Allégations: Les organisations plaignantes font valoir que 786 gens de mer ont
été licenciés par une compagnie du secteur maritime sans préavis ni consultation syndicale,
en violation des conventions collectives conclues avec deux syndicats et de la législation
nationale, et ont été réembauchés par la suite dans des conditions de travail moins
favorables ou ont été remplacés par des travailleurs intérimaires non
syndiqués
- 610. La plainte figure dans une communication datée du 11 mai 2022
soumise par Nautilus International (Nautilus), la National Union of Rail, Maritime and
Transport Workers (RMT), le Congrès des syndicats (TUC), la Fédération européenne des
travailleurs des transports (ETF), la Fédération internationale des travailleurs des
transports (ITF) et la Confédération syndicale internationale (CSI).
- 611. Le gouvernement a fait part de ses observations dans des
communications datées du 9 mars et du 20 septembre 2023.
- 612. Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a ratifié la
convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et
la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective,
1949.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes- 613. Dans leur communication datée du 11 mai 2022, les organisations
plaignantes – Nautilus, la RMT, le TUC, l’ETF, l’ITF et la CSI – allèguent que le
17 mars 2022, P&O Ferries (la compagnie) a renvoyé sans préavis 786 gens de mer
qu’elle employait directement. Selon les organisations plaignantes, ces gens de mer ont
reçu en main propre des lettres de licenciement immédiat. Ceux qui se trouvaient à bord
des navires ont été raccompagnés à terre par des agents de sécurité recrutés, passant
devant des équipages de remplacement qui attendaient dans des autocars. Un membre
d’équipage, que l’on avait réveillé pour lui communiquer la nouvelle, a eu quinze
minutes pour rassembler ses effets personnels. Les affaires des employés ont été sorties
des cabines et un membre d’équipage a déclaré qu’il lui avait fallu quinze jours pour
récupérer les siennes. Deux membres d’équipage britanniques, renvoyés tandis que leur
navire se trouvait à Rotterdam, ont été conduits en bus à Calais et ont dû prendre leurs
propres dispositions pour rentrer chez eux.
- 614. Selon les organisations plaignantes, les syndicats des gens de mer
n’ont pas été consultés au préalable. Les autorités du Royaume-Uni et des pays dans
lesquels les navires étaient immatriculés n’ont pas été averties à l’avance, et les gens
de mer n’ont reçu aucun préavis.
- 615. Les organisations plaignantes indiquent que la compagnie avait
conclu des conventions collectives avec la RMT et Nautilus. Une «Entente de
reconnaissance et de procédure» avait été passée avec chacun de ces syndicats,
reconnaissant leur existence et définissant la procédure de négociation avec les
employeurs. Aux termes de l’entente, divers accords de fond fixant les conditions
d’emploi avaient été négociés. L’entente prévoyait que les accords resteraient en
vigueur pour une durée indéterminée, sous réserve d’un préavis écrit adressé aux autres
parties au moins six mois à l’avance, faisant état de l’intention de résilier l’entente
en question. Les conditions énoncées dans ces accords de fond étaient explicitement
intégrées (ainsi que toute modification apportée par une convention collective
ultérieure) dans les contrats types de travail des gens de mer. Parmi les accords
portant sur les conditions d’emploi figuraient des dispositions établissant une
procédure de règlement des litiges, tant au niveau individuel que collectif. Ces
dispositions prévoyaient un ensemble d’étapes menant à la possibilité de médiation et
d’arbitrage, ainsi qu’un recours à un service de conseil, de conciliation et d’arbitrage
ou de médiateurs ou d’arbitres tiers, avec une disposition de statu quo en l’attente de
l’épuisement de la procédure. Les organisations plaignantes soutiennent que ces accords
ont été violés sciemment et de manière flagrante par la compagnie, qui n’a pas tenu
compte de la procédure de règlement des litiges et qui, sans le dire, a résilié de fait
les accords sans respecter le préavis spécifié de six mois (ou tout autre préavis).
- 616. Les organisations plaignantes soutiennent que les conventions
collectives ne sont pas applicables par les syndicats dans le cadre de la législation
britannique. L’employeur pouvait les enfreindre en toute impunité, et c’est ce qu’il a
fait. De surcroît, les renvois ayant été immédiats, il a été interdit aux gens de mer de
mener une action syndicale. Selon les organisations plaignantes, la loi britannique
interdit aux syndicats d’appeler des travailleurs à entreprendre une action de
solidarité en faveur de personnes licenciées. Par conséquent, la RMT et Nautilus se sont
vus privés de la possibilité d’entreprendre une action syndicale ou d’intenter une
action en justice pour protéger les conventions collectives, les emplois et les
conditions de travail de leurs membres.
- 617. Les organisations plaignantes considèrent qu’en licenciant le
personnel, l’employeur n’a absolument pas respecté son obligation légale de consulter
Nautilus et la RMT, obligation mentionnée dans l’article 188 de la loi consolidée de
1992 sur les syndicats et les relations professionnelles (TULRCA) (ainsi que dans les
conventions collectives qui s’appliquent entre la compagnie et les syndicats). Les
organisations plaignantes indiquent que le PDG de la compagnie a admis devant la
commission parlementaire des transports et des affaires de la Chambre des communes du
Royaume-Uni (la commission parlementaire) que la compagnie avait l’obligation légale de
consulter les syndicats, mais qu’elle avait décidé de la bafouer.
- 618. En outre, la compagnie n’a pas respecté son obligation d’informer et
de consulter Nautilus et la RMT, tel que requis par l’article 13 des règlements de 2006
sur la protection de l’emploi dans le cadre des transferts d’entreprises (règlements
TUPE). Les organisations plaignantes indiquent que les règlements TUPE s’appliquent, car
l’employeur a externalisé la gestion des équipages à International Ferry Management (une
société internationale basée à Malte, qui a été enregistrée seulement un mois avant les
licenciements massifs); celle-ci a embauché de nouveaux équipages par l’intermédiaire
d’agences pour remplacer les gens de mer licenciés, procédant ainsi à une «modification
des prestations de services». De surcroît, aucune consultation individuelle n’aurait été
menée auprès de ces gens de mer, ce qui rend leurs licenciements abusifs en vertu du
droit interne. En outre, selon les organisations plaignantes, ces licenciements étaient,
en tout état de cause, abusifs puisqu’ils étaient dus à des modifications des
prestations de services (règlements TUPE 3 et 7), et non à des raisons économiques, tel
que défini par la compagnie, puisque cette dernière avait l’intention d’effectuer les
mêmes activités par un nouvel équipage à bord des navires, ce qu’elle a fait.
