décembre 2017, un tribunal de première instance a rejeté la demande de la compagnie aérienne.
- 594. Le comité note également que, pour sa part, le gouvernement déclare que: i) dans le cadre des négociations relatives au renouvellement de la convention collective, les parties ont recouru à une procédure de conciliation et se sont conformées aux prescriptions du Code du travail; ii) faute d’avoir trouvé un accord sur le renouvellement de la convention collective, le SIELAS a présenté un préavis de grève pour le 23 novembre 2017 à partir de 7 heures; iii) une fois le mouvement de grève entamé, le MITRADEL a décrété le 23 novembre 2017 un arbitrage obligatoire, comme le prévoit le Code du travail en cas de conflit collectif portant sur les services publics; et iv) le même jour, le MITRADEL a révoqué ladite décision d’arbitrage obligatoire à la suite de l’accord conclu entre les parties et de la fin de la grève. Pour ce qui est des licenciements, le comité note que le gouvernement indique: i) que les conseils de conciliation et de décision et les tribunaux du travail sont les organes compétents pour régler les réclamations à cet égard; ii) que le MITRADEL a fourni au syndicat des conseils pour protéger ses droits; et iii) qu’il a fourni des informations sur trois cas individuels dans lesquels des travailleurs ont engagé une action pour licenciement injustifié, dont deux ont abouti à une décision favorable d’indemnisation et le troisième à une décision défavorable.
- 595. Le comité prend bonne note de ces éléments. Il fait observer que l’on peut déduire de ce qui précède ainsi que des documents joints en annexe par les parties que: i) comme l’affirme le gouvernement et comme le précise la décision no 511 2017 du MITRADEL, le mouvement de grève a débuté le 23 novembre 2017 après qu’eurent été effectuées toutes les formalités prévues par la loi; ii) une fois la grève entamée, le MITRADEL a adopté une décision par laquelle il a ordonné un arbitrage obligatoire et la reprise du travail; iii) la grève s’est poursuivie tout au long du 23 novembre et a pris fin à 20 h 30, dès lors qu’un accord a été trouvé entre les parties; iv) pas plus en première instance (décision du 15 décembre 2017 du deuxième tribunal du travail, transmise par l’organisation plaignante) qu’en deuxième instance (décision du 16 avril 2018 du tribunal supérieur du travail mentionnée par ledit tribunal dans une des décisions concernant le licenciement d’un travailleur, transmise par le gouvernement), la grève n’a été formellement déclarée illégale par les tribunaux, qui ont considéré que celle-ci avait pris fin avec la décision du MITRADEL ordonnant l’arbitrage obligatoire, mais que ceux-ci ont toutefois considéré que, à partir de ce moment-là, l’interruption du travail était devenue dans les faits irrégulière («paro de hecho»); v) le licenciement des trois travailleurs, dont les lettres de licenciement et les décisions de justice correspondantes ont été transmises au comité, a été motivé par le fait que ces travailleurs avaient participé à la grève du 23 novembre 2017, et ce même après la décision du MITRADEL ordonnant l’arbitrage obligatoire et la fin de la grève; vi) de même, les décisions transmises par le gouvernement, qui ont confirmé les licenciements, se sont fondées sur le fait que les travailleurs concernés n’ont pas repris le travail ce jour-là bien que la compagnie aérienne leur en avait donné l’instruction après l’adoption de la décision du MITRADEL mentionnée plus haut; et vii) les jugements communiqués par le gouvernement reconnaissant le bien-fondé des plaintes pour licenciement injustifié étaient fondés sur le fait qu’il n’avait pas été démontré que les travailleurs concernés avaient participé à la grève.
- 596. Pour ce qui est du mouvement de grève organisé par le SIELAS et la décision adoptée par le MITRADEL ordonnant un arbitrage obligatoire et la levée dudit mouvement, le comité rappelle qu’il a considéré que l’arbitrage obligatoire pour mettre fin à un conflit collectif du travail est acceptable soit s’il s’intervient à la demande des deux parties au conflit, soit dans les cas où la grève peut être limitée, voire interdite, à savoir dans les cas de conflit dans la fonction publique à l’égard des fonctionnaires exerçant des fonctions d’autorité au nom de l’État ou dans les services essentiels au sens strict du terme, c’est-à-dire les services dont l’interruption risquerait de mettre en danger dans tout ou partie de la population la vie, la santé ou la sécurité de la personne. [Voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, sixième édition, 2018, paragr. 816.] Le comité a également considéré que, dans la mesure où l’arbitrage obligatoire empêche la grève, il porte atteinte au droit des organisations syndicales d’organiser librement leurs activités et ne pourrait se justifier que dans la fonction publique ou dans les services essentiels au sens strict du terme. [Voir Compilation, paragr. 818.]