- 619. Les organisations plaignantes soutiennent que la compagnie a, depuis
longtemps, recours aux pavillons de complaisance pour ses navires. Afin de ne rien
divulguer de ce stratagème, la compagnie a enfreint la loi britannique en omettant
d’informer les États du pavillon des licenciements présumés dans les délais prescrits
par les articles 193 et 193A de la TULRCA. Qu’il s’agisse ou non d’une restructuration
légitime – ce qui n’était pas le cas selon les organisations plaignantes –, les gens de
mer licenciés auraient dû être transférés au nouveau chef d’équipage selon les mêmes
conditions, avec un maintien de la durée du service. Après les licenciements, certains
(moins d’une centaine) se sont vu proposer des emplois par la compagnie internationale,
emplois qu’ils ont acceptés, avec une détérioration de leurs conditions de travail. Ces
nouveaux emplois n’ont été proposés qu’à condition que les gens de mer licenciés signent
un accord de règlement les empêchant de porter plainte contre les deux compagnies.
- 620. La compagnie a proposé aux gens de mer licenciés des indemnités de
licenciement dites améliorées, qui contiennent des indemnités pour défaut de
consultation des syndicats, licenciement abusif et autres plaintes, sous réserve qu’ils
signent un accord de règlement excluant toute poursuite devant le tribunal du travail et
comportant un accord de confidentialité leur interdisant de commenter les licenciements.
En cas d’infractions à la législation britannique, il est possible de faire une demande
d’indemnisation auprès d’un tribunal du travail. Cependant, ce genre d’indemnisation ne
peut dépasser un plafond (très bas) fixé par la loi. De ce fait, la compagnie a été en
mesure de calculer avec précision le coût des licenciements effectués en recourant à son
stratagème et d’évaluer le temps nécessaire pour récupérer ce coût sur les futurs
bénéfices découlant des salaires de misère et des conditions de travail dégradées des
nouveaux équipages.
- 621. Les organisations plaignantes soutiennent que, des mois avant les
licenciements effectués suivant ce stratagème, la compagnie avait décidé de remplacer
les gens de mer licenciés par des travailleurs intérimaires non syndiqués et bon marché
et avait pris les mesures nécessaires pour le faire. Le PDG de la compagnie a admis,
devant la commission parlementaire, que le salaire moyen de ces travailleurs
intérimaires était de 5,50 livres sterling de l’heure, certains étant rémunérés à peine
5,15 livres sterling de l’heure, ce qui est inférieur au salaire minimum national au
Royaume-Uni. Qui plus est, jusqu’à leur licenciement, les membres de l’équipage
travaillaient selon un horaire de 12 heures par jour pendant sept jours consécutifs, en
dormant à bord, suivis de sept jours de congé, tous payés au taux plein. Le personnel
intérimaire de remplacement, quant à lui, travaille dans certains cas 12 heures par jour
durant dix sept semaines sans interruption. Non seulement le taux horaire est inférieur,
mais en outre, aucun congé compensatoire n’est versé, puisqu’il s’agit de contrats au
voyage uniquement.
- 622. Par ailleurs, la société internationale exerce une discrimination à
l’encontre des gens de mer sur la base de leur nationalité. Par exemple, un marin indien
apte au travail est payé moins pour travailler beaucoup plus longtemps qu’un marin
géorgien apte au travail exécutant les mêmes tâches sur le même navire. Ce modèle
d’emploi discriminatoire est répandu dans le secteur des ferries et dans celui du
transport maritime en général. Le gouvernement britannique s’est engagé à réviser la
législation concernée, à savoir la règlementation no 1771 de 2011 relative à la loi de
2010 sur l’égalité concernant le travail sur les bateaux et les aéroglisseurs (Equality
Act 2010 (Work on Ships and Hovercraft) Regulations 2011, no 1771), qui protège
actuellement les gens de mer contre la discrimination salariale fondée sur la
nationalité, en dehors du champ de la Stratégie maritime 2050.
- 623. Lors de l’audition devant la commission parlementaire, le PDG de la
compagnie a affirmé que tout processus de consultation aurait été un simulacre et que
les syndicats n’auraient pas accepté le nouveau modèle d’emploi, de sorte que la
compagnie avait plutôt décidé d’indemniser le personnel. Lorsqu’on lui a demandé, à
cette même audition, s’il prendrait à nouveau cette décision, il a répondu
catégoriquement par l’affirmative.
- 624. Les organisations plaignantes considèrent que les actes de la
compagnie et le fait que le gouvernement n’ait pas appliqué la législation du travail
appropriée ni prévu de sanctions dissuasives pour en garantir le respect constituent de
graves violations de la liberté syndicale et de négociation collective. Le mépris total
de la compagnie pour les dispositions relatives à la consultation collective contenues
dans les conventions collectives applicables représente une violation du principe de la
négociation de bonne foi. Les organisations plaignantes soulignent que le respect mutuel
des engagements pris dans les conventions collectives est un élément important du droit
de négociation collective. En outre, la non application d’une convention collective, ne
serait-ce que temporairement, va à l’encontre du droit de négociation collective ainsi
que du principe de la négociation de bonne foi. Le fait qu’un employeur n’entame pas de
consultations franches et approfondies avec les syndicats lorsqu’il élabore des plans de
restructuration, de rationalisation ou de réduction du personnel constitue une violation
fondamentale des principes de la liberté syndicale, étant donné que les syndicats ont un
rôle décisif à jouer pour que des programmes de cette nature aient le moins d’impact
négatif possible sur les travailleurs.
- 625. Compte tenu des récents conflits du travail au sein de la compagnie,
des déclarations portant sur les syndicats faites par le PDG lors de l’audition devant
la commission parlementaire, du mépris affiché par la compagnie à l’égard des
conventions collectives et de leur résiliation brutale, du défaut de tentative de
négocier des accords de remplacement, et du recours à des travailleurs intérimaires non
syndiqués de la part de la compagnie, les organisations plaignantes estiment que le
licenciement de ces 786 gens de mer représente également un acte de discrimination
antisyndicale. En effet, le licenciement de travailleurs syndiqués en vue d’embaucher un
groupe de travailleurs non syndiqués pour effectuer les mêmes tâches revêt le même
caractère dissuasif. En outre, il est manifeste que la législation en vigueur ne permet
pas d’empêcher la discrimination antisyndicale, car les employeurs peuvent en pratique,
à condition de payer les indemnités prévues par la loi en cas de licenciement abusif,
licencier n’importe quel travailleur parce qu’il est membre d’un syndicat et bénéficie
de meilleures conditions de travail dans le cadre d’une convention collective. Enfin,
les organisations plaignantes considèrent que les régimes d’application de la loi et de
sanctions sur le marché du travail au Royaume-Uni sont totalement inadaptés, puisqu’une
compagnie peut licencier sa main-d’œuvre pour éviter qu’elle ne fasse valoir ses droits
prévus par la loi. Elles concluent que le gouvernement a manqué à son devoir proactif,
en tant que Membre de l’Organisation internationale du Travail (OIT) et partie aux
conventions nos 87 et 98, de protéger les droits fondamentaux de tous les travailleurs,
dont les gens de mer, en matière de liberté syndicale et de négociation collective. Au
vu de ce qui précède, les organisations plaignantes demandent au comité de prier le
gouvernement de:
- demander à la compagnie de réintégrer immédiatement les gens de
mer licenciés ou, à défaut, de veiller à ce que les gens de mer nouvellement
recrutés bénéficient des mêmes conditions de travail que celles prévues dans les
conventions collectives applicables avec la compagnie remplaçante;
- mettre en
place une législation visant à instituer des négociations collectives sectorielles
entre les syndicats et les employeurs pour tous les ferries desservant les ports du
Royaume Uni, et rendre les conventions collectives légalement contraignantes (comme
dans le cadre de la loi de 1976 relative aux Conseils des
salaires);
- supprimer l’interdiction de mener des actions collectives
secondaires lorsque l’employeur impliqué dans le différend n’a pas respecté
l’obligation légale de procéder à des consultations avec le syndicat
reconnu;
- modifier la TULRCA pour: a) introduire un droit réglementaire, en
cas de défaut de consultation du syndicat reconnu, permettant à ce dernier de
demander une injonction pour empêcher que les licenciements deviennent effectifs ou,
s’ils sont effectifs, pour réintégrer les travailleurs, jusqu’à ce qu’une
consultation en bonne et due forme ait lieu; b) étudier comment introduire des
infractions pénales, passibles d’amendes non plafonnées et illimitées, lorsqu’une
entreprise et ses administrateurs ne consultent pas les syndicats; et c) prévoir que
l’indemnité compensatoire accordée pour défaut de consultation des syndicats
(actuellement plafonnée à 90 jours de salaire contractuel) soit non plafonnée et
illimitée;
- modifier les règlements TUPE de 2006 afin d’introduire un droit
statutaire permettant à un syndicat reconnu de demander une injonction, en cas de
défaut de consultation en temps voulu avant la réalisation d’un transfert, afin
d’arrêter la procédure de transfert jusqu’à l’organisation d’une consultation en
bonne et due forme;
- modifier la loi de 1996 relative aux droits en matière
d’emploi, afin d’empêcher les techniques de licenciement et de réembauche («fire and
rehire») auxquelles la compagnie et la société ont été en mesure de recourir pour
les gens de mer réengagés et qui permettent, dans la pratique, de déroger aux
conventions collectives au détriment des membres des syndicats;
- mettre en
œuvre une législation nationale plus stricte, qui ne tienne pas compte du pavillon
et protège tous les gens de mer contre toute forme de
discrimination;
- collaborer avec les syndicats pour élaborer des propositions
communes en vue d’éventuelles modifications de la convention du travail maritime,
2006 (MLC, 2006), telle qu’amendée, afin de renforcer les normes minimales en
matière de recrutement, de placement et de conditions de travail;
et
- modifier la loi de 1986 relative à la suspension des dirigeants de
société (CDDA) afin que le défaut de consultation collective constitue un motif
précis permettant de suspendre des dirigeants de société de leurs
fonctions.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 626. Dans ses communications datées du 9 mars et du 20 septembre 2023, le
gouvernement indique qu’il condamne avec la plus grande fermeté les actes de la
compagnie qui ont donné lieu à cette plainte. Il a apporté son soutien aux travailleurs
concernés et adopté des mesures pour qu’ils soient orientés de manière à bénéficier
d’une aide adéquate. Il a également pris des mesures robustes pour faire respecter la
règlementation existante et est déterminé à en prendre d’autres, le cas échéant, pour
protéger les gens de mer. Néanmoins, il ne partage pas l’avis des organisations
plaignantes selon lequel la législation britannique doit être modifiée dans le sens
qu’elles préconisent. Le gouvernement présente les observations ci-dessous en vue de
clarifier la législation en vigueur, les mesures qu’il a prises et la manière dont elles
répondent aux questions soulevées par les organisations plaignantes en l’espèce.
- 627. Au Royaume-Uni, les employeurs qui envisagent de licencier plus de
20 personnes pour des raisons économiques doivent, dans la plupart des cas, consulter
les représentants des travailleurs et notifier préalablement cette intention au
secrétaire d’État (ou, en Irlande du Nord, au ministère compétent). La description
ci-dessous est axée sur la législation en vigueur en Grande-Bretagne (c’est-à-dire en
Angleterre, au Pays de Galles et en Écosse), mais des dispositions équivalentes sont
prévues pour l’Irlande du Nord par l’ordonnance de 1996 relatives aux droits en matière
d’emploi en Irlande du Nord. L’article 188 de la loi TULRCA impose aux employeurs qui
envisagent de licencier 20 employés ou plus d’un même établissement au cours d’une
période de quatre-vingt-dix jours de consulter les salariés ou leurs représentants en
temps utile et, en tout état de cause, au moins trente jours avant que le premier
licenciement devienne effectif; lorsque 100 licenciements ou plus sont envisagés, les
consultations doivent intervenir au moins quarante-cinq jours avant que le premier
licenciement devienne effectif. Les consultations doivent porter notamment sur la
possibilité d’éviter ces licenciements, d’en réduire le nombre et d’en atténuer
l’impact. En application de l’article 189 de cette loi, si l’employeur n’a pas respecté
son obligation de consultation, une plainte peut être déposée auprès d’un tribunal du
travail. Si le tribunal estime que la plainte est bien fondée, il peut accorder une
indemnité compensatoire pouvant aller jusqu’à 90 jours de salaire, afin d’inciter au
respect de cette obligation et de sanctionner les employeurs qui ne s’y conforment pas.