- 597. Le comité constate que, en l’espèce, le gouvernement a souligné le caractère de service public du transport aérien mais n’a pas évoqué les effets possibles de la grève sur la vie, la santé ou la sécurité de tout ou partie de la population. Il note également que les trois cas de licenciement au sujet desquels il a reçu des informations détaillées de la part de l’organisation plaignante et du gouvernement concernent des travailleurs affectés aux opérations terrestres de la compagnie aérienne. Il rappelle que, dans des conclusions adoptées dans d’autres cas relatifs au secteur du transport aérien d’autres pays, il a considéré, sur la base de la situation propre à chaque cas, que le secteur du transport aérien dans son ensemble n’est pas un service public essentiel au sens strict. Le comité souligne également qu’il a considéré que le maintien de services minima en cas de grève ne devrait être possible que: 1) dans les services dont l’interruption risquerait de mettre en danger la vie, la sécurité ou la santé de la personne dans une partie ou dans l’ensemble de la population (services essentiels au sens strict du terme); 2) dans les services qui ne sont pas essentiels au sens strict du terme mais où les grèves d’une certaine ampleur et durée pourraient provoquer une crise nationale aiguë menaçant les conditions normales d’existence de la population; et 3) dans les services publics d’importance primordiale. [Voir Compilation, paragr. 866.] À cet égard, le comité a considéré que le transport de voyageurs et de marchandises ne constitue pas un service essentiel au sens strict du terme; il s’agit toutefois d’un service public d’une importance primordiale où l’imposition d’un service minimum en cas de grève peut se justifier. [Voir Compilation, paragr. 893.]
- 598. Compte tenu de ce qui précède, le comité prie le gouvernement de prendre, en consultation avec les organisations les plus représentatives d’employeurs et travailleurs, les mesures nécessaires, y compris d’ordre législatif, pour que les règles en matière d’arbitrage obligatoire soient conformes aux critères exposés précédemment, de manière à ce que l’exercice du droit de grève et de la négociation collective dans le secteur du transport aérien ne soit pas indûment restreint.
- 599. En ce qui concerne l’allégation de licenciement des 79 travailleurs qui ont participé au mouvement de grève, le comité rappelle qu’il a considéré que nul ne devrait faire l’objet de sanctions pour avoir déclenché ou tenté de déclencher une grève légitime et que, quand les syndicalistes ou les dirigeants syndicaux sont licenciés pour avoir exercé leur droit de grève, le comité ne peut s’empêcher de conclure qu’ils sont sanctionnés pour leur activité syndicale et font l’objet d’une discrimination antisyndicale. [Voir Compilation, paragr. 953 et 958.] Constatant qu’il a reçu des informations spécifiques sur le licenciement de trois travailleurs uniquement, le comité: i) prie l’organisation plaignante de se mettre en rapport avec le gouvernement et de communiquer à celui-ci la liste exhaustive des travailleurs qui auraient été licenciés pour avoir participé au mouvement de grève; et ii) prie le gouvernement, compte tenu des conclusions du présent cas, de prendre les mesures nécessaires pour que les travailleurs licenciés en raison de leur participation au mouvement de grève ne fassent pas l’objet de sanctions pour avoir exercé légitimement leur liberté syndicale.
Recommandations du comité
Recommandations du comité- 600. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité prie le gouvernement de prendre, en consultation avec les organisations les plus représentatives d’employeurs et travailleurs, les mesures nécessaires, y compris d’ordre législatif, pour que les règles en matière d’arbitrage obligatoire soient conformes aux critères exposés dans les conclusions du présent cas, de manière à ce que l’exercice du droit de grève et de la négociation collective dans le secteur du transport aérien ne soit pas indûment restreint. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé sur cette question.
- b) Le comité: i) prie l’organisation plaignante de se mettre en rapport avec le gouvernement et de communiquer à celui-ci la liste exhaustive des travailleurs qui auraient été licenciés pour avoir participé au mouvement de grève; et ii) prie le gouvernement, compte tenu des conclusions du présent cas, de prendre les mesures nécessaires pour que les travailleurs licenciés en raison de leur participation au mouvement de grève ne fassent pas l’objet de sanctions pour avoir exercé légitimement leur liberté syndicale. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé sur cette question.