L’article 193 prévoit que l’employeur doit notifier, dans des délais similaires, les
licenciements collectifs envisagés au secrétaire d’État (plus précisément au service de
l’insolvabilité, un organisme exécutif du ministère des Affaires et du Commerce). En
application de l’article 194, l’employeur qui ne notifie pas les licenciements envisagés
au secrétaire d’État, conformément à l’article 193, commet une infraction pénale et est
passible d’une amende laissée à la discrétion du juge. L’obligation de notification
diffère pour les navires immatriculés hors de Grande-Bretagne (ou, selon la législation
de l’Irlande du Nord, hors d’Irlande du Nord). La directive 2015/1794 de l’Union
européenne sur les gens de mer faisait obligation aux États membres de l’Union
européenne – comme c’était le cas pour le Royaume-Uni à l’époque – de légiférer pour
qu’un employeur soit tenu, en cas de licenciement collectif sur un navire battant
pavillon étranger, d’en informer l’État du pavillon. Cela permet à l’État du pavillon
d’étendre l’application de sa législation du travail aux gens de mer à bord des navires
battant pavillon dudit État. L’article 193A de la TULRCA intègre cette directive, en
disposant que c’est l’autorité compétente de l’État où le navire est immatriculé, et non
le secrétaire d’État britannique, qui doit être informée de tout licenciement collectif.
Tel a été le cas pour les licenciements de la compagnie, puisque les navires concernés
ne battaient pas pavillon britannique (et que leurs gens de mer étaient employés par une
compagnie basée hors du Royaume-Uni).
- 628. Le gouvernement indique également que, dans le cadre de son
engagement à long terme à améliorer le bien-être et des conditions de travail des gens
de mer, le ministère des transports évaluera la nécessité d’une nouvelle intervention
législative. En particulier, le ministère évaluera la protection de l’emploi de ceux qui
travaillent en mer, en tenant compte des droits comparables dont disposent les
travailleurs à terre et de la nature du secteur maritime internationalement réglementée.
L’examen portera notamment sur la question de savoir si les dispositions de la TULRCA
relatives à la notification des licenciements collectifs sont suffisamment
robustes.
- 629. Le gouvernement britannique est préoccupé par le bien-être des
786 gens de mer, compte tenu du traitement épouvantable qui leur a été infligé par la
compagnie. Conformément à la demande des organisations plaignantes, le gouvernement a
écrit à la compagnie, après l’annonce de sa décision du 17 mars 2022, pour lui faire
part de sa colère et de sa déception. Dans ses lettres, il engageait la compagnie à
revenir sur sa décision et proposait de faciliter le dialogue entre la compagnie, les
gens de mer et les syndicats. Le gouvernement a fait des démarches analogues auprès de
la société mère, DP World, et a de nouveau écrit à la compagnie, le 28 mars 2022, pour
lui demander de proposer aux travailleurs de retrouver leur emploi aux conditions et
salaires antérieurs. En outre, il a aidé les gens de mer à récupérer leurs effets
personnels.
- 630. Par ailleurs, le gouvernement a demandé à l’Inspection des normes de
l’agence pour l’emploi d’étudier les termes des contrats conclus avec les travailleurs
intérimaires relevant de sa compétence, ce qu’elle a fait. Il a également demandé à
l’administration fiscale et douanière d’axer ses ressources en matière d’application du
salaire minimum sur le secteur maritime, afin de garantir que les entreprises de ce
secteur respectent leurs obligations légales en termes de rémunération.
- 631. Le gouvernement ne pense pas qu’il convienne de renforcer les
dispositions actuelles en matière de négociation collective au Royaume-Uni. Les
travailleurs ont le droit d’adhérer à un syndicat et de s’organiser. Sur de nombreux
lieux de travail, les employeurs choisissent de reconnaître de leur plein gré un
syndicat à des fins de négociation collective et, lorsque ce n’est pas le cas, le
syndicat peut obtenir une reconnaissance syndicale officielle à condition de prouver au
comité central d’arbitrage l’existence d’un soutien majoritaire en faveur de la
reconnaissance syndicale sur le lieu de travail. Rien n’indique que des dispositions
différentes, notamment un cadre de négociation sectoriel, auraient influé sur les
décisions prises par la compagnie en question.
- 632. De même, l’interdiction d’une action syndicale secondaire n’a aucune
incidence sur les droits des travailleurs concernés par les actes de la compagnie. Les
actions syndicales secondaires sont interdites, car elles se sont révélées très
préjudiciables à l’économie britannique par le passé. Au Royaume-Uni, les travailleurs
ont le droit de faire grève contre leur employeur direct en cas de conflit du travail
lorsque certaines conditions sont remplies. Ce droit est inscrit dans la législation sur
les syndicats. L’interdiction d’actions syndicales secondaires ne porte pas atteinte aux
droits des travailleurs de la compagnie d’entreprendre des actions syndicales légales en
prévision ou dans le cadre d’un conflit avec leur employeur pendant qu’ils sont en
activité. Elle n’empêche pas non plus les travailleurs licenciés d’exercer leurs droits
pour mener des campagnes pacifiques et des actions de protestation. Les travailleurs
conservent la possibilité de demander réparation auprès d’un tribunal du travail, en cas
de licenciement abusif par l’employeur, et de chercher un recours devant les tribunaux
en cas d’infraction à une obligation contractuelle de leurs conditions d’emploi. C’est
pourquoi le gouvernement ne légalisera pas les actions syndicales secondaires.
- 633. Rendre les conventions collectives juridiquement contraignantes
irait à l’encontre de l’approche volontariste du Royaume-Uni en matière de négociation
collective, de nombreux employeurs choisissant, dans la grande majorité des cas, de
reconnaître de leur plein gré un syndicat. Selon un usage établi de longue date, la
plupart des employeurs et des syndicats préfèrent ne pas rendre les conventions
collectives juridiquement contraignantes, et le gouvernement ne voit pas pourquoi la
législation en la matière devrait être modifiée pour tenter de régler ce cas
exceptionnel.
- 634. En outre, il existe déjà des règles claires exigeant les entreprises
de tenir des consultations en cas de licenciements massifs. À ce stade, le gouvernement
ne considère pas que le problème réside dans les règles proprement dites, mais plutôt,
comme l’a reconnu la compagnie, dans le fait qu’elle a décidé de les écarter.
- 635. Le gouvernement britannique a demandé au service de l’insolvabilité
d’évaluer les actes de la compagnie. Le 1er avril 2022, le service de l’insolvabilité a
écrit au secrétaire d’État aux Affaires, à l’Énergie et à la Stratégie industrielle pour
lui confirmer qu’à l’issue de ses demandes, il avait lancé des enquêtes pénales et
civiles officielles sur les circonstances des licenciements. L’enquête pénale portant
sur les événements liés aux licenciements, le 17 mars 2022, de 786 gens de mer employés
par la compagnie visait à déterminer s’il y avait eu un défaut de notification aux
autorités compétentes des États du pavillon des navires, en violation de l’article 193A
portant modification de l’article 193 de la TULRCA et, le cas échéant, s’il s’agissait
d’une infraction pénale au sens de l’article 194, paragraphe 1, de la loi et si cette
infraction relevait de la compétence des juridictions pénales d’Angleterre et du Pays de
Galles. L’enquête visait également à déterminer s’il existait une responsabilité pénale
secondaire de la part de certaines personnes. Le 19 août 2022, un procureur principal du
service de l’insolvabilité a estimé qu’il y avait autant de chance de prouver que le cas
des employés relevait de l’article 193 que l’inverse. De ce fait, il ne pouvait pas
dire, eu égard à l’étape de la preuve dans le cadre du test complet du Code du procureur
(«Full Code Test of the Code for Crown Prosecutors»), par lequel il était lié, si le
tribunal d’examen des faits était plus susceptible de prononcer une condamnation que de
ne pas le faire. En conséquence, en application du code, il n’était pas possible
d’engager de poursuites. L’enquête civile du service de l’insolvabilité concernant les
circonstances des licenciements effectués par la compagnie est en cours. Dans ce cadre,
il ne serait pas opportun que le gouvernement formule d’autres observations à ce
stade.
- 636. En mai 2022, lors de la quatrième réunion de la Commission
tripartite spéciale de la convention du travail maritime (MLC), organisée par l’OIT, le
gouvernement britannique a soutenu activement des mesures visant à améliorer la qualité
de vie des gens de mer. Le Royaume-Uni a voté en faveur des huit modifications de la MLC
qui ont été proposées pour adoption par la commission, dont des mesures visant à
améliorer les normes minimales en matière de recrutement, de placement et de conditions
de travail. Les mesures de mise en œuvre de ces dispositions seront examinées par le
groupe de travail tripartite de la Maritime and Coastguard Agency (MCA) sur la MLC, qui
comprend des syndicats de gens de mer. La MCA serait heureuse de recevoir des
propositions de modifications de la MLC afin de renforcer les normes de recrutement et
de placement, en vue de les faire examiner par le groupe de travail conjointement avec
le ministère des Affaires et du Commerce, qui est l’organe du gouvernement responsable
de la réglementation des services de recrutement et de placement au Royaume-Uni.
- 637. Le gouvernement britannique prend des mesures pour lutter contre la
pratique du licenciement et de la réembauche, ou «fire and rehire». Il a lancé une
consultation de douze semaines sur un projet de code officiel de bonnes pratiques
destiné à empêcher les employeurs de recourir à des tactiques controversées et de ne pas
tenir de consultations en bonne et due forme avec les employés et leurs représentants.
Le processus de consultation s’est achevé le 18 avril 2023. Alors que le gouvernement
continue d’analyser les réponses et indique qu’il prendra en compte les points de vue
exprimés avant de publier sa réponse et la version finale du code, il explique que le
code définit les responsabilités des employeurs qui cherchent à modifier les conditions
contractuelles d’emploi et vise à faire en sorte que le recours à la pratique du
licenciement et du réengagement n’intervienne qu’en dernier recours. Une fois le code en
vigueur, un tribunal du travail pourra, dans certaines circonstances, augmenter jusqu’à
25 pour cent les indemnités d’un employé si son employeur a enfreint le code de manière
infondée. Le gouvernement considère inopportun d’imposer une interdiction totale, étant
donné que les entreprises peuvent avoir besoin, dans certaines situations, de la
souplesse qu’offre cette solution pour sauver autant d’emplois que possible. Le code
officiel de bonnes pratiques apporte une réponse proportionnée, qui concilie protection
des travailleurs et souplesse pour les entreprises.
- 638. Le gouvernement indique que la règlementation de 2011 relative à la
loi de 2010 sur l’égalité concernant le travail sur les bateaux et les aéroglisseurs
fournit un cadre législatif transversal destiné à: protéger les droits des individus et
faire progresser l’égalité des chances pour tous; mettre à jour, simplifier et renforcer
la législation précédente; et mettre en place une structure législative simple, moderne
et accessible en matière de lutte contre la discrimination pour protéger les individus
contre les traitements injustes et favoriser une société plus juste et plus égalitaire.
Il a entamé ses travaux portant sur le deuxième examen de la règlementation de 2011
relative à la loi de 2010 sur l’égalité concernant le travail sur les bateaux et les
aéroglisseurs, consécutivement à sa mise en œuvre. Il donne acte des objections
formulées dans la plainte relative aux différences de rémunération fondées sur la
nationalité et indique qu’il consultera les partenaires sociaux et d’autres parties
intéressées à ce sujet dans le cadre de ce nouvel examen.
- 639. En ce qui concerne la demande des organisations plaignantes
d’amender la CDDA pour faire du défaut de consultation collective un motif exprès de
déchéance de la qualité d’administrateur de société, le gouvernement indique que, bien
qu’il n’existe pas de liste exhaustive des comportements pouvant conduire à la
déchéance, étant donné que les motifs de déchéance en vertu de la CDDA sont déjà très
variés, il n’est pas approprié de procéder à un amendement pour inclure le «défaut de
consultation collective» en tant que motif exprès de déchéance. Le gouvernement souligne
que la section 12 C et l’annexe 1 du CDDA prévoient déjà que lorsque la Cour évalue si
une personne doit être disqualifiée, ou lorsque le secrétaire d’État décide d’accepter
ou non un engagement de disqualification, ce qui doit être pris en compte, entre autres,
est la mesure dans laquelle la personne était responsable quant aux violations de la
société aux obligations législatives applicables. La mesure dans laquelle la conduite
d’un administrateur entraîne une déchéance dépendra de toutes les circonstances du cas
particulier.
- 640. Le gouvernement s’engage à protéger les droits des travailleurs et
fait savoir qu’il a déjà présenté plusieurs réformes destinées à renforcer les
protections des gens de mer en matière d’emploi. Le salaire minimum national est le
salaire minimum légal pour la quasi-totalité des travailleurs au Royaume-Uni.
L’éligibilité des gens de mer à ce droit constitue une préoccupation majeure pour le
gouvernement et les autres parties prenantes. En 2017, afin d’étudier la possibilité de
faire bénéficier du salaire minimum national un plus grand nombre de gens de mer, le
gouvernement et le secteur maritime ont formé un groupe de travail, constitué de
représentants de ministères, de compagnies maritimes et de syndicats maritimes. En 2020,
comme suite aux recommandations de ce groupe de travail, le gouvernement a présenté
l’ordonnance portant modification de l’ordonnance relative au salaire minimum national
dans les emplois à l’étranger, pour élargir le droit au salaire minimum national et
apporter ainsi une meilleure protection aux gens de mer. Par conséquent, depuis le
1er octobre 2020, les gens de mer qui travaillent habituellement dans les eaux
territoriales britanniques ou dans la partie britannique du plateau continental dans le
cadre de voyages nationaux ont le droit de percevoir ce salaire minimum. Cette
modification a permis de verser une rémunération équitable à plus de 10 000 travailleurs
maritimes dans tout le pays. Le salaire minimum national s’applique également aux
travailleurs intérimaires au Royaume-Uni, ce qui signifie que les gens de mer
intérimaires ont droit au même salaire minimum que les travailleurs non intérimaires. En
outre, il concerne également tous les gens de mer qui travaillent dans la zone
économique exclusive du Royaume-Uni et dont les activités sont liées à l’exploitation et
à l’exploration des fonds marins ou de leur sous-sol.
- 641. Le 30 mars 2022, le secrétaire d’État britannique aux Transports a
annoncé un plan en neuf points pour la protection des marins, comportant un ensemble de
mesures visant à faire en sorte que les actes de la compagnie ne se reproduisent pas. Ce
plan renforce et restructure la protection des gens de mer en termes d’emploi et de
qualité de vie, en veillant à ce qu’ils soient rémunérés et traités de la même manière
quels que soient leur pavillon et leur nationalité, tout en écartant toute possibilité
pour les employeurs de déroger à cette garantie.
- 642. Afin d’étendre le droit à la rémunération équitable à un plus grand
nombre de gens de mer travaillant au Royaume-Uni, le gouvernement procède à des
modifications de la législation, dans le cadre du projet de loi sur les salaires des
gens de mer; l’objectif est de garantir que les gens de mer ayant des liens étroits avec
le Royaume-Uni qui travaillent à bord de navires faisant régulièrement escale dans des
ports britanniques (plus d’une fois toutes les 72 heures sur un an) et n’ont pas droit
au salaire minimum national britannique puissent en percevoir l’équivalent. Selon le
gouvernement, cette législation, actuellement à l’étape finale au Parlement, permettra
d’atteindre cet objectif, en subordonnant l’accès des navires aux ports britanniques à
la condition que leurs exploitants prouvent qu’ils versent aux gens de mer une
rémunération au moins équivalente au salaire minimum national britannique lorsqu’ils se
trouvent dans les eaux britanniques. Ce plan est au cœur de la réponse apportée par le
gouvernement à la décision de la compagnie de licencier 786 gens de mer sans
consultation ni préavis.
- 643. Le gouvernement indique que, depuis les licenciements, ses
responsables collaborent de manière constructive et cohérente avec certaines des
organisations plaignantes (la RMT et Nautilus), qu’il a clairement exprimé son intention
de demander des comptes à la compagnie et que le plan en neuf points va exactement dans
ce sens. Dans le cadre de l’objectif 8 du plan en neuf points, le gouvernement explore
un certain nombre d’initiatives visant à améliorer et à protéger les conditions de
travail à long terme des gens de mer. Par exemple, le ministère des Transports a
entrepris, avec les syndicats, le secteur maritime et la Chambre britannique de la
marine marchande, d’élaborer un cadre facultatif, la Charte des gens de mer, pour
introduire un certain nombre de protections en termes d’emploi et de qualité de vie des
gens de mer. Le gouvernement fournit des informations sur le lancement de la Charte des
gens de mer à Paris, parallèlement à une initiative similaire du gouvernement français,
et explique que la Charte vise à encourager les opérateurs de ferries à s’engager en
faveur de bonnes conditions de travail pour les gens de mer et qu’elle s’appuie sur les
dispositions de la CTM, notamment dans les domaines de la rémunération des heures
supplémentaires et de la protection sociale, et qu’en reconnaissant les bonnes
pratiques, elle les incite à agir. Par ailleurs, le gouvernement continue d’œuvrer, au
niveau international, à encourager d’autres États à adopter des mesures analogues. En
outre, il étudie des initiatives en matière de qualité de vie susceptibles d’améliorer
la connectivité sociale des gens de mer et de mieux comprendre leur fatigue. Il
considère que ces travaux l’aideront à prendre des mesures importantes pour protéger les
gens de mer et veiller à ce que les actes de la compagnie ne se reproduisent pas. Il
indique qu’il continue, à chaque fois qu’il en a l’occasion, de mettre en exergue son
ambitieux plan en neuf points pour la protection des gens de mer et les objectifs plus
larges de Maritime 2050 auprès de ses partenaires internationaux, tant au niveau
bilatéral que multilatéral (y compris auprès de l’Organisation maritime internationale
et de l’OIT), dans le cadre d’un effort visant à un changement radical en matière de
protection et de qualité de vie des gens de mer à l’échelle mondiale.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 644. Le comité note que les organisations plaignantes allèguent en
l’espèce que 786 gens de mer ont été licenciés par une compagnie du secteur maritime
sans préavis ni consultation syndicale, en violation des conventions collectives
conclues avec deux syndicats et de la législation nationale, et qu’ils ont été
réembauchés par la suite dans des conditions de travail moins favorables ou ont été
remplacés par des travailleurs intérimaires non syndiqués. Les organisations plaignantes
allèguent en outre que le fait que le gouvernement n’a pas appliqué la législation du
travail appropriée ni infligé de sanctions dissuasives pour en garantir le respect
revient à de graves violations de la liberté syndicale et de négociation collective. À
cet égard, elles affirment que la législation en vigueur n’apporte pas une protection
suffisante contre les actes de discrimination antisyndicale et la violation des droits
de négociation collective. Si les organisations plaignantes évoquent également des
questions de discrimination fondée sur la nationalité, les salaires, les heures de
travail et les modifications apportées à la MLC pour renforcer les normes minimales en
matière de recrutement, de placement et de conditions de travail, le comité rappelle que
ces questions ne relèvent pas de sa compétence; il n’examinera donc que les allégations
de violations de la liberté syndicale et des droits de négociation collective.
- 645. Le comité note que le gouvernement ne conteste pas les faits en
l’espèce et condamne les actes de la compagnie qui ont donné lieu à cette plainte. Il
note que le gouvernement a indiqué avoir apporté son soutien aux travailleurs concernés
et adopté des mesures pour qu’ils soient orientés de manière à bénéficier d’une aide
adéquate. Le gouvernement indique qu’il a pris des mesures énergiques pour faire
respecter la règlementation existante et qu’il est déterminé à en prendre d’autres, le
cas échéant, pour protéger les gens de mer. Si le gouvernement reconnaît que la
législation a été violée, il ne partage pas l’avis des organisations plaignantes selon
lequel la législation britannique doit être modifiée dans le sens qu’elles
préconisent.
- 646. Le comité note que, selon les organisations plaignantes, les
conventions collectives ne sont pas applicables dans le cadre de la législation
britannique en vigueur. Il note également que le gouvernement ne pense pas qu’il
convienne de renforcer les dispositions actuelles en matière de négociation collective
au Royaume-Uni et que le fait de rendre les conventions collectives juridiquement
contraignantes irait à l’encontre de l’approche volontariste du Royaume-Uni en matière
de négociation collective. Le comité rappelle que les accords devraient être
obligatoires pour les parties et que le respect mutuel des engagements pris dans les
accords collectifs est un élément important du droit de négociation collective et qu’il
doit être sauvegardé pour fonder les relations professionnelles sur des bases solides et
stables. [Voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, sixième
édition, 2018, paragr. 1334 et 1336.] Il rappelle en outre que la non application d’une
convention collective, ne serait-ce que temporairement, va à l’encontre du droit de
négociation collective ainsi que du principe de la négociation de bonne foi. [Voir
Compilation, paragr. 1340.] Rappelant que la négociation collective constructive est
fondée sur le principe selon lequel toutes les parties représentées sont liées par les
dispositions volontairement négociées, le comité a demandé instamment au gouvernement de
veiller à ce que toutes les conventions collectives lient légalement ceux qui sont
représentés par les parties contractantes. [Voir Compilation, paragr. 1335.] Le comité
considère que la négociation collective implique un processus donnant-donnant et une
attente raisonnable que les engagements négociés seront honorés. Le comité prie
instamment le gouvernement, avec les partenaires sociaux, de garantir le respect mutuel
des engagements faits dans les conventions collectives, ce qui constitue un élément
important du droit de négociation collective qui doit être respecté afin d’établir des
relations professionnelles sur des bases stables et solides.
- 647. Le comité note également que, selon les organisations plaignantes,
la loi britannique en vigueur interdit aux syndicats d’enjoindre des travailleurs à
entreprendre une action de solidarité en faveur de personnes licenciées. À cet égard, le
comité note l’indication du gouvernement selon laquelle: 1) l’interdiction d’une action
syndicale secondaire n’a aucune incidence sur les droits des travailleurs concernés par
les actes de la compagnie; 2) au Royaume-Uni, les travailleurs ont le droit de faire
grève contre leur employeur direct en cas de conflit du travail lorsque certaines
conditions sont remplies; 3) les actions syndicales secondaires sont interdites, car
elles se sont révélées très préjudiciables à l’économie britannique par le passé; et
4) le gouvernement ne les légalisera donc pas. Tout d’abord, le comité rappelle qu’une
interdiction générale des grèves de solidarité pourrait donner lieu à des abus et que
les travailleurs devraient pouvoir avoir recours à de tels mouvements, pour autant que
la grève initiale qu’ils soutiennent soit elle-même légitime. [Voir Compilation,
paragr. 770.] Le comité rappelle que, par le passé, il a demandé au gouvernement
britannique de prendre les mesures nécessaires pour faire en sorte que les grèves de
solidarité soient protégées dans le cadre de la loi. [Voir cas no 2473, rapport no 346,
paragr. 1543, et rapport no 349, paragr. 277.] Le comité prie le gouvernement
d’entreprendre avec les partenaires sociaux de surmonter les difficultés liées à
l’interdiction législative des grèves de solidarité, conformément à la liberté
syndicale.
- 648. S’agissant de ce cas particulier, le comité note l’indication du
gouvernement selon laquelle l’interdiction des actions syndicales secondaires n’empêche
pas les travailleurs licenciés d’exercer leurs droits pour mener des campagnes
pacifiques et des actions de protestation, et que les travailleurs peuvent demander
réparation auprès d’un tribunal du travail en cas de licenciement abusif par
l’employeur, et chercher un recours devant les tribunaux en cas d’infraction à une
obligation contractuelle de leurs conditions d’emploi. Le comité croit néanmoins
comprendre que, pour être réembauchés (dans des conditions de travail cependant moins
favorables, selon les organisations plaignantes), certains gens de mer (moins d’une
centaine) ont signé un accord de règlement, les empêchant de porter plainte devant le
tribunal du travail. Bien que les organisations plaignantes ne précisent pas si d’autres
gens de mer ont saisi un tribunal du travail, le comité note leur indication selon
laquelle il est possible de faire une demande d’indemnisation auprès d’un tribunal du
travail en cas d’infractions à la législation britannique, ce genre d’indemnisation ne
pouvant pas dépasser un plafond (très bas) fixé par la loi. De ce fait, la compagnie a
été en mesure de calculer avec précision le coût des licenciements effectués en
recourant à son stratagème et d’évaluer le temps nécessaire pour récupérer ce coût sur
les futurs bénéfices découlant des salaires de misère et des conditions de travail
dégradées des nouveaux équipages. Les organisations plaignantes affirment donc que le
licenciement de 786 gens de mer en vue de les remplacer par des travailleurs
intérimaires non syndiqués constitue un acte de discrimination antisyndicale. Elles
tiennent en outre que la législation en vigueur ne permet pas d’empêcher la
discrimination antisyndicale, car les employeurs peuvent en pratique, à condition de
payer les indemnités prévues par la loi en cas de licenciement abusif, licencier
n’importe quel travailleur parce qu’il est membre d’un syndicat et bénéficie de
meilleures conditions de travail dans le cadre d’une convention collective. Le comité
rappelle à cet égard qu’une protection contre des actes de discrimination antisyndicale
ne paraîtrait pas suffisante si un employeur pouvait recourir à la sous-traitance comme
moyen d’échapper, dans la pratique, aux droits à la liberté syndicale et de négociation
collective. [Voir Compilation, paragr. 1082.] Le comité considère qu’il n’apparaît pas
qu’une protection suffisante contre les actes de discrimination antisyndicale visés par
la convention no 98 soit accordée par une législation permettant en pratique aux
employeurs, à condition de verser l’indemnité prévue par la loi pour tous les cas de
licenciement injustifié, de licencier un travailleur si le motif réel en est son
affiliation ou son activité syndicale. [Voir Compilation, paragr. 1106.] Le comité
rappelle que le gouvernement doit assurer un système de protection adéquat et efficace
contre les actes de discrimination antisyndicale qui devrait inclure des sanctions
suffisamment dissuasives et des moyens de réparation rapides, en insistant sur la
réintégration au poste de travail comme mesure corrective efficace. [Voir Compilation,
paragr. 1165.] En outre, les indemnités perçues devraient être appropriées compte tenu
du préjudice subi et de la nécessité d’éviter qu’une telle situation ne se reproduise à
l’avenir. [Voir Compilation, paragr. 1173.] Le comité prie donc le gouvernement de
garantir un système de protection adéquat et efficace contre les actes de discrimination
antisyndicale, qui devrait inclure des sanctions suffisamment dissuasives et des moyens
de recours rapides, en mettant l’accent sur la réintégration comme mesures de réparation
effectives.
- 649. Le comité demande au gouvernement de fournir des informations sur
tous les développements relatifs aux recommandations ci-dessus à la Commission d’experts
pour l’application des conventions et recommandations (CEACR) à laquelle il renvoie les
aspects législatifs de ce cas.
- 650. Le comité note les informations fournies par le gouvernement sur les
mesures qu’il a prises pour répondre aux questions soulevées en l’espèce. Le comité note
en particulier que le gouvernement a demandé au service de l’insolvabilité de se pencher
sur les actes de la société, et qu’une enquête civile officielle est en cours. Le
gouvernement a lancé et a conclu une consultation de douze semaines sur un projet de
code officiel de bonnes pratiques destiné à empêcher les employeurs de recourir à des
tactiques controversées, telles que la pratique du licenciement et de la réembauche, ou
«fire and rehire», et de ne pas tenir de consultations en bonne et due forme avec les
employés et leurs représentants. Ce code définit les responsabilités des employeurs qui
cherchent à modifier les conditions contractuelles d’emploi et vise à faire en sorte que
le recours à la pratique du licenciement et du réengagement n’intervienne qu’en dernier
recours. Le gouvernement indique qu’une fois ce code en vigueur, un tribunal du travail
pourra, dans certaines circonstances, augmenter jusqu’à 25 pour cent les indemnités d’un
employé si son employeur a enfreint le code de manière infondée. Le comité prend
également note de l’indication du gouvernement selon laquelle, dans le cadre de
l’engagement du gouvernement à améliorer le bien-être et les conditions de travail des
gens de mer, le ministère des Transports suivra de près la nécessité d’une nouvelle
action législative et, dans ce cadre, examinera la TULRCA en vue de déterminer si ses
dispositions relatives à la notification des licenciements collectifs sont suffisamment
robustes. Le comité accueille favorablement l’indication du gouvernement selon laquelle,
depuis les licenciements, ses responsables collaborent de manière constructive et
cohérente avec certaines des organisations plaignantes (la RMT et Nautilus), qu’il a
clairement exprimé son intention de demander des comptes à la compagnie et que le plan
en neuf points va exactement dans ce sens. Observant que dans la demande directe de 2022
sur l’application de la convention no 98 formulée par le Royaume-Uni de Grande-Bretagne
et d’Irlande du Nord (publiée en 2023), les mêmes questions avaient été soulevées par le
TUC, le comité s’attend à ce que le gouvernement fournisse à la CEACR des informations
complètes et détaillées sur les mesures qu’il a prises pour répondre aux questions
soulevées en l’espèce et sur les résultats obtenus.
Recommandations du comité
Recommandations du comité- 651. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil
d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) La négociation
collective implique un processus donnant-donnant et une attente raisonnable que les
engagements négociés seront honorés. Le comité prie instamment le gouvernement, avec
les partenaires sociaux, de garantir le respect mutuel des engagements faits dans
les conventions collectives, ce qui constitue un élément important du droit de
négociation collective qui doit être respecté afin d’établir des relations
professionnelles sur des bases stables et solides.
- b) Le comité prie le
gouvernement d’entreprendre avec les partenaires sociaux de surmonter les
difficultés liées à l’interdiction législative des grèves de solidarité,
conformément à la liberté syndicale.
- c) Le comité prie le gouvernement de
garantir un système de protection adéquat et efficace contre les actes de
discrimination antisyndicale, qui devrait inclure des sanctions suffisamment
dissuasives et des moyens de recours rapides, en mettant l’accent sur la
réintégration comme mesures de réparation effectives.
- d) Le comité prie le
gouvernement de fournir des informations sur tous les développements relatifs aux
recommandations ci-dessus à la Commission d’experts pour l’application des
conventions et recommandations (CEACR) à laquelle il renvoie les aspects législatifs
de ce cas. Le comité s’attend à ce que le gouvernement fournisse à la CEACR des
informations complètes et détaillées sur les mesures qu’il a prises pour répondre
aux questions soulevées en l’espèce et sur les résultats obtenus.
- e) Le comité
estime que le présent cas est clos et n’appelle pas un examen plus
approfondi.